N° d’ordre : ANNÉE 2016 THÈSE D'EXERCICE / UNIVERSITÉ DE RENNES 1 FACULTÉ DE PHARMACIE sous le sceau de l’Université Européenne de Bretagne THÈSE EN VUE DU DIPLÔME D'ÉTAT DE DOCTEUR EN PHARMACIE présentée par Claire Arnoult né(e) le 13 novembre 1991 à Saint-Malo ________ Intitulé de la thèse : Thèse soutenue à Rennes le 27 janvier 2016 devant le jury composé de : Suivi thérapeutique pharmacologique Anne GOUGEON Professeur des Universités à l'UFR de pharmacie du ganciclovir dans la prise en charge Rennes 1 et Praticien Hospitalier au CHU de Rennes / Président du cytomegalovirus : faut-il réévaluer Charlotte PRONIER Docteur en pharmacie, assistante Hospitalola zone thérapeutique ? universitaire au CHU de Rennes et à l'Université de Résultats d'une étude préliminaire Rennes 1/ Juge Pierre FILLATRE menée au CHU de Rennes. Docteur en médecine, chef de clinique et assistant des hôpitaux au CHU de Rennes / Juge Florian LEMAITRE Docteur en pharmacie, assistant Hospitalo-universitaire au CHU de Rennes et à l'Université de Rennes 1 / Directeur de thèse 2 UNIVERSITE DE RENNES 1 FACULTE DES SCIENCES PHARMACEUTIQUES ET BIOLOGIQUES LISTES DES ENSEIGNANTS-CHERCHEURS ANNEE 2015-2016 PROFESSEURS 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 BOUSTIE BURGOT DONNIO FAILI FARDEL FELDEN GAMBAROTA GOUGEON LAGENTE LE CORRE LORANT (BOICHOT) MOREL SERGENT SPARFEL-BERLIVET TOMASI URIAC VAN DE WEGHE VERNHET Joël Gwenola Pierre Yves Ahmad Olivier Brice Giulio Anne Vincent Pascal Elisabeth Isabelle Odile Lydie Sophie Philippe Pierre Laurent PROFESSEURS ASSOCIES 1 BUREAU 2 DAVOUST Loïc Noëlle PROFESSEURS EMERITES 1 CILLARD Josiane 3 MAITRES DE CONFERENCE 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 ABASQ-PAOFAI ANINAT AUGAGNEUR BEGRICHE BOUSARGHIN BRANDHONNEUR BRUYERE BUNETEL CHOLLET-KRUGLER COLLIN CORBEL DAVID DELALANDE DELMAIL DION DOLLO GILOT GOUAULT HITTI JEAN LECUREUR LE FERREC LE PABIC Marie-Laurence Caroline Yoann Karima Latifa Nolwenn Arnaud Laurence Marylène Xavier Jean-Charles Michèle Olivier David Sarah Gilles David Nicolas Eric Mickaël Valérie Eric Hélène 24 LEGOUIN-GARGADENNEC Béatrice 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 Françoise Corinne Jacques Liza Fanny Marie-Laure Normand Sophie Jacques Astrid LOHEZIC-LE DEVEHAT MARTIN-CHOULY MINET MOURET-PLEIBER NOURY PINEL-MARIE PODECHARD POTIN RENAULT ROUILLON ASSISTANT HOSPITALO-UNIVERSITAIRE (AHU) 1 GICQUEL Thomas ATER 1 SMIDA 2 PASCREAU 3 SAVARY Imen Gaëtan Camille 4 Remerciements J'adresse mes remerciements les plus sincères, A Madame le Professeur Anne Gougeon, pour avoir accepté de présider mon jury et pour votre enseignement reçu à la faculté. A Monsieur le Docteur Florian Lemaitre, Directeur de thèse, pour m'avoir accueilli en stage hospitalo-universitaire au laboratoire de pharmacologie du CHU de Rennes et pour m'avoir guidé dans la réalisation de ce travail. Votre sympathie, vos conseils et votre soutien m'ont été précieux. Je vous suis également reconnaissante pour le temps que vous m'avez accordé et pour votre relecture méticuleuse. A Madame le Docteur Charlotte Pronier, pour avoir accepté de participer à mon jury de thèse, pour l'intérêt que vous avez porté à mon travail et pour votre grande disponibilité. A Monsieur le Docteur Pierre Fillatre, pour avoir accepté de participer à mon jury de thèse et pour l'intérêt que vous avez porté à mon travail. A Monsieur Cyril Leven, pour sa disponibilité, ses connaissances et son aide précieuse dans la réalisation des parties statistiques de ce projet. A l'ensemble de l'équipe du laboratoire de pharmacologie, pour m'avoir accueilli dans leur service lors de mon stage hospitalo-universitaire de 5 ème année de pharmacie et pour leur gentillesse. 5 Cette thèse représente l’aboutissement de mes études de pharmacie, c’est pourquoi je tiens à adresser mes remerciements à toutes les personnes qui m’ont accompagné tout au long de mon parcours. A Madame le Docteur Anne GOUBIN et à l'ensemble de l'équipe officinale de Saint Méloir des Ondes, Emmanuelle, Florence, Patricia, Lucille et Yvonnick, pour m'avoir fait partager leurs connaissances et pour la confiance qu'ils m'ont accordée. J'ai beaucoup appris à leurs côtés et ils m'ont donné le goût de travailler dans le milieu officinal. Leur gentillesse, leur sympathie et leur soutien pendant la réalisation de cette thèse et lors du stage de 6 ème année m'ont été très précieux. A mes parents, pour m'avoir permis de faire des études et pour m'avoir toujours soutenu lors de ces six années. A mon frère, pour sa participation à mes révisions, pour m'avoir soutenu et changé les idées quand c'était nécessaire. A Tatiana, pour son investissement, sa relecture méticuleuse et ses conseils très précieux. A l'ensemble de ma famille, grands-parents, oncles, tantes, cousins et cousines, pour leur soutien, leurs encouragements et leur présence. J'ai beaucoup de chance d'avoir une famille si unie autour de moi et je vous remercie d'être là dans tous les moments importants. Enfin, à mes amies Eloïse, Anne et Sarah pour tous les souvenirs partagés lors de ces années d'études. 6 Table des matières Remerciements ..................................................................................... 4 Liste des abréviations........................................................................... 9 Liste des figures et tableaux .............................................................. 13 Introduction ......................................................................................... 16 PARTIE 1: Généralités ........................................................................ 19 1. Histoire naturelle du Cytomegalovirus ........................................................... 20 1.1. Classification ......................................................................................... 20 1.2. Structure générale ................................................................................ 21 1.3. Génome viral......................................................................................... 24 1.4. Cycle de multiplication .......................................................................... 26 1.4.1. Tropisme et entrée du virus ............................................................ 26 1.4.2. Cycle de réplication ........................................................................ 28 1.4.3. Dissémination hématogène ............................................................ 31 1.4.4. Latence........................................................................................... 32 1.4.5. Réactivation.................................................................................... 32 1.5. Epidémiologie ....................................................................................... 32 1.6. Manifestations cliniques ........................................................................ 34 1.6.1. Infection chez le patient immunocompétent ................................... 35 1.6.2. Infection chez le patient immunodéprimé ....................................... 35 1.6.3. Infection congénitale....................................................................... 37 1.6.4. HCMV et cancer ............................................................................. 37 1.7. 1.7.1. Mise en place de l'immunité innée et adaptative ............................ 38 1.7.2. Echappement du HCMV au système immunitaire .......................... 40 1.8. 2. Réponse immunitaire au HCMV............................................................ 38 Diagnostic ............................................................................................. 41 1.8.1. Méthodes de diagnostic.................................................................. 41 1.8.2. Stratégies diagnostiques ................................................................ 43 Prise en charge thérapeutique et suivi de la pathologie ................................. 45 2.1. Molécules antivirales ............................................................................. 45 2.1.1. Le ganciclovir (GCV) et le valganciclovir (VGCV) ........................... 46 7 2.1.2. Le foscarnet (FOS) ou phosphonoformate (PFA) ........................... 50 2.1.3. Le cidofovir (CDF) .......................................................................... 51 2.1.4. L'aciclovir (ACV) et le valaciclovir (VACV) ...................................... 52 2.1.5. Les immunoglobulines intraveineuses ............................................ 54 2.2. Stratégies thérapeutiques ..................................................................... 55 2.2.1. Traitement préventif........................................................................ 55 2.2.1.1. Le traitement prophylactique ....................................................... 55 2.2.1.2. Le traitement préemptif ............................................................... 57 2.2.1.3. Traitement prophylactique versus traitement préemptif .............. 58 2.2.1.4. Rôle du traitement immunosuppresseur post-greffe ................... 59 2.2.1.5. Prévention de l'infection materno-foetale .................................... 60 2.2.2. Traitement curatif ........................................................................... 60 2.2.2.1. Prise en charge de l'infection materno-foetale ............................ 60 2.2.2.2. Prise en charge du patient infecté par le VIH .............................. 61 2.2.2.3. Prise en charge du patient transplanté ........................................ 63 2.3. Suivi de la pathologie ............................................................................ 64 2.3.1. Le suivi clinique .............................................................................. 64 2.3.2. Le suivi virologique ......................................................................... 65 2.3.3. Le suivi biologique .......................................................................... 65 2.3.4. Le suivi immunologique .................................................................. 66 2.3.5. Le suivi pharmacologique ............................................................... 67 2.4. Résistance aux traitements ................................................................... 67 2.4.1. Facteurs de risques ........................................................................ 68 2.4.2. Mécanismes de résistance ............................................................. 68 2.4.3. Diagnostic....................................................................................... 70 2.4.3.1. Méthodes phénotypiques ............................................................ 70 2.4.3.2. Méthodes génotypiques .............................................................. 71 2.4.4. 2.5. Adaptation du traitement ................................................................ 72 Perspectives thérapeutiques ................................................................. 74 2.5.1. Molécules en cours d'évaluation..................................................... 74 2.5.1.1. Maribavir ..................................................................................... 74 2.5.1.2. Letermovir ................................................................................... 75 2.5.1.3. Brincidofovir ................................................................................ 76 8 2.5.1.4. Leflunomide................................................................................. 77 2.5.1.5. Artesunate ................................................................................... 78 2.5.2. 3. Vaccin anti-CMV ............................................................................. 78 Suivi thérapeutique pharmacologique (STP) ................................................. 81 3.1. Définition ............................................................................................... 81 3.1.1. Le STP : c'est quoi ? ...................................................................... 81 3.1.2. Indications du STP ......................................................................... 83 3.1.3. Les molécules éligibles au STP ..................................................... 84 3.1.4. Précautions d'utilisation .................................................................. 85 3.1.5. Intérêts et limites ............................................................................ 87 3.1.6. Exemples d'utilisation ..................................................................... 88 3.2. Suivi thérapeutique pharmacologique du ganciclovir ............................ 88 3.2.1. Intérêt ............................................................................................. 88 3.2.2. Indications ...................................................................................... 93 3.2.3. Précautions d'utilisation .................................................................. 94 3.2.4. Cibles thérapeutiques ..................................................................... 94 PARTIE 2 : Etude au CHU de Rennes ................................................ 96 Conclusion ........................................................................................ 108 Bibliographie ..................................................................................... 111 9 Liste des abréviations ACV : Aciclovir ADN : Acide DesoxyriboNucléique AMM : Autorisation de Mise sur le Marché AP-1 : Activator Protein-1 ATU : Autorisation Temporaire d'Utilisation AUC : Area Under the Curve CCMV : Cytomégalovirus du chimpanzé CDF : Cidofovir CHU : Centre Hospitalo-Universitaire CI50 : Concentration Inhibitrice médiane Cmin : Concentration résiduelle CMH : Complexe Majeur d'Histocompatibilité CMV : Cytomegalovirus COX : Cyclo-Oxygenase CPG : Chromatographie en Phase Gazeuse CSH : Cellules Souches Hématopoïétiques CV : Charge Virale del : délétion DFG : Débit de Filtration Glomérulaire dGTP : DesoxyGuanosine Triphosphate D+/R- : Donneur séropositif/Receveur séronégatif D-/R- : Donneur séronégatif/Receveur séronégatif D+/R+ : Donneur séropositif/Receveur séropositif E (phase) : Early (phase précoce) EBV : Epstein-Barr Virus 10 ECP : Effet CytoPathogène EGFR : Epidermal Growth Factor Receptor ELISA : Enzyme-Linked ImmunoSorbent Assay ELISPOT : Enzyme-Linked ImmunoSpot EMIT : Enzyme Multiplied Immunoassay Technique FOS : Foscarnet FPIA : Fluorescent Polarization ImmunoAssay GCV : Ganciclovir GFP : Green Fluorescent Protein HAS : Haute Autorité de Santé HCMV : Cytomegalovirus Humain HE : High Exposure (Haute exposition) HHV : Human Herpes Virus (Virus de l'Herpes Humain) HPLC : High-Performance Liquide Chromatography HSV : Herpes Simplex Virus ICAM : Intercellular Adhesion Molecule IE : Immediate Early (Très précoce) Ig : Immunoglobuline IL : Interleukine INF : Interferon IR : Indice de Résistance IRL : Internal Repeat Long IRS : Internal Repeat Short IV : IntraVeineux L (phase) : Late (phase tardive) LCR : Liquide Céphalo-Rachidien LE : Low Exposure (Faible exposition) 11 LFA : Leukocyte Function-Associated molecule LT : Lymphocytes T mCBP : Minor Capsid Binding Protein (Protéine mineure de capside) mCP : Minor Capsid Protein (Protéine mineure de Capside) MCP : Major Capsid Protein (Protéine Majeure de Capside) MIEP : Major Immediate Early Promoter NABM : Nomenclature des Actes de Biologie Médicale NFĸB : Nuclear Factor-Kappa B NFS : Numération Formule Sanguine NK : Natural Killer ORF : Open Reading Frame (cadre de lecture ouvert) PCR : Polymerase Chain Reaction PCR-RFLP : PCR-Restriction Fragment Length Polymorphism PEPT-1 : Peptide Transporter 1 PFA : Acide PhosphonoFormique PRA : Plaque Reduction Assay QNAT : Quantitative Nuclear Acid Testing RhCMV : Rhesus Cytomegalovirus SCP : Smallest Capsid Protein SIDA : Syndrome d'ImmunoDéficience Acquise STP : Suivi Thérapeutique Pharmacologique t1/2 : Temps de demi-vie TAN : Temps Avant Négativation TAP : Transport Antigen Protein (Protéine de Transport des Antigènes) TDM : Therapeutic Drug Monitoring TLR : Toll Like Receptor (Récepteur de type Toll) TNFα : Tumor Necrosis Factor alpha 12 TRL : Terminal Repeat Long TRS : Terminal Repeat Short UL : Unique Long US : Unique Short VACV : Valaciclovir VGCV : Valganciclovir VIH : Virus de l'Immunodéficience Humaine VO : Voie Orale VZV : Varicella-Zoster Virus (virus varicelle-zona) WHO : World Health Organization 13 Liste des figures et tableaux Figure 1 : Structure d'un virion HCMV ..................................................................... 