L`annonce aux malades : contextes et - Horizon documentation-IRD

_I
a-Ï
P
26
DÉPISTAGE
VIH
ET
CONSEIL
EN
AFRIQUE
pour propos d'instaurer une bonne relation avec
le
consultant
-
préoccupation peu habituelle jusqu'à présent dans
les
services de
santé
-
et la part importante d'information
que
comprend le conseil.
Au-delà du seul souci d'assurer le retour du consultant pour qu'il
vienne rechercher ses résul tats, l'instauration d'une relation de
confiance
et
d'aide entre le conseiller
et
le consultant en préalable au
test constitue
le
principal outil pour éviter que l'annonce de son sta-
tut sérologique ne provoque des réactions dépressives ou un déni
insurmontable.
L'analyse psychologique des réactions de patients séropositifs
à
l'annonce, que présente
J.
Ouédraogo, est
à
ce titre instructive. Les
réactions pathologiques sont plus fréquentes lorsque la structure
psychique du consultant
y
est favorable, mais aussi lorsque le
conseil ne respecte pas certaines indications, que précise l'auteur,
définissant ainsi quelques traits fondamentaux du conseil et du rôle
de conseiller.
La dimension d'information sur le VIWsida
et
sur sa prévention
que comprend le conseil
est
essentielle. Mais comment transmettre
cette information de manière personnalis,ée, autrement que cela n'est
tait dans
les
campagnes d'Information Education Communication
?
A
quel moment cette action d'information est-elle la plus perti-
nente
?
Que faut-il expliquer au consultant, et quelle part de dia-
logue faut-il établir pour assurer une bonne information
?
E.
Ricard
discute l'importance de l'information dans le conseil,
et
propose une
démarche qui permette une réelle réduction du risque personnel de
chaque consultant.
'I
L'annonce aux
mallades.
partir
d'exemples
~VQ~E%XRS
Contextes et
significatio
--.
Les données et les analyses présentées ici
se
réfèrent
à
deux pro-
jets de recherche, l'un mené de
1990
à
1994,
sur les aspects anthro-
pologiques des réponses individuelles et familiales au sida
à
Abidjan
et l'autre, récemment engagé, sur les contextes sociaux et sanitaires
de l'exposition au risque.
À
partir de ces matériaux de terrain divers (recueillis, prin-
cipalement, auprès de personnes infectées par le VIH auxquels
s'ajoutent quelques données issues de premiers entretiens avec des
tuberculeux séronégatifs et des personnes de statut sérologique
inconnu) mon propos s'articulera autour d'un triple constat dont
Ia
prise en compte m'apparaît nécessaire
à
l'élaboration d'un processus
d'annonce fondé sur une juste compréhension des réponses indivi-
duelles qu'elle suscite
:
i
tout d'abord, l'annonce faite par le milieu médical s'ajoute
à
une somme d'informations d'origine
et
de nature diverses dont il
faut tenir compte
;
-
par ailleurs, cette annonce est une étape dans
un
processus (pré
-
enfin, une fois l'annonce faite, les conseils post-test doivent
.--
.
et post-test) qui doit revêtir une logique et une cohérence propres
;
êtr?
répétés et jamais considérés comme définitivement assimilés.
28 DEPISTAGE VTH ET CONSEIL’EN AFRIQUE
La
non-annonce
La première recherche
a
consisté
en
un suivi durant plusieurs
années de tuberculeux infectés par le VIH, dépistés pour le VIH et
pris en charge par l’un des deux Centres anti-tuberculeux existant en
1990
(Vidal, 1996)l.
La
question de l’annonce et de son intei-préta-
tion par le patient ne faisait pas initialement partie des thèmes cen-
traux de discussion que je souhaitais aborder
:
elle devait naturelle-
ment s’insérer dans la somme d’informations permettant de décrire
les
“représentations de la maladie” en général.
Très rapidement, il m’est néanmoins apparu que ces tuberculeux
en cours
ou
en fin de traitement étaient rarement informés de leur
statut sérologique en des termes renvoyant explicitement au virus du
sida.
Ils
évoquaient des séries de métaphores
(<<
sang mauvais
B,
<<
sale
D,
<<
microbes dans le sang
D)
pour rendre compte des
résultats de l’examen sanguin qui, au fil de nos discussions, tradui-
saient sans ambiguïté possible une absence d’annonce de
la
séro-
positivité pour le VIH.
