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comme psychologiquement, la majorité des inter-
viewés en souligne l’importance et les bénéfices. « Le
travail m’apporte une vie sociale, c’est la vie, je dirais,
estime Samuel. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui
ne bossait pas et qui allait bien. En plus, quand on
est séropositif, sous trithérapie, tout se décale, on n’a
plus de repères. Il y a une désocialisation. Le travail
est aussi une thérapie. Cela donne du mouvement à
la vie, des objectifs, des projets. »
Milieu associatif. Les associations de lutte contre le
sida apportent une dimension collective à l’expérience
singulière. Elles offrent un soutien et une entraide par
l’insertion dans un réseau de « semblables ». Mais
l’engagement en tant que salarié ou bénévole dépasse
cette seule recherche d’appar-
tenance identitaire. Il s’agit
aussi de s’inscrire dans un
cadre où le virus est objet de
travail, non plus seulement comme dans les activités
de contrôle de la maladie, mais un objet partagé, qui
permet de rencontrer l’activité des autres. Ainsi, le tra-
vailleur, en collectivisant la résistance, entre en lutte
contre la maladie et pas seulement « sa » maladie. Le
cadre associatif aide à « neutraliser » le virus, à en
faire un objet mis hors de soi pour en accroître le
contrôle. Le désir de s’orienter vers la relation d’aide
est très présent, afin de rendre ce qu’on a soi-même
reçu, faire de son expérience « d’individu fragilisé »
une compétence pour accompagner les autres. Pour
beaucoup, c’est également un accès privilégié à l’infor-
mation. Enfin, dans un tel contexte, des souplesses sont
possibles en terme d’emploi du temps, contrairement au
« milieu ordinaire ».
De plus, ces salariés ou bénévoles sont allégés de
l’exigence perçue de devoir cacher leur séropositi-
vité pour prévenir les risques de stigmatisation ou
d’exclusion. Pourtant, ils s’interrogent parfois sur la
place qu’ils occupent dans ces associations. Selon
certains, les représentations du milieu s’organiseraient
autour d’un clivage entre séronégatifs et séropositifs,
ces derniers définissant ou devant définir la catégorie
des usagers. La non-reconnaissance de la difficulté
du travail avec le VIH ou le VHC serait à nouveau
expérimentée, ainsi que la difficulté d’échanger entre
collègues sur la maladie. Comme si finalement le « tra-
vailleur », ici comme ailleurs, devait nécessairement
être « en bonne santé » et que la rassurante distinction
entre « malades » et « bien portants » se rejouait. Par
ailleurs, certains éprouvent le sentiment d’une sorte
d’enfermement dans ce milieu. Cependant, contraire-
ment au stéréotype qui voit dans le malade engagé dans
des activités associatives une des modalités de son
enfermement dans le monde de la maladie, ces activités
permettent un travail sur soi tout en sortant de soi.
Résistance au subir. Contrairement aux maladies
chroniques, le sida n’est pas une maladie au sens
médical du terme, mais un syndrome caractérisé par
une immunodéficience importante qui place au cœur
de l’expérience la vulnérabilité et donc l’incertitude.
Et la maladie est bien une épreuve existentielle non
réductible aux regards des autres. Le « jugement » est
d’abord celui que la personne porte sur elle-même
quand elle compare ses possibilités d’aujourd’hui à
celles d’hier, quand elle surveille les métamorpho-
ses opérées par le virus qui
« l’habite ». Si le médecin
est classiquement considéré
comme celui qui organise
les activités de soins, le VIH fait du patient la figure
centrale : c’est bien lui qui arbitre entre les diffé-
rentes contraintes de la maladie, de son traitement,
de sa vie sociale et professionnelle. La fragilité des
compromis, des équilibres, tient bien sûr à la place
faite aux « malades » dans le monde du travail, même
dans les associations. Le malade au travail est perçu
comme une anomalie. Reste que l’engagement dans
une activité est résistance au subir, manière aussi
de capitaliser les expériences du passé, de tracer les
contours d’un présent articulé au projet comme forme
de résistance à l’aliénation dans la maladie et à la
place sociale faite aux malades.
1Lhuilier D. et al., « Vivre et travailler avec une maladie
chronique (VIH-VHC) » in Nouvelle revue de psychosociologie,
n° 7, février 2007.
Le risque d’être sans emploi est cinq fois plus
élevé qu’en population générale, à caractéristi-
ques sociodémographiques comparables. Depuis
l’arrivée des trithérapies, 55 % des personnes dia-
gnostiquées ont conservé leur emploi, 18 % l’ont
perdu, mais en ont retrouvé un et 27 % ne tra-
vaillent plus. Plus des deux tiers des personnes
ayant perdu leur emploi souhaitent en trouver un
et entreprennent des démarches en ce sens.
Sources : ANRS 2003 ; Peretti-Watel, Spire 2008.
Ces chiffres qui parlent
Transversal n° 49 septembre-décembre repères
Les activités au sein d'une association permettent
un travail sur soi tout en sortant de soi.