Dossier thématique
Le Courrier de colo-proctologie (III) - n° 2 - juin 2002
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Conséquences fonctionnelles de la chirurgie d’exérèse rectale.
Quelle est l’influence des séquelles sur la qualité de vie?
E. Rullier*
es conséquences fonctionnelles de
la chirurgie d’exérèse rectale sont
désormais connues. En revanche, l’impact
de ces désordres fonctionnels sur la qua-
lité de vie des patients a été peu décrit, prin-
cipalement en raison de l’insuffisance des
moyens d’évaluation de la qualité de vie
chez les patients opérés d’un cancer du rec-
tum. Le but de cet exposé est de décrire
l’état des connaissances sur les consé-
quences de l’exérèse rectale en termes de
qualité de vie, puis d’aborder les moyens
actuellement disponibles pour les évaluer
ainsi que leurs intérêts.
R
ÉPERCUSSIONS DE L
EXÉRÈSE
RECTALE SUR LA QUALITÉ DE VIE
Un patient présentant un cancer du rectum
subira plusieurs traumatismes dus aux dif-
férents traitements nécessaires dans le cadre
de sa maladie (chirurgie, radiothérapie et
chimiothérapie). L’annonce du diagnostic
et la nécessité d’une surveillance au long
court constituent d’autres traumatismes.
Ces traitements sont susceptibles d’induire
des effets secondaires, temporaires ou défi-
nitifs pouvant altérer la qualité de vie phy-
sique, psychologique et sociale de l’individu.
Troubles physiques
Après exérèse du rectum, les troubles phy-
siques rencontrés concernent les fonctions
digestive, urinaire et génitale.
Sur le plan digestif, près de la moitié des
patients qui ont eu une exérèse du rectum
se plaignent d’un excès de selles et de gaz,
de fuites de selles et de la présence de mau-
vaises odeurs (1, 2). Ces manifestations
digestives indésirables sont à l’origine
d’une restriction alimentaire et d’une
dépendance médicamenteuse pour essayer
de régulariser et ralentir le transit intesti-
nal. Ces troubles seraient deux fois plus
fréquents chez les colostomisés que chez
ceux qui ont eu une chirurgie conservatrice
sphinctérienne. Par exemple, la suppres-
sion d’au moins deux aliments dans leur
alimentation quotidienne a été observée
chez 25% des patients après exérèse rec-
tale conservatrice contre 58% chez les
colostomisés (1).
Les troubles urinaires dus à une dénervation
vésicale, non intentionnelle ou de nécessité,
sont présents de façon temporaire chez près
d’un opéré sur deux d’un cancer du rectum
et, de façon définitive, chez environ 5 à 10%
des patients. Leur fréquence diminue depuis
l’amélioration des techniques chirurgicales.
Il s’agit principalement d’une dysurie, pou-
vant être responsable d’une rétention aiguë
ou chronique et, plus rarement, d’une incon-
tinence urinaire. La qualité de vie des patients
est altérée de façon considérable lorsque, en
cas de dénervation complète, le seul raite-
ment efficace est l’autosondage à demeure.
La sexualité des patients après exérèse rec-
tale peut être perturbée par le traumatisme
des nerfs génitaux lors de la dissection rec-
tale par une exérèse étendue aux organes
génitaux internes et par le port d’une colo-
stomie abdominale. Les répercussions sont
donc différentes selon le type d’interven-
tion chirurgicale et le sexe des patients.
Chez l’homme, le risque d’anéjaculation,
et surtout d’impuissance, augmente si l’on
effectue une amputation anorectale avec
colostomie par rapport à une chirurgie
conservatrice sphinctérienne. Le port d’une
colostomie ne semble pas gêner l’activité
sexuelle de l’homme dans la mesure où la
fonction érectile a été préservée. Toutefois,
l’impuissance, témoin de la perte de la viri-
lité, est à l’origine d’une dégradation de
l’image corporelle due à la perte de l’es-
time de soi (3). Chez la femme, les consé-
quences de l’exérèse du rectum sur la
sexualité sont moins bien connues. La
baisse de l’activité sexuelle après exérèse
* Service de chirurgie digestive,
hôpital Saint-André, Bordeaux.
Après exérèse rectale, les séquelles
digestives, génito-urinaires et le port d’une
colostomie entraînent une altération de la
qualité de vie, où prédominent le stress et
la dégradation de l’image corporelle.
L’évaluation de la qualité de vie est
désormais nécessaire, car elle fait partie,
avec les données cliniques et économiques,
des éléments qui, dans l’avenir, guideront
les choix thérapeutiques.
La qualité de vie ne peut être évaluée
que par des questionnaires spécifiques et
validés, le plus adapté après exérèse rectale
étant le QLQ-C38 validé par l’EORTC.
L’idée que la qualité de vie après exérèse
rectale est meilleure sans colostomie est
controversée depuis l’utilisation de
questionnaires validés ; cela justifie une
meilleure information au patient avant
toute décision thérapeutique.
