Comment prendre en charge la santé sexuelle de nos patients

DOSSIER THÉMATIQUE
Journée FFCD-PRODIGE
218 | La Lettre du Cancérologue Vol. XXII - n° 6 - juin 2013
Comment prendre en charge
la santé sexuelle
de nos patients cancéreux ?
How to take into account the sexual health of our patients?
Daniel Habold*
Le droit à la santé sexuelle
La Fédération française de cancérologie digestive
(FFCD) se préoccupe à son tour des modalités d’une
prise en charge adaptée des conséquences du cancer
et de ses traitements sur la sexualité.
Au-delà des aspects toujours plus complexes des
stratégies diagnostiques nécessaires à la mise en
œuvre de traitements codifiés évolutifs et constam-
ment réévalués, les praticiens doivent également
organiser la meilleure vie possible pour leurs malades
et familles. Le propos n’est pas de transformer les
spécialistes en sexologues, bien que certains suivent
les enseignements de ce diplôme inter-universitaire,
mais bien de sensibiliser à la prise en compte de la
qualité de vie sexuelle pendant et après les cancers
digestifs. Le fait est que les survies augmentent,
que les patients aspirent fortement à une médecine
curative et soucieuse de leur qualité de vie, et que
l’Organisation mondiale de la santé n’est pas prête
à modifier la définition de la santé, dans laquelle
l’aspiration à une santé sexuelle épanouissante est
un droit des patients et un devoir soignant, au même
titre que la santé organique ou psychique.
Comme pour les autres localisations, la littérature
scientifique produit chaque jour un peu plus d’infor-
mations sur ce que sont les complications sexuelles
des cancers et de leurs traitements (1). La méta-
analyse (2) de 2012 portant sur 82 études réalisées
entre 1990 et 2010 et objectivant les dysfonctions
sexuelles et atteintes de la qualité de vie dans le
cadre des cancers colorectaux ne peut que respon-
sabiliser les cancérologues digestifs. Cette prise en
charge trouve également sa justification dans les
enquêtes patients : l’enquête 2 ans après (3) menée à
grande échelle par l’Inserm en 2009 nous a appris que
65 % des malades, tous cancers confondus, indiquent
garder des séquelles sexuelles de leur cancer (85 %
en cas de localisation au petit bassin), évoquant une
attention trop faible portée par le monde médical
à cet aspect de la qualité de vie. Cinq années de
consultation de recherche clinique en Rhône-Alpes
au travers des consultations dites SAICSSO (Sexo-
logie d’aide individuelle et des couples en soins de
support oncologie) nous ont également permis de
constater que l’information, la prévention et la prise
en charge des dysfonctions sexuelles (directement
par l’équipe de cancérologie, ou par orientation vers
un praticien ressource) n’avaient que trop peu été
réalisées durant le parcours de soins, alors même
que l’essentiel des questionnements des patients
et de leurs partenaires pouvaient trouver réponse
auprès des équipes, étant souvent très simples (4).
Organiser l’accompagnement
tout au long du parcours
de soins
À la question : “Quand doit-on l’aborder ?”, nous
répondons : à chacune des 4 phases du parcours
personnalisé de soins, à la réserve près que, la
hiérarchie des priorités évoluant, le “comment”
diffère : le temps de l’annonce doit permettre d’auto-
riser et d’informer, parfois par un simple feuillet
identique à ceux présentant les autres aides dont le
patient peut bénéficier, qu’il est autorisé d’en parler
aux membres de l’équipe ou à une ressource iden-
tifiée des soins de support, car des modifications
de l’intimité surviennent chez les malades et leurs
© La Lettre de l’Hépato-gastroen-
térologue 2013;2(mars-avril):55-6.
*Centre hospitalier de Chambéry,
Réponse onco-sexologique des Alpes
(ROSA).
La Lettre du Cancérologue Vol. XXII - n° 6 - juin 2013 | 219
Résumé
1. Meeus P. Les séquelles de la colostomie. 37
e
séminaire
de sexologie, 2007.
2. Traa MJ, Vries J, Roukema JA et al. Sexual (dys)function and
the quality of sexual life in patients with colorectal cancer:
a systematic review Ann Oncol 2012;23:19-27.
3. Préau M, Bouhnik AD, Rey D et al. Les difficultés sexuelles
à la suite de la maladie et des traitements. In: Le Corroller-
Soriano AG, Malavolti L, Mermilliod C (eds). La vie deux ans
après le diagnostic de cancer. La documentation française,
collection Études et statistiques. Paris, 2008:299-310.
4. Habold D, Bondil P. Enquête “Aptitudes et attentes des
soignants dans la prise en charge de la demande sexologique
de leurs patients”. Revue francophone de psychy-oncologie
2007;1(4):296-7.
5. GTS AFSOS 2011. Référentiel “Cancer, vie et santé
sexuelle”. www.afsos.org (rubrique “Référentiels inter-
régionaux en SOS”, “Troubles de la sexualité et de la fertilité”).
