aucune cause étrangère, à aucune nécessité, et qu’il ne dépend que d’elle de vouloir ou de ne pas vouloir. Elle reste
maîtresse de ses propres décisions, et indépendante.
3) Ce qui témoignerait encore de la distinction à faire entre la volonté et le désir, c’est que dans la même action, comme
l’observait John Locke, « le désir peut avoir un but tout à fait différent de celui où nous porte la volonté ». Ainsi, un
homme qui a une violente attaque de goutte désire naturellement en être soulagé ; mais si la douleur de la goutte le
délivre d’une douleur plus grande encore, sa volonté l’incitera à ne rien faire contre la goutte (Essai sur l’entendement
humain, L. II, chapitre XXI). Ou bien encore, alors même que nous éprouverions une certaine aversion – contraire du
désir – à ingérer crus des insectes ou des larves, notre volonté nous commandera de surmonter cette barrière culturelle
bien connue des survivalistes.
[Conclusion partielle]
Incontestablement, la volonté n’est pas le désir. Loin de pouvoir être considérée comme une simple tendance à laquelle
nous serions entièrement soumis, ne nous permet-elle pas au contraire de donner dans bien des situations le meilleur de
nous-mêmes dans un authentique dépassement de nous-mêmes ?
[3ème partie]
Comment concevoir l’essence spécifique de la volonté, pour éviter de la réduire à un désir ?
1) Si le désir et la volonté étaient la même chose, alors les désirs les plus violents donneraient naissance aux actions les
plus volontaires. Or, c’est bien le contraire qu’on peut vérifier : plus un désir est impérieux, moins il est libre et
volontaire. Le désir le plus fort annihilera souvent la volonté du sujet, et le poussera malgré lui à des agissements qu’il
pourra lui-même réprouver. Qui n’a jamais regretté à l’occasion d’avoir agi de telle ou telle manière, en ayant suivi
uniquement son désir du moment ?
2) Le désir et la volonté sont à ce point distincts qu’on les constate souvent en lutte l’un contre l’autre. Le théâtre de
Pierre Corneille donne bien des exemples de situations dans lesquelles la volonté et le désir se combattent. L’Antiquité
en a laissé une allégorie célèbre : Héraclès, au sortir de l’adolescence, c’est-à-dire à l’âge où les désirs les plus intenses
sont les plus exigeants, retiré dans la solitude, vit se présenter à lui deux femmes d’une extraordinaire beauté, la Volupté
et la Vertu. La première chercha à le séduire en lui faisant voir tous les plaisirs qu’il pourrait retirer d’une existence
oisive, avachie dans la mollesse et la luxure. La seconde lui tint un discours plus austère, le poussant à choisir plutôt la
voie héroïque, au prix de bien des efforts, des peines et des souffrances. Au travers de cet apologue de Prodicos
(Fragment B2, recueilli par Xénophon), chacun comprend que le choix à faire ne fait aucun doute. La volupté et la
vertu, le désir et la volonté, dans l’intimité de notre conscience, peuvent être en lutte incessante, c’est à la volonté
toujours de s’affirmer. Saepe aliud volumus, aliud optamus [= souvent nous voulons autrement que nous désirons],
disait Sénèque (Lettre XVI à Lucilius : « Que la philosophie doit régler notre vie »). Nous sommes réellement heureux
lorsque c’est notre volonté qui triomphe de nos désirs et règne de manière absolue, et bel et bien malheureux au
contraire lorsque ce sont nos désirs qui nous entraînent et nous imposent la satisfaction de vains caprices, tout aussi
fluctuants les uns que les autres.
3) Il n’en reste pas moins que la volonté peut être sujette à toutes sortes de troubles, tels que ceux décrits par P. Janet
(La force et la faiblesse psychologique) comme formes diverses d’aboulie – du grec boulhv, volonté –, qu’elle peut
même être soumise à l’involontaire, ainsi pour Paul Ricœur, lorsqu’il écrit dans sa Philosophie de la volonté : « cet
involontaire du caractère, de l’inconscient, de l’organisation vitale, etc., est le terme de cet acte original du vouloir qui
au premier abord est plus dissimulé que lui : c’est à lui que je consens ». Manière chez cet auteur de remettre en cause la
définition cartésienne de la volonté : « La volonté … consiste seulement en ce que, pour affirmer ou nier, poursuivre ou
fuir les choses que l’entendement nous propose, nous agissons de telle sorte que nous ne sentons point qu’aucune force
extérieure nous y contraigne. » (Descartes, Méditations, IV, 7)
[Conclusion partielle]
L’expérience du conflit de désirs n’ôte rien au fait que la volonté est indissociable des idées d’effort et de regret. Le
conflit entre la volonté et le désir se distinguera toujours du conflit entre deux désirs, l’un plus fort, l’autre plus faible, le
plus fort finissant logiquement par l’emporter sur le plus faible.
[Conclusion]
[Résumé de la démarche suivie]
Dans la première partie de ce devoir, nous avons vu que la volonté était parfois considérée comme un désir, et
réciproquement, mais dans la deuxième partie qu’aucune confusion n’était cependant possible entre vouloir et désirer.
Dans la troisième partie, nous avons pu établir que l’essence de la volonté résidait dans le dépassement de soi et dans la
conscience que nous pouvons prendre de nos actes. Là se trouve la voie de l’héroïsme : quand bien même notre volonté
serait parfois soumise à certaines causes extérieures sur lesquelles nous n’aurions pas de prise, nos valeurs nous
commandent de les ignorer, pour pouvoir nous rendre réellement auteurs de notre propre destinée.
[Réponse à la question initiale]
Incontestablement, vouloir, ce n’est pas désirer. Accepter de se faire le jouet de ses désirs, ce serait ni plus ni moins se
faire volontairement esclave, de quelque chose, ou pire, de quelqu’un.