Rachis, 1996, vol. 8, 11 04pp 181-192 ARTICLE ORIGINAL
ATTEINTE DU RACHIS CERVICAL HAUT AU COURS
DE LA SPONDYLARTHRITE ANKYLOSANTE
UPPER CERVICAL SPINE INVOLVEMENT lN
ANKYLOSING SPONDYLITIS
A. BENMANSOUR*, E. TOUSSIROT**, D. WENDLlNG**
'Service de Rhumatologie CHG -33, rue du Haut Rocher -53000 Laval.
"Service de Rhumatologie CHU J. Minjoz -Bd A. Fleming -25030 Besançon Cedex.
Travait du service de Rhumatologie (Pr D. Wendling), CHU J. Minjoz -Bd A. Fleming -25030 Besançon Cedex.
RESUME SUMMARY
L'atteinte du rachis cervical est peu connue au cours de
la spondylarthrite ankylosante alors qu'elle peut être à
l'origine de manifestations neurologiques sévères. Au
travers de la littérature, nous constatons que les études
avec nombre suffisant de patients sont exceptionnelles.
L'étude de Ramos Remus, dont le nombre de patients
dépasse la centaine, va dans le sens d'une sous-
estimation de l'atteinte du rachis cervical au cours de la
spondylarthrite ankylosante. Nous rapportons une série
de 8 spondylarthrites ankylosantes avec atteinte du
rachis cervical. Nous avons diagnostiqué une fracture
de l'odontoïde, une atteinte érosive des masses latérales
de l'atlas, deux canaux rachidiens étroits, l'un par
ossification du ligament vertébral commun postérieur,
l'autre par ankylose cervicale sévère, et 4 diastasis
atloïdo-odontoïdiens dont 1 par anomalie congénitale de
CI. 5 patients présentaient des cervicalgies intenses
avec sensation de craquement ou d'instabilité du cou, 3
par diastasis, 1 par ossification du ligament vertébral
commun postérieur et 1 par ankylose sévère. 2 cas de
souffrance médullaire sont notés, l'un par ossification
du ligament vertébral commun postérieur, l'autre par
fracture de l'odontoïde. Le but de ce travail est
d'apporter une meilleure connaissance de ces atteintes
afin de permettre une meilleure prise en charge de ces
patients. Nous pensons que la multiplication d'études
systématiques du rachis cervical devant toute
spondylarthrite ankylosante évoluée et ancienne est
indispensable.
Mots clés: Spondylarthrite ankylosante - Rachis cervical - Luxation
atloïdo-axoïdienne - Fracture.
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The role of the cervical spine is little known in the course
of ankylosing spondylitis although it can lead to severe
neurological symptoms. Throughout the literature we
note that studies carried out on a sufficient number of
patients are exceptionnal.
The study carried out by Ramos Remus on more than one
hundred patients underestimates the involvement of the
cervical spine in the course of ankylosing spondylitis. We
report on a serie of eight patients with ankylosing
spondylitis with a cervical spine involvement. We have
diagnosed onefracture of the odontoïd, one erosion of the
lateral masses of the atlas, two with narrowing of the
spinal canal, one due to ossification of the posterior
common vertebral ligament and the other to severe
cervical ankylosis; and four atloido-odontoid diastasis,
one of which was due to a congenital abnormality of CI.
Five patients exhibited intense cervical pain accompanied
by cracking or instability of the neck, three with diastasis,
one with ossification of the posterior common vertebral
ligament and one with severe ankylosis. Two cases of
medullary pain were noted, one of these due to
ossification of the posterior common vertebral ligament
and the other due to fracture of the odontoid bone. The
aim of this work is to bring about a better understanding
of these illnesses in order to allow improved management
of these patients. We consider that an increase in the
number of systematic studies of the cervical spine in
advanced ankylosing spondylitis is essential.
Keys words :Ankylosing spondylitis - Cervical spine - Atlantoaxial
subluxation - Fracture.