6. Park ER, Norris RL, Bober SR. Sexual health communi-
cation during cancer care: barriers and recommendations.
Cancer J 2009;15:74-7.
7. Schraub S, Marx E. Sexualité et cancer : information
destinée aux hommes et aux femmes traités pour un cancer.
2007, Guides d’information SOR SAVOIR PATIENT, Ligue
contre le cancer.
Références bibliographiques
Les cancers digestifs, de par leurs traitements et leurs localisations, ont des conséquences sur la qualité
de vie sexuelle. Informer, repérer, prévenir et orienter sont un devoir des équipes soignantes, en lien avec
des unités de soin de support en santé sexuelle.
Mots-clés
Santé sexuelle
Cancer
Qualité de vie
sexuelle
Troubles sexuels
après cancer digestif
Soins de support
Abstract
Digestive cancers, due to their
treatments and locations, have
consequences on the sexual
quality of life. To inform, to spot,
to warn, to prevent, and to direct
is a duty of the medical teams, in
connection with supportive care
units in sexual health.
Keywords
Sexual health
Cancer
Quality of sexual life
Sexual disorders after
digestive cancer
Supportive care
partenaires. C’est une première occasion de laisser la
parole s’exprimer et de repérer les premiers question-
nements. Durant la phase des soins, le contrat théra-
peutique doit éthiquement contenir l’information
concernant les dysfonctions sexuelles classiquement
rencontrées (troubles du désir, difficultés d’érection
ou de lubrification, dyspareunies, dysorgasmies) et
leur prévention, et permet d’aborder la nécessité
d’envisager l’adaptation du patient et du couple.
Enfin, la sortie et le suivi doivent donner lieu à une
évaluation des troubles et à une orientation vers
des spécialistes en vue d’améliorer ces troubles si
le patient ou le partenaire en émet le souhait, dans
l’objectif d’une intimité acceptée (5).
La possibilité d’avoir recours à des professionnels
formés en sexologie dans les réseaux ville-hôpital,
dans des services de soins de support organisés, ou au
sein des équipes, est un atout majeur pour l’ensemble
des professionnels de santé. Non pas dans le but de
leur adresser chaque patient, mais bien dans celui
d’apprendre à leur contact à être plus à l’aise dans
les savoirs et savoir-être de base pour proposer avec
régularité aux patients et à leurs partenaires de se
préoccuper de leur qualité de vie et de leur santé
sexuelle. Être proactif comme savent l’être les infir-
mières stomathérapeutes, les psychologues ou les
socio-esthéticiennes est essentiel pour entendre la
plainte du malade. Du médecin chef de service à la
secrétaire en passant par les internes et par le médecin
traitant, les cadres, infirmières ou aides-soignants,
chacun a sa place pour s’assurer que l’état de santé
sexuel ne pose pas de problème au cancéreux traité
et à son couple. On sait qu’en matière d’intime, un
certain nombre de freins et de défenses sont avancés
par les soignants. La posture soignante et la légiti-
mité collective parent à ces fausses peurs intrusives et
permettent d’assumer notre devoir. Une jeune infir-
mière n’est-elle pas régulièrement amenée à donner
des soins relevant de la plus grande intimité à des
hommes ou à des femmes qui ont l’âge de ses grands-
parents, mais qui avant tout sont des patients ? La
question simple trouvera écho immédiatement ou
en différé si le soignant ne se sent pas d’en discuter,
tandis que sera proposée une consultation auprès
d’un professionnel (gynécologue, uro-andrologue,
sexologue) pour les cas plus compliqués (6).
Des outils de sensibilisation
et de médiation pour apprendre
Chacun voit dans les médias et sur internet l’omni-
présence de la thématique de la sexualité, qui nourrit
les patients d’informations diversement validées.
Quel soignant a lu le contenu des brochures (7) de
la Ligue contre le cancer qui permettent d’informer
en la matière et qui sont des plus consultées par
les patients ? Il est indispensable que les soignants
soient sensibilisés et formés, et c’est dans ce cadre
qu’à l’initiative de l’Association francophone de soins
oncologiques de support (AFSOS), l’ensemble des
réseaux régionaux et territoriaux de cancérologie
ont validé un référentiel socle de bonnes pratiques
à l’attention des professionnels de santé. Intitulé
“Cancer, vie et santé sexuelle” et disponible sur le
site de l’AFSOS (5), il est complété par une démarche
d’implémentation au travers d’une proposition de
formation/sensibilisation d’une durée de 2 heures,
destinée aux équipes pluri-professionnelles. Le
Réseau Espace Santé-Cancer Rhône-Alpes est l’inter-
locuteur des autres réseaux régionaux pour mettre
en œuvre cette action.
À l’instar des équipes prenant en charge les cancers
en lien direct avec la génitalité, les équipes prenant
en charge les cancers digestifs doivent mettre en
place des organisations locales répondant à cette
nouvelle approche holistique de la santé, permet de
compléter l’action diagnostique et curative initiale,
le “cure” des Anglo-Saxons, par le soin attentionné,
l’accompagnement et la réparation, le “care”.
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