Les manifestations extra-articulaires des spondylarthrites par le Pr

publicité
1
Les manifestations extra-articulaires de la spondylarthrite ankylosante.
Pr. Abdellah El Maghraoui
Service de Rhumatologie, Hôpital Militaire d’Instruction Mohammed V, Rabat, BP : 1018,
Maroc.
Résumé
La spondylarthrite ankylosante est un rhumatisme inflammatoire chronique qui représente la
forme la plus fréquente des spondylarthropathies, Elle affecte principalement le squelette
axial (rachis, articulations sacro-iliaques, articulations de la paroi thoracique antérieure) mais
aussi le squelette périphérique et les enthèses. Elle peut comporter des manifestations extraarticulaires comme l’uvéite, l’insuffisance aortique, l’atteinte intestinale et diverses autres
atteintes systémiques dont la fréquence et la sévérité sont très variables. Le diagnostic de ces
atteintes peut être difficile, et nécessiter le changement du traitement initial déjà entrepris. Les
anti-TNFα ont amplement amélioré la prise en charge de certaines de ces manifestations mais
avec des effets variables selon les produits.
2
Introduction
La spondylarthrite ankylosante (SA) est l’un des rhumatismes inflammatoires les plus
fréquents. Sa fréquence est estimée à 0,2 à 1,2 % dans les populations européennes
caucasiennes1. Elle résulte de facteurs de susceptibilité génétique, notamment l’antigène HLA
B27, agissant de concert avec des facteurs environnementaux. La SA fait partie du groupe
des spondylarthropathies (SpA) qui englobent également les arthrites réactionnelles, maladies
intestinales inflammatoires chroniques, rhumatisme psoriasique et les SpA indifférenciées.
Les sous-groupes les plus fréquents sont les SA et les SpA indifférenciées2. Le substratum
anatomique de la maladie est une enthésopathie inflammatoire évoluant progressivement vers
l’ossification et l’ankylose.
Les manifestations extra articulaires sont très variables en termes de fréquence et de sévérité.
Les atteintes les plus fréquentes sont l’uvéite, l’atteinte osseuse, intestinale, pulmonaire,
cardiaque et rénale. La recherche de ces atteintes est primordiale car elle peut influencer
l’attitude thérapeutique. Les anti-TNFα ont démontré leur efficacité dans le contrôle des SA
sévères et de certaines manifestations extra articulaires3.
Atteinte oculaire
L’uvéite constitue l’atteinte extra articulaire la plus fréquente au cours de la SA. Elle peut se
voir dans 20-30% des cas au cours de l’évolution de la maladie. Dans 90% des cas, l’uvéite
est antérieure, aigue et unilatérale 4. Le tableau clinique est fait d’un œil rouge douloureux,
photophobie, larmoiement et diminution de l’acuité visuelle. L’évolution sous traitement est
favorable en 2 à 3 mois, sans séquelles. Les épisodes peuvent se répéter, et si le traitement a
été inadéquat, des complications graves peuvent s’installer, notamment, des synéchies,
cataracte, glaucome, voir même une cécité. Les uvéites sont une urgence thérapeutique
justifiant une corticothérapie locale associée à un collyre dilatant la pupille pour éviter la
constitution de synéchies. Quand l’uvéite est globale (antéropostérieure) et rebelle au
traitement local, on a recours aux injections sous-conjonctivales et parfois à des cures courtes
de corticoïdes par voie générale. Le rhumatologue peut intervenir en prescrivant des
« traitements de fond » ayant fait la preuve de leur efficacité à diminuer la sévérité et la
fréquence des uvéites. C’est le cas de la sulfasalazine mais les formes sévères nécessitent le
recours aux anticorps monoclonaux anti-TNFα (infliximab et adalimumab). Quelques études
suggèrent que l’étanercept serait moins efficace sur la fréquence et la sévérité des uvéites que
les anticorps mais au moins aussi efficace que la sulfasalazine5.
3
Atteinte gastro intestinale
Il existe entre les SpA et l'inflammation du tube digestif un lien remarquable. Ainsi, chez les
patients atteints de SA, une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI): maladie de
Crohn et rectocolite hémorragique apparait au cours de l'évolution dans 2 à 18 % des cas,
avec un dé1ai qui peut atteindre 20 ans. De plus, des études endoscopiques ont montré que les
1ésions intestinales asymptomatiques étaient présentes dans 30 à 50 % des cas de SA, avec
une prévalence plus élevée en cas d'arthrite périphérique et lorsque HLA-B27 est absent6.
Au cours des SA, le traitement des manifestations intestinales est habituellement dissocié de
celui des manifestations rhumatologiques. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS)
constituent le traitement de 1ère intention au cours des SA, mais au cours des MICI, les AINS
ont parfois été accusés de déclencher une poussée évolutive de l'entéropathie. Cet effet justifie
la plus grande prudence lors de l'utilisation de ces traitements, notamment en période
d'évolutivité de la MICI. La sulfasalazine est largement utilisée dans les MICI, mais son
efficacité reste limitée aux formes périphériques des SA. Les agents anti-TNFα (infliximab,
étanercept et adalimumab) réservés aux formes sévères ou intolérantes aux AINS, sont très
efficaces sur les symptômes articulaires, mais seuls l’infliximab et l’adalimumab agissent sur
l’inflammation intestinale alors que l’étanercept est totalement inefficace sur cette atteinte7.