L
rectale serait due aux dyspareunies et au
sentiment d’avoir un vagin rétréci après à
l’opération (4). Le port d’une colostomie
chez la femme entraîne une modification
profonde de l’image corporelle et une perte
du sentiment d’attraction qui diminue
encore plus le désir sexuel (3).
Troubles psychiques
Les patients qui ont subi une exérèse du
rectum pour un cancer sont soumis à un
état de stress plus important que la popu-
lation générale et à un risque de dépres-
sion plus élevé (5). La prévalence de la
dépression était évaluée à 32% après colo-
stomie définitive et à 10% après résection
rectale conservatrice (1). Ces troubles psy-
chologiques sont dus à l’existence du can-
cer et aux traitements. La notion de cancer
nécessite de gérer le diagnostic avec les
incertitudes quant à l’avenir, notamment le
risque de perdre son emploi à court terme
et sa propre vie à long terme. Les traite-
ments imposent des contraintes et sont la
source d’effets secondaires. De plus, cer-
taines séquelles, comme la colostomie,
peuvent engendrer des soucis financiers
majorant l’état de stress du patient. Une
étude canadienne avait montré que le coût
annuel des poches de colostomie était trois
fois supérieur au prix de leur rembourse-
ment et observé un niveau de stress plus
élevé chez ces patients (3). En France, tous
les types d’appareillage de colostomie,
dont le coût moyen est de 150 par mois,
ne sont pas remboursés à 100%.
Troubles sociaux
Après exérèse rectale, au moins un tiers
des opérés ont une restriction de leurs acti-
vités sociales, notamment de leurs loisirs
(1). Ils préfèrent rester chez eux, limitent
les voyages et évitent les repas à l’exté-
rieur, principalement à cause des troubles
digestifs, en particulier du risque de fuite
de selles et des contraintes alimentaires.
Ainsi, la diminution des loisirs a été obser-
vée chez 50% des colostomisés et dans
18% des cas après chirurgie conservatrice
(1). Une diminution des relations avec les
partenaires est également présente chez
environ 20% des opérés du rectum (6). Ces
répercussions sociales, à l’origine d’un
véritable isolement, sont fonction de l’in-
dividu et seraient plus fréquentes chez le
sujet âgé. Un isolement religieux a même
été rapporté chez les musulmans, 50% des
colostomisés ne pratiquant plus les prières.
Au total, après exérèse du rectum, les
patients expriment des troubles physiques,
psychiques et sociaux qui altèrent leur qua-
lité de vie de façon globale et où prédo-
minent le stress et la dégradation de
l’image corporelle. Par ailleurs, ces troubles
seraient plus fréquents chez les colosto-
misés.
P
OURQUOI ET COMMENT
ÉVALUER LA QUALITÉ DE VIE
APRÈS EXÉRÈSE RECTALE
?
Évaluer la qualité de vie après exérèse d’un
cancer du rectum a pour but de donner au
patient le meilleur traitement, en tenant
compte non seulement des objectifs habi-
tuels, c’est-à-dire du taux de guérison et
de rechute, mais également du niveau d’ac-
ceptabilité de la vie après traitement. Cela
suggère la possibilité de comparer la qua-
lité de vie comme on compare les taux de
survie entre les différents traitements. Mal-
heureusement, les travaux réalisés jusqu’à
présent sur la chirurgie d’exérèse rectale
ne permettent pas ces comparaisons, car il
s’agit de données rétrospectives utilisant
des questionnaires différents pour chaque
étude – questionnaires, par ailleurs, habi-
tuellement non spécifiques et non validés.
Une revue de la littérature récente sur la
qualité de vie après exérèse rectale pour
cancer a montré que, sur 54 articles publiés
entre 1970 et 1997, seulement trois ont uti-
lisé un questionnaire validé (6).
Les questionnaires validés évaluant la qua-
lité de vie sont de deux types: les ques-
tionnaires génériques, ou généraux, et les
questionnaires spécifiques. Les premiers
ont pour but de comparer des populations
dans leur globalité. Il s’agit du Sickness
Impact Profile (SIP),du Nottingham Health
Profile(NHP), du Medical Outcome Study
Health Survey (SF-36), de l’Euro-Qol, etc.
Ces questionnaires sont habituellement
peu sensibles, ce qui, en général, ne leur
permet pas de détecter une petite diffé-
rence entre deux populations. Par exemple,
il a été rapporté que la qualité de vie était
identique après exérèse rectale avec ou
sans réservoir colique (7),alors que la
supériorité du réservoir venait d’être
démontrée préalablement chez ces mêmes
patients (8). L’absence de corrélation entre
résultats fonctionnels et qualité de vie dans
cette étude multicentrique randomisée est
due au type de questionnaire (générique)
et, probablement, à l’absence de différence
majeure en termes de qualité de vie entre
les deux groupes.
