Désirer et vouloir sont

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Désirer et vouloir sont-ils synonymes ?
Remarques liminaires : a) ce qui suit n’est qu’un plan détaillé, et non une dissertation complète : lors de la rédaction finale, il
conviendra surtout de ne pas se contenter de juxtaposer les arguments, et de développer certainement davantage ; b) tout ce qui figure
ici entre crochets droits, toute indication correspondant à la démarche suivie, comme les numéros des paragraphes, devront
disparaître dans un devoir.
[Introduction]
[Pourquoi cette question ?]
Pour le profane, pour l’élève non encore initié à la philosophie, vouloir, c’est souvent la même chose que désirer. De
même, pour le jeune enfant mal éduqué qui à la vue d’un jouet convoité pourra s’exclamer : « je veux ça ! », la
distinction entre le désir, l’inclination qui le porte vers cet objet, éventuellement conditionnée par la publicité,
l’entourage, le plus souvent les deux en même temps, et la volonté, capacité à s’affirmer soi-même, qui passe par le
refus de céder à l’impulsion du moment, n’est pas faite. Toutefois, le désir comme la volonté pourraient avoir en
commun de nous faire tendre vers un objet transcendant, celui de notre amour.
[Position du problème]
Le désir et la volonté peuvent-ils être considérés comme des tendances analogues l’une à l’autre, ou bien la volonté estelle d’une essence très distincte de celle du désir ?
[Annonce du plan]
Le désir et la volonté ne pourraient-ils pas présenter certaines similitudes ?
Mais entre désirer et vouloir n’y a-t-il pas le plus souvent une opposition très nette ?
En définitive, comment concevoir l’essence spécifique de la volonté, pour éviter de la réduire à un désir ?
[1ère partie]
Le désir et la volonté ne pourraient-ils pas présenter certaines similitudes ?
1) Le désir apparaît comme une tendance pouvant présenter tous les degrés d’intensité, depuis le plus faible jusqu’au
plus déterminant. Dans le langage courant, on désigne par velléité, mot de la même famille que volonté, le désir qui
nous porte vers une fin consciente sans nous déterminer pour autant à l’action qui lui correspondrait. Le désir a pu être
défini comme « la volonté naturelle d’un plaisir » (F. Rauh, G. Revault d’Allonnes, Psychologie appliquée à la morale
et à l’éducation, p. 23), ce qui signifierait à tout le moins que la notion de désir pourrait être rapprochée de celle de
volonté.
2) Inversement, on pourrait, semble-t-il, s’autoriser de certains philosophes pour ramener la volonté à un simple désir.
Dans les anciens manuels de philosophie, on peut souvent relever les mêmes citations d’auteurs, apparaissant sans la
moindre indication de source, accréditant la thèse d’après laquelle de nombreux philosophes confondraient la volonté et
le désir : « On nomme délibération les désirs et les craintes qui se succèdent les uns aux autres ; dans la délibération, le
dernier désir ainsi que la dernière crainte s’appelle volonté » (T. Hobbes) ; N. Malebranche appellerait volonté « la
faculté de recevoir plusieurs inclinations, d’aimer et de désirer », Condillac « un désir absolu et tel que nous pensons
qu’une chose désirée est en notre pouvoir. », etc.
3) Mais une telle identification n’a aucune valeur absolue. Les philosophes empiristes, comme ceux qui prennent
position, tel Spinoza dans l’Éthique, en faveur d’un certain déterminisme, trop souvent confondu par les non spécialistes
avec le fatalisme, au sens ancien ou islamique, en récusant le postulat d’une volonté autonome, refusent ainsi
logiquement d’admettre l’opposition traditionnellement faite entre le désir, fatal, et la volonté, quant à elle libre.
[Conclusion partielle]
On pourrait fort bien admettre à l’opposé que la volonté diffère du désir parce qu’elle est libre, au contraire du désir.
