L`annonce aux malades : contextes et - Horizon documentation-IRD

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DÉPISTAGE VIH ET CONSEIL EN AFRIQUE
pour propos d'instaurer une bonne relation avec le consultant
- préoccupation peu habituelle jusqu'à présent dans les services de
santé - et la part importante d'information que comprend le conseil.
Au-delà du seul souci d'assurer le retour du consultant pour qu'il
vienne rechercher ses résul tats, l'instauration d'une relation de
confiance et d'aide entre le conseiller et le consultant en préalable au
test constitue le principal outil pour éviter que l'annonce de son statut sérologique ne provoque des réactions dépressives ou un déni
insurmontable.
L'analyse psychologique des réactions de patients séropositifs à
l'annonce, que présente J.Ouédraogo, est à ce titre instructive. Les
réactions pathologiques sont plus fréquentes lorsque la structure
psychique du consultant y est favorable, mais aussi lorsque le
conseil ne respecte pas certaines indications, que précise l'auteur,
définissant ainsi quelques traits fondamentaux du conseil et du rôle
de conseiller.
La dimension d'information sur le VIWsida et sur sa prévention
que comprend le conseil est essentielle. Mais comment transmettre
cette information de manière personnalis,ée, autrement que cela n'est
tait dans les campagnes d'Information Education Communication ?
A quel moment cette action d'information est-elle la plus pertinente ? Que faut-il expliquer au consultant, et quelle part de dialogue faut-il établir pour assurer une bonne information ? E. Ricard
discute l'importance de l'information dans le conseil, et propose une
démarche qui permette une réelle réduction du risque personnel de
chaque consultant.
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L'annonce aux mallades.
Contextes et significatio
partir d'exemples ~VQ~E%XRS
--.
Les données et les analyses présentées ici se réfèrent à deux projets de recherche, l'un mené de 1990 à 1994, sur les aspects anthropologiques des réponses individuelles et familiales au sida à Abidjan
et l'autre, récemment engagé, sur les contextes sociaux et sanitaires
de l'exposition au risque.
.
-
À partir de ces matériaux de terrain divers (recueillis, principalement, auprès de personnes infectées par le VIH auxquels
s'ajoutent quelques données issues de premiers entretiens avec des
tuberculeux séronégatifs et des personnes de statut sérologique
inconnu) mon propos s'articulera autour d'un triple constat dont Ia
prise en compte m'apparaît nécessaire à l'élaboration d'un processus
d'annonce fondé sur une juste compréhension des réponses individuelles qu'elle suscite :
itout d'abord, l'annonce faite par le milieu médical s'ajoute à
une somme d'informations d'origine et de nature diverses dont il
faut tenir compte ;
- par ailleurs, cette annonce est une étape dans un processus (pré
. et post-test) qui doit revêtir une logique et une cohérence propres ;
- enfin, une fois l'annonce faite, les conseils post-test doivent
êtr? répétés et jamais considérés comme définitivement assimilés.
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DEPISTAGE VTH ET CONSEIL’EN AFRIQUE
La non-annonce
La première recherche a consisté en un suivi durant plusieurs
années de tuberculeux infectés par le VIH, dépistés pour le VIH et
pris en charge par l’un des deux Centres anti-tuberculeux existant en
1990 (Vidal, 1996)l. La question de l’annonceet de son intei-prétation par le patient ne faisait pas initialement partie des thèmes centraux de discussion que je souhaitais aborder : elle devait naturellement s’insérer dans la somme d’informations permettant de décrire
les “représentations de la maladie” en général.
Très rapidement, il m’est néanmoins apparu que ces tuberculeux
en cours ou en fin de traitement étaient rarement informés de leur
statut sérologique en des termes renvoyant explicitement au virus du
sida. Ils évoquaient des séries de métaphores (<< sang mauvais B,
<< sale D, << microbes dans le sang D) pour rendre compte des
résultats de l’examen sanguin qui, au fil de nos discussions, traduisaient sans ambiguïté possible une absence d’annonce de la séropositivité pour le VIH.