Atteinte cutanée
Des lésions de psoriasis sont observées chez 10 à 25% des patients ayant une SA; l’atteinte
articulaire périphérique est plus fréquente dans ces cas. Les patients avec psoriasis cutané
peuvent développer une atteinte des sacroiliaques et du rachis dans 5% des cas. L’efficacité
des anti-TNFα est similaire sur le psoriasis et le rhumatisme psoriasique, néanmoins, des cas
d’apparition ou d’aggravation de psoriasis ont été très rarement décrits lors de l’utilisation de
ces molécules8.
Atteinte osseuse
Une ostéoporose parfois révélée par des fractures rachidiennes est fréquemment observée
dans la SA. Elle est plus importante chez les patients ayant une maladie sévère, active avec
une inflammation mal contrôlée par le traitement9. La prévalence de ces fractures varie entre
10 et 17%10. Elles peuvent parfois être responsables de complications neurologiques. En
4
l’absence de consensus sur le traitement de cette ostéoporose, l’utilisation des
bisphosphonates qui ont largement prouvé leur efficacité sur toutes les formes d’ostéoporose,
semble raisonnable. Récemment, des études ont montré que les anti-TNFα amélioraient la
densité minérale osseuse et diminuaient les marqueurs de la résorption.
Atteinte cardiaque
Classiquement au cours des SA, les lésions cardiaques sont dominées par les troubles de
conduction, les valvulopathies surtout l’insuffisance aortique et les cardiomyopathies.
Récemment, l’attention a été particulièrement reportée sur le fait que les patients ayant une
SA présentent un excès de mortalité avec un taux de mortalité globale 1,6 à 1,9 fois supérieur
à celui de la population générale et une surmortalité d’origine cardiovasculaire estimée entre
20 et 40%. Le risque d’infarctus du myocarde est multiplié par 311. L’inflammation
chronique, l’élévation de la CRP, la diminution du cholesterol HDL et le TNFα, ainsi que la
prise d’AINS sont les facteurs majeurs de l’augmentation du risque cardiovasculaire au cours
de la SA et l’EULAR a sorti des recommandations pour l’évaluation cardio-vasculaire des
patient ayant un rhumatisme inflammatoire chronique et notamment une SA12.
Atteinte pleuropulmonaire
L’avènement de la tomodensitométrie de haute résolution (TDM-HR) a permis d’objectiver
une grande variété de lésions pulmonaires infracliniques et souvent indétectables à la
radiographie standard au cours de la SA (figures 1 et 2)13. Nous avions montré la présence à la
TDM-HR chez des patients asymptomatiques d’une fibrose pulomonaire apicale dans 6,9%
des cas, un emphysème dans 18,1%, une bronchectasie dans 10,8%, et d’autres lésions non
interstitielles dans 33% des cas (épaississement pleural, bandes parenchymateuses et sous
pleurales, micronodules)14.
Le profil spirographique observé au cours de la SA est un
syndrome restrictif pur, lié à la rigidité de la cage thoracique. L’effet des anti-TNFα sur
l’atteinte interstitielle et la fibrose pulmonaire n’est pas connu. Par ailleurs, ces agents
peuvent réactiver une tuberculose latente. De ce fait, les cliniciens doivent respecter de façon
rigoureuse les recommandations concernant le dépistage et la prévention de la tuberculose
notamment en cas de lésions pulmonaires pré-existantes.
5
Figure 1 : TDM thoracique d’un patient de 57 ans atteint d’une spondylarthrite ankylosante
depuis plus de 20 ans montrant une fibrose rétractile du lobe supérieur gauche (flèche noire),
avec bronchectasies secondaires (flèche blanche).
Figure 2 : TDM thoracique d’un patient de 40 ans ayant une spondylarthrite ankylosante
depuis 16 ans montrant un aspect en verre dépoli avec une bande parenchymateuse.
6
Atteinte rénale
Les manifestations rénales habituelles de la SA sont représentées par l’amylose, la
néphropathie à IgA et les lithiases. D’autres atteintes sont plus rarement décrites à type de
glomérulonéphrites
extramembraneuses,
mésangiales
à
dépôts
de
C3
et
d’IgM,
membranoprolifératives ainsi que des glomérulonéphrites segmentaires et focales. L’atteinte
rénale est présente dans 10 à 35% des cas. La survenue d’une amylose est tardive dans le
cours évolutif de la maladie, apparaissant plus de cinq ans après le début de la SA. Elle est
associée aux formes graves, agressives de la maladie, avec atteintes articulaires périphériques
plus sévères. L’atteinte rénale est le symptôme révélateur le plus fréquent de l’amylose, se
manifestant par une protéinurie isolée et ou un syndrome néphrotique, parfois une hématurie.
Les manifestations cliniques sont inconstantes. La détection de dépôts amyloïdes dans la
graisse abdominale n’est pas toujours corrélée à l’existence d’une amylose clinique évolutive.