21 Figure 2 : Structure génomique simplifiée . ............................................................. 24 Figure 3 : Représentation schématique des quatre isoformes du génome viral de HCMV ................................................................................................................ 24 Figure 4 : Carte du génome de HCMV. ................................................................... 25 Figure 5 : Physiopathologie de l'infection à CMV..................................................... 26 Figure 6 : Illustration de l'entrée du HCMV dans la cellule hôte .............................. 27 Figure 7 : Cycle de réplication du HCMV ................................................................ 28 Figure 8 : Dissémination hématogène du CMV au cours d'une infection active ...... 31 Figure 9 : Contrôle du HCMV par l'immunité innée et adaptative. ........................... 38 Figure 10 : Molécules antivirales approuvées dans le traitement du CMV: ganciclovir, valganciclovir, foscarnet, cidofovir, et valaciclovir ............................................. 45 Figure 11 : Absorption et bioactivation du valganciclovir. ........................................ 47 Figure 12 : Stratégie proposée en cas de suspicion de résistance virologique au traitement .......................................................................................................... 72 Figure 13 : Algorithme proposé pour la gestion des résistances suspectées aux antiviraux et basé sur le consensus des opinions d'experts.. ............................ 73 Figure 14 : Définition de l'intervalle thérapeutique. .................................................. 81 Figure 15 : Paramètres pharmacocinétiques et pharmacodynamiques contribuant à la variabilité interindividuelle entre posologie prescrite, concentration sanguine et effet clinique obtenu. ......................................................................................... 82 Figure 16 : Algorithme de décision proposé pour le suivi pharmacocinétique ......... 84 Figure 17 : Courbe concentration-temps en administration discontinue. ................. 85 Figure 18 : Profil pharmacocinétique type du ganciclovir après administration de 900 mg de valganciclovir chez un patient de 80 kg et présentant un débit de filtration glomérulaire de 80 mL/min ................................................................................ 90 Figure 19 : Répartition et caractéristiques cliniques des patients. ......................... 101 Figure 20 : Courbes de Kaplan Meyer. Probabilité d'obtenir une charge virale détectable en fonction du temps : comparaison des groupes HE et LE. ......... 104 14 Tableau 1 : Classification des betaherpesvirus ........................................................ 20 Tableau 2 : Rôles des différentes interactions protéines d'enveloppe et cellule hôte .......................................................................................................................... 28 Tableau 3 : Résumé des manifestations cliniques de l'infection à CMV .................. 37 Tableau 4 : Récapitulatif des caractéristiques des inhibiteurs de l'ADN polymérase virale utilisés dans le traitement de l'infection à HCMV ..................................... 53 Tableau 5 : Recommandations internationales sur les molécules à utiliser en prophylaxie de l'infection à CMV chez les patients transplantés d'organes solides (en fonction du type de greffe). .......................................................................... 56 Tableau 6 : Durées recommandées pour le traitement prophylactique du CMV chez les transplantés d'organes solides en fonction du type de greffe et du statut donneur/receveur .............................................................................................. 57 Tableau 7 : Avantages et inconvénients des traitements prophylactiques et préemptifs à CMV .............................................................................................. 58 Tableau 8 : Posologies du ganciclovir, valganciclovir, foscarnet, cidofovir et fomivirsen dans le traitement des rétinites à CMV............................................. 63 Tableau 9 : Posologies recommandées pour le ganciclovir, le valganciclovir et le valaciclovir chez les patients adultes transplantés présentant une altération de la fonction rénale (en utilisant la formule de Cockcroft-Gault) ........................... 64 Tableau 10 : Niveaux de résistances au ganciclovir en fonction des génotypes UL97 .......................................................................................................................... 69 Tableau 11 : Exemples de mutations affectant UL54 et entrainant des résistances au ganciclovir ......................................................................................................... 69 Tableau 12 : Récapitulatif des candidats pour la vaccination au HCMV .................. 80 Tableau 13 : Médicaments dont le suivi thérapeutique pharmacologique (STP) est proposé par les Sociétés Savantes internationales de Pharmacologie. ............ 88 Tableau 14 : Récapitulatif des différentes données pharmacologiques de la littérature. .......................................................................................................... 95 Tableau 15 : Grades de toxicité hématologique utilisés pour l'étude. ...................... 99 Tableau 16 : Classification des stades d'évolution de la maladie rénale chronique. ........................................................................................................................ 100 Tableau 17 : Caractéristiques démographiques, biologiques et virales des patients HE et LE. ......................................................................................................... 102 15 Tableau 18 : Comparaison du temps avant négativation et du nombre de mutations observés entre les groupes faible et forte exposition....................................... 103 Tableau 19 : Comparaison des toxicités hématologiques observées dans les groupes HE et LE. ........................................................................................... 105 16 Introduction 17 Agent infectieux largement répandu au niveau mondial, le cytomegalovirus (CMV) affecte toutes les populations. Membre de la famille des herpesviridae dont il partage des caractéristiques communes (structure, cycle de réplication, capacité à induire une infection latente...), il se distingue par son important génome. Sans conséquence clinique chez la plupart des individus sains, il profite d'un système immunitaire affaibli pour se développer. Patients infectés par le VIH (Virus de l'Immunodéficience Acquise) et patients transplantés sous immunodépresseurs sont ses principales victimes. L'infection est responsable d'une fièvre persistante et peut se propager à différents organes à l'origine de pneumonies, colites, rétinites, hépatites, encéphalites ... Chez le patient transplanté, le rejet de greffe est l'effet indirect de l'infection le plus redouté. Le CMV peut également se transmettre au foetus via le placenta pendant la grossesse et représente la première cause d'infection congénitale virale. La prise en charge de l'infection par le CMV repose sur l'utilisation de molécules antivirales comme le ganciclovir, le cidofovir, le foscarnet ou encore le valaciclovir. L'ADN polymérase virale, indispensable à la réplication du virus, représente leur cible commune. Compte tenu du risque, un traitement préventif avec deux stratégies possibles est recommandé chez les patients transplantés. On distingue le traitement prophylactique commencé dans les premiers jours posttransplantation et le traitement préemptif qui attend la détection d'une charge virale CMV pour être débuter. Le ganciclovir (GCV) ou sa prodrogue, le valganciclovir représentent les molécules de choix aussi bien en traitement curatif que préventif. L'augmentation de l'incidence des mutations de résistance au ganciclovir et aux autres molécules antivirales rende dans certains cas le traitement inadapté. Pour pallier à ce problème, de nouvelles molécules comme le maribavir, le letermovir ou le brincidofovir sont en cours de développement. 18 Le suivi clinique, biologique et virologique du patient est indispensable au cours du traitement de l'infection. Toujours dans un but d'améliorer la prise en charge, un suivi pharmacologique peut également s'inscrire dans cette démarche pour maximiser les chances de réussite du traitement et minimiser le risque fréquent sous ganciclovir, d'effets indésirables. Ce suivi est proposé au CHU (Centre Hospitalo-Universitaire) de Rennes. La mesure des concentrations plasmatiques en ganciclovir peut être demandée et, après comparaison avec des valeurs cibles, elle peut aboutir à la modification des posologies. L'expérience clinique au laboratoire rennais de pharmacologie a parfois montré que des concentrations plasmatiques en ganciclovir supérieures à celles attendues permettaient une bonne amélioration du patient. La zone thérapeutique aujourd'hui utilisée pour les concentrations résiduelles plasmatiques de ganciclovir s'étend entre 1 et 2 µg/ml. Les difficultés rencontrées dans la prise en charge du CMV (résistances aux traitements, effets indésirables hématologiques...) montrent que des améliorations sont à apporter. Dans cette démarche, la révision des concentrations thérapeutiques cibles pourraient peut-être être envisagée. Une étude préliminaire rétrospective a ainsi été menée pour évaluer l'impact de l'exposition au ganciclovir sur l'efficacité et la toxicité du traitement. Des concentrations résiduelles supérieures à la zone thérapeutique utilisée aujourd'hui ne seraient-elles pas associées à une meilleure et plus rapide éradication du virus ? 19 PARTIE 1: Généralités 20 Avant de présenter l'étude réalisée au CHU de Rennes, il semble important de prendre connaissance des données actuelles sur le cytomegalovirus lui-même, sur les traitements, le suivi thérapeutique et sur les études déjà réalisées sur le sujet. 1. Histoire naturelle du Cytomegalovirus C'est en 1904 que la maladie des inclusions cytomégaliques a été mise en évidence suite à l'examen de produits d'avortements et de viscères d'enfants mortnés par Ribbert, Jesionek et Kiolemenoglou. Il faudra attendre 1956 pour que Smith et Rowe isolent le virus responsable de cette maladie et 1960 pour que Weller et al. propose le terme "cytomegalovirus". (1) (2) (3) 1.1. Classification Avec les virus herpès simplex (HSV), le VZV (virus de la varicelle et du zona) ou encore l'EBV (Epstein Barr Virus), le cytomégalovirus humain appartient à la famille des Herpesviridae. Virus ubiquitaire, son important génome le classe dans la sous famille des βherpesvirinae aux côtés des Muromegalovirus et des Roseolovirus. Tableau 1: Classification des betaherpesvirus (4) Virus Genre Virus humains HHV 5 ou cytomegalovirus humain HHV 6A HHV 6B HHV 7B Cytomegalovirus Roseolovirus Roseolovirus Roseolovirus Virus primates non humains Cytomegalovirus du chimpanzé Cytomegalovirus rhesus Cytomegalovirus Cytomegalovirus Virus des rongeurs Cytomegalovirus de la souris Cytomegalovirus du rat Muromegalovirus Muromegalovirus 21 Le genre cytomegalovirus regroupe le HCMV (cytomegalovirus humain), le CCMV (cytomegalovirus du chimpanzé) et le RhCMV (rhesus cytomegalovirus). (4) Nous nous intéresserons ici seulement au cytomegalovirus humain HCMV connu également sous le nom de HHV-5 (Human Herpes Virus 5). Le HCMV appartient au groupe 2 des agents biologiques pathogènes (5) définis comme des agents biologiques pouvant provoquer une maladie chez l'homme et constituer un danger pour les travailleurs et dont la propagation dans la collectivité est peu probable ; il existe généralement une prophylaxie ou un traitement efficace. 1.2. Structure générale Le CMV présente les caractères structuraux de sa famille Herpesviridae (4) : un ADN bicaténaire linéaire de grande taille contenu dans une capside icosaédrique. L'ensemble est entouré d'une enveloppe. Une structure protéique appelée tégument est retrouvé entre la capside et la membrane Figure 1: Structure d'un virion HCMV. Schéma réalisé par "the human cytomegalovirus study group" et Dr. Marko Reschke à Marburg, Germany. D'un point de vue taille, la capside mesure entre 115 et 130 nm de diamètre et le virion complet autour de 150 à 200 nm de diamètre. 22 Le caractère de virus enveloppé du CMV lui confère une grande fragilité. Sa survie dans le milieu extérieur est très limitée. Il est détruit par l'ébullition, l'eau de javel diluée, les agents chimiques de désinfection usuels et le savon. (6) L'analyse du protéome très complexe du HCMV à partir de la souche référence de laboratoire AD169, a permis de mettre en évidence quelques protéines structurales (7) : Protéines de capside : La capside icosaédrique est composée de 12 pentons et 150 exons. Pour rappel, les pentons et hexons sont des protomères qui s'associent par liaisons non covalentes pour former des capsomères, unités de base des capsides icosaédriques virales. Les pentons forment les extrémités de l'icosaèdre tandis que les exons occupent les arêtes et faces triangulaires. Au moins 5 protéines de capside ont pu être mises en évidence : La protéine majeure de capside (ou MCP pour "Major Capsid Protein") codée par le gène UL86 est la plus abondante, elle forme les pentons et hexons de la capside. La protéine mineure de liaison à la capside (ou mCBP pour "minor capsid binding protein") codée par le gène UL46 est localisée sur la face interne de la capside et est liée à l'ADN viral. Ces deux protéines s'organisent autour d'une "pré-capside" qui lie les pentons et exons entre eux. Sont retrouvés : des fragments de la protéine d'assemblage, codée par UL80. la protéine mineure de la capside (ou mCP pour Minor Capsid Protein) codée par le gène UL85. Enfin, la SCP pour Smallest Capsid Protein codée par le gène UL48-49 possède un rôle dans l'assemblage de la particule infectieuse. 