Les ‘hachmonaïm remportent la
victoire et propagent le Nom du
D.ieu d’Israël. Partout et jusque sur
les lettres de créance, le juif doit se
souvenir de son lien avec D.ieu.
La Torah éclaire toutes les
dimensions de l’existence.
Il est alors urgent de nourrir
les âmes d’Israël contaminées par
l’athéisme et un pseudo judaïsme
purement philosophique et
intellectuel. Alimentés par une telle
ambition, les juifs qui avaient
renoué avec leur D.ieu, grâce aux
petites choses de la vie, grâce à des
lettres de créance, ne risquaient pas
de maltraiter un document sur
lequel le Nom de Hachem figurait.
Du temps a passé ; la
émouna s’est de nouveau enracinée
au cœur du peuple. Les Sages ont
alors jugé qu’il n’était plus
nécessaire de mentionner le Nom
divin sur les créances puisqu’Il était
à nouveau inscrit dans les
consciences. Ils ont jugé que l’on
risquait de ne plus voir ce Nom à
force de Le voir, que le temps de
l’éducation, de la rééducation de la
émouna était terminé.
Le yom tov est la
célébration d’un temps où il n’est
plus nécessaire de convaincre les
juifs de la véracité, de la beauté, de
la Torah car ils en sont déjà
convaincus.
Rabbin Jacky Milewski
Les dernières lignes du traité
talmudique Souca (56b) évoquent un
épisode bien triste qui se produisit à
l’époque de ‘Hanouka. Une certaine
Myriam, issue de la famille de prêtres
Bilga, renie son judaïsme et se marie
avec un gouverneur grec.
Quand les grecs pénètrent
dans le Sanctuaire, cette femme les
accompagne. Avec sa sandale, elle
frappe l’autel s’écriant: « Loukous,
loukous ! Loup, loup ! Jusqu’à quand
feras-tu disparaître l’argent des juifs
sans les soutenir dans les moments
difficiles ? ».
Quand les Sages apprirent
ces faits, après la victoire des
‘Hachmonaïm, ils immobilisèrent
l’anneau de Bilga et firent boucher sa
fenêtre. Expliquons-nous : les prêtres
sont composés de vingt-quatre
groupes (michmarote). Chacun d’eux
disposent d’un anneau fixé dans la
cour du Temple qu’ils utilisaient pour
procéder à la che’hita des offrandes.
Par ailleurs, chacun d’eux disposent
d’une fenêtre en profondeur d’un mur
d’une salle du Temple qu’ils
employaient pour entreposer les
instruments nécessaires à leur
service. L’anneau de la famille Bilga
et sa fenêtre deviennent inutilisables.
Selon le Maharcha, Myriam
de Bilga a désigné l’autel de loup car
le loup dévore les agneaux. Elle
considère l’autel tel un loup puisque
deux agneaux sont tous les jours
consumés sur le feu qui y brûle. Elle
le nomme ainsi à deux reprises pour
faire référence à l’autel du premier
Temple et à celui du deuxième (Ben
Yehoyada sur la Guemara).
La femme qui a trahi son
peuple revient victorieusement dans
l’espace où sa famille accomplit son
service sacré, espace qui ne signifie
plus rien pour elle. Elle participe à la
désacralisation, frappe et fait
violence à l’autel avec une sandale,
lui parle sans considération
particulière, et s’adresse en réalité
aux juifs restés juifs qui se
consacrent, selon elle, à un D.ieu qui
ne fait que prendre sans jamais rien
donner en retour.
C’est en grec qu’elle
s’adresse aux pierres de l’autel, dans
cette langue de l’intellect qui juge les
événements par sa seule intelligence.
La défaite signifie s’être trompé et les
juifs n’ont donc plus rien à espérer,
pense-t-elle.
Les chariots de pharaon
Quand pharaon apprend que
la famille de Yossef est vivante, il
ordonne à Yossef de dire à ses
frères : « Prenez pour vous du pays
d’Egypte des chariots pour vos
enfants, vos femmes, et vous
emmènerez votre père… Que vos
yeux ne se préoccupent pas de vos
objets [laissés en terre de Canaan]
car le bien de toute la terre d’Egypte
est à vous » (Genèse 45, 19 et 20).
N’y avait-il pas de chariots en Canaan
pour conduire la famille de Yaacov en
Egypte ? Et pourquoi Yaacov et les
siens ne pourraient-ils pas emporter
leurs biens, leurs objets ? C’est là une
curieuse hospitalité.
On saisit bien que le
problème n’est pas la disponibilité de
chariots. Pharaon accepte d’accueillir
la famille de Yaacov en Egypte mais à
condition qu’elle renonce à ses
traditions, à ses spécificités, à son
mode de vie. En un mot, à condition
qu’elle s’assimile. Même les chariots
de la terre des patriarches ne doivent
pas toucher le pays des pyramides.
« De la terre promise, il ne faut rien
emporter, ni promesse ni souvenir ! »
clament pharaon et avec lui tous les
assimilationnistes. « Quant à vos
objets, à ces objets qui
n’appartiennent qu’à vous, vos
tefiline, vos livres sacrés, vos talitot
et mezouzote, ne les emportez
pas ! » (ce dernier point est expliqué
dans le Cheérite Mena’hem du Rav
Rubinstein, volume I p. 152).