A. BENMANSOUR, E. TOUSSIROT, D. WENDLING
La spondylarthrite ankylosante est un rhumatisme inflam-
matoire chronique évoluant progressivement par poussées
vers]' ankylose, Le rachis et les sacro-iliaques sont préfé-
rentiellement touchés. L'atteinte du rachis cervical au cours
de la spondylarthrite ankylosante offre une grande variété
lésionnelle, vérifiée au travers de la littérature. La possibili-
té de complications neurologiques sévères nous amène à
présenter 8 cas recensés au cours de ces dix dernières
années (tableau 1).
OBSERVATIONS
Monsieur F., 67 ans, est hospitalisé pour trouble de la
Tableau 1: Tableau récapitulatif des 8patients.
marche d'apparition progressive. Le patient n'a pas d'anté-
cédent particulier. L'examen clinique retrouve un syndrome
tétrapyramidal avec diminution de la force musculaire aux
membres supérieurs. Le tableau s'est installé progressive-
ment. Nous remarquons une attitude en cyphose dorsale et
une antéflexion de la tête. Une spondylarthrite ankylosante
typique et évoluée, inconnue du patient, est retrouvée en
radiographie. Le scanner cérébral élimine un accident vas-
culaire cérébral. L'IRM met en évidence un rétrécissement
important du canal cervical CI-C2 avec souffrance médul-
laire à ce niveau. Au scanner avec reconstruction, une frac-
ture de la base de l'odontoïde est découverte (figure 1). Un
traitement chirurgical par laminectomie CI-C2 et arthrodèse
cervico-occipitale est proposé. Bien que difficile, l' opéra-
tion s'est déroulée de manière satisfaisante avec des suites
opératoires simples. Il persiste à distance quelques
séquelles à la marche. Le patient a repris une vie normale.
Cas nOl
Cas n02Cas n03Cas n04Cas nOS
Cas n06
Cas n07Cas nOS
Age
67 ans36 ans44 ans71 ans36 ans52 ans27 ans58 ans
Début de la SPA
ancien
27 ans
35 ans66 ans21 ans40 ans25 ans41 ans
Sexe
hommehommehommehommehommehommehommefemme
HLA
Bl7 +B27 +
Bn +
B51, B44 +
Bn +B27 +B7 +B27 +
Présentation
syndrome cervicalgie etcervicalgienévralgie
clinique
tétrapyramidalasymptomatiquecervicalgiecervicalgiecervicalgiesyndromedepuis 2 ans
d'arnold à
depuis 4 ans
depuis 5 moisdepuis 17 moistétrapyramidal gauche
Evolution par
non
nonoui
oui
OUI
OUIOUI
non
poussées de la douleur
Radiographie
remaniement
diastasis CI-C2diastasis C l-C2
ankylose
diastasis C l-C2
hypertrophie du
diastasis
importante
standard
de la base de
de Icm, avec
de5mm
importante
de 8 mm
ligament vertébral
CI-C2
ankylose
l'odontoïde
absence de j'arc cervicale antérieure
syndes-commun postérieur
de6 mmrachidienne
postérieur de CI
et postérieuremophytose diffuse
IRM Cervicale
compression
non effectuée
axe bulbo-
axe bulbo-axe buIbo-non effectuée
non effectuéenon effectuée
médullaire C I-C2
médullaire nonmédullaire nonmédullaire non
et fracture de
modifié,modifié,
modifié
J'odontoïde
"pannus" entre
rétrécissement
l'arc antérieur et
du canal
l'odontoïde
rachidien
PES
Souffrancenon effectuénormalnon effectuénon effectué
souffrance des
non effectuénon effectué
médullaire
cornes antérieures
cervicale haute
cervicales
Autres examens
Myélographie:
Scanner:
sténose médullaire
articulation
cervico-dorsale
occipito-
atloïdienne Gremaniée
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ATTEINTE DU RACHIS CERV1CAL HAUT AU COURS DE LA SPONDYLARTHRITE ANKYLOSANTE
Figure 1:
TDM sagittale centrée sur C l-C2 avec reconstruction: Fracture de la base
de l' odontoïde.
Monsieur W., 36 ans, est porteur d'une spondylarthrite
ankylosante HLA B27 positive depuis plus de 10 ans.
