Brève Effets extravasculaires neurologiques des VEGF Bernard Lévy Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Institut des vaisseaux et du sang, Hôpital Lariboisière, Paris, France <[email protected]> Figure 1. Expression endogène de VEGF dans le cerveau de la souris adulte (marquée en bleu par LacZ). Les astrocytes sont colorés en brun (GFAP). CA1 : l’une des parties de l’hippocampe, DG : gyrus dentelé, SVZ : zone supraventriculaire, RMS : courant de migration rostrale, OB : bulbe olfactif. D’après [15]. es différentes isoformes du VEGF ont des effets qui dépassent leurs rôles L dans le contrôle de la perméabilité vasculaire et de l’angiogenèse. Les VEGF et leurs récepteurs (VEGFR) interviennent également dans le développement du système nerveux et sont actuellement considérés comme des acteurs majeurs de la neurogenèse. Il y a 20 ans, le groupe de Werner Risau avait, le premier, rapporté que les cellules embryonnaires cérébrales expriment fortement le VEGFA le long des parois ventriculaires [1] ; Eli Keshet montrait, quant à lui, que l’expression de VEGFA est régulée par l’hypoxie dans le glioblastome [2] ; enfin Connie Cepko observait, peu après, que le VEGFR2 (Flk1, KDR) est exprimé à la surface des cellules nerveuses progénitrices neuronales dans la rétine de la souris, ce récepteur jouant un rôle indispensable dans la neurogenèse rétinienne [3]. Depuis ces travaux fondateurs, de nombreuses équipes essaient de comprendre comment la famille des VEGF et leurs récepteurs participent au développement, puis au maintien et à la réparation des cellules nerveuses. Tous les fondamentalistes travaillant sur les VEGF soulignent que cette famille de molécules a des effets pléiotropiques puissants sur le système nerveux. Le traitement de certaines maladies neurologiques dégénératives par des facteurs de croissance vasculaire est très sérieusement envisagé. Nous souhaitons vous présenter plus spécialement les effets du VEGF sur la plasticité neuronale et les fonctions cognitives, peu connus dans le domaine de l’oncologie. Il n’est pas impossible que certains effets secondaires des anti-angiogéniques soient en relation, directe ou indirecte, avec leurs effets sur le système nerveux central [4]. Dans le numéro 22 de VEGF Actu (mars 2011), Sophie Taillibert avait traité des atteintes cognitives méconnues liées aux traitements anti-angiogéniques. Elle soulignait le fait que « le plus souvent subtile et durable, cette atteinte cognitive qualifiée de “modérée” par les médecins, affecte les activités quotidiennes et doit être recherchée. » On considère qu’il n’y a pas d’angiogenèse notable dans le cerveau adulte dans les conditions normales ; cependant, comme dans tous les organes, le turn over naturel des cellules vasculaires nécessite un renouvellement très lent et quantitativement limité de ces cellules. De plus, une augmentation durable de l’activité métabolique cérébrale s’accompagne d’une augmentation de la densité microvasculaire locale dans la région du cerveau concernée par l’augmentation d’activité. Le VEGF, en raison du contrôle exercé sur lui par l’hypoxie et l’hypoglycémie locales, est le facteur essentiel qui permet l’adaptation de la densité microvasculaire locale à la consommation tissulaire d’oxygène [5]. L’enrichissement environnemental permet d’étudier l’influence du contexte extérieur sur le cerveau dont les centres de perception sont affectés par les stimulations sensorielles multiples, y compris les interactions sociales. Exposé à un environnement plus riche et stimulant, le nombre de synapses augmente dans le cerveau. Cet effet est plus important durant la phase de développement du système nerveux, mais persiste néanmoins à un degré moindre pendant l’âge adulte. L’augmentation du nombre et de la complexité des synapses génère également une activité électrique plus importante, ce qui entraîne une augmentation de la taille et du nombre des cellules gliales. Le cortex cérébral est alors plus épais et on peut observer une neurogenèse significative, du moins chez les rongeurs. Les travaux expérimentaux montrent qu’un environ- nement plus stimulant peut aider dans le traitement et la restauration d’une grande variété de maladies cérébrales telles la sénilité et la maladie d’Alzheimer. Les recherches effectuées chez l’homme suggèrent qu’un déficit de stimulation retarde et contrarie le développement cognitif du nouveau-né et de l’enfant. Chez l’adulte, les individus bénéficiant des plus hauts niveaux d’éducation, supposés