SOCIOLOGIE DE L`ACTIVITÉ

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SOCIOLOGIE DE L'ACTIVITÉ
@L'Hannattan,2005
ISBN: 2-7475-8381-3
EAN: 9782747583817
Roland GUILLON
SOCIOLOGIE DE L'ACTIVITÉ
Une lecture critique de la globalisation
L'Harmattan
5-7, rue de l'École-Polytechnique
75005 Paris
France
L'Harmattan Hongrie
Hargita u. 3
1026 Budapest
HONGRIE
L'Harmattan Italia
Via Degli Artisti 15
10214 Torino
ITALlE
Logiques Sociales
Série Déviance
dirigée par Philippe Robert et Renée Zauberman
La série Déviance a pour vocation de regrouper des publications sur
les normes, les déviances et les délinquances. Elle réunit trois
ensemb les:
Déviance & Société qui poursuit une collection d'ouvrages sous
l'égide du comité éditorial de la revue du même nom;
Déviance-CESDIP qui publie les travaux du Centre de recherches
sociologiques sur le droit et les institutions pénales;
Déviance-GERN, enfin, qui est destinée à accueillir des
publications du Groupe européen de recherches sur les normativités.
DÉVIANCE-GERN
Groupement de recherche du Centre national de la recherche
scientifique, le GERN réunit une quarantaine de centres ou de
départements universitaires travaillant sur les normes et les déviances
dans huit pays européens.
Dernières parutions
Maria JAROSZ, Suicides, 2005.
Patrick
PERETTI- W A TEL, Cannabis,
ecstasy:
du
stigmate au déni, 2005.
Bernard DIMET, Enseignants et ordinateurs à l'aube de
la révolution Internet, 2004.
Amedeo COTTINO, Vie de clan. Un repenti se raconte, 2004
P. PONSAERS, V. RUGGIERO, La criminalité économique et
financière en Europe,. Economic and Financial Crime in
Europe, 2002.
S. GAYMARD, La négociation interculturelle chez les filles
franco-maghrébines,2002
Cécile
CARRA,
Délinquance juvénile
et quartiers
« sensibles », 2001.
Philippe ROBERT et Amedeo COTTINO (dir.), Les mutations
de lajustice: comparaisons européennes, 2001.
X. ROUSSEAU, S. DUPONT-BOUCHAT, C. VAEL (ed.),
Révolution etjustice pénale en Europe, 1999.
Mes remerciements vont à Daniel Bachet, Jérôme Ballet, Gérard
Desseigne, Jean-Pierre Durand, Michelle Durand, Madeleine
Figeat, Pierre Grou, Jean-François Lemettre, Jean Lojkine,
François-Régis Mahieu, Claude Serfati et Philippe Zarifian pour le
caractère stimulant de leurs discussions au fil des années.
Du même auteur, ouvrages en sciences sociales chez L'Harmattan
Classes dirigeantes et université dans la mondialisation, Logiques sociales, 2004
Environnement et emploi, Quelles approches syndicales? Logiques sociales, 1998
Formation continue et mutations de l'emploi, Logiques sociales, 2002
Recherches sur l'emploi, Eléments de sociologie de l'activité économique,
Logiques sociales, 1999
Regards croisés sur le capital social (coéditeur avec Jérôme Ballet), Ethique
économique, 2003
Syndicats dans les mutations et la crise de l'emploi (Les), Logiques sociales, 1997
Syndicats et mondialisation, Une stratification de l'action syndicale, Logiques
sociales, 2000
Tensions sur l'activité en Afrique de l'Ouest (Les), Une approche comparative
Nord-Sud, Ethique économique, 2004
Avant-propos
Cet ouvrage est un essai critique qui a pour objet l'activité en tant
qu'élément essentiel de l'action collective. Toute action collective
repose sur des groupes organisés et sur des institutions qui agissent
dans un environnement. En retour elle est aussi structurante de ce
même environnement dont les éléments sont disposés, agencés - et
même articulés - dans un espace de plus en plus large. Cet espace
est défini par le concept de globalisation.
Le propos de cet ouvrage est donc de revenir sur différents concepts
de la sociologie, afin d'en éprouver le sens en regard de cette
dynamique actuelle qu'est la globalisation. Avec pour corollaire
d'en tester les relations avec plusieurs autres corpus de disciplines
comme les sciences économiques ou les sciences politiques. Parmi
ces concepts on retrouvera notamment des notions les plus
classiques en sociologie comme celles d'institution,
de
communauté, de rapports sociaux. Ou encore cette dualité de
l'individuel et du collectif, et, bien sûr, le concept de classe sociale.