Celle-ci a toujours été peu évolutive. Elle est néanmoins
marquée par de nombreux épisodes d'uvéite et quelques
douleurs inflammatoires au niveau des insertions tendi-
neuses sur la tubérosité tibiale gauche, l'ischion droit et la
région des adducteurs. Les anti-inflammatoires ont toujours
été efficaces sur ces douleurs. Un diastasis atloïdo-axoïdien
d'un centimètre est découvert, alors que le patient est
asymptomatique. Une hypoplasie de l'arc postérieur de CI
est également décelée en radiographie. Il n'existe aucune
symptomatologie fonctionnelle au niveau du rachis cervi-
cal. L'examen neurologique est normal. Il s'agit d'un dias-
tasis atloïdo-axoïdien congénital. Une abstention thérapeu-
tique est décidée. Dans ce cas, l'association d'un diastasis
avec une spondylarthrite ankylosante est probablement for-
tuite.
Cas n03:
Monsieur D., 44 ans, est porteur d'une spondylarthrite
ankylosante HLA B27 positive depuis l'âge de 37 ans. La
symptomatologie articulaire est essentiellement périphé-
rique. Mais, depuis 2 ans, le patient est fréquemment hospi-
talisé pour des cervicalgies récidivantes, permanentes et
invalidantes. Ce tahleau est annaru anrès un choc frontal au
cours du travail, il y a deux ans. Le suivi radiologique a
permis de déceler l'apparition d'un diastasis atloïdo-axoïdien
sept mois après l'accident. Le diastasis est de 5 mm, sans
modification en flexion ni en extension. L'IRM confirme le
diastasis avec présence d'un aspect évoquant un "pannus"
entre l'arc antérieur de l'atlas et l'odontoïde. Aucun reten-
tissement sur l'axe bulbo-médullaire n'est décelé. Le
patient n'a jamais présenté de signes de souffrance médul-
laire. Les bilans électrophysiologiques (PES) sont restés
normaux. Le patient est vite amélioré sous bolus de corti-
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Figure 2:
Coupe sagittale IRM Tl de CI-C2 : diastasis atloïdo-axoïdien.
Figure 3:
TDM horizontale de CI-C2 : Apposition périostée au niveau des surfaces
articulaires postérieures de l'arc antérieur de l'atlas et antérieures de
l' odontoïde.
A. BENMANSOUR, E. TOUSSIROT, D. WENDLING
coïdes, mais une limitation du rachis cervical persiste
même en dehors des poussées douloureuses, Récemment,
lors d'une nouvelle poussée, l'IRM retrouve un diastasis
inchangé avec cependant apparition d'appositions périos-
tées à la face antérieure de l'odontoïde et de la face posté-
rieure de l'arc antérieur de l'atlas (figure 2), Des calcifica-
tions du ligament atloïdo-occipital antérieur sont retrouvées
au scanner avec reconstruction, évoquant une enthésopathie
(figure 3),
Monsieur R., 71 ans présente une spondylarthrite ankylo-
sante HLA B27 négative, connue depuis cinq ans,
Depuis cinq mois, il se plaint de douleur inflammatoire tou-
chant tout le rachis et les sacro-iliaques, L'intensité des
douleurs est telle qu'une hospitalisation est nécessaire, Il se
plaint également de paresthésies isolées de la plantes des
pieds, L'examen neurologique ne retrouve pas d'anoma-
lies, Le bilan radiologique décèle une ankylose cervicale
antérieure et postérieure, un canal cervical étroit. L'IRM
confirme le rétrécissement du canal rachidien cervical, sans
retentissement médullaire. Le patient a refusé le bilan élec-
trophysiologique et seule une corticothérapie, en bolus ini-
tialement, puis par voie orale, a pu être instaurée, Le patient
est bien amélioré à sa sortie,
Figure 4:
Coupe sagittale IRM en Tl de CI-C2 : diastasis atloïdoaxoïdien.