[2ème partie]
Entre désirer et vouloir n’y a-t-il pas le plus souvent une opposition très nette ? Le désir et la volonté ne seraient-ils pas
des dispositions à ce point distinctes l’une de l’autre qu’aucune confusion ne serait possible entre l’une et l’autre ?
1) Le désir se définit encore comme une aspiration ou un élan spontané vers un objet apprécié, imaginé être source de
plaisir ou de jouissance, et dont on convoite la possession. Le désir pour la vérité par exemple nous porte vers la science
ou la philosophie, le désir du bonheur à la poursuite d’un idéal susceptible une fois atteint de nous rendre heureux, le
désir sexuel vers une personne. La volonté quant à elle est le pouvoir de se déterminer soi-même et de sa propre
initiative, per se et proprio motu [= par soi-même et de son propre mouvement], ou encore le pouvoir de nous rendre
maîtres de nos actions, tw'n ga;r praxew'n kuvrioi e[smen, comme l’écrit Aristote.
2) Ainsi, le désir comporterait un certain aspect de fatalité. Il naît en nous, et souvent malgré nous. Il s’accroît ou bien
retombe sans la moindre intervention de notre volonté : on ne choisit pas de désirer ou non, à son gré. C’est de manière
invincible que nous éprouvons un penchant pour la vérité, ou pour la beauté, que nous désirons ce qui nous semble bien,
ou que nous aspirons au bonheur. Nous pouvons bien, c’est vrai, lutter contre nos inclinations spontanées, chercher à
surmonter notre désir de nous détourner de ce qui nous inspire d’abord le dégoût, par exemple. Souvent même, nous le
devons. Néanmoins, il faut reconnaître que nos désirs sont essentiellement involontaires et fatals. La volonté au
contraire est libre et en principe maîtresse d’elle-même. Quand elle se détermine elle-même, elle sait qu’elle n’obéit à
aucune cause étrangère, à aucune nécessité, et qu’il ne dépend que d’elle de vouloir ou de ne pas vouloir. Elle reste
maîtresse de ses propres décisions, et indépendante.
3) Ce qui témoignerait encore de la distinction à faire entre la volonté et le désir, c’est que dans la même action, comme
l’observait John Locke, « le désir peut avoir un but tout à fait différent de celui où nous porte la volonté ». Ainsi, un
homme qui a une violente attaque de goutte désire naturellement en être soulagé ; mais si la douleur de la goutte le
délivre d’une douleur plus grande encore, sa volonté l’incitera à ne rien faire contre la goutte (Essai sur l’entendement
humain, L. II, chapitre XXI). Ou bien encore, alors même que nous éprouverions une certaine aversion – contraire du
désir – à ingérer crus des insectes ou des larves, notre volonté nous commandera de surmonter cette barrière culturelle
bien connue des survivalistes.
[Conclusion partielle]
Incontestablement, la volonté n’est pas le désir. Loin de pouvoir être considérée comme une simple tendance à laquelle
nous serions entièrement soumis, ne nous permet-elle pas au contraire de donner dans bien des situations le meilleur de
nous-mêmes dans un authentique dépassement de nous-mêmes ?
[3ème partie]
Comment concevoir l’essence spécifique de la volonté, pour éviter de la réduire à un désir ?
1) Si le désir et la volonté étaient la même chose, alors les désirs les plus violents donneraient naissance aux actions les
plus volontaires. Or, c’est bien le contraire qu’on peut vérifier : plus un désir est impérieux, moins il est libre et
volontaire. Le désir le plus fort annihilera souvent la volonté du sujet, et le poussera malgré lui à des agissements qu’il
pourra lui-même réprouver. Qui n’a jamais regretté à l’occasion d’avoir agi de telle ou telle manière, en ayant suivi
uniquement son désir du moment ?