Avec d'autres encore que la globalisation met en cause comme le
concept de progrès, ou fait émerger comme celui de réseau.
Ainsi nous évoquerons d'abord deux concepts, celui d'institution et
celui de communauté, parce qu'ils sont les plus perceptibles au
regard de l'analyste. Nous en aborderons ensuite d'autres qui se
laissent plus difficilement appréhender, mais qui ont une portée
plus déterminante en termes de dynamique ou de structure. Ce sont
la division sociale du travail, les rapports sociaux et les classes
sociales, avec aussi un retour sur la dichotomie entre individuel et
collectif.
Pour chaque concept, nous soulèverons plusieurs thèmes qui ont
fait l'objet des travaux des grands auteurs, pour les mettre en
perspective avec les traits de la globalisation. L'un d'entre eux est
l'émergence de nouvelles formes de réseaux qui marquent
fortement les rapports entre l'individuel et le collectif dans les
cadres nationaux et internationaux de la division du travail. Ces
réseaux perturbent fortement les formes de régulation publique.
Sans toutefois être en mesure de les remplacer. Ce qui laisse
ouverte la question des formes à venir que celle-ci peut prendre.
Précisons bien que sous le terme d'activité, nous ne désignons pas
tous les comportements humains, mais ceux qui font partie des
rapports sociaux de production et d'échange. Ajoutons que
travaillant exclusivement sur les rapports entre l'activité ou l'action
collective et les procès de la globalisation, nous ne prétendons pas
couvrir l'ensemble des agents ou des institutions. Nous ne
retiendrons que ceux qui en constituent les animateurs ou les
promoteurs. Le lecteur ne trouvera donc pas trace dans notre exposé
des cohortes d'exclus ou de laissés-pour-compte que produisent
aussi les rapports sociaux globalisés. D'autre part, nous n'adhérons
pas aux problématiques franco-françaises - qui pour répondre à une
montée du chômage de masse depuis trois décennies - ont tenté
d'opposer le travail, l'emploi et l'activité. Ni à cette démarche
connexe qu'est un projet politique visant à substituer à la notion de
plein-emploi celle plus flexible et plus restrictive de pleine-activité.
Car cette dernière met sur le même plan les périodes de chômage et
celles de formation, les périodes d'emploi à temps partiel et celles
d'emploi à temps plein pour établir des équivalences en matière de
droits et d'indemnisation.
Privilégiant une approche structurale, rationnelle et positive de
l'activité, nous cherchons à en fixer les dimensions objectives que
structurent différents procès. Tout en n'écartant pas pour autant les
dimensions subjectives qui mobilisent les agents. Nous tenons
8
compte ainsi des valeurs qu'assument de manière parfois
surprenante certains agents. C'est notamment le cas des paradigmes
messianiques que mettent en avant des pouvoirs parmi les plus
puissants de notre planète pour expliquer leur politique. Ces
paradigmes manifestent un sentiment religieux. Sentiment dont
l'essence est multiple, puisqu'elle revient à appréhender la réalité
du monde en termes de transcendance, de rapports sociaux et
politiques. Ou en d'autres termes à instrumentaliser le religieux par
le politique. Ajoutons - en regard d'un retour du religieux dans la
littérature sociologique actuelle - que nous n'évoquerons que
certaines croyances ou certains rites communautaires parce qu'ils
animent des activités ou des réseaux.
Enfin nous tenons à avertir le lecteur que notre essai ne prétend
aucunement prévoir l'avenir de l'activité à l'échelle de la
globalisation. Cette dernière reste encore un phénomène inachevé,
comme le montrent une simultanéité de procès convergents, en
même temps qu'une permanence de facteurs de différenciation.
