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MENSONGES ET VERITES
PEUT-ON ENVISAGER UN MENSONGE ETHIQUE DU SOIN ?
Elodie LEMOINE, chargée de mission à l’espace éthique Rhône-Alpes.
Réfléchir au mensonge fait écho à la notion de vérité mais d’une vérité volontairement
et
activement
non dévoilée. Le mensonge implique que ce qui est exprimé n’est pas
adéquat à la réalité et donc au vrai de la situation engagée. Nous insistons sur le terme
« exprimé » dans la mesure où le mensonge engage langage et parole – on ne peut dire
d’un comportement ou d’un geste qu’il est mensonger – il y a mensonge dès lors qu’il y a
un « dit » - ce langage qui était fait pour exprimer et révéler, voilà qu’il nous sert à
dérober. Comment pouvons-nous considérer le mensonge ? Est-il simplement le fait de ne
pas indiquer une information pertinente au regard de la situation donnée (mentir serait
donc taire cet élément) ? Ou alors, est-il plutôt la révélation d’une information erronée ?
Autrement dit, le mensonge est-il associable au silence, au secret, à la dissimulation ou,
est-il davantage caractérisé par la fausse information ? Le menteur est-il celui qui
s’abstient de dire tout ce qu’il pourrait dire ou est-il celui qui surajoute du faux à la
réalité?
La philosophie interroge parfois le mensonge du point de vue de ce qu’il faut faire ou ne
pas faire, autrement dit, elle cherche à savoir s’il peut être moralement défendable de
mentir. Elle en fait donc clairement un problème incombant à la philosophie morale. Cette
dernière peut correspondre à une branche de la philosophie cristallisée autour de la
question « que dois-je faire pour bien faire ? » Cela dit, est-ce que le mensonge de la
philosophie morale (tel qu’il est souvent condamné) est le mensonge du soin (tel qu’il
peut être pratiqué) ?
A la façon dont Constant l’interrogeait, peut-on envisager une société qui fonctionnerait
avec l’impératif absolu de vérité ? Pour notre contexte plus particulier du soin, peut-on
envisager un impératif radical de vérité qui s’exprimerait par le fait de « tout dire », « tout
le temps », « tout de suite » ? Si le mensonge est considéré comme condamnable pour
plusieurs motifs, ne serions-nous pas dans la négation du principe même de soin et de
bienfaisance s’il était exigé que toute information devait être révélée au moment même
où elle était connue du soignant ? Elaborer un parcours de vérité n’est-il pas une façon de
se placer en amont de ce qu’est le mensonge ? Ne pas dire les choses participe du
mensonge (l’on considère donc que cacher des informations de façon durable voire
définitive, est condamnable), mais ne pas les dire dans l’immédiat et « n’importe
comment » (en ne se souciant que du simple fait que les choses soient clairement
énoncées – comme une façon de se déresponsabiliser) n’est pas directement assimilable
au mensonge tel qu’il nie l’autre de façon égoïste en altérant sa confiance et toute
possibilité de communiquer. La temporalité a un rôle essentiel dans les degrés du
mensonge.
A priori le mensonge n’est pas involontaire – On ne ment jamais sans le vouloir, explique Jankélévitch
Le menteur fait advenir le mensonge, il n’est pas passif ; sauf si l’on considère que le fait de taire un élément
est passif