De la dérive aux rêves Caroline Busque Directrice générale APUR [email protected] C’est à l’université que tout s’est dégradé. J’y ai vécu mon premier épisode de dépression majeure. J’avais peine à réaliser mes tâches quotidiennes minimales. La mort était omniprésente. Je ne voulais pas mourir, mais vivre, dans cet état, à quoi bon... J’ai vogué longuement à la dérive, faisant de mon mieux, parfois moins, vivotant selon les aléas de la vie. Cette réalité a longtemps été la mienne, jusqu’à il Après plusieurs années, j’ai consulté mon médecin y a quelques années à peine. J’ai maintenant 34 ans. qui me diagnostiquait comme ayant un état dépressif, chose que je refusais catégoriquement. J’ai tout Du plus loin que je me souvienne, je n’ai jamais été de même débuté une première médication qui m’a réellement fonctionnelle dans la vie. J’ai abandonné permis de me relever un peu, de cesser de penser à l’école au secondaire et alors, je consommais beaum‘enlever la vie. J’avais si honte. Et pourtant, j’étais coup de drogues. Je vivais de l’aide sociale et je intervenante en santé mentale et je me considérais n’avais ni rêve, ni objectif de vie. comme n’ayant pas de préjugé. Mais selon moi, j’étais différente, j’étais forte, capable. J’acceptai tout Mais voilà, ma vie bascule à mes 19 ans où je me re- de même de consulter une psychologue. trouve enceinte, vivant depuis quelques mois à l’étranger où j’ai d’ailleurs accouché. J’ai vécu là-bas Entre ma consommation de cannabis et d’alcool et mes premiers épisodes importants de maladie . J’y ai certaines difficultés relationnelles, j’ai rapidement passé plus de deux ans à osciller entre les périodes de rechuté pour me retrouver dans un état totalement dépressions et les manies accompagnées de troubles dysfonctionnel. alimentaires qui auront duré huit longues années. Je C’est la que mon ne me sentais pas bien, mais je n’étais pas traitée. médecin m’annonça qu’il ne À mon retour au Québec, un secondaire V en poche pouvait plus et un enfant à nourrir, je suis retournée aux études. m’aider, que je Au cégep, je voyais bien que quelque chose n’allait devais voir un pas mais j’étais fonctionnelle malgré tout. Je dormais psychiatre. Il en moyenne 3 heures par nuit, j‘étudiais sans arrêt. m’a donc dirigé Tout me réussissait bien à ce moment, du moins, j’en à l’urgence psyavais l‘impression. J’avais des tas de projets, mes chiatrique où je idées étaient perpétuellement en ébullition. me suis rendue seule, par choix car celui-ci était prêt à m’y acheminer avec les policiers si nécessaire. Je n’oublierai jamais ce jour. Cette honte et cet état pour éviter la rechute. J’ai appris à reconnaître mes dans lequel je me trouvais. J’étais incapable de cesser symptômes, sans quoi je n’aurais pas été en mesure de pleurer. J‘ai vécu un moment de panique lorsque de m’assurer cette stabilité relative. Maintenir mes la porte s‘est refermée derrière moi, je me suis sen- bonnes habitudes de vie est primordial pour moi. tie prise au piège, à la merci d’une équipe soignante. Quand je déroge à ma routine ou oublie ma médicaJ’avais impression d’être complètement dépouillée tion, je vois rapidement les symptômes revenir. de toute dignité. En entrant, on me retire tout ce que Deux choses m’ont particulièrement aidé dans mon j’avais en ma possession. Je me revois encore demancheminement. D’abord accepder mon manteau parque j‘avais ter qui je suis et les limitations « Le rétablissement est froid. Tenter de garder un minique je peux parfois avoir. Renun processus de longue mum de crédibilité afin de rencontrer des personnes bien anhaleine parsemé contrer le psychiatre, celui qui crées dans leur rétablissement allait décider de mon futur de détours. » a fait une différence dans ma proche couverte d’une douilvie. C’est la principale raison lette d’hôpital. Ce jour là, par qui m’a amené à accepter la contre, ma vie a grandement maladie. Sans la présence de changé. Ma médication a été mes pairs, mon chemin vers le revue, j’ai cessé de travailler et ai été référée à un mieux-être aurait été franchement plus long. hôpital de jour. J’étais prête à n’importe quel sacrifice pour aller mieux. J’y ai aussi reçu un nouveau dia- Le second point m’ayant fortement aidé est mon imgnostique de trouble d’adaptation en plus de celui de plication citoyenne. En soutenant mes pairs, en apprenant à afficher positivement mon vécu, j’ai chemidépression majeure. né plus facilement et ai accepté qui je suis réelleDeux semaines plus tard, je débutais le programme ment: un être humain à part entière avec ses forces thérapeutique quotidien d’une durée de huit seet ses difficultés. maines. J’y croyais peu, mais juste le fait de devoir Le rétablissement est un processus de longue haleine me lever chaque jours, alors que je dormais 20 heures par jour au moins, a été un premier pas vers la parsemé de détours. guérison. Cette thérapie de groupe m’a forcé à déve- Alors qu’il y a 15 ans personne n’aurait cru que je lopper des habitudes de vie saines et à remettre en puisse faire des études, je suis aujourd’hui détentrice question certaines de mes croyances. Ma médication d’un diplôme universitaire. Alors que pendant une a été bien ajustée, ce qui a été un point central dans période je ne croyais plus en la vie, je dormais en permon rétablissement. manence, ne mangeais et ne me lavais plus, je suis maintenant retournée au travail. Je n’aurais jamais Quelques années plus tard, j’ai maintenant un diagnostique de trouble bipolaire. Je ne l’ai su qu’à l’âge pensé cela possible au plus profond de ma maladie adulte, mais mon père était affecté du même trouble mais j’exerce de nombreux rôles qui me et mon frère souffre de schizophrénie. Mais malgré plaisent grandement, cela, j’ai tardé avant d’aborder le sujet avec ma faj’ai de petits bonmille. heurs au quotidien et Depuis, je suis plutôt stable. J’ai bien sur des hauts et surtout des rêves. des bas mais je sais maintenant ce que je dois faire