Nous souhaitons surtout proposer une grille de lecture qui, tout en
s'appuyant sur la littérature sociologique, ne soit pas strictement
académique, mais fasse écho aux débats de notre société. Dans cet
esprit, nous garderons le souci de spécifier le plus largement
possible les dimensions de l'activité en tant qu'éléments d'une
dynamique sociale qui est projetée à l'échelle supranationale. Cette
projection est opérée par des agents et des institutions dont
l'ancrage dans le capitalisme est universel. Ce qui n'exclut pas pour
autant des variantes dans les manières dont ils assument cet
ancrage. Nous reviendrons ainsi en conclusion sur les rapports entre
l'économique, le politique et l'idéologique qui en constituent le
socle. Nous évoquerons aussi cette dimension qu'est la culture, et
qui agit sur les trois dimensions précédentes en tant que médium.
Le terme de médium marque le caractère à la fois symbolique et
implicite des croyances que mobilise un groupe ou une
communauté. Puis nous ferons une distinction entre plusieurs
termes qui servent à désigner les espaces supranationaux. Pour
aborder in fine ce défi à relever pour une sociologie de la
globalisation qu'est d'apprécier les rapports entre deux modes
9
d'appartenance des agents sociaux que sont les classes sociales et
les communautés, et que nombre de postures à la mode aujourd'hui
ont tendance à refouler. Notre travail représente un prolongement et
une extension de nos recherches sur l'emploi. Car celles-ci restaient
inscrites dans le cadre national. Traitant de l'activité à travers trois
paradigmes - le marché du travail, le territoire et le développement
durable -, nous n'avions qu'esquissé pour le troisième paradigme la
perspective d'une globalisation (Guillon 1999).
10
Qu'est-ce que le social?
Telle est la question que nous posons en guise d'introduction. Le
social est le vecteur ou le filtre de l'action collective dont les
formes sont inscrites dans la dynamique des systèmes et des
structures d'activité.
Sous le terme d'action collective nous entendons toute action qui
implique plusieurs agents dans des relations collectives. Que cellesci soient ancrées ou non sur des projets collectifs. Projets
manifestes et parfois latents que portent des groupes sociaux ou des
instituti ons.
La notion d'agent revient à définir chaque individu comme membre
d'un groupe social ou d'une institution, ainsi qu'à le positionner sur
des fonctions. Un même agent appartient à plusieurs groupes et
institutions. Membre d'une famille plus ou moins étendue, occupant
ou non un ou plusieurs emplois, adhérant ou non à un syndicat, à
une association, ses interventions seront différentes selon les
fonctions de chaque groupe ou de chaque institution. Mais aussi
selon la place qu'il occupe dans une hiérarchie de rôles et de statuts.
En fait, qu'il en soit conscient ou non, tous les groupes et toutes les
institutions d'un même agent forment système. Système d'action et
de projets qui le mettent en situation de construire un ensemble de
relations pour mener ses activités. De telles relations sont tantôt
volontaires, tantôt involontaires. Elles s'inscrivent dans des cadres
qui sont plus ou moins strictement organisés. Et elles sont aussi
soumises à l'autorité d'un pouvoir. C'est pourquoi nous souscrivons
à l'analyse durkheimienne selon laquelle les conduites et les
pensées de tout agent sont douées d'une puissance impérative. A
condition que cet agent agisse dans le cadre d'un groupe, d'une
institution ou d'une assemblée qui cristallisent des croyances et des
pratiques collectives. Par collectives il ne faut pas entendre
seulement qu'elles sont partagées ou communes à des collectifs
d'agents, mais qu'elles sont aussi transmissibles (Durkheim 1990).
Ce caractère impératif des conduites représente une forme
d'extériorité que nous évoquerons plus loin à propos des rapports
sociaux.
Nous tenons également à marquer que toutes ces activités ou
relations ont un lien direct ou indirect avec la sphère de production
et d'échange. A l'appui de cette thèse, nous rappellerons les
enseignements que tirait un auteur des travaux anthropologiques sur
l'activité des sociétés de chasseurs-cueilleurs. Celui-ci soulignait
qu'on y relevait des modes d'appropriation sociale de la nourriture.
Il précisait qu'il y avait là une forme de mobilisation consciente et
collective pour organiser l'approvisionnement en vivres d'une
société tribale. Cette mobilisation suivait des rites pour améliorer et
réguler les rapports avec la nature. Et elle devenait idéologique
lorsque des conflits éclataient entre les membres de la tribu
(Mandel 1962). Ce rapport de l'activité avec la sphère de
production et d'échange a marqué les débuts de l'Histoire. Il
correspond au moment où les agriculteurs ont produit des récoltes,
les ont stockées et distribuées. C'est alors qu'ont émergé des
structures d'activité organisées pour gérer les surplus de ces
récoltes. Cette phase a aussi singularisé et complexifié les formes
du pouvoir politique et religieux. Ainsi se sont développées des
formations sociales composées de groupes et d'institutions dont les
fonctions se sont spécialisées. L'archéologie a permis de
reconstituer toutes les étapes de cette évolution grâce à de multiples
indices. Ce sont ces concentrations d'habitat rural qui ont succédé
aux formes élémentaires d'abri pour devenir les premières cités.