2) Le désir et la volonté sont à ce point distincts qu’on les constate souvent en lutte l’un contre l’autre. Le théâtre de
Pierre Corneille donne bien des exemples de situations dans lesquelles la volonté et le désir se combattent. L’Antiquité
en a laissé une allégorie célèbre : Héraclès, au sortir de l’adolescence, c’est-à-dire à l’âge où les désirs les plus intenses
sont les plus exigeants, retiré dans la solitude, vit se présenter à lui deux femmes d’une extraordinaire beauté, la Volupté
et la Vertu. La première chercha à le séduire en lui faisant voir tous les plaisirs qu’il pourrait retirer d’une existence
oisive, avachie dans la mollesse et la luxure. La seconde lui tint un discours plus austère, le poussant à choisir plutôt la
voie héroïque, au prix de bien des efforts, des peines et des souffrances. Au travers de cet apologue de Prodicos
(Fragment B2, recueilli par Xénophon), chacun comprend que le choix à faire ne fait aucun doute. La volupté et la
vertu, le désir et la volonté, dans l’intimité de notre conscience, peuvent être en lutte incessante, c’est à la volonté
toujours de s’affirmer. Saepe aliud volumus, aliud optamus [= souvent nous voulons autrement que nous désirons],
disait Sénèque (Lettre XVI à Lucilius : « Que la philosophie doit régler notre vie »). Nous sommes réellement heureux
lorsque c’est notre volonté qui triomphe de nos désirs et règne de manière absolue, et bel et bien malheureux au
contraire lorsque ce sont nos désirs qui nous entraînent et nous imposent la satisfaction de vains caprices, tout aussi
fluctuants les uns que les autres.
3) Il n’en reste pas moins que la volonté peut être sujette à toutes sortes de troubles, tels que ceux décrits par P. Janet
(La force et la faiblesse psychologique) comme formes diverses d’aboulie – du grec boulhv, volonté –, qu’elle peut
même être soumise à l’involontaire, ainsi pour Paul Ricœur, lorsqu’il écrit dans sa Philosophie de la volonté : « cet
involontaire du caractère, de l’inconscient, de l’organisation vitale, etc., est le terme de cet acte original du vouloir qui
au premier abord est plus dissimulé que lui : c’est à lui que je consens ». Manière chez cet auteur de remettre en cause la
définition cartésienne de la volonté : « La volonté … consiste seulement en ce que, pour affirmer ou nier, poursuivre ou
fuir les choses que l’entendement nous propose, nous agissons de telle sorte que nous ne sentons point qu’aucune force
extérieure nous y contraigne. » (Descartes, Méditations, IV, 7)
[Conclusion partielle]
L’expérience du conflit de désirs n’ôte rien au fait que la volonté est indissociable des idées d’effort et de regret. Le
conflit entre la volonté et le désir se distinguera toujours du conflit entre deux désirs, l’un plus fort, l’autre plus faible, le
plus fort finissant logiquement par l’emporter sur le plus faible.
[Conclusion]
[Résumé de la démarche suivie]
Dans la première partie de ce devoir, nous avons vu que la volonté était parfois considérée comme un désir, et
réciproquement, mais dans la deuxième partie qu’aucune confusion n’était cependant possible entre vouloir et désirer.
Dans la troisième partie, nous avons pu établir que l’essence de la volonté résidait dans le dépassement de soi et dans la
conscience que nous pouvons prendre de nos actes. Là se trouve la voie de l’héroïsme : quand bien même notre volonté
serait parfois soumise à certaines causes extérieures sur lesquelles nous n’aurions pas de prise, nos valeurs nous
commandent de les ignorer, pour pouvoir nous rendre réellement auteurs de notre propre destinée.
[Réponse à la question initiale]
Incontestablement, vouloir, ce n’est pas désirer. Accepter de se faire le jouet de ses désirs, ce serait ni plus ni moins se
faire volontairement esclave, de quelque chose, ou pire, de quelqu’un.
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