Certitude d’une non-annonce que ‘confirmait par ailleurs l’aban-
don des mesures de prévention de
la
transmission du
VIH
dès lors
que la tuberculose était déclarée guérie
:
tel homme déclare ainsi ne
plus utiliser de préservatif puisqu’il est “guéri”, telle femme a un
enfant maintenant que le conseil des médecins de
<<
ne pas faire
d’enfant
>>
est jugé comme caduc, compte-tenu de sa “guérison”
déclarée. Confusion entre tuberculose et sida, des représentations de
la prévention et de 1’évolution clinique de
la
maladie sur laquelle
se
sont greffées deux données essentielles
:
la multiplicité des sources
d’information sur la nature de la maladie
et
l’organisation
progressive d’un système d’annonce de la séropositivité au sein des
CAT.
Les annonces multiples
Côtoyer des malades sur une période variant de deux
à
quatre ans
fournit bien évideminent des informations
qui
dépassent le cadre de
l’“histoire de vie”
ou
de l’“histoire
de
la maladie”
:
essentielles
5
la
*
De
1990
à
1994, la prévalence du VIH parmi les patients suivant
un
trai-
tement anti-tuberculeux etait comprise entre
43
et 47%.
Pour un panorama épid6miologique du VIH en Côte-d’Ivoire, voir
:
Djomand
G., Greenberg A.E., Sassan-Morokro M. etal.,
The
epidemic of HIV/AIDS
in
Abidjan, Côte-d’Ivoire
:
A review of data collected by Projet RETRO-CI from
I987
to
1993,
Jourrial
ofAIDS,
1995,
10:
358-65.
.
29
L’ANNONCE AUX MALADES
compréhension des réponses apportées
à
la
survenue de
la
maladie,
ces données laissent toutefois progressivement
la
place
à
des obser-
vations et
au
recueil de propos qui permettent de suivre les transfor-
mations des représentations de la maladie
et
des initiatives, indivi-
duelles
ou
familiales, qu’elle génère.
Cette possibilité de suivre mois après mois le cheminement du
malade prend une dimension particulikre dans
le
contexte de non-
annonce qui prévalait entre 1990
et
1992. En effet,
la
multiplication
des recours thérapeutiques sollicités par le malade se double d‘une
diversification des sources d‘information
sur
la
nature de l’affection
qui le touche, provoquant
des
rechutes et nécessitant, selon les
médecins, des changements de comportement. Diversification accrue
du fait de l’imprécision du discours mCdical, localisant
la
maladie
mais ne la nommant pas. Diversification, enfin, des manifestations
physiques (toux, amaigrissement) d‘un mal qui suscite commen-
taires et affirmations variés de la famille et des amis.
En somme, thérapeutes et proches confondus émettent un.
“diagnostic” sur cette affection, d’autant plus aisément sollicité
et
entendu par le malade que le véritable diagnostic, produit par
les
médecins, s‘est avéré singulièrement insuffisant et
le
plus souvent
inexistant.
L’annonce tardive .de la séropositivité
Cette insuffisance trouvera une première réponse
2
partir
de
1992, lorsqu’il fut décidé de recueillir le consentement des patients
pour le test du
VIH
et de leur en annoncer le résultat.
Mobilisés pour améliorer le “conseil” et faciIiter l’annonce de
ia
séropositivité, médecins et assistantes sociales interviennent par
conséquent non seulement lorsqu’un patient se présente pour
la
prise
en charge d’une tuberculose qui vient d’être dépistée,
mzis
aussi
lorsque d‘anciens tuberculeux, infectés par le
VIH,
viennent pour
une visite de contrôle
ou
à
l’occasion d’un problème de santé. Ces
patients, jusqu’alors non-informés de leur statut sérologique pour
le
.<WH,
apprennent donc leur séropositivité plusieurs mois, voire par-
fois plusieurs années après avoir été testés.
Or, depuis les premiers signes de leur maladie et de façon récuï-
rente au fil de leur recherche de soins et d’explications sur leur
affection, ces malades ont assimilé des informations
que
viennent
soit confirmer soit contredire le diagnostic tardif de séropositivité.