Des structures d'organisation communautaire ont mené des travaux
d'irrigation, et ont mis en commun les récoltes dans des greniers
publics. Simultanément les autorités tribales ou claniques ont
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évolué pour aboutir à la figure politico-religieuse du chef
héréditaire puis à celle du roi-prêtre. Chacune de ces étapes a été
rythmée par la confection d'une multiplicité de codes et de rites
réglant l'activité, symbolisés par les formes d'architecture du palais
et du sanctuaire (Philippe 1969).
Dans cette perspective nous situons toute activité de production et
d'échange en termes de lien social, et nous rejetons toute distinction
entre le social et l'économique. Nous considérons celle-ci comme
du nominalisme sur le terrain des sciences sociales, ou comme le
signe d'un projet tactique de la part des agents sociaux. Ainsi les
politiques macroéconomiques sont-elles différenciées des politiques
sociales par les gouvernements, par les employeurs, par les
actionnaires et même par les syndicats. Les uns et les autres
contribuent ainsi à conforter l'idée que les politiques sociales sont
dépendantes des politiques macroéconomiques. Ce qui signifie au
moins deux choses. La première est que les mesures sociales
nécessitent des moyens qui dépendent de la valeur ajoutée des
activités de production et d'échange. La seconde est que la
défmition des politiques sociales reste soumise aux critères de choix
des politiques économiques. Selon que les unes et les autres
touchent telle ou telle catégorie d'agents, les moyens alloués seront
différents. Notre rejet de toute différence d'essence entre le social et
l'économique ne veut pas dire pour autant que nous nions le poids
des traditions épistémologiques qui distinguent ces deux disciplines
que sont la sociologie et l'économie. Cependant les rapports entre
celles-ci relèvent en fait souvent moins de différences d'objets que
de méthodes qui opposent ceux qui adoptent les thèses de
l'individualisme
méthodologique
contre
toute
approche
structuraliste, ou ceux qui défendent une orthodoxie contre toute
démarche hétérodoxe. Bien souvent les sociologues qui analysent
les travaux des économistes n'y voient qu'une domination de
l'orthodoxie et de l'individualisme méthodologique. Si bien que le
programme de cette discipline qu'est la sociologie économique se
définit comme une critique d'une théorie économique standard, et
reste posé au confluent de la sociologie et de l'économie. Et se
plaçant dans cet entre-deux, il ne prétend plus qu'à améliorer et à
équilibrer leurs rapports. Il tend in fine à insister sur le caractère de
13
construction sociale qu'ont les rapports de production et les
relations marchandes (Steiner 1999). Un tel programme pour ne pas
rester trop empreint de formalisme, doit réintégrer au premier plan
les enjeux sociaux qui animent ces rapports et ces relations. Un
concept résume bien la nature des enjeux que cherchent à décrypter
tant l'économie que la sociologie. C'est celui de valeur. Valeur des
choses, valeur des actes et de leurs produits - biens ou services,
mais aussi rentes de situation - matérielles ou symboliques. Nous
reviendrons sur cet aspect lorsque nous aborderons les différentes
formes de capital que mobilisent les agents et leurs réseaux. De
telles mobilisations impliquent des formes d'équivalence entre les
valeurs, qui sont elles-mêmes liées à la reconnaissance d'une place
ou d'une autorité dans un ensemble de statuts sociaux hiérarchisés.