23 Protéines du tégument : Le tégument peut être défini comme un revêtement amorphe de capside qui maintient l'association entre l'enveloppe et la capside du virion. Il se forme par additions séquentielles de protéines d'abord dans le noyau puis dans le cytoplasme. Une trentaine de protéines du tégument sont retrouvées. Elles possèdent des rôles divers et sont utiles aussi bien dans les premières étapes de l'infection juste après l'entrée du virus, que dans les stades plus tardifs comme l'assemblage du virion. Certaines de ces protéines peuvent également modifier la réponse de la cellule hôte à l'infection par le CMV. La ppUL83 ou pp65 est une des protéines clés du tégument car elle est recherchée pour le diagnostic. Elle est la plus abondante et constitue environ 95% du tégument. Glycoprotéines d'enveloppe : L'enveloppe est composée d'un double feuillet lipidique externe dérivant de la membrane nucléaire de la cellule hôte et comportant des glycoprotéines virales de surface conditionnant le caractère infectieux du virus. Il existe une quarantaine de protéines d'enveloppe mais seulement une dizaine ont été caractérisées pour le moment. Les glycoprotéines communes à d'autres herpesvirus sont retrouvées dans les proportions suivantes : gM et gN > gB (UL55) > gH (UL75), gL (UL115), gO (UL74). Ces complexes protéiques jouent un rôle certain dans l'entrée des herpesvirus dans les cellules hôtes. Par exemple, gB et gH conditionnent l'adhésion du virus à la cellule cible et la fusion des enveloppes cellulaires et virales. 24 1.3. Génome viral Le HCMV présente un génome d'environ 235 000 paires de bases. Il est le plus long et le plus complexe de tous les génomes des Herpesviridae. Son organisation est dite de classe E (4). Il est composé de deux domaines : un segment long (L) de 115.106 daltons et un segment court (S) de 36.106 daltons. Chaque segment est composé d'une région centrale unique : UL et Us. On retrouve des séquences répétées : séquences a, TRL et TRS aux extrémités du génome complet et IRL et IRS à l'intersection des domaines courts et longs. Figure 2: Structure génomique simplifiée. Kotenko et al. PNAS February 15. Nomenclature: UL – Unique long; US – Unique short; TRL – Terminal repeat long; IRL – Internal repeat long; inverted repeat of TRL; TRS –Terminal repeat short; IRS – Internal repeat short; inverted repeat of TRS Au cours de la réplication, il apparaît 4 isoformes différentes du génome viral selon l’orientation des séquences UL et US. Figure 3: Représentation schématique des quatre isoformes du génome viral de HCMV (8) De façon générale, le segment UL contient les gènes viraux conservés entre les différentes espèces de βherpesvirus et quelques protéines jouant un rôle dans la distribution cellulaire et tissulaire du virus. D'autre part, le segment US présente des gènes dont la fonction est spécifique au βherpesvirus concerné (ex: rôle dans la restriction d'hôte du CMV). (7) 25 Le génome présente plus de 200 cadres de lecture ouverte. Figure 4: Carte du génome de HCMV. En vert sont annotées les ORFs (Open Reading Frames) capables de coder pour de vrais polypeptides; en rouge les ORFs ne pouvant coder des peptides et en bleus des ORFs encore non reconnues mais dont on suppose fortement qu'elles codent pour des protéines. Chaque marque sur la séquence représente 1000 paires de base. Murphy et al. PNAS November 11, 2003 vol 100 no 23 Les études montrent que le génome des différentes souches de HCMV est homologue à 95%. (9) Cependant, il faut noter que certaines souches cliniques contiennent des différences génotypiques qui pourraient être à l'origine de variations sur le tropisme tissulaire, la virulence ou encore le "potentiel pathogénique" de l'infection par HCMV. 26 D'un point de vue pratique, ces différences sont à prendre en compte notamment lors du choix des régions cibles pour les techniques de biologie moléculaire. Il faut utiliser les régions hautement conservées pour le diagnostic et les régions variables plutôt pour un typage épidémiologique. Ce polymorphisme génétique peut également être à l'origine de résistances aux traitements spécifiques ciblant une protéine particulière du HCMV. Par exemple, pour la protéase HCMV une mutation au niveau du gène UL80 peut entraîner une non efficacité du traitement qui ne reconnaît pas la protéase. Enfin, certaines études cherchent à montrer la corrélation entre génotype et développement clinique de la maladie mais les résultats restent pour le moment non significatifs. 1.4. Cycle de multiplication Chez les herpesviridae 3 stades sont retrouvés : l'infection lytique (primoinfection et réinfection), l'état de latence et la réactivation après latence. Figure 5: Physiopathologie de l'infection à CMV 1.4.1. Tropisme et entrée du virus Le HCMV est strictement humain, aucune lignée d'origine animale ne permet sa réplication. In vivo, il peut infecter un grand nombre de types cellulaires : monocytes, macrophages, cellules endothéliales, cellules épithéliales, cellules 27 musculaires lisses, fibroblastes, cellules intestinales, neutrophiles, hépatocytes et neurones. Il présente donc un très large tropisme tissulaire. In vitro, il est beaucoup plus difficile d'obtenir sa réplication, les souches de fibroblastes embryonnaires humains sont celles essentiellement utilisées. La liaison du HCMV à des récepteurs de type héparane sulfate retrouvés sur la plupart des types cellulaires semble donc indispensable mais non suffisante. Figure 6: Illustration de l'entrée du HCMV dans la cellule hôte (10) L'attachement et l'entrée du virus est décrit par Teresa Compton. (10) Pour commencer, les glycoprotéines d'enveloppe virale gM/gN et gB interagissent par liaisons de faible affinité avec des protéoglycanes de type héparane-sulfate au niveau de la cellule hôte. L'attachement et l'internalisation du virion nécessitent des interactions secondaires avec d'autres récepteurs et corécepteurs. L'interaction cellule/virus induit de nombreux signaux cellulaires : perturbation de l'homéostasie calcique, activation des phospholipases C et A2, libération d'acide arachidonique, activation de facteurs de transcription, NFKB, MAP kinases ... L'entrée du virus se fait ensuite soit par fusion entre l'enveloppe virale et la membrane cellulaire grâce à gH, soit par endocytose (en fonction du type cellulaire). La nucléocapside et le tégument sont alors libérés dans le cytoplasme. Rapidement, les protéines structurales de la capside sont dégradées et l'ADN est amené vers le noyau. Une fixation aux TLR (Toll Like Receptor) est aussi décrite et permettrait l'activation de la réponse immunitaire innée. 28 Le tableau suivant résume les interactions entre protéines d'enveloppe et cellule hôte ainsi que leur rôle: Tableau 2: Rôles des différentes interactions protéines d'enveloppe et cellule hôte selon Teresa Compton 2004 Enveloppe Cellule hôte Rôle de l'intéraction gM/gN Glycoprotéines héparane sulfate Attachement gB EGFR (Epidemal Growth Factor Receptor) Amarrage et signal Intégrines β Fusion, internalisation, signal TLR2 Activation immunité innée ?? Fusion gH/gL/gO 1.4.2. Cycle de réplication Dans le cas d'une infection active, comme les βherpesviridae, le cycle est lent (environ 72h) (1) (11). Cependant, il est peu productif, ce qui le différencie des HSV (Herpes Simplex Virus). L'infection commence donc par la fixation du virus sur la membrane cellulaire puis l'entrée du virus dans la cellule par fusion des membranes ou endocytose. La capside est rapidement dégradée et l'ADN est transloqué dans le noyau. Figure 7: Cycle de réplication du HCMV (12) 29 Au niveau nucléaire commence alors la transcription en 3 phases : La phase très précoce IE (Immediate Early) Elle commence environ 1h après l'infection et elle concerne la transcription de gènes codant essentiellement pour des protéines de régulation de la réplication virale. Deux protéines majeures sont retrouvées : IE1 et IE2 codées respectivement par les gènes UL122 et UL123. Elles sont sous le contrôle d'un même promoteur majeur le MIEP (Major Immediate Early Promoter) qui intéragit avec différents facteurs de transcription de la cellule hôte comme le NFĸB, AP1, St1 ... IE1 est une phosphoprotéine nucléaire indispensable à l'infection débutante avec un seul virion. Elle contrôle la réplication. IE2 est un polypeptide nucléaire phosphorylé indispensable à la réplication virale car il régule la transition entre les phases de transcription en activant les promoteurs E (Early) et L (Late). D'autres gènes très précoces (UL36/38, UL115-119, IRS1, TRS1, US3...) codent pour des protéines auxiliaires dont les rôles sont variés : échappement au système immunitaire, propriétés anti-apoptotiques ... La phase précoce E (Early) Elle commence environ 4h après l'infection et elle concerne la transcription de gènes codant pour des protéines non structurales comme des facteurs de réplication de l'ADN viral, des enzymes de réparation, des protéines impliquées dans l'échappement au système immunitaire ... Sont transcrits: - UL54 qui code pour l'ADN polymérase et UL44 sa protéine accessoire indispensable à l'avancée de l'enzyme sur le brin matriciel. 30 - UL83 codant pour la pp65 qui phosphoryle les protéines IE empêchant leur présentation au CMH I. - UL97 protéine kinase intervenant dans la première phosphorylation du ganciclovir et de l'aciclovir utilisés en thérapeutique. - US2 et US11 qui transportent et ramènent le CMH I dans le cytosol pour qu'il soit détruit par le protéasome. - US27 et US28 codant pour des récepteurs aux chimiokines. - .... La phase tardive L (Late) Cette phase regroupe la réplication de l'ADN viral dans le noyau et la transcription des gènes codant pour les protéines structurales (protéines de capside, d'assemblage, d'enveloppe...). La réplication de l'ADN viral commence dans le noyau 16h après l'infection. C'est une synthèse bidirectionnelle à partir d'une seule origine de réplication. Elle suit le modèle du cercle tournant. Il y a formation de concatémères qui sont ensuite clivés au niveau des séquences répétitives a et empaquetés dans des précapsides. La transcription des gènes L commence plus de 24h après l'infection et fait suite à la réplication de l'ADN. Sont transcrites : - UL46, 86 (mCBP et MCP), protéines de capside. - UL80 protéine d'assemblage. - UL55, 75 (gB et gH) glycoprotéines d'enveloppe ... Il y a ensuite assemblage des protéines de capside et de l'ADN néosynthétisé dans le noyau puis l'ensemble s'enveloppe du feuillet interne de la membrane nucléaire et migre dans le réticulum endoplasmique. Là, il y a perte de l'enveloppe, acquisition du tégument puis de l'enveloppe virale définitive à partir de l'endosome. Les particules mâtures sont retenues dans des vésicules et transportées à la surface via l'appareil de Golgi. Le virion est ensuite libéré par endocytose et peut infecter d'autres cellules. 31 Remarque: La phase cytoplasmique est caractérisée par une inclusion cytoplasmique caractéristique de l'infection par HCMV ("maladie des inclusions cytomégaliques"). Elle est constituée de virions mâtures et de corps denses (protéines du tégument dans une enveloppe dérivée de la membrane cytoplasmique). 1.4.3. Dissémination hématogène Les cellules endothéliales sont permissives au HCMV et pourraient contribuer à la dissémination hématogène du cytomégalovirus en infectant les monocytes et les polynucléaires. (13) Une cellule endothéliale infectée par le HCMV sécrète en réponse de l'IL8 et exprime le complexe ICAM-1. Les polynucléaires présentant à leur surface LFA-1, ligand de ICAM-1, peuvent donc se fixer à la cellule endothéliale infectée. Par migration transendothéliale et contact avec les cellules déjà infectées, les polynucléaires s'infectent. A leur tour, les polynucléaires peuvent infecter d'autres cellules permissives au HCMV. Figure 8: Dissémination hématogène du CMV au cours d'une infection active selon (13) 32 1.4.4. Latence Après la primo-infection, comme tous les βherpesviridae, le HCMV persiste toute la vie de l'hôte sous forme latente. (14) L'état de latence correspond à la persistance du génome viral sans production de virions infectieux tout en sachant que la réactivation du génome est possible suite à différents stimuli. Tout d'abord le HCMV a été trouvé sous forme latente au niveau des monocytes CD14+. Puis, sa présence au niveau des cellules progénitrices de la moelle osseuse et dans la lignée myéloïde qui en découle, a été mise en évidence. Cependant, il n'est jamais retrouvé dans la lignée lymphoïde. Dans cet état latent, le génome se trouve sous forme épisomale et son expression est réduite aux protéines précoces. Le cycle réplicatif n'est pas complet. 1.4.5. Réactivation La réactivation du virus qui persistait à l'état de latence, est retrouvée dans un contexte d'immunodépression et d'activation antigénique d'origine infectieuse ou allogénique (greffon, transfusion). 1.5. Epidémiologie Le cytomégalovirus est un pathogène retrouvé dans le monde entier. En effet, 40 à 100% de la population mondiale présente des anticorps anti-CMV dans le sang. L'infection est endémique sans influence saisonnière. (15) (16) Le niveau socioéconomique peut influer sur son incidence : les anticorps antiCMV sont retrouvés chez 50 à 60% des adultes dans les pays développés et chez 90 à 100% d'entre eux dans les pays en voie de développement. L'infection peut être acquise à n'importe quel âge mais en général elle est acquise plus tôt dans les pays en voie de développement. (2) (1) (15) 33 Les immunodéprimés (receveurs d'organes ou patients atteints du SIDA), les prématurés, les nouveau-nés atteints d'une infection congénitale présentent un risque plus élevé de maladies graves pouvant menacer leur pronostic vital. Deux pour cent des femmes enceintes séronégatives au début de leur grossesse sont séroconverties au moment de l'accouchement. 32% des femmes développant une primo-infection pendant leur grossesse transmettent le virus par voie placentaire et le risque de maladie sévère chez le fœtus s'élève alors à 20%. Par ailleurs, l'infection congénitale suite à une réactivation ou réinfection chez la mère concerne 1% des femmes séropositives au début de leur grossesse. (9) L'infection HCMV représente une des infections virales les plus communes chez le transplanté d'organes solides. Elle peut en effet toucher 20 à 60% d'entre eux et constitue une cause significative d'augmentation du risque de mortalité chez les transplantés (3). Ce risque est plus élevé dans les trois premiers mois suivants la transplantation (17) (18). En transplantation d'organes solides, le CMV peut être responsable : - D'une primo-infection chez les patients séronégatifs recevant un organe d'un donneur séropositif (D+/R-). - D'une réactivation ou réinfection chez les patients séropositifs recevant un organe d'un donneur séropositif (D+/R+). - D'une réactivation chez un patient séropositif recevant un organe d'un donneur séronégatif (D-/R+). Des facteurs de risques ont pu être mis en évidence (17) (18): - Absence de contact antérieur du receveur avec le CMV. - Organes ou produits sanguins provenant d'un donneur positif. - Utilisation d'une thérapie immunosuppressive à base d'anticorps antilymphocytaires. - Survenue d'un ou plusieurs épisodes de rejets aigus. - Coinfections HHV6 et HHV7. - Infections bactériennes après transplantation ... 