Certitude d’une non-annonce que ‘confirmait par ailleurs l’abandon des mesures de prévention de la transmission du VIH dès lors
que la tuberculose était déclarée guérie : tel homme déclare ainsi ne
plus utiliser de préservatif puisqu’il est “guéri”, telle femme a un
enfant maintenant que le conseil des médecins de << ne pas faire
d’enfant >> est jugé comme caduc, compte-tenu de sa “guérison”
déclarée. Confusion entre tuberculose et sida, des représentations de
la prévention et de 1’évolutionclinique de la maladie sur laquelle se
sont greffées deux données essentielles : la multiplicité des sources
d’information sur la nature de la maladie et l’organisation
progressive d’un système d’annonce de la séropositivité au sein des
CAT.
Les annonces multiples
Côtoyer des malades sur une période variant de deux à quatre ans
fournit bien évideminent des informations qui dépassent le cadre de
l’“histoire de vie” ou de l’“histoirede la maladie” : essentielles 5la
* De 1990 à 1994, la prévalence du VIH parmi les patients suivant un trai-
tement anti-tuberculeux etait comprise entre 43 et 47%.
Pour un panorama épid6miologiquedu VIH en Côte-d’Ivoire, voir : Djomand
G., Greenberg A.E., Sassan-Morokro M. etal., The epidemic of HIV/AIDS in
Abidjan, Côte-d’Ivoire : A review of data collected by
Projet RETRO-CI from
.
I987 to 1993, Jourrial ofAIDS, 1995, 10: 358-65.
L’ANNONCE AUX MALADES
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compréhension des réponses apportées à la survenue de la maladie,
ces données laissent toutefois progressivement la place à des observations et au recueil de propos qui permettent de suivre les transformations des représentations de la maladie et des initiatives, individuelles ou familiales, qu’elle génère.
Cette possibilité de suivre mois après mois le cheminement du
malade prend une dimension particulikre dans le contexte de nonannonce qui prévalait entre 1990 et 1992. En effet, la multiplication
des recours thérapeutiques sollicités par le malade se double d‘une
diversification des sources d‘information sur la nature de l’affection
qui le touche, provoquant des rechutes et nécessitant, selon les
médecins, des changements de comportement. Diversification accrue
du fait de l’imprécision du discours mCdical, localisant la maladie
mais ne la nommant pas. Diversification, enfin, des manifestations
physiques (toux, amaigrissement) d‘un mal qui suscite commentaires et affirmationsvariés de la famille et des amis.
En somme, thérapeutes et proches confondus émettent un.
“diagnostic” sur cette affection, d’autant plus aisément sollicité et
entendu par le malade que le véritable diagnostic, produit par les
médecins, s‘est avéré singulièrement insuffisant et le plus souvent
inexistant.
L’annonce tardive .de la séropositivité
Cette insuffisance trouvera une première réponse 2 partir de
1992, lorsqu’il fut décidé de recueillir le consentement des patients
pour le test du VIH et de leur en annoncer le résultat.
Mobilisés pour améliorer le “conseil” et faciIiter l’annonce de ia
séropositivité, médecins et assistantes sociales interviennent par
conséquent non seulement lorsqu’un patient se présente pour la prise
en charge d’une tuberculose qui vient d’être dépistée, mzis aussi
lorsque d‘anciens tuberculeux, infectés par le VIH, viennent pour
une visite de contrôle ou à l’occasion d’un problème de santé. Ces
patients, jusqu’alors non-informés de leur statut sérologique pour le
.<WH,apprennent donc leur séropositivité plusieurs mois, voire parfois plusieurs années après avoir été testés.
Or, depuis les premiers signes de leur maladie et de façon récuïrente au fil de leur recherche de soins et d’explications sur leur
affection, ces malades ont assimilé des informations que viennent
soit confirmer soit contredire le diagnostic tardif de séropositivité.
