Patrick Mallea débute
ce débat en nous apportant
sa vision d’entrepreneur mais
aussi de citoyen. Il afrme que
depuis bien longtemps dans le
domaine de la santé nous ne
réagissons qu’à la demande.
Il faut anticiper les besoins
pour intervenir avant d’avoir
à consulter un médecin ou se
rendre aux urgences. L’enjeu
majeur de l’application des
technologies dans le domaine
de la santé est de faire en
sorte que nous n’ayons plus de
perte de chance causée par un
retard de prise en compte et de
traitement du besoin.
« Aujourd’hui nous pouvons
être les champions du monde
du curatif mais nous
n’acceptons pas de jouer dans
le champ du préventif »
.
Peu importe le progrès
technologique, quand nous
avons un besoin en matière
de santé il faut que cette
technologie puisse nous diriger
vers la bonne personne et
au bon moment. L’innovation
n’est pas le progrès technique.
Elle sera effective le jour où
la société acceptera de se
remettre en question pour
évoluer.
En ce qui concerne les GAFAs,
ils amènent de la simplicité où il
y a de la complication.
Yvanie Caillé s’exprime
à son tour sur l’utilisation
d’internet par les patients. La
principale conséquence est le
développement du partage des
connaissances, de l’information
et de l’expertise. C’est d’ailleurs
ce qui fait la force du web social
pour les patients selon elle car
« on y retrouve des pairs, on
parle le même langage »
.
Sur internet le patient
trouve des personnes qui lui
ressemblent et il se forme
une relation d’échanges et
d’entre-aide où la réalité de la
maladie est exprimée. C’est un
contexte bienveillant car des
personnes qui ont été aidées
renvoient l’ascenseur en aidant
à leur tour. De plus, les patients
expriment mieux les émotions
liées à leur maladie auprès
de leurs pairs. Grâce aux
technologies de l’information
et de la communication (TIC),
ils deviennent acteurs de leur
santé et parfois même experts
de leur maladie.
Dans le cas de la relation de
soin, Yvanie Caillé avance que :
«Le temps gagné grâce aux
TIC doit être réinvesti dans la
relation médecin-patient pour
ne pas la déshumaniser.»
Selon Guillaume Marchand, qui
étudie des applications mobiles
de santé, la révolution est
principalement intellectuelle et
médiatique. Pour qu’il y ait une
révolution, il faut l’information
et la formation. Parallèlement
à l’éducation du patient,
le médecin aussi doit être
accompagné car son adoption
du numérique est plus lente que
celle des patients. En effet il se
montre plus méant.
Il n’y aura pas de révolution
culturelle tant que les
professionnels de santé au sens
large ne seront pas inclus dans
la boucle du numérique
.
Pour aboutir à une révolution
culturelle il faut aussi de la
pertinence dans l’offre. L’équipe
de Guillaume Marchand
recommande seulement 20%
des 900 applications étudiées.
C’est une réalité retrouvée dans
les Appstore car les applications
découlent le plus souvent de
besoins industriels et ne sont
pas construites à partir de
besoins terrains.
Guillaume Marchand,
médecin psychiatre, utilise
son expérience personnelle
pour passer un message :
«Travaillons les besoins
terrains, faisons émerger
les besoins au quotidien. Je
faisais de la pédopsychiatrie,
j’ai vingt idées d’applications
pour les enfants autistes, il
sufrait qu’on me demande »
.
Pour nir, la vraie révolution
culturelle n’est-elle pas dans
le décloisonnement et la
délégation entre les différents
professionnels de santé ?
Patients ou médecins utilisent
des applications chacun de leur
côté et Guillaume Marchand
se demande s’il n’y aurait
pas un lien à faire entre les
utilisateurs. Enn, pourquoi
le médecin ne devrait-il pas
devenir un ingénieur ? Il conclut
que l’innovation ne réside pas
dans la technologie mais dans
l’usage qui en sera fait.
Christine Ballagué en tant
qu’experte des TIC nous donne
son point de vue. Tout d’abord
nous sommes dans une société
totalement métamorphosée
par le numérique au quotidien
et dans tous les secteurs y
compris la santé. Elle énonce
LES NOUVELLES TECHNOLOGIES : UNE RÉVOLUTION
CULTURELLE QUI CHANGE NOTRE RAPPORT À LA SANTÉ.
TABLE-RONDE D’INTRODUCTION
PATRICK MALLEA
Directeur Stratégie
et Développement,
Société Accelis.
La e-santé est une révolution technologique mais aussi une révolution culturelle.
Elle transforme notre rapport à la santé et aux autres, aux autorités, au temps,
au monde et à l’homme.
dans son discours trois
aspects du changement liés au
numérique que nous retrouvons
dans tous les domaines.