Cas n05:
Monsieur M" 36 ans, est suivi dans le service pour spondy-
larthrite ankylosante HLA B27 positive avec manifestations
essentiellement périphériques, Cette spondylarthrite anky-
losante est connue depuis l'âge de 15 ans, Récemment, le
patient présentait une phase active prolongée de sa maladie,
nécessitant la prescription de Butazolidine avec de bons
résultats,
La symptomatologie douloureuse est localisée aux genoux,
au rachis dans son ensemble, aux coudes et aux deux che-
villes, Des cervicalgies intenses sont retrouvées avec limi-
tation des différentes amplitudes, L'examen neurologique
est sans particularité,
Le bilan radiologique met en évidence une syndesmophytose
cervicale avec un diastasis atloïdo-axoïdien, une sacro-iliite
bilatérale et une mise au carré des vertèbres lombaires, A
l'IRM, aucun retentissement sur l'axe bulbo-médullaire
n'est remarqué, mais il existe un "pannus" entre l'arc anté-
rieur de l'atlas et l'odontoïde (figure 4).
Le patient est revu cinq mois après. L'évolution clinique est
favorable, le diastasis reste stable à 8 mm. Le patient a
changé de région depuis.
184
Monsieur M., âgé de 52 ans, est porteur d'une spondylar-
thrite ankylosante depuis une dizaine d'années. Ce patient a
présenté, à 50 ans, des cervicalgies basses persistantes et, à
51 ans, des paresthésies des mains et des membres infé-
rieurs. Le diagnostic de tétraparésie par hypertrophie du
ligament vertébral commun postérieur est affirmé cinq
mois plus tard (figure 5). Le patient présente des images de
syndesmophytes postérieurs le long du rachis cervico-dor-
saI, responsables, à la myélographie, d'une sténose médul-
laire étagée à prédominance cervico-dorsale. Le bilan élec-
trophysiologique retrouvait des signes de souffrance des
cornes antérieures de la moelle.
Une laminec.tomie décompressive est réalisée. L'évolution
clinique post-opératoire est favorable. Les troubles neurolo-
giques se sont vite amendés. Seule persiste, à distance, une
diminution de la force motrice distale de la main gauche.
Une rééducation fonctionnelle a été entreprise dans les
suites. Depuis, le patient est perdu de vue.
ATTEINTE DU RACHIS CERVICAL HAUT AU COURS DE LA SPONDYLARTHRITE ANKYLOSANTE
Figure 5:
Radiographie cervicale ossification du ligament vertébral commun
postérieur.
Cas n?:
Monsieur F., âgé de 28 ans, est porteur d'une spondylar-
thrite ankylosante HLA B27 positive depuis trois ans. Le
diagnostic a été posé devant une talalgie inflammatoire
associée à une sacro-iliite de stade II. Depuis deux ans, le
patient se plaint de cervicalgies avec contracture musculaire
et limitation fonctionnelle cervicale. Ce tableau est apparu
après un traumatisme minime sur la colonne cervicale lors
d'une épreuve de sport.
Un diastasis atloïdo-axoïdien est retrouvé trois ans plus
tard, avec irrégularités des surfaces articulaires adjacentes.
L'axe bulbo-médullaire n'est pas comprimé au scanner.
L'examen neurologique n'a jamais retrouvé de souffrance
médullaire. Les symptômes sont bien calmés sous bolus de
corticoïdes. Le patient a été perdu de vue, six mois après la
découverte du diastasis.
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Femme de 59 ans, atteinte d'une spondylarthrite ankylosan-
te typique évoluant depuis 18 ans, survenant sur un terrain
de rectocolite ulcéra-hémorragique.
Il s'agit d'une spondylarthrite HLA B27 posltIve avec
ankylose sacro-iliaque totale et rachidienne diffuse, en par-
ticulier sur le rachis cervical. Il existe, par ailleurs, une
coxite évolutive à draite.
L'apparition d'une névralgie d'Arnold à gauche fait prati-
quer un examen tomodensitométrique de la charnière crâ-
nio-occipitale: les images en reconstruction mettent en évi-
dence une petite ossification atloïdo-axoïdienne supérieure
(figure 6) et un remaniement de l'articulation occipito-
atloïdienne gauche à type de pincement et d'érosion (figure
7), alors que l'interligne atloïdo-axoïdien est respecté.
Figure 6:
Reconstruction tomodensitométrique, coupe sagittale: absence de
diastasis CI-C2, mais ossification sous-ligamentaire à la partie haute de
l'interligne altoïdo-axoïdien.
Figure 7:
Reconstruction tomodensitométrique, coupe coronale : pincement,
irrégularités et géodes de l'interligne occipito-atloïdien gauche.
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