Corps finis
Paul Lescot
09 Avril 2014
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Soit Kun corps fini ; définissons
θ:ZK
n7→ n.1K.
Alors θest un morphisme d’anneaux, et Z
ker(θ)est isomorphe à Im(θ), un sous–anneau de K; en
particulier, il est fini et intègre. De sa finitude résulte que ker(θ)6={0}. Mais ker(θ)est un idéal de Z,
donc de la forme aZpour un (unique) a1. Vu que
θ(1) = 1K6= 0 ,
on a 1/ker(θ), donc a2;Z
aZétant intègre, aest premier. Nous noterons dorénavant p=a;Kcontient
le sous–anneau
K0=déf. Im(θ)'Z/pZ,
c’est–à–dire un sous–anneau isomorphe au corps Fp. On appelle pla caractéristique de K.
Le corps Kpeut être considéré comme un espace vectoriel sur son sous–corps K0; en tant que tel, il
est isomorphe à une puissance Kn
0(n1), d’où
|K|=|Kn
0|=|K0|n=pn.
En résumé, nous venons d’établir la
Proposition 1 Soit Kun corps fini ; alors il existe un nombre premier pet un entier n1tels que
|K|=pn.
Réciproquement, on a le
Théorème 1.1 (Galois[1])Pour tout nombre premier pet tout entier n1, il existe un corps commutatif
fini de cardinal pn, unique à isomorphisme près.
Ce corps sera noté Fpn(parfois GC(pn)ou GF (pn)).
Remarque 1.2 Attention à ne pas confondre ce corps avec l’anneau Z/pnZ(ils ne sont isomorphes que
pour n= 1).
Remarque 1.3 En fait, tout corps fini est commutatif (Théorème de Wedderburn).
Démonstration 1.4 Supposons que Ksoit un corps commutatif de cardinal pn. Comme vu ci–dessus,
Kcontient un sous–corps K0'Fp, que nous identifierons dorénavant à Fplui–même.
Vu que Kpeut-être plongé dans un corps algébriquement clos K, et que Kest de degré fini (en fait
n) sur Fp, on a K=Fp. Mais chaque élément non nul de Kvérifie xpn1= 1 (car Kest un groupe
1
(multiplicatif) d’ordre pn1) donc xpn=x. Cette dernière équation est trivialement satisfaite pour x= 0 ;
elle l’est donc pour tout xK, d’où :
K⊂ {xFp|xpn=x}.
Soit
L:= {xFp|xpn=x}.
Le polynôme Q(X) = XpnXFp[X]est de degré pn, donc possède au plus pnracines dans Fp,
c’est–à–dire que |L| ≤ pn. Vu que |K|=pnet KL, il s’ensuit que K=L, ce qui établit l’unicité (à
isomorphisme près) de K.
Réciproquement, montrons que Ldéfini ci–dessus est un corps à pnéléments. Tout d’abord, le polynôme
Q(X) = XpnXFp[X]est scindé sur Fp(car ce dernier est algébriquement clos) ; par ailleurs, son
polynôme dérivé est
Q0(X) = pnXpn11 = 1,
lequel est premier avec Q. Toutes les racines de Qsont donc simples, d’où |L|=pn. Soit
F:FpFp
x7→ xp.
J’affirme que Fest un endomorphisme du corps Fp(l’endomorphisme de Frobenius). Il est en effet clair
que F(0) = 0,F(1) = 1, et que, pour tout (a, b)Fp
F(ab) = F(a)F(b).
De plus
F(a+b)=(a+b)p
=
p
X
k=0 p
kakbpk
=ap+bp+
p1
X
k=1 p
kakbpk
=F(a) + F(b) +
p1
X
k=1 p
kakbpk.
Mais, pour 1kp1,pdivise p.(p1)! = p! = k!(pk)!p
k= 1...k.1...(pk).p
k.
pétant premier, il ne divise aucun de 1,...,k,1,..., pk, donc, en vertu du Lemme de Gauss, p|p
ket
yKp
ky= 0 (vu que Kest de caractéristique p).
Il s’ensuit que
F(a+b)=(a+b)p=F(a) + F(b)
et Fst un endomorphisme du corps Fp. Mais
xFpFn(x) = xpn;
Lest donc l’ensemble des points fixes de l’endomorphisme Fn, donc est un sous–corps de Fp.