34 Ainsi, sans traitement préventif, le risque de développer une maladie à CMV chez les transplantés d'organes solides s'élève à plus de 50% lorsqu'il existe une sérologie CMV désappariée entre donneur et receveur (D+/R-). (19) Avant transplantation d'organes solides, 60% des receveurs sont estimés séropositifs et 40% séronégatifs. Parmi les patients séropositifs, 25% ont un risque de maladie à CMV et 50% d'infection à CMV. Dans 40% des cas le traitement immunosuppresseur réactive une infection latente. (15) L'incidence de l'infection à CMV chez les transplantés dépend également du type de greffe réalisée. Ainsi les transplantations pancréatiques et pulmonaires présentent les risques les plus importants (50 et 40% respectivement). Suivent dans l'ordre décroissant d'incidence, la transplantation cardiaque (9 à 35%), la transplantation intestinale (22%) , puis hépatique (22 à 29%) et enfin rénale (8 à 32%). (20) Les traitements prophylactiques mis en place semblent diminuer le risque de développement de la maladie à CMV chez les transplantés d'organes : la mortalité globale est réduite de 40% et le risque de maladies à CMV de 60% après traitement prophylactique. (21) (22) Chez les patients atteints du SIDA, la maladie à CMV est la plus commune des infections virales opportunistes. Elle se manifeste dans 85% des cas par une rétinite à CMV. Les atteintes gastro-intestinales (10 à 15%) et celles au niveau du système nerveux central (5 à 10%) suivent. (23) 1.6. Manifestations cliniques Dans un premier temps, il convient de bien définir la différence entre "infection à CMV" et "maladie à CMV". Cette nuance a notamment été précisée dans "l'international consensus guidelines on the management of cytomegalovirus" (24) en 2013. 35 L'infection à CMV correspond à l'isolement du CMV ou à la détection de protéines ou acides nucléiques viraux dans les fluides ou tissus humains (25). C'est la mise en évidence d'une réplication du virus sans considérer les symptômes. La primo-infection, détection d'une infection à CMV chez un individu préalablement séronégatif, doit être distinguée de l'infection secondaire, détectée chez un patient qui a déjà révélé une infection à CMV au moins 4 semaines avant. Cette infection secondaire peut être la conséquence d'une réactivation du virus latent ou l'infection par une nouvelle souche différente de la première. La "maladie à CMV" correspond à la mise en évidence de la réplication virale et des symptômes (fièvre, leucopénie, invasion des tissus...). Virémie et syndrome viral signent une maladie à CMV. Différents tissus peuvent être envahis à l'origine de pneumonies, hépatites, rétinites, cystites, néphrites, myocardites, pancréatites ... 1.6.1. Infection chez le patient immunocompétent Dans 90% des cas, l'infection est asymptomatique. D'autres développeront après une incubation longue (30 jours en moyenne) les symptômes suivants : fièvre prolongée en plateau (38 à 40°C pendant 3 semaines), asthénie, arthralgies, céphalées, pharyngites et amaigrissement. D'un point de vue biologique, un syndrome mononucléosique associé ou non à une thrombopénie est retrouvé. Des complications sévères sont très exceptionnellement retrouvées : hépatites, infections du système nerveux (syndrome de Guillain Barré, méningites, rétinites...) et pneumonies. (13) (2) 1.6.2. Infection chez le patient immunodéprimé Chez le patient immunodéprimé, le CMV représente un agent pathogène majeur. Les manifestations cliniques sont multiples et peuvent menacer le pronostic vital. Le type d'immunodépression, le statut sérologique donneur/receveur, la nature 36 des traitements immunosuppresseurs, le type et la quantité de produits sanguins transfusés sont autant de critères qui influencent les manifestations cliniques observées. (13) Chez le transplanté d'organes solides : Une fièvre prolongée, une leucopénie, une thrombopénie, une lymphocytose et une augmentation des transaminases sont les manifestations directes de la réplication du CMV. L'atteinte du tube digestif avec diarrhées sévères et risque de perforation digestive représente l'une des manifestations graves de l'infection. Les effets indirects du CMV chez le transplanté sont importants : - Augmentation du risque de rejet de greffe. - Augmentation du risque d'infections secondaires notamment fongiques. - Augmentation du risque d'athérosclérose (notamment au niveau des coronaires chez le patient transplanté cardiaque). Chez le greffé de cellules souches hématopoïétiques : La mortalité est dans ce cas importante. Il y a une augmentation du risque de maladie du greffon contre l'hôte aiguë et/ou chronique puis de décès. Le risque de pneumonie est également important. Chez le sujet atteint du SIDA : Les rétinites, les infections du tube digestif (colites à CMV...), du système nerveux (encéphalites à CMV, neuropathies périphériques ...) et du poumon (pneumonies à CMV) sont des manifestations retrouvées chez les patients coinfectés par le VIH et très immunodéprimés (CD4 < 100/mm3). (15) (13) 37 1.6.3. Infection congénitale L'infection congénitale a lieu le plus souvent lors d'une primo-infection chez la femme enceinte (le taux de transmission atteint 30 à 60%) et plus rarement lors d'une infection secondaire (transmission dans 0,1 à 3% des cas). Le virus est transmis par le sang maternel puis il se multiplie chez le fœtus qui l'excrète dans le liquide amniotique via les urines. Dans le cas de transmission materno-foetale, 10% des enfants présentent une infection généralisée à leur naissance. Parmi eux, 30% décèdent précocement, 60% présentent des séquelles plus ou moins graves allant du retard psychomoteur à la surdité isolée et 10% ne présentent aucune séquelle. Dans 90% des cas les enfants naissent asymptomatiques mais ils peuvent développer des séquelles tardives dans les années suivantes. (2) Tableau 3: Résumé des manifestations cliniques de l'infection à CMV (2) Contexte de survenue Principales manifestations cliniques Adultes immunocompétents, grands enfants: Primo-infection Asymptomatique (90%) Syndrome mononucléosique Réactivations-réinfections Infection congénitale Asymptomatique Asymptomatique Retard psychomoteur, surdité Embryofoetopathie disséminée, décès Asymptomatique Pneumopathie interstitielle bénigne Infection grave avec pneumopathie Dissémination sanguine avec fièvre persistante Infection périnatale Infection du nouveau-né prématuré Primo-infection des personnes immunodéprimées Transplantation Greffe de moelle Receveur d'organe 3 Pneumopathie interstitielle, rejet Atteinte digestive, pneumopathie, rejet Rétinite, colite, atteinte neurologique Sida (<100 CD4+/mm de sang) 1.6.4. HCMV et cancer Le rôle du HCMV dans l'étiologie de certains cancers est également très largement évoqué. Le HCMV a pu être retrouvé dans les cancers du colon, de la 38 prostate, de la peau, du sein, des glandes salivaires et dans les gliomes. (26) Il est présent dans les tissus tumoraux mais absent dans les tissus sains. Il apparaît aujourd'hui de plus en plus clairement que le HCMV possède un rôle d'oncomodulation pour différentes raisons : - Le HCMV contribue à générer une inflammation chronique en augmentant l'expression de COX-2 ce qui est favorable au développement de la tumeur. - Il active la production de l'IL6 et du TNFα qui ont un rôle connu dans l'initiation et la promotion des cancers. - Le HCMV est capable de mettre en place des mécanismes d'échappement au système immunitaire qui sont intéressants pour le développement tumoral. - Pour se répliquer, le HCMV induit un arrêt du cycle cellulaire. La dérégulation du cycle cellulaire est indispensable au développement tumoral. - HCMV active les facteurs antiapoptotiques et inhibe l'action, le recrutement ou l'expression des protéines proapoptotiques. Il existe donc une résistance accrue à l'apoptose des cellules infectées par HCMV ce qui favorise la survie cellulaire et le développement des cancers... 1.7. Réponse immunitaire au HCMV 1.7.1. Mise en place de l'immunité innée et adaptative Figure 9: Contrôle du HCMV par l'immunité innée et adaptative. (27) 39 Entrée du virus et immunité innée : Lors de la primo-infection chez l'individu sain, la réplication du virus débute le plus souvent dans les cellules épithéliales des muqueuses. (A) La dissémination du virus fait ensuite intervenir la lignée myéloïde notamment les monocytes et CD34+ où le HCMV s'établit.(B) L'état de latence se met alors en place avec restriction de l'expression des gènes viraux. C'est lors de la différenciation des monocytes en macrophages que l'infection productive débute (C), le virus se multiplie aussi bien dans les cellules endothéliales que dans les fibroblastes, cellules musculaires lisses... L'immunité innée représente alors la première ligne de défense contre le HCMV. Après pénétration du virus dans la cellule, différents mécanismes sont mis en place par l'hôte : production de cytokines inflammatoires comme des INF de type I, augmentation des molécules costimulatrices... Les TLR (Toll Like Receptor) jouent un rôle majeur dans cette reconnaissance du pathogène par le système immunitaire innée. Par exemple le TLR 2 reconnait les glycoprotéines gB et gH puis permet l'activation de la voie du NFĸB. Les cellules NK (Natural Killer), les phagocytes et les cellules présentatrices d'antigènes sont également essentielles dans la mise en place de l'immunité innée. Ainsi, les cellules NK sont rapidement activées; elles exercent leur fonction cytotoxique (production d'INFγ, granzymes, perforines) et favorisent la mise en place de l'immunité adaptative. (12) (28) Contrôle de l'infection par CMV et immunité adaptative : Après différenciation des monocytes en macrophages, particules virales et corps denses sont pris en charge par les cellules présentatrices d'antigènes (D) entrainant la mise en place de la réponse adaptative. Dans le cas du HCMV, cette réponse est humorale et cellulaire. La réponse cellulaire mise en place est longue et importante, elle met en jeu les lymphocytes T CD4+ et CD8+. L'activation des cellules T entrainent la lyse des 40 cellules infectées (E) par les LTCD8+. Le rôle des TCD4+ est annexe mais indispensable à l'activation des effecteurs cytotoxiques. Les cellules NK activées par les cellules dendritiques peuvent également bloquer la réplication du virus par sécrétion d'INFγ et/ou TNF. La réponse humorale quant à elle, passe par la production d'anticorps spécifiques de nombreuses protéines du CMV (F). La protéine pp65, les glycoprotéines d'enveloppe gB, gH et gH/gL, la protéine non structurale IE-1, sont ainsi les cibles majeures des anticorps produits par les lymphocytes B. (12) (28) 1.7.2. Echappement du HCMV au système immunitaire Comme tous les herpesvirus, le HCMV a développé des systèmes d'échappement au système immunitaire pour persister dans l'organisme à l'état de latence. Des mécanismes complémentaires ont ainsi été rapportés (27) (28) (1) : - Le mode de diffusion du virus : il se dissémine de cellules à cellules ce qui lui permet de ne pas s'exposer à la séroneutralisation. - L'action concertée de plusieurs protéines virales pour inhiber la présentation au CMH (Complexe Majeur d'Histocompatibilité) de classe 1 : Pour rappel, les polypeptides viraux sont récupérés et dégradés dans le protéasome. Les fragments viraux obtenus sont alors transportés dans le cytosol jusqu'au réticulum endoplasmique où ils sont pris en charge par le CMH de classe I qui les mène à la surface cellulaire. La protéine pp65 phosphoryle la protéine IE-1. La présentation des peptides antigéniques dérivés de IE-1 en est alors bloquée. Huit glycoprotéines virales peuvent pénétrer dans le réticulum endoplasmique et perturber le fonctionnement normal de présentation par le CMH : Les glycoprotéines codées par US2 et 11 induisent la dislocation des molécules de CMH de classe 1 chargées d'antigènes et les renvoient dans le cytosol. 41 Celles codées par US3 et US10 bloquent la molécule de CMH dans le réticulum endoplasmique et empêchent le transfert vers Golgi. US6 code pour une protéine qui inhibe les pompes TAP (Transport Antigen Protein) qui permettent le transport jusqu'au réticulum endoplasmique... - L'inhibition de la reconnaissance du CMV par les cellules NK : la protéine virale codée par UL18 est homologue au CMH de classe I. Elle limite alors la reconnaissance des cellules infectées par les cellules NK. - L'échappement aux lymphocytes T : les cellules infectées produisent des protéines homologues aux récepteurs de chimiokines. Les chimiokines sont alors conduites vers ces récepteurs et séquestrées. Monocytes et macrophages ne sont plus attirés et la réponse adaptative cellulaire est diminuée. 1.8. Diagnostic Ce diagnostic (13) (29) est réalisé : - En cas de suspicion d'infection materno-foetale. - Avant et après transplantation d'organes. - Chez l'immunodéprimé. 1.8.1. Méthodes de diagnostic Méthode de diagnostic indirect : C'est la détermination du statut sérologique du patient vis à vis du CMV. Elle a un intérêt limité de part la présence de nombreuses réactions croisées et la difficulté à différencier une primo-infection d'une réactivation. Cependant, elle est indispensable avant transplantations d'organes et peut être utilisée dans le diagnostic d'infection congénitale. 42 La méthode consiste en la recherche des IgG ou IgM anti-CMV dans un échantillon de sérum par technique ELISA (Enzyme-Linked Immunosorbent Assay). A noter que les IgG s'élèvent après primo-infection et forment de nouveaux pics au cours des réactivations et que les IgM persistent jusqu'à 20 semaines après primoinfection. Méthodes de diagnostic direct : Elles consistent en la recherche du génome viral par PCR, antigénémie pp65 ou cultures. L'isolement du virus sur culture cellulaire est possible mais uniquement sur des cellules fibroblastiques embryonnaires humaines (MCR5). La présence du virus peut alors être mise en évidence par l'apparition, 2 à 3 semaines après inoculation, d'un ECP (Effet CytoPathogène) caractéristique en "banc de poissons" et des cellules présentant une inclusion nucléaire (d'où le nom de cytomégalie). Plus précocément (24 à 48h après inoculation), l'infection de la culture peut être détectée par examen immuno-cytologique. Cette méthode utilise un anticorps monoclonal spécifique des antigènes très précoces, et la détection est réalisée par immunofluorescence ou immunoperoxydase. L'antigénémie pp65 est une technique couramment utilisée. Cette méthode semi-quantitative détecte et quantifie directement dans le sang l'antigène pp65, protéine majeure du tégument retrouvée quelques heures seulement après infection dans le noyau des cellules infectées. Cette technique utilise un anticorps monoclonal dirigé contre la protéine pp65. La détection se fait ensuite par immunofluorescence : on rapporte le nombre de cellules infectées, dont le noyau est fluorescent, au nombre de cellules analysées (en général 200 000). Enfin, la recherche des séquences génomiques virales par PCR (Polymerase Chain Reaction) dans le sang total, dans le compartiment leucocytaire, dans le plasma, dans le liquide amniotique, dans l'humeur aqueuse ou encore dans les biopsies est très largement développée. Il existe différentes techniques très sensibles et spécifiques permettant d'obtenir un résultat rapide. La technique QNAT (Quantitative Nuclear Acid Testing) est la méthode de laboratoire préconisée pour le diagnostic et le suivi du traitement du CMV chez les transplantés. 