Mais si l'activité économique est le creuset des rapports entre
agents ou groupes sociaux dans le cadre d'institutions et de
structures d'organisation, une partie seulement de ces dernières est
formellement spécifiée en termes de facteurs de production. C'est le
cas de toutes ces formations que sont les entreprises, les
établissements ou les secteurs d'activité. Une telle spécificité
formelle des activités de production ou d'échange ne signifie pas
pour autant l'autonomie d'une partie de la société qu'on appelle
économie par rapport à d'autres secteurs d'activité - tels le
politique, le travail social ou la culture - dont les fonctions seraient
de socialiser les agents. L'activité économique mobilise des projets
et des moyens qui sont le fondement des rapports sociaux, dans la
mesure où ils structurent des pouvoirs et agissent sur la
reproduction sociale. Ces projets et ces moyens constituent
l'essentiel de cette forme d'activité humaine - continue et orientée
- qu'on appelle le travail. Activité d'autant plus fondamentale
qu'elle mobilise plusieurs logiques essentielles de toute condition
humaine: le désir, la satisfaction des besoins, la quête de
reconnaissance. Celle-ci est aussi spécifiquement organisée dans
des cadres dont les fonctions sont de définir et de répartir le travail
en unités significatives. Ces dernières sont spécialisées et
hiérarchisées en termes de qualification, d'autorité et de
rémunération. Elles constituent, par exemple, ces ensembles de
tâches et d'emplois institutionnalisés comme une profession, un
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métier ou une convention collective. Elles portent la marque de
classifications, de règles et de procédures qui résultent d'une
confrontation entre les employeurs, les salariés et l'Etat.
Nombre de sociologues ont traité ces éléments en les inscrivant
dans des systèmes et des structures à l'échelle d'un Etat-nation, et
plus rarement, à celle de la globalisation. C'est à ce propos que
nous préciserons le sens de la globalisation, et que nous
introduirons une autre notion, celle de palier institutionnel.
La globalisation - dont le sens équivaut à celui de mondialisation est un concept qui désigne la diffusion accélérée et l'extension d'un
ensemble de procès dont la dynamique est polarisée sur les rapports
de production et d'échange. Ces procès couvrent des technologies,
des formes d'organisation de la production et des échanges. Ils
touchent aussi les modes d'investissement et de mobilisation des
capitaux. Ils concernent encore plus directement plusieurs
phénomènes comme la multinationalisation des grandes entreprises,
une circulation plus rapide des technologies et des capitaux. Soient
autant de procès convergents qui ont des incidences d'ordre
institutionnel, depuis la constitution de réseaux multiples - firmesréseaux, nouveaux investisseurs institutionnels - à l'échelle
transnationale jusqu'à la formation de nouvelles fonnes d'autorité
et de pouvoir - concurrentes et/ou complémentaires d'autres formes
plus classiques comme les Etats-nations ou les unions régionales
et/ou continentales - sur lesquelles nous reviendrons.
La globalisation n'est pas seulement un discours. Mais elle
recouvre bien une réalité qui est en marche depuis les années
soixante-dix - si l'on prend en compte la multinationalisation des
firmes -, et qui s'est même accélérée à partir des arlnées quatrevingt, si l'on tient compte de la globalisation financière (Michalet
2002). A tel point que ce phénomène ne se réduit plus ni aux
relations internationales entre Etats, ni aux économies-mondes du
passé. Les relations internationales concernaient des Etats ou des
nations dont les économies étaient plus ou moins spécialisées. Elles
étaient concomitantes et porteuses d'échanges marchands. Les
économies-mondes, au sens braudélien, formaient chacune un
ensemble cohérent qui dominait un espace de la planète. Elles
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pouvaient ménager des rapports avec d'autres économies-mondes
(Braudel 1985).
La globalisation représente une dynamique d'émergence de
nouveaux réseaux multinationaux auxquels participent à des degrés
divers une pluralité d'agents et d'institutions. L'impact de tels
réseaux sur l'activité est bien plus intense et bien plus étendu que
par le passé. Même si cette intensité ou cette étendue sont variables
selon les procès. Ainsi la multinationalisation des firmes et la
globalisation fmancière ne touchent singulièrement que la partie certes importante de la planète - que sont les pays économiquement
développés ou émergents. Alors que la globalisation du commerce
irrigue toute la planète. Mais les unes comme les autres agissent sur
les projets et les structures de la planète entière. Elles marquent
l'essor et la diffusion de grands programmes politiques. Ces
derniers sont des programmes d'ajustement à l'échelle des
économies nationales de tous les pays développés, émergents ou en
développement. La globalisation n'est pas un système qui tombe du
ciel. Mais elle est bien la résultante d'une conjonction de projets
que portent des agents et des institutions. Ces agents et ces
institutions sont internationaux, nationaux, mais aussi locaux.