avoir une stimulation cognitive élevée, ont une plus grande résilience contre les effets de l’âge et des démences dégénératives. L’élevage des souris dans un environnement « enrichi », augmente la densité microvasculaire dans l’hippocampe ; chez le rat, on a montré une corrélation entre la complexité des stimuli visuels, la densité microvasculaire et l’expression du VEGF dans le cortex visuel [6]. Différentes méthodes ont été utilisées pour étudier l’importance de la signalisation continue des récepteurs du VEGF sur la vascularisation cérébrale. Chez l’adulte, il semble que le réseau vasculaire dépende peu ou pas de la voie des VEGF en comparaison avec d’autres organes [7, 8]. Une exception notable concerne les plexus choroïdes. Ces réseaux vasculaires particuliers contiennent de nombreux capillaires dont l’endothélium est très fenêtré. Le liquide cérébrospinal est sécrété, à partir du sang, à travers ces fenêtres endothéliales. Lors de l’inhibition de la voie du VEGF, la vascularisation des plexus choroïdes régresse et la perméabilité endothéliale diminue, de même que la sécrétion de liquide cérébrospinal [9]. On sait en effet que la taille, le nombre et la perméaVEGF Actu N° 34 • Mars 2014 3 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Brève 4 bilité des fenestrations capillaires sont très dépendants des concentrations locales de VEGF [8]. L’importance du VEGF dans le cerveau est suggérée par l’évaluation quantitative de son expression dans les différentes zones cérébrales [10] (figure 1). Comme on peut s’y attendre, l’expression la plus importante est retrouvée, chez l’adulte, au niveau des plexus choroïdes. Dans le parenchyme cérébral de l’adulte, les astrocytes sont la première source de VEGF. On sait que les astrocytes sont les cellules cérébrales qui répondent le mieux à une hypoxie locale par une augmentation de l’expression de HIF1 [11]. Il est logique de supposer que les astrocytes sont les « senseurs » cérébraux les plus sensibles à l’hypoxie et que l’expression de VEGF, cible directe de HIF1, reflète cette sensibilité à la pression partielle locale d’oxygène. Dans certaines régions du cerveau, le VEGF est préférentiellement exprimé par des cellules autres que les astrocytes : dans l’hippocampe, les neurones pyramidaux CA1 expriment fortement le VEGF ; dans le cortex, le VEGF est exprimé par certaines cellules pyramidales ; dans le cervelet, par les cellules de Purkinje. Il faut souligner que dans toutes ces localisations, le réseau vasculaire adulte est quiescent, suggérant que l’expression constitutive de VEGF correspond à des fonctions déconnectées de ses fonctions angiogéniques. VEGF et plasticité synaptique, activité neuronale, apprentissage et comportement La plasticité synaptique se définit comme la capacité des synapses à se modifier en fonction d’une sollicitation intensive ou, au contraire, faible ou absente. La plasticité synaptique est probablement un élément essentiel des processus d’apprentissage et de mémorisation. Les mécanismes moléculaires qui commandent la plasticité synaptique ne sont pas bien connus. Ils impliquent certainement les neurotransmetteurs produits et libérés dans l’espace synaptique. La quantité de neurotransmetteur en jeu, la réponse postsynaptique à ces neurotransmetteurs et les modifications de nombre et de la densité des synapses sont certainement des éléments importants qui conditionnent leur plasticité. Il est probable que le VEGF est impliqué dans ces mécanismes dynamiques. L’application de VEGF sur des tranches d’hippocampe étudiées in vitro diminue l’amplitude des potentiels évoqués dans tout l’hippocampe et inhibe VEGF Actu N° 34 • Mars 2014 Angiogenèse cancer et cerveau en pratique clinique : le yin et le yang ? Joseph Gligorov S’il existe bien une caractéristique commune aux conséquences du ciblage de l’angiogenèse en clinique, c’est que les effets des traitements sont multiples avec parfois des conséquences semblant diamétralement opposées. Il en est ainsi également de l’interaction entre angiogenèse cérébrale, cancers et traitements anti-angiogéniques. L’analyse des conséquences éventuelles sur les fonctions cognitives (positives ou négatives) de l’utilisation d’anti-angiogéniques dans le contexte général de la prise en charge d’une pathologie maligne est complexe du fait : (1) de l’existence parfois de lésions cérébrales ou d’autres traitements entraînant eux-mêmes des troubles cognitifs ; (2) du terrain clinique sous-jacent de la maladie qui peut lui-même être un