43 1.8.2. Stratégies diagnostiques Chez le patient immunocompétent : Rarement utilisé dans ce cas, le diagnostic d'infection à CMV recherche une séroconversion des anticorps anti-CMV. Une séroconversion des IgG sur deux prélèvements différents ou l'apparition d'IgM anti-CMV mettent en évidence l'infection. Mise en évidence d'une infection materno-foetale : Chez la mère, c'est la séroconversion IgG et la mise en evidence d'IgM qui signent une infection maternelle. Pour confirmer une atteinte foetale, ce sont des techniques de PCR sur liquide amniotique qui peuvent être utilisées. A la naissance, les cultures cellulaires avec les urines de l'enfant, prélevées dans les 15 premiers jours de vie, confirment l'infection fœtale. Chez les patients immunodéprimés : Des recommandations internationales (24) ont été publiées à ce sujet : - Une sérologie est indispensable pour le donneur et le receveur avant transplantation. La recherche des IgG anti-CMV présente une meilleure spécificité par rapport aux IgM ou à la combinaison IgG-IgM. - Les cultures virales de sang ou d'urine, ayant une faible sensibilité et spécificité, ont un intérêt très limité dans le diagnostic. - La technique QNAT est à préférer pour le diagnostic, la mise en place du traitement préemptif et le suivi de la réponse thérapeutique. En effet, elle présente une meilleure standardisation (il existe un standard international (WHO: 5.106 UI/mL)), une meilleure précision et une plus grande rapidité. L'antigénémie pp65, moins onéreuse et facile à réaliser, reste une alternative acceptable mais beaucoup moins utilisée actuellement. 44 - La technique QNAT peut être réalisée sur du sang total ou sur du plasma même s'il est à noter qu'une meilleure quantification semble obtenue avec du sang total. - L'immunohistochimie (localisation des protéines dans les cellules d'une coupe de tissu par détection d'antigènes au moyen d'anticorps) est la méthode de diagnostic à utiliser pour mettre en évidence une maladie invasive des tissus. Les cultures et la technique QNAT ont dans ce cas un rôle limité mais peuvent aider dans certaines situations. 45 2. Prise en charge thérapeutique et suivi de la pathologie 2.1. Molécules antivirales Il existe un nombre limité de molécules antivirales approuvées pour le traitement et la prévention des infections et maladies à HCMV. Les inhibiteurs de l'ADN polymérase constituent la classe majeure utilisée. Le ganciclovir et sa prodrogue le valganciclovir, le cidofovir, le foscarnet et dans un but uniquement préventif l'aciclovir et sa prodrogue le valaciclovir font partie de cette classe. D'autre part, les immunoglobulines par voie intraveineuse représentent une stratégie utilisable en prévention mais aussi en traitement adjuvant d'une infection à CMV chez des patients immunodéprimés. (23) Enfin, d'autres médicaments comme le leflunomide, le maribavir ou encore l'artesunate sont aujourd'hui utilisés en cas de résistance aux traitements même si pour le moment leur efficacité et leur toxicité restent faiblement évaluées. Figure 10: Molécules antivirales approuvées dans le traitement du CMV: ganciclovir, valganciclovir, foscarnet, cidofovir, et valaciclovir. (30) 46 2.1.1. Le ganciclovir (GCV) et le valganciclovir (VGCV) Connus sous les noms commerciaux Rovalcyte® (valganciclovir) et Cymevan® (ganciclovir), ces deux molécules antivirales constituent le traitement de référence des infections à CMV. (24) Mécanisme d'action : Le ganciclovir ou dihydro-propoxyméthylguanine est un analogue acyclique de la désoxyguanosine. Il entre dans les cellules infectées par l'intermédiaire des transporteurs de purines. (22) N'étant actif que sous sa forme triphosphorylée, il nécessite ensuite l'intervention d'une sérine/thréonine kinase virale pUL97 qui lui ajoute un premier groupement phosphate. (31) Les deux phosphorylations suivantes sont assurées par des kinases cellulaires. Le ganciclovir triphosphorylé obtenu entre alors en compétition avec les nucléotides au niveau de l'ADN polymérase virale pUL54. Il s'incorpore à la place de la dGTP (désoxyGuanosine TriPhosphate), bloque le site catalytique de l'enzyme et inhibe l'élongation de la chaîne d'ADN viral. La réplication du virus est alors inhibée. La CI50, concentration de ganciclovir pour laquelle la réplication virale est inhibée de 50%, est estimée in vitro à 0,7 µg/mL. (22) Le valganciclovir est un L-valyl ester du ganciclovir. Il est reconnu comme un substrat par le transporteur intestinal PEPT-1 puis hydrolysé en esters amino-acides par des hydrolases, les valacyclovirases. (32) Transformé en ganciclovir au niveau intestinal et hépatique il exerce ensuite la même action sur l'ADN polymérase virale. 47 Figure 11: Absorption et bioactivation du valganciclovir. (22) Nomenclature: dGTP= deoxyguanosine triphosphate; GCV= ganciclovir; PEPT1 = intestinal peptide transporter 1; P-GCV= ganciclovir monophosphate; PP-GCV= ganciclovir biphosphate; PPP-GCV= ganciclovir triphosphate; VGC = valganciclovir 48 Pharmacocinétique : Le ganciclovir peut être administré par voie intraveineuse, intravitréenne et orale. Sa faible biodisponibilité orale (autour de 10%) a cependant poussé les chercheurs à créer une prodrogue, le valganciclovir dont la biodisponibilité orale atteint les 60%. (23) Une administration de 900mg deux fois/jour de valganciclovir per os est équivalente à une administration de 5mg/kg deux fois/jour de ganciclovir par voie intraveineuse. (33) Concernant la distribution du médicament, le ganciclovir présente une faible liaison aux protéines plasmatiques (de l'ordre de 1 à 2%). Le valganciclovir est très rapidement transformé en ganciclovir, sa liaison aux protéines plasmatiques n'a donc pas pu être déterminée mais on considère qu'elle est également très faible. Le volume de distribution du ganciclovir après administration intraveineuse est estimé à 0,68 L/kg. (34) De plus, un passage du GCV dans le LCR (Liquide CéphaloRachidien) est décrit. (34) Le valganciclovir est métabolisé dans la paroi intestinale et le foie en ganciclovir (34) et plus de 90% du ganciclovir est retrouvé sous forme non métabolisée dans les urines. (35) Le ganciclovir est principalement éliminé par voie rénale par filtration glomérulaire et sécrétion tubulaire active. La demi-vie d'élimination du valganciclovir est estimée à 5,3 +/- 1,5 heures chez le sujet à fonction rénale normale. (22) Chez l'insuffisant rénal, la clairance du ganciclovir est diminuée et sa demi-vie d'élimination augmentée. Il est donc nécessaire d'adapter les posologies. (34) Utilisation : Ganciclovir et valganciclovir sont indiqués dans "les infections sévères à CMV (rétinites, pneumonies, colites et atteintes de l'appareil digestif et éventuellement encéphalites) mettant en jeu la vision ou la vie des patients ayant un déficit sévère de l'immunité cellulaire". (33) Le Cymevan® administré exclusivement en perfusion veineuse à vitesse constante est réservé aux hôpitaux alors que le Rovalcyte® sous forme de comprimés est disponible en ville. 49 Compte tenu du risque de toxicité, les posologies doivent être adaptées à la fonction rénale du patient (33) : Fonction rénale normale : 5 mg/kg/12h pendant 14 à 21 jours (traitement d'attaque) Puis 5 mg/kg/j (traitement d'entretien) Ganciclovir Insuffisance rénale : CL creat < 50 ml/min : 2,5 mg/kg/12h CL creat < 25 ml/min: 2,5 mg/kg/24h CL creat < 10 ml/min : 1,25 mg/kg/24h Fonction rénale normale : 900 mg 2 fois/jour pendant 21 jours (traitement d'attaque) Puis 900 mg/jour (traitement d'entretien) Valganciclovir Insuffisance rénale : CL creat = 40-59 ml/min : 50% de la dose habituelle (450 mg deux fois/j) CL creat = 25-39 ml/min : 25% de la dose habituelle CL creat = 10-24 ml/min : 450 mg tous les deux jours (traitement curatif) ou deux fois par semaine (traitement préventif) CL creat < 10 ml/min : non recommandé Parmi les hématologique, effets réversible indésirables à l'arrêt très du fréquents traitement, rapportés, se manifeste la toxicité par des leuconeutropénies sévères (touchant 40% des patients après 3 mois de traitement intraveineux) et des thrombocytopénies (15% des patients après 3 mois). (23) Plus rarement, des troubles neuropsychiques avec convulsions, coma, ataxie, troubles de l'attention, sont retrouvés. Divers autres troubles, digestifs, allergiques ou rénaux peuvent également apparaître sous traitement par ganciclovir. L'utilisation de ce traitement est contre-indiqué dans le cas d'hypersensibilité au ganciclovir ou à l'aciclovir et en cas de neutropénie sévère (polynucléaires neutrophiles < 500/mm3). De plus, le ganciclovir possède des effets mutagènes et tératogènes qui ne permettent pas son utilisation chez les hommes et femmes sans contraception efficace. Il est à utiliser avec précaution en cas d'antécédents psychiatriques et nécessite une surveillance accrue de l'hémogramme pendant le traitement. (33) 50 2.1.2. Le foscarnet (FOS) ou phosphonoformate (PFA) Sel trisodique de l'acide phosphonoformique, le foscarnet est un analogue du pyrophosphate inorganique. C'est un inhibiteur réversible, sélectif et compétitif de l'ADN polymérase virale. Il s'attache au site de liaison du pyrophosphate et empêche ainsi le clivage des désoxyribonucléotides triphosphates en désoxyribonucléotides biphosphates et pyrophosphate inorganique. Le nucléotide ne peut alors pas être ajouté à la chaîne d'ADN viral en élongation et la réplication virale est stoppée. (23) Administré par voie intraveineuse, le foscarnet représente une deuxième ligne de traitement après le ganciclovir et le valganciclovir. Son utilisation est approuvée dans le "traitement de la rétinite et des atteintes digestives à CMV chez les patients infectés par le VIH au stade SIDA". (33) Il est également préconisé en cas de résistance avérée des souches de HCMV au ganciclovir et chez des patients présentant une leuconeutropénie sévère contre-indiquant l'utilisation du ganciclovir. (30). Une étude a montré que son efficacité comme traitement préemptif chez des patients receveurs de moelle osseuse était équivalente à celle du ganciclovir dans cette même indication. L'hématotoxicité du foscarnet est également moins importante. (36) Cependant, il est à noter que l'utilisation du foscarnet est à l'origine d'une toxicité rénale fréquente avec hypercréatinémie et risque d'insuffisances rénales aiguës. Une bonne hydratation (500 mL à 1 L de NaCl en perfusion pendant le traitement) et une surveillance régulière de la créatinémie doivent être préconisées et les posologies adaptées à la fonction rénale du patient. Ces perturbations rénales entrainent souvent des déséquilibres électrolytiques et minéraux (hypocalcémie, hypokaliémie...) qui peuvent être à l'origine de problèmes neurologiques et cardiaques. (30) D'autres effets indésirables, comme des nausées et vomissements, des ulcérations génitales, des anémies, etc, ont pu être rapportés. Le foscarnet reste contre-indiqué en cas d'hypersensibilité à la molécule ou en cas d'association à la pentamidine injectable néphrotoxique et hypocalcémiante. (33) L'utilisation de cette molécule est limitée par sa piètre tolérance. 51 2.1.3. Le cidofovir (CDF) L'hydroxy-phosphonyl-méthoxy-propyl-cytosine ou cidofovir, analogue de la désoxycitidine monophosphatée est connu sous le nom commercial de Vistide®. Son administration est exclusivement intraveineuse. Il est préconisé aujourd'hui dans le traitement des rétinites à CMV chez les patients atteints du SIDA et ne présentant pas d'insuffisance rénale. (33) Certaines études ont montré qu'il pouvait également être utilisé en seconde ligne de traitement dans les infections à CMV chez les patients transplantés après échec des autres thérapies antivirales. (37) (38) Son mécanisme d'action ressemble à celui du ganciclovir mais il ne nécessite pas de première phosphorylation par une kinase virale car il est déjà monophosphaté. Il faut seulement l'action de kinases cellulaires qui lui ajoutent deux groupements phosphates pour qu'il interagisse avec l'ADN polymérase virale et bloque la réplication. Avec une CI50 estimée entre 0,15 et 0,3 µg/mL, il est considéré comme un puissant inhibiteur. (23) Son grand avantage réside dans sa demi-vie longue (entre 17 et 65 jours) ce qui permet des administrations hebdomadaires au début du traitement puis tous les 15 jours ensuite. Cependant, la toxicité sous traitement par cidofovir est importante. La néphrotoxicité, associant notamment protéinurie et hypercréatinémie est parfois irréversible et peut nécessiter l'arrêt du traitement. Il est recommandé d'assurer une bonne hydratation préalable avant chaque perfusion et d'associer du probénécide pour réduire cette toxicité rénale. (33) Plus rarement, fièvre, asthénie, alopécies, uvéites antérieures, rash cutané, diminution de la pression intraoculaire, neuropathies périphériques ont pu être observés. Son utilisation est contre-indiquée en cas d'hypersensibilité connue, d'insuffisance rénale ou en association avec des médicaments néphrotoxiques (amphotéricine B, aminosides, foscarnet, pentamidine, vancomycine) et en cas de grossesse ou allaitement. (33) Il est important de noter que le Vistide® est en rupture de stock depuis fin 2013 en raison de défaut de qualité et que son utilisation sera sûrement entièrement supprimée suite à une demande de retrait d'AMM par le laboratoire Gilead. (39) 52 2.1.4. L'aciclovir (ACV) et le valaciclovir (VACV) Le Zovirax® ou aciclovir est l'analogue 2'-déoxy de la guanosine. Il nécessite, comme le ganciclovir, une triphosphorylation pour être actif. Le valaciclovir, commercialisé sous le nom de Zelitrex®, est l'ester L-valine de l'aciclovir. Il a été formulé pour pallier une faible biodisponibilité orale de l'aciclovir. Leur efficacité dans le traitement des infections aux HSV (Herpès Simplex Virus) et VZV (virus varicelle-zona) est connue et démontrée. (33) Leur utilisation dans les infections à HCMV est réservée aux traitements préventifs. Il a notamment été montré que l'utilisation