Les questionnaires spécifiques, au contraire,
ont pour but de mettre en évidence une dif-
férence au sein d’une population ciblée,
c’est-à-dire atteinte d’une pathologie pré-
cise. Le Gastro Intestinal Quality of Life
Index (GIQLI), validé en français (9),
pourrait être utilisé pour les maladies colo-
rectales. Il manque cependant de spécifi-
cité pour la pathologie anorectale, car il ne
permet pas de différencier les consé-
quences d’une constipation de celles d’une
incontinence (10). Le Fecal Incontinence
Quality of Life, ou FIQL (11),récemment
validé en français, serait probablement le
questionnaire le plus sensible pour détec-
ter une différence de qualité de vie après
exérèse rectale, le handicap le plus notoire
étant l’existence de fuites anales. Cepen-
dant, comme le GIQLI, il ne prend pas en
compte le fait que le patient est porteur
d’une pathologie cancéreuse.
Depuis 1999 est disponible un question-
naire spécifique des cancers colorectaux
(12). Il est issu d’un questionnaire spéci-
fique du cancer (QLQ-C30), construit et
validé à l’échelon européen (EORTC) pour
les essais thérapeutiques en cancérologie.
Par la suite ont été développés des modules
spécifiques d’un organe, rattachés au pré-
cédent. Le premier module à être validé et
disponible en plusieurs langues, dont le
français, est celui du cancer colorectal, le
QLQ-CR38. Il comprend 38 questions,
évaluant deux domaines fonctionnels
(image corporelle et vie sexuelle) et six
échelles de symptômes (miction, symp-
tômes digestifs, effets secondaires de la
chimiothérapie, défécation, sexualité et
conséquences d’une stomie). Il est, à
Chirurgie rectale d’exérèse
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l’heure actuelle, le plus adapté pour éva-
luer la qualité de vie des patients traités
pour un cancer du côlon ou du rectum.
Q
U
ATTENDRE
DES QUESTIONNAIRES
DE QUALITÉ DE VIE
EN CHIRURGIE RECTALE
?
Une étude récente, réalisée en Allemagne,
a comparé la qualité de vie entre 23 patients
traités par exérèse rectale avec colostomie
définitive et 50 patients traités par exérèse
avec conservation sphinctérienne (13). La
méthodologie était bonne dans la mesure
où l’évaluation était prospective (ques-
tionnaire préopératoire, puis six et 12 mois
après l’intervention) et a utilisé un ques-
tionnaire adapté et validé (QLQ-CR38
couplé au QLQ-C30). Les critiques pour-
raient porter sur les faibles effectifs, l’ab-
sence d’utilisation du réservoir colique
dans les anastomoses basses, l’absence
de détail quant à l’utilisation de la radio-
thérapie et l’existence de patients exclus
de l’analyse en raison de questionnaires
incomplets. Toujours est-il que le score de
qualité de vie est apparu, sur certains points
comme les troubles du transit (diarrhée et
constipation) et l’insomnie, moins bon
après anastomoses très basses (< 5 cm)
qu’après colostomie. De plus, il existait
une détérioration de l’image corporelle et
de l’estime de soi avec le temps, aussi bien
après chirurgie conservatrice qu’après
colostomie. Ces résultats discordants par
rapport aux notions traditionnelles de
meilleure qualité de vie avec un sphincter
préservé ont également été suggérés par
une autre étude récente, de méthodologie
identique, où le colostomisé, bien qu’ayant
une moins bonne image corporelle, avait
une meilleure perception de l’avenir (14).
Ainsi, on voit bien l’intérêt des question-
naires spécifiques, adaptés et validés, par
rapport aux questionnaires génériques, ou
non validés. Ils permettent d’identifier cer-
tains troubles physiques ou psychiques
ainsi que leurs conséquences, spécifiques
de chaque type d’intervention, et dont il
faudra informer le patient avant toute déci-
sion chirurgicale.
C
ONCLUSION
L’intérêt porté de façon récente à l’éva-
luation de la qualité de vie chez les patients
n’est donc pas seulement une mode. Cela
a permis, par exemple, de mieux com-
prendre le mécontentement de certains
opérés d’un reflux gastro-œsophagien
n’ayant pas de récidive, ou encore de jus-
tifier l’utilisation de la chimiothérapie sans
gain de survie dans certaines situations pal-
liatives en cancérologie. L’évaluation de la
qualité de vie, lorsqu’elle est réalisée avec
une bonne méthodologie, peut donc modi-
fier radicalement l’impression subjective
ou objective que nous avons d’une patho-
logie. Il est ainsi désormais possible que,
malgré les progrès techniques de la chi-
rurgie conservatrice sphinctérienne dans
les cancers du rectum, il y ait un regain
d’intérêt pour les colostomies. L’indica-
tion de la colostomie ne serait plus d’ordre
oncologique mais d’ordre fonctionnel, et
le choix pourrait appartenir non plus au
chirurgien mais au patient.
Mots clés . Cancer du rectum - Qualité de vie -
Colostomie - Proctectomie.
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