Le premier aspect est une
modication de l’individu.
Le patient a une capacité
d’agir que nous appelons
l’empowerment. Il reçoit
de l’information qui accroît
sa capacité à connaître sa
maladie.
Depuis les années 2000 et la
création des réseaux sociaux
nous avons une production
par le patient d’information.
Des photos comme des textes
sont partagés massivement et
cette information dite profane
accompagne les patients au
quotidien dans leur maladie.
Ces derniers deviennent
acteurs de leur propre santé.
Le deuxième aspect du
changement lié au numérique
est la transformation du rôle
des institutions. L’asymétrie
d’information entre le patient et
son médecin diminue avec le
numérique, ce qui transforme
la relation patient-médecin. Le
rôle du médecin est transformé
et il doit s’adapter. Concernant
les institutions publiques,
un phénomène nouveau se
développe : non seulement
le patient partage et crée de
l’information mais surtout
« les
individus croient plus en leurs
pairs que dans les institutions».
C’est là un changement
fondamental.
Le troisième aspect de ce
changement est l’arrivée
des grandes plateformes
américaines qui ont une
capacité nancière considérable
et font du marché de la santé
leur priorité.
La e-santé a un potentiel
incroyable et deux enjeux
majeurs se dégagent. Les
enjeux éthiques car la santé
connectée conduit forcément
aux transferts de données.
Nous pouvons nous demander
comment les sécuriser et à qui
y donner accès. Ce n’est pas
que par la régulation que nous
trouverons la solution mais
par la responsabilité de tous.
Aujourd’hui il y a un manque
important d’information de la
part des acteurs sur ce sujet.
Le deuxième enjeu est le
développement : il faut travailler
le développement du numérique
dans le domaine de la santé car
la France est en retard.
«Une volonté nationale et un
changement culturel de tous
les acteurs sont nécessaires.»
Elle ajoute que nous avons
peur des technologies car nous
ne les maitrisons pas. Nous
connaissons l’importance de
la littératie en santé et des
études notamment américaines
montrent que de nombreuses
informations ne sont pas
accessibles à la majorité des
patients auxquelles elles sont
destinées. Pour Christine
Ballagué l’éducation au
numérique doit se pratiquer dès
l’école et tout au long de la vie
car notre quotidien se numérise
et pas seulement la santé. C’est
un enjeu majeur pour éviter une
société à deux vitesses.
Pascal Picq, anthropologue,
afrme que nous sommes sur
des problématiques
évolutionnistes. Le numérique
participe à un nouvel enjeu
de société, ce qui fait le
progrès et la culture. Il cite
Descartes, Darwin, la médecine
évolutionniste jusqu’aux
réexions actuelles sur le
transhumanisme.
«La question n’est pas de vivre
plus longtemps mais de vivre
plus longtemps mieux.»
Selon lui le numérique est la
n des experts de la pensée
dominante développée depuis
50 ans et le moyen de se
réapproprier sa vie donc sa
santé. C’est aussi l’avènement
des compétences pour les
patients. Nous allons vers
l’extinction si nous utilisons
toutes ces technologies pour ne
plus être malade.
Nos systèmes immunologiques
ainsi que tout ce que nous
sommes sont la construction
de coévolutions pendant des
millénaires intégrant les choix
culturels de nos prédécesseurs.
« Il faut apprendre à
redevenir malade pour sauver
l’humanité»
.
Il nous met en garde sur le fait
de ne vouloir se focaliser que
sur des aspects technologiques
sans prendre en compte le
contexte anthropologique.
Du côté du médecin, il devra
redevenir le chaman, celui
qui écoute et accepte les
compétences de l’autre
pour apporter des solutions.
Ces nouvelles technologies
ne permettront jamais de
remplacer l’empathie
du médecin envers le patient.
Pascal Picq nous rappelle que
ces technologies nous viennent
des Etats Unis où l’obésité est
un vrai éau. En regardant
les données comme l’état de
l’éducation ou l’espérance de
vie des enfants, il associe les
Etats-Unis à un pays du tiers
monde. Ce n’est donc pas un
modèle acceptable pour la
France et l’Europe.
Enn, il note le retard de
la France en matière de
développement technologique
en santé mais en extrait une
note positive : l’avantage du
retard c’est que nous pouvons
prendre le temps d’observer.
YVANIE CAILLÉ
Directrice Générale
de l’association
Renaloo.
CHRISTINE BALAGUÉ
Présidente de la commission
services de Cap Digital,
Vice-présidente du Conseil
National du Numérique.
PASCAL PICQ
Paléoanthropologue au Collège
de France, spécialiste
de l’évolution de l’Homme,
des entreprises et des sociétés.
GUILLAUME MARCHAND
Médecin Psychiatre, Président
et co-fondateur de DMD Santé.
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