L’évolution vers l’insuffisance rénale est habituellement lentement progressive. Aucun
traitement n’a fait la preuve de son efficacité. L’intérêt des anti-TNFα a été rapporté dans
quelques cas.
Manifestations extra articulaires et conséquences thérapeutiques
La recherche des manifestations extra articulaires au cours de la SA est importante pour une
meilleure prise en charge des patients. Certaines explorations doivent être faites à la recherche
des
lésions
les
plus
fréquentes,
notamment
la
radiographie
pulmonaire,
l’électrocardiogramme, la mesure de la densité minérale osseuse, un examen ophtalmologique
et un bilan biologique comportant une protéinurie, urée et créatinémie. Les AINS restent le
traitement de première intention de la SA, agissant sur la douleur, la mobilité, et auraient un
effet structural. Leur utilisation au long cours doit cependant être prudente chez les patients
ayant des facteurs de risque cardiovasculaire ou gastro-intestinaux. La sulfasalazine apporte
un bénéfice clinique sur les atteintes périphériques de la SA, et réduirait la récurrence des
épisodes d’uvéite. Les anti-TNFα ont montré leur efficacité clinique (dans les formes axiales,
périphériques et enthésiopathiques) et biologique (syndrome inflammatoire), mais leur effet
sur les atteintes extra articulaires est variable selon la molécule. L’effet de l’étanercept sur
l’atteinte intestinale et oculaire parait modeste, alors que les résultats des anticorps
monoclonaux (adalimumab, infliximab) sur l’uvéite et l’inflammation intestinale sont plus
probants15.
7
Points forts
• Les atteintes extra-articulaires de la SA sont fréquentes et parfois sévères.
• Ces atteintes doivent être recherchées chez les patients ayant une SA, surtout en cas de
signes d’appel.
• Le traitement sera adapté en fonction des lésions.
• Les AINS restent le traitement de première intention de la SA. Cependant, leur
utilisation doit être prudente chez les patients ayant des facteurs de risque
cardiovasculaire ou gastro-intestinaux.
• Les anti-TNFα sont très efficaces sur l’atteinte musculo-squelettique mais leur effet
sur les atteintes extra-articulaires est variable selon l’atteinte et selon la molécule.
Références
1.
Braun J, Sieper J. Ankylosing spondylitis. Lancet 2007;369:1379-90.
2.
El Maghraoui A. [Ankylosing spondylitis.]. Presse Med 2004;33:1459-64.
3.
Elewaut D, Matucci-Cerinic M. Treatment of ankylosing spondylitis and extra-articular
manifestations in everyday rheumatology practice. Rheumatology (Oxford) 2009;48:1029-35.
4.
Zeboulon N, Dougados M, Gossec L. Prevalence and characteristics of uveitis in the
spondyloarthropathies: a systematic literature review. Ann Rheum Dis 2008;67:955-9.
5.
Levy-Clarke G, Nussenblatt R. Does anti-TNF therapy decrease the incidence of anterior
uveitis in patients with ankylosing spondylitis? Nat Clin Pract Rheumatol 2006;2:72-3.
6.
Rudwaleit M, Baeten D. Ankylosing spondylitis and bowel disease. Best Pract Res Clin
Rheumatol 2006;20:451-71.
7.
Braun J, Baraliakos X, Listing J, et al. Differences in the incidence of flares or new onset of
inflammatory bowel diseases in patients with ankylosing spondylitis exposed to therapy with antitumor necrosis factor alpha agents. Arthritis Rheum 2007;57:639-47.
8.
Gladman DD. Adalimumab, etanercept and infliximab are equally effective treatments for
patients with psoriatic arthritis. Nat Clin Pract Rheumatol 2008;4:510-1.
9.
El Maghraoui A. Osteoporosis and ankylosing spondylitis. Joint Bone Spine 2004;71:291-5.
10.
Ghozlani I, Ghazi M, Nouijai A, et al. Prevalence and risk factors of osteoporosis and vertebral
fractures in patients with ankylosing spondylitis. Bone 2009;44:772-6.
11.
Peters MJ, Visman I, Nielen MM, et al. Ankylosing spondylitis: a risk factor for myocardial
infarction? Ann Rheum Dis 2010;69:579-81.
12.
Peters MJ, Symmons DP, McCarey D, et al. EULAR evidence-based recommendations for
cardiovascular risk management in patients with rheumatoid arthritis and other forms of
inflammatory arthritis. Ann Rheum Dis 2010;69:325-31.
13.
El Maghraoui A, Chaouir S, Abid A, et al. Lung findings on thoracic high-resolution computed
tomography in patients with ankylosing spondylitis. Correlations with disease duration, clinical
findings and pulmonary function testing. Clin Rheumatol 2004;23:123-8.
14.
El Maghraoui A. Pleuropulmonary involvement in ankylosing spondylitis. Joint Bone Spine
2005;72:496-502.
15.
Braun J, Baraliakos X. Treatment of ankylosing spondylitis and other spondyloarthritides. Curr
Opin Rheumatol 2009;21:324-34.
Téléchargement