Plusieurs cas de figure sont alors observables. N’ayant jamais pensé
être infecté par le VIH, le patient pourra tout d’abord réagir comme
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L'ANNONCE AUX MALADES
DÉPISTAGE VIH ET CONSEIL EN AFRIQUE
contente pas de délivrer des informations sur le sida et le test à venir
mais qui, de plus, donne l'opportunité au patient de parler de son
affection (dans le cas oÙ le test intervient lors de la survenue d'un
problème de santé) ou, plus généralement, de sa perception du
risque de s'être exposé au VIH. Cela revient en somme 8 écouter ce
que la personne accepte de dire sur son état de santé et sur le sida.
En fournissant des informations sur le type de "diagnostics" entendus, ces précisions faciliteront l'intervention du conseiller lors du
pré-test qui, en plus d'être complète sur les modes de transmission
et la prévention du VIH ainsi que sur les conséquences de la séropositivité ou d e l a séronégativité, tentera, autant que faire se peut
compte-tenu d'évidentes contraintes de temps, de prendre en considération la perception individuelle du sida.
Une telle personnalisation de l'échange lors du pré-test se révélera par la suite utile lors d'une annonce qui pourra se fonder sur la
compréhension que le patient développe de son état de santé et qu'il
a acceptée de partager lors de ce pré-test : ces éléments compléteront
alors ceux relatifs au '"profil psychologique" du patient (permettant,
par exemple, d'évaluer la possibilité d'une réaction violente ou de
vengeance à l'annonce.. .), sur lequel le personnel de santé souhaite
fréquemment avoir des informations.
toute personne apprenant sa séropositivité avec, en plus, un fort
sentiment d'injustice vis-à-vis du milieu médical qui lui aura caché
pendant une si longue période cette information essentielle sur son
état de santé. Sentiment prégnant, aussi, d'un retard important pris
dans des initiatives thérapeutiques qu'il aurait engagées, estime-t-il,
s'il avait connu plus tôt son statut sérologique. Dans le cas où cette
annonce tardive ne fait que confirmer une séropositivité déjà intégrée
dans la représentation de l'affection, elle doit alors s'insérer dans
l'ensemble des "diagnostics" émanant de l'entourage.
Concrètement, se posent à la personne séropositive les questions
suivantes :
- Quelle information partager avec les proches qui le disaient
"malade du sida" et prenaient leurs distances avec lui ?
- Que dire à ceux qui étaient inquiets au début de la dégradation
de son état de santé et que les effets bénéfiques du traitement antituberculeux avaient rassurés ?
- Comment mettre en œuvre des mesures de prévention, dorénavant clairement corrélées au risque de transmettre le VIH ou de se
réinfecter, vis-à-vis d'un partenaire avec lequel ces mêmes recommandations avaient été délaissées lors de la guérison de la tuberculose ?
Troisième constat que l'écart de temps important entre le test et
son rendu vient confirmer, l'abandon des mesures de prévention relatives au VIH impose une répétition et une actualisation des conseils
délivrés lors de l'annonce et du post-test. Cette pratique d'une annonce décalée s'ajoutant à un diagnostic de guérison de la tuberculose favorise indéniablement un délaissement de la prévention du
VIH : pour autant, recommander que soient régulièrement reformulées les mesures de protection contre le VIH ne me paraît nullement
superflu ou devant être réservé à ce seul type de patients (tuberculeux infectés par le VIH).
Espace et durée de l'annonce
Ces éléments essentiels à la compréhension des réactions à l'annonce (multiplicité des 'cannonces7'et annonce médicale décalée par
rapport au test) réintroduisent donc les trois constats énumérés au
début de mon propos.