de fortes doses de valaciclovir en traitement prophylactique, réduit significativement la survenue de maladies à CMV chez des patients transplantés d'organes solides (40). Cependant, l'aciclovir semble moins efficace que le ganciclovir dans le traitement des infections à CMV, ceci s'explique peut-être par son affinité plus faible pour l'ADN polymérase virale et par sa demi-vie 4 à 5 fois plus courte que le ganciclovir dans les cellules infectées. (30) De plus, il semble que son efficacité dépende du degré d'immunodépression du patient traité. En effet, une étude a révélé qu'il était efficace sur des patients peu immunodéprimés mais inefficace sur des transplantés de moelle osseuse avec pneumonie à CMV. (41) Enfin, son mécanisme d'action identique à celui du ganciclovir l'expose aux mêmes risques de résistance. L'aciclovir a pour avantage de présenter peu d'effets indésirables : céphalées, nausées, vomissements, quelques troubles neurologiques (sensations ébrieuses, confusion, somnolence...) et très rarement des néphropathies qui peuvent être évitées par une bonne hydratation et une adaptation posologique individuelle. Ce traitement n'est contre-indiqué qu'en cas d'hypersensibilité à la molécule, de grossesse ou d'allaitement. (33) 53 Tableau 4: Récapitulatif des caractéristiques des inhibiteurs de l'ADN polymérase virale utilisés dans le traitement de l'infection à HCMV. (33) (23) (42) Nomenclature: GCV: ganciclovir; VGCV: valganciclovir; ACV: aciclovir; VACV: valaciclovir Ganciclovir et valganciclovir Foscarnet Cidofovir Aciclovir et valaciclovir Nom commercial GCV: Cymevan® VGCV: Rovalcyte® Foscavir® Vistide® ACV: Zovirax® VACV: Zelitrex® Statut Liste I GCV : Réservé aux hôpitaux VGCV : Disponible en ville Liste I Réservé aux hôpitaux Liste I Réservé aux hôpitaux Liste I Disponibles en ville Voies d'administration utilisées GCV : Perfusion IV sur 1 heure VGCV : VO Perfusion IV lente Perfusion IV lente sur 1 heure ACV : VO ou perfusion IV lente sur 1h VACV : VO Posologies usuelles GCV : 5 mg/kg 1 à 2 fois/j VGCV : 900 mg 1 à 2 fois/j 180 mg/kg/j en attaque puis 90 à 120 mg/kg/j en entretien 375 mg 1 fois par semaine ACV : 500 mg/m toutes les 8h de J-5 à J30 de la transplantation GCV : 0,7 µg/ml 5 à 50 µg/ml 0,15 à 0,3 µg/ml ACV : > 20µg/mL GCV : 10% VGCV : 60% 12 à 22% ? ACV: 15% VACV: 54% Fixation aux protéines plasmatiques GCV : Très faible (1 à 2%) Faible (< 20%) Faible ( < 10%) ACV : Faible( < 22%) VACV : Faible (15%) 1/2 vie plasmatique GCV : 2,5 h après administration IV 2,4 à 6 h 17 à 65 jours 3h Métabolisation GCV : Négligeable VGCV : Rapide en GCV Négligeable Négligeable ACV : 15 % VACV : 100% en ACV Voie d'élimination Rénale (> 90%) Rénale (> 80%) Rénale (100%) ACV: Rénale sous forme inchangée (85%) VACV: Rénale sous forme d'ACV Toxicité majeure Hématotoxicité : neutropénie, thrombopénie et anémie Néphrotoxicité : hypercréatinémie et insuffisance rénale Néphrotoxicité : protéinurie et hypercréatinémie Très faible toxicité CI50 Biodisponibilité orale 2 54 2.1.5. Les immunoglobulines intraveineuses Les résistances de plus en plus fréquentes des souches de CMV aux agents antiviraux nécessitent la recherche d'alternatives pour prévenir et traiter le CMV. L'utilisation des immunoglobulines hyper-immunes dérivées du plasma humain semble être une option valable. En effet, plusieurs études plus ou moins récentes ont pu montrer l'efficacité des immunoglobulines anti-CMV en prophylaxie chez les transplantés. Une augmentation de la survie des patients et des réussites de greffes y étaient rapportée. (43) (44) (45) Aux Etats-Unis, le produit Cytogam®, Cytomégalovirus immunoglobuline intraveineuse (humaine), est indiqué pour atténuer les infections primaires à cytomégalovirus associées à une greffe du rein, et tout particulièrement pour les patients séronégatifs pour le CMV ayant subi une greffe d’un rein provenant d’un donneur séropositif pour le CMV. En Europe, le Cytotect CP Biotest® possède une ATU (Autorisation Temporaire d'Utilisation) nominative en prophylaxie des maladies à CMV chez les patients sous traitement immunosuppresseur et particulièrement chez les patients transplantés. (46) Ces produits sont des préparations fabriquées à partir du plasma d'un donneur qui possède un titre élevé d'anticorps spécifiques anti-CMV. Leur administration se fait uniquement par voie IV. Comme tous les produits dérivés de plasma humain, il existe un risque de transmission d'agents viraux hématogènes (hépatite C, Creutzfeldt Jakob...) mais l'utilisation de procédés d'inactivation dans la fabrication des immunoglobulines anti-CMV rend ce risque faible. Le traitement est commencé quelques jours avant la transplantation et poursuivi plusieurs semaines après. Les immunoglobulines intraveineuses sont essentiellement utilisées en association avec un traitement antiviral. D'autres molécules utilisées mais ne possédant pas d'AMM seront discutées dans la partie "perspectives thérapeutiques". 55 2.2. Stratégies thérapeutiques 2.2.1. Traitement préventif Largement utilisé chez les patients transplantés d'organes solides, le traitement préventif du CMV permet de diminuer le risque de mortalité, de développement de maladie invasive des tissus et d'apparition d'effets indirects du CMV. Deux stratégies sont aujourd'hui utilisées (23) : - Le traitement prophylactique qui vise à prévenir l'infection chez les receveurs les plus à risques. - Le traitement préemptif qui prévient l'apparition des symptômes de la maladie à CMV chez un receveur qui a développé une infection active à CMV. 2.2.1.1. Le traitement prophylactique Il consiste à administrer les molécules antivirales chez tous les patients "à risque". Le traitement est commencé très rapidement après transplantation (dans les 10 premiers jours) et maintenu pendant au moins 3 à 6 mois. (47) L'efficacité du traitement prophylactique par rapport à l'absence de traitement ou à l'utilisation d'un placebo a été évaluée. Il apparait que le risque de maladie à CMV, d'infections à CMV et de toute cause de mortalité est significativement diminué. De plus, le traitement prophylactique réduit l'incidence des maladies à HSV ou VZV ainsi que celle des maladies bactériennes ou parasitaires (mais non fongiques). Le risque de rejet de greffe ou de perte du greffon est également diminué. (48) On dénombre cinq molécules utilisées dans le traitement prophylactique : le valganciclovir, le ganciclovir IV, le ganciclovir oral, l'aciclovir et le valaciclovir. Il a été montré que l'aciclovir, utilisé en prophylaxie, avait une moins bonne efficacité que le ganciclovir avec notamment une incidence augmentée des maladies et infections à CMV et des rejets de greffe. (49) L'utilisation du valganciclovir ou du ganciclovir par voie orale en prophylaxie chez des patients D+/R- ne montre pas de différences significatives. (50) C'est donc le valganciclovir à la posologie de 900mg/jour qui est 56 recommandé en première ligne dans le traitement prophylactique des transplantés d'organes solides (24). Il est à noter que cette posologie est à adapter à la fonction rénale du patient. Le risque d'infection à CMV variant en fonction de l'organe transplanté, le traitement utilisé doit également prendre en compte le type de greffe. Tableau 5: Recommandations internationales sur les molécules à utiliser en prophylaxie de l'infection à CMV chez les patients transplantés d'organes solides (en fonction du type de greffe). (24) Valganciclovir Ganciclovir IV Valaciclovir fortes doses X X X X X X X X X X X X X X X Rein Pancréas Foie Coeur Poumons Composites vascularisés: mains, visage ... Intestins +/immunoglobulines IV X X X X Une autre problématique est la durée de traitement : combien de temps après transplantation le traitement prophylactique doit-il être poursuivi? transplantés rénaux D+/R-, l'efficacité d'un traitement Chez des prophylactique par valganciclovir pendant 200 jours a été comparée à celle du même traitement conduit pendant seulement 100 jours. Il a alors été montré que l'incidence des maladies tardives à CMV étaient significativement diminuée après 200 jours de traitement par rapport à 100 jours (16,1% vs 36,8%, un an après l'arrêt du traitement). (51) De même, chez des transplantés pulmonaires, les patients ayant reçu 12 mois de traitement antiviral ont présenté moins de maladies (4% vs 32%) et d'infections (10% vs 64%) à CMV que ceux ayant reçu 3 mois de traitement. Un traitement prophylactique par valganciclovir pendant 12 mois chez les transplantés pulmonaires diminue l'incidence et la sévérité de la maladie à CMV sans favoriser les résistances et toxicités au ganciclovir. (52) Il est important d'adapter les durées de traitement aux facteurs de risque d'infection à CMV (type de greffe et statut du donneur et du receveur) : 57 Tableau 6: Durées recommandées pour le traitement prophylactique du CMV chez les transplantés d'organes solides en fonction du type de greffe et du statut donneur/receveur. (24) Reins Foie Cœur Pancréas Composites vascularisés Intestins Poumons 2.2.1.2. D+/R6 mois 3 à 6 mois 3 à 6 mois 3 à 6 mois Minimum 6 mois (D+ ou D-)/R+ 3 mois 3 mois 3 mois 3 mois 3 à 6 mois Minimum 6 mois 6 à 12 mois 3 à 6 mois Minimum 6 mois D-/R- Prophylaxie non recommandée : faible risque de développer la maladie. Le traitement préemptif Le traitement préemptif est débuté lorsque le diagnostic d'infection active a été porté et que le niveau de réplication virale, évalué par PCR ou par détection de l'antigénémie pp65, expose le receveur au risque de développer à court terme une maladie à CMV. Il nécessite donc un suivi biologique régulier du patient après transplantation. Le but est de traiter l'infection à CMV en phase précoce, avant que la maladie et ses symptômes ne se développent. L'efficacité du traitement préemptif dans la réduction de l'incidence de la maladie à CMV chez les transplantés d'organes est démontrée. (53) Les molécules recommandées dans cette stratégie préventive sont le valganciclovir 900 mg/12h ou le ganciclovir IV 5 mg/kg/12h. (47) Les deux antiviraux ont en effet montré leur efficacité. (54) L'un des problèmes de cette méthode réside dans le fait qu'il existe une grande variabilité de méthodes de suivi de la réplication virale. Aucune valeur seuil de charge virale au-delà de laquelle le traitement doit être instauré n'a été définie. Chaque laboratoire doit développer et valider son propre protocole et choisir une valeur seuil la plus juste possible en tenant compte du fait que le virus a une réplication rapide. La mesure de la charge virale doit se faire au moins une fois par semaine pendant 3 à 4 mois après la transplantation. (24) Le traitement est débuté dès lors que la charge virale atteint la valeur seuil et est à interrompre seulement après l'obtention de deux charges virales négatives à 2 semaines d'intervalle. (24) 58 2.2.1.3. Traitement prophylactique versus traitement préemptif Tableau 7 : Avantages et inconvénients des traitements prophylactiques et préemptifs à CMV. (43) (24) Paramètres Prévention des maladies à CMV Traitement préemptif Bonne efficacité (un peu moins Traitement prophylactique Bonne efficacité. efficace dans populations à haut risque). Coûts Dépenses de laboratoire élevées. Dépenses en traitements antiviraux élevées. Facilité d'utilisation Difficultés à coordonner les Plus facile à coordonner. Ne pas manipulations laboratoire, les oublier de surveiller les toxicités résultats et l'initiation du traitement. médicamenteuses. Toxicités médicamenteuses Faibles Elevées Protection contre les autres Non Oui Prévention du rejet de greffe Non connu Oui Perte du greffon Incidence diminuée Incidence diminuée Développement de l'immunité Oui Non Faible Elevée chez les D+/R-. Résistance aux antiviraux Possible mais peu fréquente. Possible mais peu fréquente. Echappement au traitement Possible car réplication très rapide Non sauf chez des patients qui préventif et développement de du virus. recevraient des doses insuffisantes herpes virus (HSV, VZV) spécifique anti-CMV Incidence des maladies tardives à CMV l'infection à CMV de traitement antiviral. Chaque méthode possède ses avantages et inconvénients : - Le traitement prophylactique est simple d'administration, il a pour avantage de protéger le patient des autres infections aux herpes virus (VZV, HSV) et il diminue significativement l'incidence des effets indirects du CMV comme le rejet de greffe. (47) Cependant, l'utilisation au long cours des molécules antivirales expose à la iatrogénie et il a été montré qu'une fois le traitement prophylactique achevé, il existe un risque de maladie tardive à CMV de moins bon pronostic (55) (56). - Le traitement préemptif, compte tenu d'une durée plus courte de traitement, engendre moins de toxicité médicamenteuse et un coût de traitement moins élevé. De plus, il permet de laisser le patient développer son immunité spécifique anti-CMV. 59 Cependant, il peut être difficile de mettre en place une coordination efficace entre les techniques de suivi au laboratoire et le suivi clinique du patient pour débuter le traitement au bon moment. Avec un traitement préemptif, les dépenses de laboratoire sont plus élevées et le patient ne possède pas de protection contre les autres herpes virus (HSV et VZV). Enfin, l'absence de valeur seuil recommandée représente un inconvénient majeur. (47) Quelle méthode choisir ? Y a t-il une stratégie plus efficace que l'autre ? Avec un suivi régulier, les données actuelles ne permettent pas de suggérer qu'une stratégie est plus efficace que l'autre chez les transplantés d'organes solides à risque modéré ou faible (57) (58) (59) (60). De ce fait, le traitement prophylactique et le traitement préemptif sont deux stratégies préventives acceptables pour la prévention de la maladie à CMV. Cependant, compte tenu du manque de données actuelles et du risque élevé de développer rapidement une maladie à CMV, le consensus international privilégie la méthode prophylactique à la méthode préemptive pour les patients à haut risque (thérapie anti-lymphocyte récente, patients infectés par le VIH, transplantés d'organes solides D+/R- à l'exception des transplantés rénaux et hépatiques). (24) 2.2.1.4. Rôle du traitement immunosuppresseur post-greffe Choisir les bons immunosuppresseurs aux bonnes posologies pour le traitement antirejet post-greffe permettrait de diminuer le risque d'infections à CMV. Une étude menée de juin 2011 à mai 2013 a ainsi comparé l'utilisation concomitante de posologies réduites de tacrolimus et d'évérolimus par rapport à des doses standards de mycophénolate et tacrolimus. Dans le bras évérolimus, une diminution significative de l'incidence des infections à CMV (réduction de 90%) a ainsi été mise en évidence chez des transplantés rénaux ne recevant pas de traitement prophylactique (61). Des études antérieures avait déjà montré que l'utilisation de l'évérolimus à la place du mycophénolate était associée à moins d'infections à CMV chez les transplantés rénaux (62) et cardiaques (63). 