iPhilo - la philosophie en poche La première application de philosophie pour iPhone http://iphilo.fr Un nouveau modèle démocratique au Proche-Orient ? Author : Mada Sabeh Categories : Monde Date : 12 octobre 2015 Les pays qui seront abordés ici et où je définis cette notion de démocratie ethnique sont le Liban, Israël, les Territoires palestiniens et la Turquie, que nous considérerons, en point de départ, comme démocratiques (nous en débattrons rapidement). La spécificité du Proche-Orient en général, également relevée dans ces pays, est surtout que la religion est intrinsèquement liée à la politique, à l’appartenance communautaire et sociale des peuples, à la nation. Ce rapport particulier, différent du système démocratique commun où religion et Etat sont séparés, pose pour nous les bases d’un pluralisme démocratique, avec une nouvelle forme de démocratie qui accepterait la religion voire les appartenances communautaires comme force identitaire au sein du politique. n Des pays démocratiques au Proche-Orient ? L’actualité récente, avec les révoltes arabes, puis l’ascension au pouvoir de mouvements islamistes, les répressions violentes des libertés d’expression et de réunion ainsi que les persécutions de minorités, sans oublier l’ascension de l’Etat Islamique et son lot d’atrocités, ont montré une image plus qu’anti-démocratique du Proche et Moyen-Orient actuels. C’est pourquoi nous avons voulu montrer qu’il existait quand même des pays au Moyen-Orient qu’il serait possible de considérer comme possiblement démocratiques. En considérant le Proche-Orient dans son ensemble, nous avons pu établir que les pays tendant le plus à être démocratiques ces dernières années étaient le Liban, Israël (en incluant les Territoires palestiniens car tous deux étroitement liés d’un point de vue territorial et politique), et la Turquie. Ainsi, d’après l’index de démocratie établi par The Economist en 2013, Israël se trouvait dans les démocraties imparfaites sur 167 pays évalués, tandis que les trois autres étaient classés dans la catégorie de régimes hybrides. Il est toutefois à noter, et c’est là le point capital, qu’ils restaient toutefois les seuls au Moyen-Orient jusqu’en 2013 à ne pas être considérés comme des régimes autoritaires. Puis, résultat positif suite aux révoltes arabes, la Tunisie a été introduite en 2013 dans cette catégorie, suivie de la Libye, de l’Egypte, et du Maroc en 2014 (ces pays pourront faire l’objet d’une future étude élargie). Ce ne sont pas tant les lois religieuses en soi qui limitent les droits de l’Homme dans ces sociétés, bien que les instances religieuses retardent les avancées démocratiques (on entend par là © 2016 iPhilo et ses auteurs, tous droits réservés. L'ensemble des articles publiés dans le journal est accessible gratuitement sur le site iPhilo.fr. iPhilo - la philosophie en poche La première application de philosophie pour iPhone http://iphilo.fr l’élargissement des droits et des libertés). Le problème majoritaire de ces pays tient dans leurs rapports à leurs minorités, mais ce dernier dépend justement de leur condition même de démocratie que l’on va poser comme « ethnique ». n L’appartenance communautaire, ou l’ethnos La démocratie est la force, l’autorité (kratos [1]) du démos (peuple en grec). Le démos est défini à la fois comme une entité territoriale, sociale, et juridique. Mais il existe un autre terme grec pour définir le peuple, qui est celui d’ethnos. Alors que le démos donne un fondement socio-juridique du politique, l’ethnos pourrait consister en un fondement ethnique du politique. L’ethnos représente alors le peuple en tant que conscience nationale, appartenance communautaire. C’est ce fondement, cette base ethnique du politique qui nous semble dominer dans les démocraties proche-orientales. Le terme « ethnie » vient de ce terme grec ethnos de « peuples ». Des peuples liés d’abord par une appartenance commune forte, au-delà d’une quelconque organisation politique. L’appartenance