Enfin, la globalisation est une dynamique qui révèle à la fois des
convergences et des différences dans les rapports sociaux. Et c'est
bien cette double nature qui en fait toute la complexité. Nous
reviendrons dans cette étude sur le fait qu'elle cristallise des modes
de production et de reproduction, des modes de domination dont la
dynamique couvre une pluralité de moyens et de formes
d'investissement au nom de valeurs dont une partie seulement est
convergente. La globalisation n'est donc pas un mouvement
d'uniformisation des cultures (Martin, Metzger, Pien.e 2003). La
globalisation impulse de nouvelles formes de régulation sans être en
mesure cependant de marquer une nouvelle étape significative ni en
matière de division internationale du travail, ni en matière de
régulation publique. Ceci rend difficile toute appréciation tranchée
sur le sens d'une telle mutation historique. Et, de ce point de vue,
une question essentielle - que nous aborderons en fin d'ouvrage est celle des pouvoirs et des contre-pouvoirs (Beck 2003). Ce qui
implique deux choses pour étudier l'activité. La première est d'en
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recenser les formes et les ressorts institutionnels, afin d'en décliner
les rapports à l'échelle d'une pluralité d'espaces. La seconde est
d'éviter tout a priori sur le poids respectif des institutions que sont
les Etats, les firmes-réseaux, les investisseurs institutionnels, ou sur
le caractère - économique, politique, idéologique ou éthique - de
ces mêmes institutions.
Nous tenons aussi à apporter une précision à propos de l'usage que
nous faisons d'une notion, celle de palier institutionnel. Celle-ci
vise à marquer le caractère structuré et hiérarchisé des institutions.
Même si le terme de palier a été retenu pour stratifier la réalité
microsociale, un sociologue comme Georges Gurvitch l'a décliné
pour distinguer de multiples formes de sociabilité en ménageant des
transitions avec les structures sociales que sont les groupes sociaux,
les classes sociales et des ensembles sociétaux plus larges (Gurvitch
1963). Les formes de sociabilité sont des éléments constitutifs du
lien social. En d'autres termes, une personne affirme sa singularité
individuelle et collective dans ses rapports aux autres. Elle le fait de
manière interactive et dialectique dans le cadre des institutions et
des groupes. Son moi rencontre autrui pour constituer un nous
communautaire. A l'inverse ils peuvent s'opposer dans le cadre ou
à l'extérieur de cette même communauté. Ces relations sont
interpersonnelles et/ou collectives. Et elles sont empreintes d'affect
et/ou de normes institutionnelles.
Le recours à cette notion de palier nous aidera aussi à mettre
l'accent sur deux aspects dynamiques de la globalisation. Le
premier est que cette dernière élargit le champ des rapports entre
agents ou groupes sociaux à de multiples niveaux d'échelle, infra et
supranationaux: local, régional, national, régional-continental,
intercontinental, mondial. Le second est qu'elle contribue à les
complexifier, dans la mesure où ces rapports mettent en cause pour
les agents de multiples normes et fonctions propres à chaque groupe
d'appartenance ou institution de référence. On peut évoquer ainsi
des groupements politiques que sont les sommets de l'appareil
d'Etat ou les partis, ou cette pluralité de groupes que l'on classe
dans le champ de la société civile (entreprises, syndicats,
associations, ou encore un spectre de groupes communautaires,
17
ethniques et religieux). Groupes pour lesquels et entre lesquels les
rapports en termes d'autorité, de domination ou de coopération sont
multiples, et dont les ressorts pour mettre en valeur des ressources
le sont tout autant. Néanmoins la globalisation opère certaines
formes de sélection au sein d'une telle complexité de groupes et
d'institutions, comme le montre une montée sans précédent des
paliers institutionnels de gestion économique et financière. Soient
autant de segments organisés en matière d'allocation et de mise en
valeur des ressources sur lesquels nous allons revenir.
Ajoutons encore que lorsque nous parlons de paliers institutionnels
de gestion ou d'allocation de ressources, nous ne les situons pas
seulement en termes de management. Nous faisons intervenir aussi
des modes de production et des procès d'accumulation de plusieurs
sortes de capitaux que nous évoquerons tout au long de cet ouvrage.