Plusieurs cas de figure sont alors observables. N’ayant jamais pensé
être infecté par
le
VIH, le patient pourra tout d’abord réagir comme
30
DÉPISTAGE VIH ET CONSEIL
EN
AFRIQUE
toute personne apprenant sa séropositivité avec, en plus, un fort
sentiment d'injustice vis-à-vis du milieu médical qui lui aura caché
pendant une
si
longue période cette information essentielle sur son
état de santé. Sentiment prégnant, aussi, d'un retard important pris
dans des initiatives thérapeutiques qu'il aurait engagées, estime-t-il,
s'il avait connu plus tôt son statut sérologique. Dans le cas
cette
annonce tardive ne fait que confirmer une séropositivité déjà intégrée
dans la représentation de l'affection, elle doit alors s'insérer dans
l'ensemble des "diagnostics" émanant de l'entourage.
Concrètement, se posent
à
la personne séropositive
les
questions
suivantes
:
-
Quelle information partager avec les proches qui le disaient
"malade du sida" et prenaient leurs distances avec lui
?
-
Que dire
à
ceux qui étaient inquiets au début de la dégradation
de son état de santé et que les effets bénéfiques du traitement anti-
tuberculeux avaient rassurés
?
-
Comment mettre en œuvre des mesures de prévention, doréna-
vant clairement corrélées au risque de transmettre le VIH ou de se
réinfecter, vis-à-vis d'un partenaire avec lequel ces mêmes recom-
mandations avaient
été
délaissées lors de la guérison de la tubercu-
lose
?
Espace et durée de l'annonce
Ces éléments essentiels
à
la compréhension des réactions
à
l'an-
nonce (multiplicité des 'cannonces7'
et
annonce médicale décalée
par
rapport au test) réintroduisent donc les trois constats énumérés
au
début de mon propos.
En premier lieu, parmi les recommandations que l'on peut
sou-
mettre
à
l'appréciation des personnes ayant la charge de la mise
en
œuvre de l'annonce de la séropositivité, apparaît clairement la
nécessité pour
le
personnel de santé de ne jamais occulter
le
fait que
le
patient
a
entendu et assimilé des informations d'origines et de
contenus variés sur la nature de son affection. De même qu'il ne
limite pas sa recherche de soins
à
l'offre d'une structure sanitaire
précise, il n'attend pas la révélation de son statut sérologique pour
recevoir et interpréter des informations sur sa maladie.
Cela m'amène au second point évoqué
:
la cohérence du proces-
sus
de conseil, incluant l'annonce proprement dite. Par cohérence,
j'entends ici, notamment, la mise
en
œuvre d'un pré-test qui ne se
L'ANNONCE
AUX
MALADES
31
contente pas de délivrer des informations sur le sida et
le
test
à
venir
mais qui, de plus, donne l'opportunité
au
patient de parler de son
affection (dans le cas
le
test intervient lors de la survenue d'un
problème de santé)
ou,
plus généralement, de
sa
perception du
risque de s'être exposé au
VIH.
Cela revient en somme
8
écouter ce
que la personne accepte de dire sur son état de santé et sur le sida.
En fournissant des informations sur
le
type de "diagnostics" enten-
dus, ces précisions faciliteront l'intervention du conseiller lors
du
pré-test qui, en plus d'être complète sur les modes de transmission
et la prévention du VIH ainsi que sur les conséquences de la séro-
positivité
ou
dela séronégativité, tentera, autant que faire se peut
compte-tenu d'évidentes contraintes de temps, de prendre en consi-
dération la perception individuelle du sida.
Une telle personnalisation de l'échange lors du pré-test se révé-
lera par la suite utile lors d'une annonce qui pourra
se
fonder sur
la
compréhension que le patient développe de son état de santé et qu'il
a acceptée de partager lors de ce pré-test
:
ces éléments compléteront
alors ceux relatifs au '"profil psychologique" du patient (permettant,
par exemple, d'évaluer la possibilité d'une réaction violente ou de
vengeance
à
l'annonce..
.),
sur
lequel le personnel de santé souhaite
fréquemment avoir des informations.
