10 | La Lettre du Rhumatologue • Suppl. au no 395 - octobre 2013
CAS CLINIQUE
Mots-clés
Arthrite – Pied – Charcot – Diabète – Neuropathie
Trouver chaussure à son pied
C. Duquenne*, T. Marhadour*, V. Devauchelle-Pensec*
* Service de rhumatologie, hôpital de la Cavale-Blanche ;
université de Bretagne occidentale, Brest.
U
ne femme de 56 ans est hospitalisée pour une augmentation de volume douloureuse
de la cheville et du pied gauches. Ses principaux antécédents sont un diabète de
type 2, diagnostiqué en 1987 lors de sa troisième grossesse, insulino-requérant depuis 2001,
compliqué d’une rétinopathie diabétique et d’une polyneuropathie distale sensitivomotrice
des membres inférieurs de mécanisme axonal (électromyogramme en janvier 2006), une
hypothyroïdie secondaire à une thyroïdectomie subtotale pour nodules, une hypertension
artérielle traitée par nébivolol et périndopril, et une dyslipidémie traitée par statines.
Elle se plaint d’une douleur d’aggravation progressive depuis 1 mois, de rythme mécanique,
survenant à l’appui, diminuée par le repos et la prise de paracétamol, sans réveil nocturne.
Il n’y a pas de facteur déclenchant retrouvé. À l’examen, la patiente est apyrétique, il
n’y a pas d’altération de l’état général. Elle pèse 68 kg pour 1,65 m (IMC = 25 kg/ m
2
).
Elle présente un œdème inflammatoire du pied et de la cheville gauches, avec douleur
à la mobilisation du médio-pied, sans limitation des mobilités articulaires. Les aires
ganglionnaires sont libres ; on retrouve un intertrigo du quatrième espace interdigital du
pied gauche. Il existe une anesthésie du pied droit et une hypoesthésie du pied gauche,
associées à des troubles proprioceptifs, des erreurs au monofilament, une hypopallesthésie
et une ataxie proprioceptive. Les réflexes ostéotendineux rotulien et achilléen ne sont
pas retrouvés. Le reste de l’examen clinique est sans particularité.
Les différents diagnostics évoqués sont une thrombose veineuse profonde, un érysipèle,
une arthrite microcristalline ou infectieuse, une ostéoarthropathie nerveuse diabétique,
une algodystrophie et une fracture de fatigue.
Les examens biologiques montrent l’absence d’hyperleucocytose, une CRP normale,
mais une légère augmentation du fibrinogène à 4,9 g/dl et des α-globulines. Le bilan
phosphocalcique, l’uricémie, la fonction rénale et le bilan hépatique sont normaux.
L’HbA1C est à 13,7 %, avec présence d’une microalbuminurie.
L’échodoppler de la cheville et du pied gauches (figure 1) montre une arthrite du médio-
tarse, avec synovite cunéonaviculaire en mode B, présentant un signal doppler puis-
sance de grade 3. La ponction articulaire sous échographie ramène quelques gouttes de
liquide hématique, inoculées dans 2 flacons d’hémocultures, qui reviennent négatives.
Les radio graphies retrouvent un épaississement des parties molles, une épine sous- et
rétrocalcanéenne (figure 2a), et surtout une béance entre le premier et le deuxième
rayon (figure 2b).
L’IRM retrouve une ostéoarthrite cunéonaviculaire et du Lisfranc prédominant sur les
deuxième et troisième rayons. En T1 (figures 3a et 3b), on note un hyposignal, et en T2
STIR et T1 gadolinium (figures 3c et 3d), un hypersignal inflammatoire des têtes proxi-
males des deuxième et troisième métatarses, des 3 cunéiformes, de l’articulation cunéo-
naviculaire et de l’os naviculaire, avec synovites. Un petit épanchement des articulations
sous-taliennes antérieure et postérieure est observé. On retrouve une subluxation du
deuxième rayon (figure 3d), avec béance entre le premier et le deuxième métatarse
(figure 3c). Un œdème inflammatoire des parties molles, notamment au niveau des
muscles plantaires, sans collection, est repéré. Il n’y a pas d’abcès intra-osseux.
Au vu des différents examens, le diagnostic retenu est celui de pied de Charcot. Cette
ostéoarthropathie nerveuse survient sur un terrain de neuropathie périphérique sévère,
dans le cadre d’un diabète évoluant depuis plus de 10 ans en général. Elle intéresse le
plus souvent le médio-tarse, et est bilatérale dans 9 à 25 % des cas.
Le traitement doit être le plus précoce possible et comprend, lors de la phase aiguë, une
décharge complète et prolongée avec reprise progressive de l’appui, et des antalgiques.
Lors de la phase chronique, la chirurgie peut être indiquée pour corriger les déformations,
allant de l’arthrodèse jusqu’à l’amputation dans le cas d’une ostéomyélite. Le port de
chaussures orthopédiques ainsi qu’une surveillance sont indispensables. ■
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Pour en savoir plus…
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêts concer-
nant cet article.
Légendes
Figure 1. Échodoppler de la cheville et du
médio-pied gauches, montrant une arthrite du
médio-tarse, avec synovite cunéo naviculaire
en mode B, présentant un signal doppler puis-
sance de grade 3.
Figure 2a. Radiographie de la cheville gauche
de profil.
Figure 2b. Radiographie de la cheville et
du pied gauches de face.
Figure 3a. IRM T1 du pied gauche, coupe
sagittale, retrouvant un hyposignal de la tête
proximale du deuxième métatarse et du
deuxième cunéiforme, et un pincement de
l’interligne articulaire.
Figure 3b. IRM T1 du pied gauche, coupe
coronale, avec présence d’un hyposignal
concernant les 3 cunéiformes et les têtes proxi-
males des deuxième et troisième métatarses.
Figure 3c. IRM T2 STIR du pied gauche,
coupe coronale montrant un hypersignal des
3 cunéiformes, de l’os naviculaire ; épanche-
ment intra-articulaire cunéonaviculaire et
de l’articu lation post-talienne postérieure ;
béance entre le premier et le deuxième méta-
tarse du fait de la luxation du deuxième rayon.
Figure 3d. IRM T1 avec injection de gado-
linium du pied gauche, coupe sagittale,
montrant une luxation dorsale du deuxième
métatarse, un hypersignal de la tête proximale
du deuxième métatarse et du deuxième cunéi-
forme, un œdème inflammatoire des muscles
plantaires sans abcès visualisé.