60 2.2.1.5. Prévention de l'infection materno-fœtale Elle repose essentiellement sur des règles d'hygiène de vie : - Lavage fréquent des mains avec eau et savon pendant 15 à 20 secondes, spécialement après chaque change, chaque contact avec les urines (couches, pots, pyjamas...) ou contact avec la salive, les sécrétions nasales ou les larmes d'un jeune enfant. - Ne pas finir les repas et les boissons d'un jeune enfant et ne pas sucer la cuillère ou la tétine. - Ne pas partager les affaires de toilette d'un jeune enfant. - Ne pas embrasser un jeune enfant sur les lèvres. - Limiter les contacts avec les jeunes enfants de moins de 3 ans spécialement si le statut sérologique est négatif ou inconnu. L'application de ces règles simples permet de diminuer l'incidence des primo- infections à CMV chez la femme enceinte (64) (65). 2.2.2. Traitement curatif 2.2.2.1. Prise en charge de l'infection materno-foetale Traitement anténatal Il n'existe aucun traitement validé pour l'infection congénitale à CMV pendant la grossesse. (66) Deux stratégies sont en cours d'évaluation : - L'utilisation des antiviraux. Le ganciclovir, le foscarnet et le cidofovir sont contre-indiqués pendant la grossesse en raison de leurs toxicités et du manque d'informations concernant leur tératogénicité. L'aciclovir ou sa prodrogue le valaciclovir semblent être les seules molécules envisageables. En effet, l'utilisation de l'aciclovir pendant la grossesse ne semble pas exposer le fœtus à des effets malformatifs (67) et sa bonne biodisponibilité, chez la femme enceinte et le fœtus, est à l'origine d'une diminution de la charge virale fœtale (68). 61 - L'utilisation des immunoglobulines hyper-immunes. Une étude en 2005 avait suggéré l'efficacité du traitement par immunoglobulines hyper-immunes qui favorisait la proportion de nouveau-nés asymptomatiques et diminuait les signes échographiques fœtaux (69). Mais des études plus récentes semblent montrer que cette stratégie manque d'efficacité certaine (70). Traitement du nouveau-né infecté C'est le ganciclovir IV à raison de 12 mg/kg/j qui a d'abord montré son efficacité dans le traitement du nouveau-né infecté améliorant ou stabilisant l'audition à 6 mois chez 81% des patients (71). Son effet neutropéniant et sa voie d'administration IV, le réserve aux enfants sévèrement infectés et présentant une atteinte du système nerveux central. La mise sur le marché en 2002 du valganciclovir, prodrogue du ganciclovir, sous forme de suspension buvable (Rovalcyte® 50 mg/mL Roche) a facilité la prise en charge du nouveau-né. Son utilisation orale à la dose de 16 mg/kg/j permet d'obtenir des concentrations plasmatiques équivalentes à celles obtenues par l'administration de ganciclovir IV (72). De plus, l'utilisation du valganciclovir semble engendrer moins de neutropénies que l'utilisation du ganciclovir par voie IV. (73) 2.2.2.2. Prise en charge du patient infecté par le VIH L'infection la plus fréquente chez les patients infectés par le VIH est la rétinite à CMV. Elle survient le plus souvent chez des patients présentant un déficit immunitaire profond avec un taux de lymphocytes CD4<50/ml. (74) La prise en charge de cette infection oculaire repose d'abord sur la mise en place de la trithérapie anti-VIH si celle-ci n'est pas déjà administrée. En effet, l'incidence des rétinites à CMV est considérablement diminuée chez les patients recevant la trithérapie : 23 cas /10000 patients VIH vs 8 cas /10000 patients (75). La reconstitution du système immunitaire, après initiation de la trithérapie anti-VIH, peut donc chez certains patients être suffisante pour guérir une rétinite à CMV. 62 Pour les patients déjà sous traitement anti-VIH la prise en charge de la rétinite à CMV doit être individuelle, adaptée à la localisation et à l'étendue de l'infection, aux effets indésirables potentiels des traitements et à l'efficacité des traitements antérieurs. Cette prise en charge comprend deux phases (76) : - Une phase d'induction, pendant 2 à 3 semaines, avec utilisation de fortes doses de façon fréquente pour stopper la réplication virale. - Une phase d'entretien avec des doses plus faibles sur une période continue pour supprimer l'activité virale le plus longtemps possible. Les molécules pouvant être utilisées sont le ganciclovir, le foscarnet ou le cidofovir par voie intraveineuse, le ganciclovir, le valganciclovir par voie orale ou le ganciclovir intra-vitréen (76). Chacune présente ses avantages et inconvénients. Les injections IV répétées de ganciclovir ou foscarnet nécessitent la pose d'un cathéter à demeure, exposant le patient à un risque infectieux. Le cidofovir avec ses injections plus espacées ne nécessite pas de cathéter à demeure pour autant, le risque néphrotoxique important requiert un prétraitement par probénécide et une bonne hydratation (76). Les implants de ganciclovir présentent une bonne efficacité mais l'implantation chirurgicale engendre des coûts et des comorbidités plus importantes (cataracte, hémorragies vitréennes, détachement rétinien...) (77). Il faut noter que les implants intra-vitréens doivent toujours être associés à un traitement par voie générale pour éviter une atteinte de l'autre œil ou des manifestations extra-oculaires. Le valganciclovir par voie orale reste alors la stratégie de choix. Facile d'administration, le valganciclovir apparait comme aussi efficace que le ganciclovir intraveineux pour le traitement d'induction et pour la gestion au long terme de la rétinite chez les patients infectés par le VIH. Une réponse clinique satisfaisante (diminution des lésions rétiniennes) a été retrouvée chez plus de 72% des patients traités par valganciclovir oral (78). Les autres molécules sont utilisées en cas d'échec du traitement ou d'effets indésirables. 63 Tableau 8 : Posologies du ganciclovir, valganciclovir, foscarnet, cidofovir dans le traitement des rétinites à CMV. (75) Nomenclature : IV: intraveineuse, VO: voie orale. Ganciclovir Valganciclovir Foscarnet Cidofovir 2.2.2.3. Phase d'attaque 5 mg/kg/12h en IV pendant 14 à 21 jours (à adapter à la fonction rénale) 900mg 2 fois par jour par VO pendant 14 à 21 jours 60 mg/kg/8h en IV pendant 14 à 21 jours 3 à 5 mg/kg en IV 1 fois par semaine pendant 2 semaines Phase d'entretien 5 mg/kg/j en IV 7 jours/7 OU 1000 mg 3 fois/jour par VO (à adapter à la fonction rénale) 900 mg 1 fois par jour par VO 90-120 mg/kg/j en IV 3 mg/kg en IV toutes les deux semaines Prise en charge du patient transplanté La prise en charge d'une maladie à CMV chez le patient transplanté dépend des manifestations cliniques observées. En première intention, le valganciclovir est à préconiser. Cependant, les formes orales exposent à une variabilité interindividuelle importante en terme de biodisponibilité notamment en cas de maladies intestinales. Alors, quand une exposition optimale du médicament est préconisée, l'administration intraveineuse est à préférer. Les recommandations internationales privilégient le valganciclovir à la dose de 900 mg 2 fois/jour ou le ganciclovir IV à la dose de 5 mg/kg/12h comme première ligne de traitement chez les adultes transplantés d'organes solides. Ses posologies sont à adapter à la fonction rénale du patient (tableau 9). Le traitement doit être initié pour deux semaines minimum et poursuivi jusqu'à obtenir deux charges virales négatives successives. De plus, pour détecter le plus rapidement possible toute toxicité du traitement antiviral, un suivi biologique hebdomadaire est à réaliser. (24) D'autre part, l'adaptation du traitement immunosuppresseur antirejet de greffe est indispensable. En effet, le système immunitaire du patient joue un rôle important dans la lutte contre le CMV. A l'heure actuelle, les recommandations internationales spécifient que la réduction des posologies des thérapies immunosuppressives est à envisager chez des patients présentant une maladie sévère à CMV, des charges virales élevées ou une leucopénie sévère ou chez ceux qui ne répondent pas aux traitements antiviraux. Dès qu'une réponse antivirale adéquate est obtenue, il conviendra de revenir aux doses immunosuppressives initiales. (24) 64 Tableau 9 : Posologies recommandées pour le ganciclovir, le valganciclovir et le valaciclovir chez les patients adultes transplantés présentant une altération de la fonction rénale (en utilisant la formule de Cockcroft-Gault). (24) 2.3. Suivi de la pathologie L'infection ou maladie à CMV nécessite un suivi très régulier, on distingue : 2.3.1. Le suivi clinique Le suivi journalier de l'état général du patient avec évaluation de l'évolution des symptômes de la maladie (fièvre, hypoxie, atteinte d'organes ...) est impératif. Face à une absence d'amélioration des symptômes cliniques sous traitement prolongé (plus de deux semaines à doses pleines), il faut suspecter une résistance aux antiviraux. (24) Chez les enfants infectés à la naissance, un suivi neurosensoriel régulier et prolongé est recommandé avec contrôle de l'audition, de la vision et suivi psychomoteur. Chez les patients infectés par le VIH présentant une rétinite à CMV, les examens ophtalmologiques réguliers sont recommandés. 65 2.3.2. Le suivi virologique La charge virale représente le nombre de copies de virus par millilitre de sang et permet de mettre en évidence la réplication virale. On peut, grâce à cette mesure, diagnostiquer une infection à CMV, évaluer l'efficacité d'un traitement antiviral ou mettre en évidence une résistance au traitement. L'objectif en cours de traitement est de rendre la charge virale indétectable, signe d'une réplication virale inhibée. Cette mesure peut être réalisée par antigénémie pp65 ou amplification génique ou polymerase chain reaction (PCR). En juillet 2015, la mesure de la charge virale du cytomégalovirus par amplification génique chez les receveurs d’allogreffes, a reçu un avis favorable de la HAS (Haute Autorité de Santé) pour l'inscription à la NABM (Nomenclature des Actes de Biologie Médicale). Ainsi, on reconnait que le suivi de la charge virale du CMV par PCR trouve sa place dans un traitement préemptif ou curatif de la maladie à CMV. Le résultat obtenu est quantitatif et exprimé en unités internationales. Le suivi doit être réalisé sur un même type d'échantillon avec la même technique et dans un même laboratoire. Lors d'un traitement préemptif, ce suivi doit être hebdomadaire pendant au moins 3 à 4 mois après la greffe. Le seuil au delà duquel le traitement est à initier doit être défini à l'issue d'une discussion clinico-biologique en fonction de la technique de PCR utilisée et des caractéristiques du patient. Lors du traitement antiviral de la maladie, le suivi de la charge virale est hebdomadaire. L'arrêt du traitement doit être envisagé après deux résultats négatifs consécutifs espacés d'au moins une semaine. (79) 2.3.3. Le suivi biologique Les médicaments utilisés sont à l'origine de toxicités qui doivent être contrôlées par un suivi biologique régulier : - Avec le ganciclovir et valganciclovir, un hémogramme est préconisé tous les jours pendant le traitement d'attaque puis, tous les 7 à 15 jours pendant le 66 traitement d'entretien. La clairance de la créatinine, permettant d'évaluer le débit de filtration glomérulaire, doit également être régulièrement contrôlée pour adapter les posologies en cas de détérioration de la fonction rénale. - Avec le foscarnet, à l'origine d'un risque néphrotoxique et de troubles électrolytiques, la créatinémie et la calcémie sont à surveiller tous les 2 jours en traitement d'attaque puis une fois par semaine. L'hémogramme est à réaliser de façon hebdomadaire pendant le traitement d'attaque puis deux fois par mois. Kaliémie et phosphorémie doivent également être contrôlées. - Avec le cidofovir, NFS (Numération Formule Sanguine), créatinémie, protéinurie, glycosurie, phosphatases sériques, uricémie et bicarbonates sont à surveiller avant administration puis régulièrement ensuite. - Avec l'aciclovir, les fonctions rénales (notamment clairance de la créatinine) et hématopoïétiques doivent être contrôlées. (33) 2.3.4. Le suivi immunologique Il a pour but d'évaluer la réponse immunitaire du patient en mesurant les lymphocytes T CD4+ et T CD8+ spécifiques au HCMV. Différentes méthodes sont disponibles comme la cytométrie de flux, l'INFγ-ELISPOT (Enzyme Linked Immunospot), le QuantiFERON-CMV ... Ce suivi est recommandé pour évaluer le risque d'infection active ou maladie à CMV notamment après traitement prophylactique ou lors des traitements préemptifs chez les receveurs d'organes solides. (24) La plupart des essais conduits sont basés sur la détection de l'INFγ après stimulation de sang total ou de cellules mononuclées périphériques par des antigènes ou peptides spécifiques du CMV. (24) La présence en quantité suffisante de cellules T exprimant des cytokines comme l'INFγ, le TNFα ou l'IL2, est corrélée à un bon contrôle du CMV à court et long terme. Au contraire, le manque de cellules T serait associé à une augmentation du risque de réplication virale. (80) (81) (82) Le QuantiFERON-CMV est le premier test standardisé et commercialisé pour déterminer la sécrétion d'INFγ spécifique au HCMV. On prélève du sang total dans 67 trois tubes : un tube témoin négatif "Nil", un tube contenant des antigènes CMV "antigènes" et un tube témoin positif avec des agents mitogènes. L'ensemble est incubé 16 à 24h puis, après centrifugation, la quantité d'INFγ est évaluée dans chaque tube par test ELISA. Le test est considéré comme réactif lorsque la quantité d'INFγ mesurée dans le tube "antigène" est nettement supérieure à celle du tube "Nil"(83). Ce test a montré son efficacité pour prédire le risque de développement d'une maladie à CMV après traitement prophylactique. (84) 2.3.5. Le suivi pharmacologique Très important pour obtenir une exposition optimale aux antiviraux chez le patient infecté, ce suivi sera discuté dans la partie "3 Suivi thérapeutique pharmacologique". 2.4. Résistance aux traitements L'émergence de résistances aux traitements antiviraux constitue un problème majeur dans la prise en charge actuelle du cytomegalovirus. La non-efficacité des traitements entraîne alors un mauvais contrôle de l'infection exposant le patient à un risque de mortalité plus élevé. Chez les patients infectés par le VIH et nécessitant un traitement anti-CMV, 20% de résistances aux antiviraux ont d'abord été mis en évidence. Cette incidence a fortement diminué après l'introduction de la thérapie antirétrovirale, chutant à 9%. (85) Dans les suites de transplantations, le risque de résistance aux molécules antivirales reste préoccupant. Les patients D+/R- présentent en fonction du type de greffes et de leur statut immunitaire 5 à 10% de résistances. La transplantation pulmonaire comptabilise le plus de cas de résistances. (86) 68 2.4.1. Facteurs de risques La résistance du CMV à un antiviral donné est susceptible d’apparaître lorsque le virus se réplique en présence de cet antiviral. La pression de sélection exercée par l’antiviral va alors favoriser l’émergence de virus mutants résistants initialement minoritaires. (20) Certains facteurs favorisant l'émergence de résistance aux traitements antiviraux ont pu être identifiés (24) (13) (87) (87) : - Exposition prolongée aux antiviraux (plus de 5 mois). - Mauvaise administration des antiviraux : utilisation de doses suboptimales, mauvaise observance, biodisponibilité insuffisante ... - Absence d'immunité avant greffe : statut D+/R-. - Défenses immunitaires de l'hôte très affaiblies par de fortes doses de traitements immunosuppresseurs. - Haut niveau de réplication virale. 