ethnique est souvent transmise par les liens de sang ; on nait d’abord dans une communauté donnée, avec ses mœurs spécifiques. Cependant, la filiation, l’acquisition de l’appartenance communautaire par la naissance, n’est pas la seule caractérisation de l’identification ethnique, bien que celle-ci puisse être requise pour être acceptée au sein du groupe. C’est le cas par exemple pour Israël qui a demandé une preuve de descendance pour faire valoir les droits ethniques et civiques de la personne (cela a été institutionnalisé par la Loi du Retour). On peut aussi se retrouver attiré dans l’appartenance ethnique par mariage, par conversion, ou encore via des processus d’assimilation. Dans les pays tels que le Liban, Israël, les Territoires palestiniens ou la Turquie, la religion est une appartenance acquise à la naissance. Elle n’est pas, comme en Europe par exemple, quelque chose de laquelle on peut se séparer facilement car de l’ordre de la croyance seulement ou de la foi (bien qu’elle puisse être cela aussi), mais l’appartenance religieuse est également un fait communautaire et qui est, pour l’Autre (si ce n’est pour nous), un marqueur de notre identité. En Occident, il est possible d’entendre quelqu’un dire qu’il était catholique (par exemple), ou qu’il est devenu catholique. C’est quelqu’un qui revendique alors une croyance religieuse basée sur sa foi et qui n’a pas d’incidence majeure sur sa vie en tant que citoyen de la nation à laquelle il appartient. Au Proche-Orient, l’identité religieuse est acquise par naissance, et bien que l’on soit athée, ou agnostique, ce n’est pas une identité de laquelle on peut se séparer dans la communauté nationale. Un Juif en Israël ne dira jamais « lorsque j’étais juif », de même qu’un Libanais ne dirait jamais « lorsque j’étais chrétien » -ou « musulman » (nous ne parlons pas ici de conversions). On nait Juif, on nait Libanais maronite (ou autre), on nait Palestinien, on nait Turc (ou encore Kurde, ou encore Kurde-alévi, ou autre). © 2016 iPhilo et ses auteurs, tous droits réservés. L'ensemble des articles publiés dans le journal est accessible gratuitement sur le site iPhilo.fr. iPhilo - la philosophie en poche La première application de philosophie pour iPhone http://iphilo.fr Il n’est donc pas tant question ici de religion en tant que telle, de religion en tant que croyances, mais de religion en tant qu’appartenance communautaire, identitaire, celle qui se trouve étroitement liée à la nation, à l’identité nationale. n Une appartenance à la fois singulière, communautaire et politique Au Liban, le Libanais appartient d’abord à sa communauté, et la politique libanaise est fractionnée de façon à ce que toutes ses communautés soient visibles, représentées, et audibles. Les partis politiques sont également une émanation d’une voix confessionnelle particulière. Le nationalisme libanais est donc à nos yeux d’abord un nationalisme ethnique, qui se rattache au confessionnalisme de chaque individu. Un Libanais se reconnait d’abord en tant que Libanais « plus » (Libanais chiite, Libanais maronite, Libanais sunnite, Libanais catholique, etc.). En Israël les institutions politiques et sociales sont d’abord une affirmation identitaire de l’appartenance juive de la communauté. En ce sens, nous pouvons dire que l’ethnos est l’ethnie juive, majoritaire, qui revendique une origine commune, et le demos constitue toute la société israélienne, composée également d’autres ethnies, qui n’ont pas exactement les mêmes droits car n’appartiennent pas au peuple souverain de l’ethnos. Par ailleurs l’État israélien lui-même utilise le terme d’ethnie, d’abord pour différencier les Juifs entre eux (origine nationale des groupes ethniques juifs), et ensuite dans les papiers officiels d’identité, la nationalité (le’om, aussi traduisible par ethnie), distingue les différents groupes communautaires, Juifs, Arabes, Druzes, etc. (et récemment même des chrétiens arabes qui deviennent une nationalité/ethnie