Nous aurons besoin d’un lemme de pure théorie des groupes.
Lemme 1.5 Soit Gun groupe abélien fini d’ordre |G|=net d’élément neutre noté e, ayant la propriété
que, pour chaque diviseur dde n, le nombre d’éléments xde Gtels que xd=esoit au plus d. Alors Gest
cyclique.
2
Démonstration 1.6 Pour xG, notons ω(x)l’ordre de x. Pour d|n, définissons
ad=|{xG|ω(x) = d}| .
Alors
X
d|n
ad=|G|=n .
Si ad6= 0, il existe un élément yde Gtel que ω(y) = d. Mais alors les yk, pour 1kdsont deux à
deux distincts et vérifient (yk)d=ykd =ydk = (yd)k=ek=e, d’où
{yk|1kd}⊂{xG|xd=e},
et
d=|{yk|1kd}| ≤ |{xG|xd=e}| ≤ d .
Donc
{yk|1kd}={xG|xd=e}.
En particulier, si l’élément xde Gest d’ordre d, on a xd=eet il existe donc k∈ {1, ..., d}tel que x=yk.
Mais alors
ω(x) = ω(yk) = ω(y)
pgcd(ω(y),k) =d
pgcd(d,k)
et la condition ω(x) = déquivaut à pgcd(d,k) = 1 ; elle possède donc ϕ(d)solutions. Nous avons établi
que, si ad6= 0, alors ad=ϕ(d); en particulier, pour chaque d|n,adϕ(d). Mais
X
d|n
ad=n=X
d|n
ϕ(d).
Il en résulte que, pour chaque d|n,ad=ϕ(d); en particulier, an=ϕ(n)6= 0.Gpossède donc au moins
un élément yd’ordre n. Le sous–groupe < y > de Gengendré par yest alors d’ordre n=|G|; de ce fait
il coïncide avec G, lequel est donc cyclique.
Corollaire 1.7 Si Kest un corps fini (commutatif), le groupe multiplicatif K\ {0}est cyclique
Démonstration 1.8 Soit G=K\ {0}; pour chaque diviseur dde l’ordre |G|de G, le polynôme Xd1
a au plus dracines dans K; en particulier, le nombre de xKavec xd= 1 est au plus d. Le résultat suit
alors du Lemme 1.5.
Corollaire 1.9 Le groupe multiplicatif Fp\ {0}est cyclique.
Un entier atel que aengendre Fp\ {0}est dit racine primitive modulo p.
Exemple 1.10 L’exemple suivant provient de l’article d’origine sur la théorie des corps finis (Galois[1]) ;
il s’agit de la construction du corps F73à73= 343 éléments.
Il est très facile de voir que 2n’est pas un cube dans F7; le polynôme
X32F7[X],
étant de degré 3sur F7, est donc irréductible. Soit
K=déf.
F7[X]
(X32)F7[X].
Alors Kest un corps de degré 3sur F7, donc isomorphe à F73; nous l’y identifierons dorénavant. Soit
α=Xla classe de Xdans F7[X]
(X32)F7[X]; alors K=F7[α].
3
On peut déterminer explicitement un générateur du groupe multiplicatif K=K\ {0}: de α3= 2
suit que
α9= (α3)3= 23= 8 = 1
(nous travaillons présentement en caractéristique 7), et α36= 1. Il en résulte que l’ordre de αdans Kest
9 = 32. L’ordre de 1dans Kest évidemment 2. De plus,
(α1)7=α71=4α1
et
(α1)21 = ((α1)7)3= (4α1)3= 64α348α2+ 12α1 = α22α+ 1 = (α1)2
d’où
(α1)19 = 1 .
Vu que α16= 1,α1est d’ordre 19. Les nombres 2,9et 19 étant premiers entre eux, il suit d’une
propriété bien connue des groupes commutatifs finis que
j:=déf. α(1)(α1) = αα2
est d’ordre 9·2·19 = 342 = 731, et jengendre donc le groupe multiplicatif
F73\ {0}.
En particulier
F73=F7[j].
Référence
[1] E. Galois Sur la théorie des nombres, Bulletin des Sciences Mathématiques de Férussac, XIII, §218
(Juin 1830) ; = Ecrits et Mémoires Mathématiques(éd. R. Bourgne et J.–P. Azra), Gabay, Paris, 1997,
pp. 113–127.
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