Enfin, privilégiant l'action collective à partir d'une entrée par les
institutions, nous tenons à insister sur le fait que nous ne laissons
pas pour autant de côté la question de la rationalité, notamment
celle de l'utilité qui animent les agents. Nous n'en donnerons pas de
définition a priori pour ne pas la figer. Nous considérons les
rapports d'activité comme une dynamique dialectique entre
l'individuel et le collectif, entre la coopération et le conflit. Nous
laissons donc ouvertes des questions comme celles des critères ou
des valeurs que retiennent les agents pour définir et situer leur
intérêt, individuellement et collectivement. C'est dire que nous
refusons deux sortes de lectures. L'une selon laquelle tous les
agents et à tout moment rechercheraient un profit et la
maximisation d'une utilité. Et l'autre qui verrait dans toute activité
la marque d'un combat systématique entre des groupes d'intérêt ou
des pouvoirs. Restant cependant convaincus du caractère structurant
qu'ont les institutions et les collectifs, nous chercherons à le mettre
en valeur pour chaque pôle d'activité.
18
1. Les institutions
Le concept d'institution est commun à plusieurs sciences sociales,
la sociologie et l'économie, mais aussi la gestion, les sciences
politiques ou l'anthropologie. Il matérialise le caractère formalisé et
ordonné des pratiques collectives et des rapports d'activité. Ces
derniers sont d'abord appréhendés à travers des entités, depuis une
entreprise et ses unités jusqu'aux ensembles qui sont habilités à
réglementer l'activité comme une administration ou un
gouvernement. Au-delà de leur caractère formalisé ces institutions
ont une dynamique pour fixer et réaliser leurs objectifs. Ce sont des
systèmes et des structures d'action collective organisés dont le
champ est celui d'une société globale. Chacun d'eux est un
ensemble de fonctions et de normes dont une large part revêt un
caractère hiérarchisé qui marque l'impact d'une dimension, la
légitimité. Les institutions sont le cadre des rapports entre des
agents qui cherchent à y affmner, conforter et/ou étendre leur
activité. Et ces agents mobilisent des modes de compréhension et
des technologies pour appréhender et maîtriser leur environnement,
ainsi que réguler leurs rapports aux autres agents. Tous ces agents
s'appuient sur des normes dont une partie est idéologique ou
imaginaire. Le fait que certaines fonctions et certaines normes de
régulation traversent nombre d'entités d'activité leur confère un
statut d'institution. C'est le cas notamment des fonctions de
coordination et de coopération. Nous retrouvons ainsi une
distinction opérée entre deux sortes d'institutions, les institutions-
groupes et les institutions-choses. Les secondes correspondant aux
cadres normatifs et réglementaires des premières (Gurvitch 1963).
Etablies explicitement depuis les Temps modernes dans le cadre de
l'Etat-nation, - après l'avoir été dans d'autres cadres comme une
tribu, une cité ou un Empire, en passant par une pluralité d'unités
féodales -, les institutions ont été projetées à une échelle
supranationale. Cela fi' est pas sans conséquence comme le montre
l'impact qu'ont les institutions intergouvernementales de notre
époque à travers leur pratiques et cette doctrine qu'est l'ajustement
structurel que nous développerons.
Nous
introduirons
ensuite
divers
éléments
d'éclairage
complémentaire sur le terrain du fonctionnement des institutions.
Ce dernier touche une dimension importante des organisations, la
coordination, qui a été un thème d'étude de l'économie
institutionnelle. La coordination peut être transposée à une échelle
plus vaste, celle d'une coopération entre plusieurs institutions. Elle
soulève alors la question de leur régulation. Cette question est un
moyen de marquer les liens qui existent entre l'organisation et les
dimensions statutaires de l'activité. Elle soulève les problèmes que
représentent les atteintes portées aux réglementations nationales du
travail et de l'emploi, ainsi que les écueils que rencontrent les
projets qui visent à hisser ces réglementations à une échelle
internationale. Ajoutons que ce passage entre coordination et
coopération, ou, en d'autres tennes, entre coûts d'organisation et
régulation réintroduit une perspective d'économie politique dans
l'approche institutionnelle.
Enfm, précisons encore que la notion d'institution, tout en faisant
apparaître une partie de la réalité sociale, n'en constitue pas pour
autant une clé de lecture aussi essentielle que d'autres concepts
comme celui de rapports sociaux qui fera l'objet d'un chapitre
suivant.
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