Troisième constat que l'écart de temps important entre le test et
son rendu vient confirmer, l'abandon des mesures de prévention re-
latives au
VIH
impose une répétition et une actualisation des conseils
délivrés lors de l'annonce et du post-test. Cette pratique d'une
an-
nonce décalée s'ajoutant
à
un diagnostic de guérison de la tubercu-
lose favorise indéniablement un délaissement de la prévention du
VIH
:
pour autant, recommander que soient régulièrement reformu-
lées les mesures de protection contre
le
VIH ne me paraît nullement
superflu ou devant être réservé
à
ce seul type de patients (tubercu-
leux infectés par le
VIH).
~
Ceci pour deux raisons
:
D'une part, au-delà de leur double expérience de la tuberculose et
du sida, ces patients organisent peu
à
peu leur existence autour de
leur infection par le VIH
:
ils reviennent en consultation pour des
problèmes de santé découlant de leur séropositivité, bien après leur
guérison de la tuberculose.
En
d'autres termes, ils développent
des
rcponses tant au niveau de la recherche de sens que de soins, exem-
plaires de l'ensemble de celles apportées par les personnes iiafectécs
par le VIH.
32
DÉPISTAGE
VIH
ET CONSEIL
EN
AFRIQUE
D'autre part, des données encore fragmentaires recueillies auprès
de tuberculeux séronégatifs, de personnes
de
statut sérologique
inconnu ou encore de personnels de santé, mettent d'ores et déjà en
évidence la nécessaire confirmation des connaissances individuelles
sur le sida
:
-
chez
les
premiers, l'annonce de la séronégativité
à
laquelle
s'ajoute plus tard celle d'une guérison de la tuberculose rend impé-
rative une reprise des conseils afin d'éviter que ces deux informa-
tions
ne
débouchent sur un sentiment de protection
;
-
chez les seconds, au strict niveau des connaissances sur les
.
modes de transmission, la transmission de la mère
à
l'enfant est
généralement connue (et même surévaluée en terme de probabilité de
contamination de l'enfant) mais rarement citée spontanément
(lorsqu'il est demandé de citer les modes de transmission possibles
du VIH)
:
elle est considérée comme un cas de la transmission par
voie sanguinc, elk-mêmc citée pour des expositions au
VIE1
dpid6-
miologiquement rares (par le biais de lames, de rasoirs..
.)
;
-
enfin, les personnels, de santé rencontrés (sages-femmes,
infirmiers, médecins) font état d'évidents écarts entre connaissance
des
modes de prévention du VIH et exposition réelle au
VIH
(par
exemple, survenue de
MST
chez des patients affirmant se protéger)
qui renforcent l'idée d'une information devant être répétée.
Difficile
ii
standardiser dans son contenu,
la
révélation du statut
sérolögique apparaît temporellement et socialement construite
:
c'est
tout
à
la fois dans la durée du processus de conseil
et
dans la durée
des
relations sociales occasionnant assimilation et interprétation d'in-
formations sur la maladie que s'inscrit l'annonce, par le médecin ou
l'assistante sociale, de la contamination par le VIH.
Que
le
pré-test soit éludé au profit d'un recueil rapide du consen-
tement du patient
ou
que les informations rassemblées par ce dernier
auprès de proches
ou
de thérapeutes soient ignorées, et le moment
de l'annonce aura, alors, des effets (réactions négatives
du
patient,
.
délaissement
à
terme de la prévention) contraires aux objectifs affir-
més de vouloir interrompre la chaîne de transmission du VIH
et
évi-
ter au séropositif toute réinfection.
Aussi, se pencher sur l'annonce des malades telle qu'ils l'ont
vécue
et
en relatent le processus permet une exploration du point de
vue
et
de l'expérience des destinataires de cette information,
à
même
de déboucher sur des suggestions pratiques qui tiennent compte,
à
la
,
L'ANNONCE AUX MALADES
33
fois, de l'histoire individuelle de la connaissance de la maladie et des
contraintes pratiques du "conseil".
Référence bibliographique
.
VIDAL
L.,
Le
silence et le
sens.
Essai d'anthropologie du
sida
en
Afrique,
Paris, Anthropos
-
Economica,
1996,
218
p.
et
le
Conseil
en Afrique au sud du Sahara
Aspects médicaux et sociaux
KARTHALA
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