facteur prédisposant à des troubles cognitifs ; et (3) de l’utilisation de médicaments anti-angiogéniques ayant des spectres d’action différents, plus ou moins spécifiques de l’angiogenèse. J’illustrerai mes propos par quelques exemples récents de la littérature. • La prise en charge de lésions cérébrales malignes primitives ou secondaires en radiothérapie peut se compliquer de radionécrose entraînant des troubles neurologiques importants pouvant engager le pronostic fonctionnel, voire vital, du patient traité. Une analyse récente de la littérature montre l’intérêt du bevacizumab dans la prise en charge de ces complications avec une amélioration radiologique et clinique [1]. Agir sur le VEGF est une des possibilités de réduire la toxicité cérébrale de la radiothérapie. • Deux études récentes ont rapporté l’effet d’un traitement par bevacizumab dans la prise en charge du glioblastome. S’il n’y a les décharges électriques spontanées dans des modèles de rat épileptique [12]. A l’inverse, dans des cultures de cellules de l’hippocampe, HIF1 et VEGF augmentent l’activité électrique et chimique des synapses [13]. Les études les plus convaincantes et les plus proches des conditions in vivo suggèrent que le VEGF augmente considérablement la plasticité neuronale alors que l’inhibition de la voie du VEGF bloque cette plasticité. Les neurones, astrocytes et vaisseaux sanguins forment des unités neuro-vasculaires dans lesquelles le vaisseau joue un rôle d’ajustement important. Dans un modèle animal très sophistiqué qui permet d’explorer séparément l’angiogenèse, la neurogenèse et la mémoire, E. Keshet [14] a montré que pas d’amélioration de la survie globale, une des deux études conclut à un contrôle plus long de la maladie, de 3 à 4 mois. Toutefois, si l’on se focalise sur l’évaluation des fonctions cognitives des patients inclus, une des études retrouve un maintien des fonctions sous traitement, et l’autre une altération… sans que nous ayons une explication rationnelle de cette différence fondamentale qui, à elle seule, peut être un argument pour prescrire ou non ce traitement lorsque la survie semble inchangée [2]… • Le sorafenib est utilisé dans le traitement du carcinome hépato-cellulaire survenant très fréquemment chez des patients porteurs de cirrhose hépatique à risque d’encéphalopathie. Des collègues italiens ont récemment rapporté que le sorafenib pouvait être un facteur déclenchant une encéphalopathie métabolique chez ces patients [3]. Plus étonnant, l’encéphalopathie semble ne pas être sensible au traitement classique mais est totalement réversible à l’arrêt du sorafenib, laissant supposer qu’une action neuronale directe de celui-ci puisse déclencher l’apparition de l’encéphalopathie métabolique chez certains patients… La complexité des situations cliniques rend difficile l’interprétation de l’impact cognitif de ces traitements, mais n’en demeure pas moins un enjeu important dans la prise en charge au long cours de nos patients, nécessitant une analyse rigoureuse des effets et du terrain dans les études menées. Références 1. Tye K, et al. J Neurooncol 2014 : Feb 7 [Epub ahead of print]. 2. Fine HA. N Engl J Med 2014 ; 370 : 764-5. 3. Brandi G, et al. Liver Int 2013 ; 33 : 48893. la surexpression du VEGF augmente ces 3 paramètres alors que le blocage de la voie du VEGF induit une détérioration de la mémoire sans modifier la perfusion de l’hippocampe ni la neurogenèse. De nombreux travaux expérimentaux démontrent que l’administration ou la surexpression de VEGF augmentent les capacités d’apprentissage et la mémoire par des mécanismes localisés dans l’hippocampe [15]. Cela est à rapprocher du fait que les astrocytes de l’hippocampe sécrètent du VEGF chez l’animal soumis à un environnement « enrichi », à un exercice musculaire, à des sollicitations mémorielles ou à une stimulation électrique de l’hippocampe. Il semble donc clair que, dans les modèles animaux, le VEGF parti- Revue cipe à l’amélioration des activités cognitives. Dans l’hippocampe, le VEGF agit à la fois sur la neurogenèse, l’angiogenèse et les fonctions cognitives. L’amélioration des performances cognitives est observée très tôt après l’augmentation de l’expression du VEGF dans l’hippocampe, bien avant l’apparition de toute neurogenèse, suggérant que ces deux effets (neurogenèse et amélioration des performances) ne sont pas liés et que les effets vasculaires du VEGF pourraient être en première ligne. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Conclusion De toute évidence, les effets du VEGF sur le système nerveux et sur son activité sont complexes mais indiscutables. Dans la plupart des cas, on a du mal à savoir si ces effets sont directs, sur les récepteurs neuronaux du VEGF, ou indirects par l’intermédiaire des cellules gliales et endothéliales qui sécréteraient des facteurs agissant sur les neurones voisins. Reste à savoir si les différentes classes de médicaments anti-angiogéniques ont des effets secondaires neurologiques en rapport avec ce qui précède. De manière plus prospective, on peut imaginer que, un jour, les maladies nerveuses dégénératives pourront bénéficier de traitements pro-angiogéniques. Liens d’intérêts : Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d’intérêt en rapport avec cet article. Références 1. Breier G, et al. Development 1992 ; 114 : 52132. 2. Shweiki D, et al. Nature 1992 ; 359 : 843-5. 3. Yang K, et al. J Neurosci 1996 ; 16 : 6089-99. 4. Thomas JL, et al. Cell Mol Life Sci 2013 ; 70 : 1673-4. 5. Ueno S, et al. J Cell Physiol 2008 ; 217 : 13-22. 6. Bengoetxea H, et al. Cereb Cortex 2008 ; 18 : 1630-9. 7. Tang K, et al. J Appl Physiol 2004 ; 97 : 1559-66. 8. May D, et al. PLoS One 2011 ; 6 : e21478. 9. Kamba T, et al. Am J Physiol Heart Circ Physiol 2006 ; 290 : H560-H576. 10. Maharaj AS, et al. Am J Pathol 2006 ; 168 : 63948. 11. Weidemann A, et al. J Clin Invest 2009 ; 119 : 3373-83. 12. McCloskey DP, et al. J Neurosci 2005 ; 25 : 8889-97. 13. Huang YF, et al. J Neurosci 2010 ; 30 : 6080-93. 14. Licht T, et al. Proc Natl Acad Sci USA 2011 ; 108 : 5081-6. 15. Licht T, et al. Cell Mol Life Sci 2013 ; 70 : 172737. La lymphangiogenèse Bases physiologiques et approches physiopathologiques Joseph Gligorov1, Bernard Lévy2 Service d’oncologie médicale, Institut universitaire de cancérologie, APHP Tenon, Paris, France <[email protected]> 2. Institut des vaisseaux et du sang, Hôpital Lariboisière, Paris, France <[email protected]> Réseau lymphatique et lymphangiogenèse l’ordre de 1 L/24 h). La lymphe se forme dans des capillaires lymphatiques borgnes (figure 1) qui se réunissent en canaux collecteurs drainés par des ganglions. Les capillaires lymphatiques ont une paroi plus fine et une lumière plus grande que les capillaires sanguins ; ils ne contiennent pas de péricytes et ne comportent pas de membrane basale. Des filaments d’ancrage lient les capillaires lymphatiques à la matrice extracellulaire et assurent leur stabilité anatomique. Une partie des fluides et toutes les macromolécules qui sont sorties des capillaires sanguins entrent dans le capillaire lymphatique borgne à travers les interstices existant entre les cellules endothéliales qui jouent le rôle de micro-valves. Dans les canaux collecteurs, on trouve des cellules endothéliales jointives, donc moins perméables, une membrane basale, des péricytes, des cellules musculaires lisses et de véritables valves anatomiques qui empêchent le reflux lymphatique. Les vaisseaux lymphatiques transportent également les leucocytes sortis des capillaires sanguins par extravasation, des Le rôle fonctionnel du réseau lymphatique est capital dans la régulation des volumes extracellulaires, le déclenchement des réponses immunitaires et dans la régulation du métabolisme des lipides. Une anomalie lymphatique, génétique ou traumatique, peut donc entraîner des œdèmes, une atteinte des défenses immunitaires et/ou une accumulation des dépôts de graisses, le plus souvent sous-cutanées. L’endothélium capillaire systémique est en principe imperméable aux protéines de grande taille (> 70 kD) ; en réalité, une fuite minime de protéines se produit et entraînerait au cours du temps, si elle n’était pas compensée, une accumulation de protéines dans le milieu extravasculaire et un œdème oncotique. Dans les conditions normales, la quasi-totalité des macromolécules qui sortent des capillaires sanguins est réabsorbée par le réseau lymphatique. Le réseau lymphatique est parcouru par un courant unidirectionnel à très faible débit (le débit lymphatique total est de Membrane basale Membrane basale Péricytes Péricytes SMC Valve lymphatique Filaments d’ancrage Fluide et macromolécules Microvalve Capillaire sanguin Capillaire lymphatique Vaisseaux lymphatiques Figure 1. Structure des vaisseaux lymphatiques. Membrane basale, capillaire sanguin, péricytes, liquide et macromolécules, capillaire lymphatique, filaments d’ancrage, microvalves, SMC = cellules musculaires lisses, valve lymphatique, vaisseau lymphatique collecteur. VEGF Actu N° 34 • Mars 2014 5