Cazaudebat Valentin Passé décomposé Encore une fois, je venais

Cazaudebat
Valentin
Passé décomposé
Encore une fois, je venais de me piquer. La substance fluide se répandait dans mon sang
bouillant et je sentais lapaisement se répandre au fur et à mesure que je décrochais de cette réali
nauséabonde. Le monde était devenu gris depuis cet instant. Chaque jour, que je me trouve dans ces
dédales de béton brut ou dans cette nature déchirée, je me sentais isolé, las de survivre. Les gens me
tournaient le dos, leur regard se distanciait de ce vieux débris dun autre temps que jétais devenu,
mal rasé, coiffé à larrachée, vestige dun passé mal géré, conséquence de cet événement qui mavait
fait perdre pied petit à petit au gré de mes consommations. Plus rien ne me rattachais à ce que je
désignais par « ça ». Les jeunes qui erraient sans but dans les rues, vénérant Mark Zuckerberg, cet
homme qui leur avait offert une seconde vie dénuée de corporéité matérielle faisant deux des dieux
à temps partiel. En retour, il les aimait comme Staline aimait son peuple autrefois. Maintenant,
lamour durait trois mois, couples désassortis singeant la passion enflammée pour une idylle en CDD
avant de revendre son alliance bon marché pour acheter le dernier album à la mode dun artiste aux
sonorités électroniques insignifiantes qui faisait tout pour ressembler à son voisin. Pendant ce temps,
le peuple se foutait sur la gueule pour choisir une royauté anémique, menteuse et voleuse à assoir
sur le trône de notre démocratie dictatoriale. Les gens, au mieux signoraient, au pire se flinguaient
pour une couleur de peau, de maillot, élire le plus beau du gay ou de lhétéro ou dautres vagues
idéaux. Jétais spectateur de ce foutoir indémêlable qui ressemblait de plus en plus à une publicité
déguisée pour le suicide assisté.
Revenons-en à ce shoot que je savoure qui augmente lattention et fait tomber la pression. Je
ferme les yeux et rêve, revois, revis ce temps où insouciant, je connaissais le bonheur et la liberté
toute relative qui mhabitait. Mes souvenirs se teintent de couleurs inodores, un monde indolore où
la haine et la peine sévaporent. Japerçois cette tour dans laquelle je logeais paisiblement. Je me
rappelle de ce temps passé à découper et coller des bandes de cassettes pour faire des montages
sonores que jécoutais en regardant la télé à laquelle javais ôté le son et je me marrais. Avec elle. Le
mot-clé est « elle ». Depuis le lycée, nos seize ans ou à peu près, on faisait la paire, on vivait empris
dune conscience inaltérée de notre existence vouée à savouer nos secrets, à savourer les potions
secrètes que nos corps sécrètent. Puis un jour, sans que jen connaisse la raison, elle mavait invité
sur cette falaise au bord de leau. Javais amené le pique-nique et le temps que je retourne chercher
à la voiture la gnole qui enivrerait notre après-midi, elle ne représentait plus quun point rouge au
milieu de létendue aquatique où elle était allée se noyer volontairement. Cest à ce moment-là que
javais perdu la couleur, ma vie sétait ternie, souillée par ces cinquante nuances de gris qui
mavaient enlevé mon paradis. Je métais tatoué son portrait, sa forme sur mon bras à laide dune
aiguille et dun peu dencre mais ce vague dessin ne suffisait pas à la ramener. Alors, depuis, javais
trouvé ce moyen : je me piquais, lencre en moins et je revivais, lespace de quelques instants,
subrepticement, cette liaison interrompue teintée de bleu, de vert, de toutes les couleurs de
lunivers.
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