à part) Les Territoires palestiniens sont également imprégnés d’une appartenance ethnique prononcée. Les Palestiniens sont en effet très nationalistes, où qu’ils soient. Ils se rejoignent dans une même appartenance, surtout liée à la terre de Palestine. L’ethnie palestinienne est une appartenance communautaire au peuple Palestinien, à la terre de Palestine, et à l’existence encore fictive de l’État de Palestine. La religion musulmane fait également partie de cette ethnie, bien qu’on ne la juge que secondaire ; elle vient également comme marqueur identitaire, en opposition au peuple « Juif », et en symbolique affective pour le monde arabo-musulman. L’islam en tant qu’appartenance ethnique et identitaire nous semble plus appuyé en Turquie. D’abord, parce que la majorité nationale est musulmane, parce que cette religion est inscrite au sein même des institutions publiques (notamment les écoles et les universités publiques) et ce bien que l’État soit affiché laïc, qu’elle est financée et soutenue par ce dernier, et que celui-ci ne © 2016 iPhilo et ses auteurs, tous droits réservés. L'ensemble des articles publiés dans le journal est accessible gratuitement sur le site iPhilo.fr. iPhilo - la philosophie en poche La première application de philosophie pour iPhone http://iphilo.fr finance pas de la même façon les autres minorités confessionnelles (qui ne sont d’ailleurs pas forcément reconnues comme telles). L’islam semble donc confondu avec l’identité nationale turque. n La souveraineté de l’ethnos : démocratie ou ethnocratie ? La démocratie en place qui est la souveraineté du peuple dans les démocraties étudiées semble ainsi être la souveraineté de l’ethnos et non du demos. La souveraineté de l’appartenance communautaire du peuple, de son identité ethnique d’abord, au détriment d’une appartenance à un Etat national, à une identité nationale, civique. Il ne s’agit toutefois pas non plus d’ethnocratie (qui consiste au pouvoir absolu d’une ethnie sur d’autres ethnies), mais plutôt à notre sens de démocraties ethniques. Le problème restera toutefois celui des minorités qui n’appartiennent pas à l’ethnos majoritaire mais qui appartiennent au demos (c’est-à-dire que leurs membres sont quand même citoyens de droits de l’État). Nos démocraties sont donc des démocraties se basant sur l’ethnos (l’ethnie majoritaire est reconnue comme identité nationale, ou en d’autres termes l’appartenance ethnique est constitutive de la nation) et non sur le demos. Il ne s’agit pas toutefois à nos yeux non plus d’ethnocraties mais bien de démocraties, et c’est d’une part par leurs tentatives politiques de créer un Etat de droit démocratique, et d’autre part parce que le peuple enraciné dans son appartenance communautaire, son nationalisme (particulièrement religieux), (que ce peuple donc) cherche toujours à s’affirmer au sein de la nation au-delà des lois civiles, que l’on se permet d’affirmer que les démocraties étudiées sont des démocraties ethniques. Et c’est cette caractéristique bien particulière également qui semble les distinguer des démocraties occidentales. En conclusion, nous avons tenté pendant ces quelques lignes de vous montrer comment nous croyons en l’existence de démocraties bien propres à ces pays du Proche-Orient, que l’on a choisi de nommer démocraties ethniques, car fortement imprégnées d’appartenances communautaires, voire davantage basées sur celles-ci qui sont alors des identités ethniques difficilement altérables ou interchangeables. Ces démocraties, de par cette condition même de socle existentiel ethnique, connaissent des limites face à leurs minorités, qu’elles se doivent de reconnaitre pour avancer dans leur cheminement démocratique. [1] En grec, kratos signifie celui qui est fort, a la capacité de gouverner. © 2016 iPhilo et ses auteurs, tous droits réservés. L'ensemble des articles publiés dans le journal est accessible gratuitement sur le site iPhilo.fr. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)