En premier lieu, parmi les recommandations que l'on peut soumettre à l'appréciation des personnes ayant la charge de la mise en
œuvre de l'annonce de la séropositivité, apparaît clairement la
nécessité pour le personnel de santé de ne jamais occulter le fait que
le patient a entendu et assimilé des informations d'origines et de
contenus variés sur la nature de son affection. De même qu'il ne
limite pas sa recherche de soins à l'offre d'une structure sanitaire
précise, il n'attend pas la révélation de son statut sérologique pour
recevoir et interpréter des informations sur sa maladie.
Cela m'amène au second point évoqué : la cohérence du proces-
sus de conseil, incluant l'annonce proprement dite. Par cohérence,
j'entends ici, notamment, la mise en œuvre d'un pré-test qui ne se
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~
Ceci pour deux raisons :
D'une part, au-delà de leur double expérience de la tuberculose et
du sida, ces patients organisent peu à peu leur existence autour de
leur infection par le VIH : ils reviennent en consultation pour des
problèmes de santé découlant de leur séropositivité, bien après leur
guérison de la tuberculose. En d'autres termes, ils développent des
rcponses tant au niveau de la recherche de sens que de soins, exemplaires de l'ensemble de celles apportées par les personnes iiafectécs
par le VIH.
,
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DÉPISTAGE VIH E T CONSEIL EN AFRIQUE
D'autre part, des données encore fragmentaires recueillies auprès
de tuberculeux séronégatifs, de personnes de statut sérologique
inconnu ou encore de personnels de santé, mettent d'ores et déjà en
évidence la nécessaire confirmation des connaissances individuelles
sur le sida :
- chez les premiers, l'annonce de la séronégativité à laquelle
s'ajoute plus tard celle d'une guérison de la tuberculose rend impérative une reprise des conseils afin d'éviter que ces deux informations ne débouchent sur un sentiment de protection ;
- chez les seconds, au strict niveau des connaissances sur les
. modes de transmission, la transmission de la mère à l'enfant est
généralement connue (et même surévaluée en terme de probabilité de
contamination de l'enfant) mais rarement citée spontanément
(lorsqu'il est demandé de citer les modes de transmission possibles
du VIH) : elle est considérée comme un cas de la transmission par
voie sanguinc, elk-mêmc citée pour des expositions au VIE1 dpid6miologiquement rares (par le biais de lames, de rasoirs.. .) ;
- enfin, les personnels, de santé rencontrés (sages-femmes,
infirmiers, médecins) font état d'évidents écarts entre connaissance
des modes de prévention du VIH et exposition réelle au VIH (par
exemple, survenue de MST chez des patients affirmant se protéger)
qui renforcent l'idée d'une information devant être répétée.
Difficile ii standardiser dans son contenu, la révélation du statut
sérolögique apparaît temporellement et socialement construite : c'est
tout à la fois dans la durée du processus de conseil et dans la durée
des relations sociales occasionnant assimilation et interprétation d'informations sur la maladie que s'inscrit l'annonce, par le médecin ou
l'assistante sociale, de la contamination par le VIH.
Que le pré-test soit éludé au profit d'un recueil rapide du consentement du patient ou que les informations rassemblées par ce dernier
auprès de proches ou de thérapeutes soient ignorées, et le moment
de l'annonce aura, alors, des effets (réactions négatives du patient, .
délaissement à terme de la prévention) contraires aux objectifs affirmés de vouloir interrompre la chaîne de transmission du VIH et éviter au séropositif toute réinfection.
Aussi, se pencher sur l'annonce des malades telle qu'ils l'ont
vécue et en relatent le processus permet une exploration du point de
vue et de l'expérience des destinataires de cette information, à même
de déboucher sur des suggestions pratiques qui tiennent compte, à la
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fois, de l'histoire individuelle de la connaissance de la maladie et des
contraintes pratiques du "conseil".
Référence bibliographique
. VIDALL., Le silence
et le sens. Essai d'anthropologie du sida en
Afrique, Paris, Anthropos - Economica, 1996, 218 p.
et le Conseil
en Afrique au sud du Sahara
Aspects médicaux et sociaux
KARTHALA
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