Pharaon accepte donc
d’accueillir les hébreux s’ils renoncent
à être des hébreux. « Les enfants
d’Israël agirent ainsi, Yossef leur
donna des chariots selon la parole de
pharaon et il leur donna des
provisions pour la route » (45, 21).
« Les enfants d’Israël agirent
ainsi » c'est-à-dire qu’ils ont agi en
considérant les paroles de pharaon
mais en tant qu’enfants d’Israël sans
rien renoncer à leur identité.
De même, il n’est pas dit que
Yossef a donné les chariots à ses
frères « comme pharaon l’avait
ordonné » mais qu’il leur donna
« selon la parole de pharaon ».
La nuance est de taille. Et
plus tard, la Torah dira : Yaacov «a
vu les chariots que Yossef a envoyés
pour le transporter et l’esprit de
Yaacov leur père revient à la vie »
(45, 27).
Le commentaire de Rachi est édifiant :
il n’est pas dit « les chariots que
pharaon a envoyés » mais « les
chariots que Yossef a envoyés ».
Yaacov retourne à la vie, s’attache à la
vie, quand il acquiert la certitude que
les chariots qui le transporteront, lui et
sa famille, pourront emporter tefiline,
tsitsit, sifré Torah, mezouzote…
Plus loin encore, la Torah dit :
« Yaacov s’est levé de Beer Chéva, les
enfants d’Israël transportèrent Yaacov
leur père, leurs enfants et leurs
épouses dans les chariots que pharaon
avait envoyés pour le transporter »
(46, 5).
Yaacov est contraint de ne pas
contrarier la volonté de pharaon mais il
ne s’en inquiète guère car il sait que
les chariots envoyés par Yossef
l’accompagnent aussi et portent en eux
la tradition d’Israël.
Preuve en est : le verset
suivant affirme : « ils prirent leurs
troupeaux et tous leurs biens, ceux
qu’ils avaient acquis en terre de
Canaan » (46, 6). Les enfants de
Yaacov ont emporté la Torah dans
leurs bagages.
Rabbin Jacky Milewski
Rachi a écrit qu’elle a entendu son
père mépriser l’autel. Il ne précise
pas la forme que ce mépris à adopté.
Aussi, Rabbi Sim’ha Zissel Ziv
(‘Hokhmat moussar, p. 221)
enseigne que très certainement, le
père de Myriam ne désignait pas
l’autel de loup dévorant l’argent des
juifs. Il était prêtre et officiait au
cœur du Temple. Mais Myriam n’a
pas entendu son père dire combien il
était heureux de servir le Temple,
combien il aimait sa mission et
combien il la considérait comme un
privilège, comme une chance. De ce
silence, sa fille a compris – peut-être
mal – que son père méprisait l’autel.
En grandissant, elle a conservé au
cœur de son esprit le sentiment qu’on
lui avait laissé cultiver.
‘Hanouka vient de la racine
qui donne le mot ‘hinoukh,
l’éducation. Si des parents juifs ne
parlent pas à leurs enfants de la
Torah en termes éminemment
positives, s’ils ne montrent pas à leur
progéniture combien ils se sentent
investis dans les mitsvot et combien
le judaïsme importe à leur vie, alors
l’enfant risque de comprendre que
ses parents sont indifférents à la vie
juive et il poursuivra sur ce qu’il
pense être la route qui pour lui a été
tracé. ‘Hanouka constitue ce temps
où il est donné aux parents
d’expliquer à leurs enfants que la
Torah est notre vie, et de les inscrire
ainsi pour de bon sur la route de
notre identité.
Rabbin Jacky Milewski
Les Sages réagissent vis-
à-vis de la famille de Myriam afin
de la mettre en garde contre
l’argumentation utilisée par son
rejeton : ils immobilisent
l’anneau (taba’at), signe de
l’alliance, alliance inaltérable,
inépuisable, absolue.
Ce n’est pas parce que le
peuple juif a perdu son Temple
qu’il n’est plus le peuple juif. Ils
bouchent aussi la fenêtre de
Bilga.
Myriam pensait que les
juifs n’avaient plus d’avenir et
que la victoire des grecs lui avait
donné raison. Or c’est justement
cette façon de concevoir les
choses qui empêche toute
nouvelle perspective de poindre à
l’horizon.
Si pour cette femme, la
défaite est synonyme d’échec,
elle n’a plus rien à attendre. Sa
fenêtre est bouchée.
Israël lui dépasse les
événements, il ne les juge ni en
tire aucune conclusion de sorte
que la fenêtre d’Israël est
toujours ouverte.
On a bien l’habitude de
placer les bougies de ‘Hanouka à
la fenêtre comme pour signifier
que rien n’est jamais jugé pour
de bon.
La Guemara citée plus
haut poursuit : pourquoi
sanctionner la famille de Bilga
pour la faute de Myriam ? Sa
trahison a été un choix
personnel !
Le Guemara répond :
« Ce qu’un enfant dit au marché,
il l’a entendu de la bouche de son
père ou de celle de sa mère ».
Rachi explique : Myriam de Bilga
a pu prononcer des propos si
désinvoltes vis-à-vis de l’autel du
sanctuaire car elle avait entendu
son père mépriser ce même
autel. En ce sens, sa famille porte
une responsabilité dans la
trahison de Myriam.