2.4.2. Mécanismes de résistance Les résistances aux traitements du HCMV résultent d'une ou plusieurs mutations au niveau des gènes UL54 et UL97 nécessaires à l'action des antiviraux. Pour rappel, la protéine pUL97 est une protéine kinase indispensable à la première phosphorylation du ganciclovir et de l'aciclovir. La protéine pUL54 correspond à l'ADN polymérase virale. Les mutations du gène UL97 entraînent une résistance au ganciclovir, valganciclovir et aciclovir. Elles n'ont cependant aucune influence sur la sensibilité au foscarnet ou cidofovir qui ne nécessitent pas de primo-phosphorylation par une kinase virale. Ces mutations touchent essentiellement les codons 460, 520 et 590 à 607, entraînant des résistances plus ou moins sévères. (24) Parmi ces mutations, 33 substitutions d'acides aminés et 6 délétions ont été mises en évidence dans la résistance au ganciclovir/valganciclovir. (88) 69 Tableau 10: Niveaux de résistances au ganciclovir en fonction des génotypes UL97 (24) Nomenclature: del : déletion d'un codon; del2 : déletion de 2 codons; del(≥3) : déletion de plus de 3 codons entre 590 et 607; A : Alanine; C : Cystéine; D : Aspartate; E : Glutamate; F : Phenylalanine; G : Glycine; I : Isoleucine; K : Lysine; L : Leucine; M : Methionine; N : Asparagine; Q : Glutamine; R : Arginine; S : Serine; T : Threonine; V : Valine; W : Tryptophane; Y : Tyrosine. Niveau de résistance Résistance modérée Résistance de faible grade Mutations génotypiques UL97 les plus communes (représentant 80% des cas de résistances) M460V/I H520Q A594V L595S C603W C592G Mutations génotypiques UL97 moins communes (codons 460 et 590 à 607) A594G 595del 596del L595F/W K599T C603R C607Y del(≥3) A594E/T E596G C603S 600del2 C607F Résistance insignifiante A591V N597D K599E/R L600I 600del T601M D605E Concernant les mutations du gène UL54, 32 substitutions et 1 délétion seraient associées à une résistance au valganciclovir ou ganciclovir. (88) Certaines molécules utilisées dans la prise en charge du cytomegalovirus présentent un mécanisme d'action proche et une même cible. Ainsi une mutation UL54 touchant l'ADN polymérase virale, peut entraîner une diminution de sensibilité à plusieurs antiviraux. Des résistances croisées entre ganciclovir et cidofovir et entre ganciclovir et foscarnet ont ainsi été mises en évidence (84). Tableau 11: Exemples de mutations affectant UL54 et entrainant des résistances au ganciclovir. Les mutations soulignées correspondent à des résistances croisées ganciclovir/cidofovir. Celles en gras correspondent à des mutations croisées ganciclovir/foscarnet. (88) Forte diminution de la sensibilité au GCV Diminution modérée de la sensibilité au GCV D301N; N408D/K/S; N410K; F412C/L/S; L501F/I; T503I; K513N/E/R; I521T; P522A/S; L545S/W; Q578H; D588N; E756K; Del981-982; V781I; V787L; L802M; A809V; T813S; T821I; A834P; G841A; A987G E315D; P522L; Q578L; D588E; S695T; I726T/V; D879G; A972V 70 Parmi les résistances observées chez les patients traités par ganciclovir, 90% présentent d'abord une mutation UL97 à laquelle pourra s'ajouter par la suite une mutation UL54. Ainsi il est recommandé de commencer par rechercher une mutation UL97 seule et de vérifier par la suite UL54. (24) L'association de plusieurs mutations touchant à la fois UL54 et UL97 est à l'origine d'une forte résistance au ganciclovir. (89) 2.4.3. Diagnostic Une résistance au traitement doit être suspectée lorsqu'il n'y a aucune évolution de la virémie et de la maladie à CMV après un traitement antiviral prolongé (plus de 6 semaines d'exposition aux antiviraux avec au moins deux semaines consécutives à doses pleines) et notamment chez des patients présentant des facteurs de risque. (24) La recherche de mutations de résistance utilise des méthodes phénotypiques et/ou génotypiques. Néanmoins, il faut garder à l’esprit que cette situation peut être aussi la conséquence d’une mauvaise observance du traitement antiviral par le patient, de l’administration de doses suboptimales, d’une diffusion insuffisante de la molécule au niveau du site de l’organisme où se réplique activement le virus, ou encore d’une immunodépression cellulaire majeure (notamment chez les patients allogreffés de CSH). 2.4.3.1. Méthodes phénotypiques Elles ont pour but de déterminer la concentration antivirale requise pour diminuer la croissance virale en cultures cellulaires de 50 à 90% (CI50 et CI90). Cette méthode nécessite donc une mise en culture de prélèvements sanguins ou urinaires pour quantifier la réplication virale en présence et en absence d'antiviraux. (87) Face à la grande variabilité des résultats obtenus par méthodes phénotypiques, il est recommandé de toujours tester en parallèle la souche de référence AD169. Ainsi on calcule : IR (Indice de Résistance) = CI50 (souche du patient) / CI50 (souche AD169). On estime que la souche est résistante quand IR ≥ 3. (20) 71 Historiquement, c'est la méthode PRA (Plaque Reduction Assay) qui était recommandée. Elle détermine la concentration de l'agent antiviral nécessaire à l'inhibition de 50% (CI50) des plaques virales (88). Difficile à reproduire, à interpréter et demandant beaucoup de travail et temps, cette méthode est toujours utilisée mais des variantes ont été mises en place (88) : - La lignée cellulaire rapporteuse : on utilise des protéines fluorescentes ou l'activité luciférase pour mettre en évidence l'expansion virale du CMV. - La PCR quantitative en temps réel : on mesure la diminution du nombre de copies du génome HCMV avec différentes concentrations d'antiviraux. - La génération de virus recombinants : on évalue l'impact d'un changement génétique spécifique sur la sensibilité ou la résistance aux antiviraux. Des gènes rapporteurs codant des protéines comme l'alcaline phosphatase ou la GFP (Green Fluorescent Protein) sont insérés pour suivre l'expansion virale. - Les nouveaux essais biochimiques : on mesure l'incorporation de nucléotides en présence d'enzymes UL54 recombinantes. Les méthodes phénotypiques possèdent plusieurs inconvénients majeurs. On peut d'abord citer le manque de standardisation et de définitions de valeurs CI50 normales pour chaque antiviral. De plus, elles ne permettent pas de mettre en évidence des souches sensibles ou résistantes minoritaires au sein d'un mélange de souches. Enfin, les souches isolées à partir des prélèvements sanguins ou urinaires sont parfois différentes de celles responsables de l'atteinte clinique. (90) 2.4.3.2. Méthodes génotypiques L‘approche génotypique consiste à rechercher la présence de mutations par séquençage de l‘intégralité des gènes d‘intérêt (UL97 et UL54). Cette méthode a un avantage majeur : elle ne nécessite pas de cultures virales. En effet, elle est réalisable sur l‘ADN extrait de la souche virale utilisée pour l‘approche phénotypique ou directement sur l'ADN extrait du prélèvement du patient. (20) Après amplification des gènes par PCR, un séquençage est réalisé à la recherche de mutations déjà connues comme associées à une résistance aux antiviraux. L'analyse des résultats de séquençage peut parfois s'avérer complexe. En effet, il est difficile 72 de distinguer si une nouvelle mutation (non rapportée dans la littérature) est associée à la résistance à un agent antiviral ou au polymorphisme viral. (88) La PCR-RFLP (Polymerase Chain Reaction-Restriction Fragment Length Polymorphism) est une méthode rapide très utilisée et développée pour détecter les mutations les plus fréquentes de UL97. Après PCR, l'ADN est amplifié et coupé par des enzymes de restriction dont les sites sont situés au niveau des codons mutés. Les fragments d'ADN générés sont ensuite révélés par électrophorèse et leur nombre et taille s'avèrent différents en fonction du génotype du patient. (90) Figure 12: Stratégie proposée en cas de suspicion de résistance virologique au traitement. (90) 2.4.4. Adaptation du traitement A l'heure actuelle, il n'existe pas d'études contrôlées pour déterminer quelles options thérapeutiques sont à utiliser en cas de suspicion ou preuve de résistance au traitement antiviral. Les experts se sont accordés sur plusieurs principes (24) : 73 - Si aucune résistance n'est mise en évidence par diagnostic génotypique et/ou phénotypique, il convient d'ajuster les facteurs spécifiques de l'hôte (traitement immunosuppresseur, contrôle de l'observance ...) plutôt que de changer de molécule antivirale. - Devant une suspicion de résistance, il faut en premier lieu diminuer le traitement immunosuppresseur le plus possible. - Pour les mutations conférant des niveaux de résistance faibles au ganciclovir, il est préférable d'augmenter les doses de GCV à 10mg/kg/12h en cas de maladie peu sévère sous contrôle de la fonction rénale et de la toxicité. - Le changement du ganciclovir vers le foscarnet est recommandé en cas de mutation induisant un niveau de résistance élevé ou en cas de mutation double UL97 et UL54. - Le cidofovir est à utiliser en dernière intention en cas de mise en évidence d'une résistance au ganciclovir et au foscarnet. Figure 13: Algorithme proposé pour la gestion des résistances suspectées aux antiviraux et basé sur le consensus des opinions d'experts. (24) Nomenclature : GCV : ganciclovir; FOS : Foscarnet; CDF: Cidofovir; (1) : Absence d'amélioration des symptômes de la maladie ou de la charge virale ; (2) Pleines doses GCV=5mg/kg/12h IV et Fortes doses GCV = 10mg/kg/12h IV. 74 2.5. Perspectives thérapeutiques Face au développement des résistances, la nécessité de trouver de nouvelles molécules et stratégies thérapeutiques s'avère indispensable. Plusieurs nouveaux antiviraux sont donc actuellement en phase d'essais cliniques dans le but d'obtenir une meilleure efficacité et une moindre toxicité dans le traitement et la prévention du CMV. (91) 2.5.1. Molécules en cours d'évaluation 2.5.1.1. Maribavir Dérivé benzimidazolé L-ribonucléoside, inhibiteur de la protéine kinase pUL97, le maribavir possède une activité in vitro anti-CMV démontrée. (92) Sa cible, la protéine pUL97, est indispensable à l'activité du ganciclovir car elle réalise sa première phosphorylation. Mais avec le maribavir, c'est plutôt le rôle de cette protéine dans l'élongation de l'ADN, l'emballage et la sortie nucléaire des ADN qui est visé. Le maribavir ne nécessite aucune phosphorylation pour être actif et ne cible pas l'ADN polymérase virale comme le font les autres analogues nucléosidiques déjà utilisés. (93) L'activité du maribavir sur des souches résistantes au ganciclovir, cidofovir et/ou foscarnet a été démontrée. (94) (95) Les mutations conférant une résistance au ganciclovir apparaissent dans des loci différents de ceux qui entraînent des résistances au maribavir. Des altérations génétiques au niveau des gènes UL97 et UL27 sont associées à des résistances in vitro au maribavir. (96) Plusieurs essais cliniques ont déjà été menés. Les données recueillies lors d'essais de phase I n'ont montré aucune inquiétude concernant la toxicité de cette molécule. Les effets indésirables les plus souvent rapportés étaient des troubles du goût et des maux de tête. Une étude de phase II a ensuite montré l'efficacité d'un traitement prophylactique par maribavir à trois posologies différentes (100mg/j, 400mg/j et 400mg 2 fois/j) par rapport à un placebo sur la prévention de l'infection à CMV chez des receveurs de cellules souches allogéniques. Mais des essais de phase III ont commencé à montrer des limites dans l'utilisation du maribavir. A la 75 posologie de 100mg deux fois par jour, le maribavir a échoué dans la prévention de l'infection à CMV. (93) Des résultats sont maintenant attendus concernant deux essais de phase II qui utilisent des posologies plus élevées de maribavir pour le traitement de maladie à CMV résistante ou comme traitement préemptif (essais EudraCT:2010-024247-32 en Allemagne, et NCT01611974 aux Etats-Unis). Compte tenu des difficultés à déterminer la posologie optimale et en raison de la mise en évidence de résistances possibles, l'avenir de cette molécule reste incertain. 2.5.1.2. Letermovir Egalement connu sous les noms de "AIC-246" ou "MK-8228", le letermovir se distingue des autres antiviraux anti-CMV par son faible poids moléculaire et son mode d'action. Il possède une forte activité spécifique sur le CMV qui semble in vitro supérieure à celle du ganciclovir. Il est inefficace sur les autres herpesvirus. (97) (98) Le letermovir cible la sous-unité pUL56 de la terminase virale impliquée dans le clivage et l'emballage de l'ADN viral du HCMV. Ainsi, à la différence des antiviraux aujourd'hui utilisés, le letermovir stoppe la réplication virale après la synthèse de l'ADN et non pendant. (99) Son mécanisme d'action si différent lui permettrait d'être efficace sur des souches résistantes au ganciclovir, cidofovir et foscarnet. (100) Les essais cliniques entrepris ont montré que le letermovir possédait un bon profil de tolérance avec aucune toxicité rénale ou hématopoïétique recensée. Quelques effets indésirables de type digestifs comme des nausées, diarrhées ou vomissements ont pu être mis en évidence. De plus, des essais de phase II ont montré qu'un traitement préemptif par letermovir avait une efficacité équivalente à celui par valganciclovir et que l'incidence des échecs de prophylaxie avec le letermovir était diminuée par rapport à un traitement placebo. (99) (100) Les études continuent. Un essai de phase III est notamment en cours afin d'évaluer l'efficacité et la tolérance d'un traitement par letermovir pour prévenir l'infection à HCMV chez les receveurs de cellules souches hématopoïétiques (NCT02137772). 76 Concernant les résistances, des études montrent qu'elles pourraient faire suite à des mutations au niveau des séquences codant UL56. Leurs rapides évolutions in vitro suggèrent qu'une surveillance génétique lors du traitement pourrait s'avérer nécessaire. (101) Le letermovir reste un bon candidat potentiel pour le traitement et la prévention du HCMV. 2.5.1.3. Brincidofovir Le brincidofovir ou "CMX001" est un analogue du cidofovir possédant une activité in vitro sur les herpesvirus mais également sur les adénovirus, papillomavirus, variolavirus... L'ajout d'un lipide au cidofovir a permis d'augmenter sa biodisponibilité orale. Le brincidofovir est donc administré par voie orale et absorbé au niveau intestinal. Il est ensuite délivré aux organes cibles par diffusion passive facilitée par le groupement lipide. Une fois à l'intérieur des cellules, des phospholipases intracellulaires le clivent, libérant ainsi le cidofovir. Après une double phosphorylation par les kinases cellulaires, le cidofovir diphosphonate s'incorpore dans la chaîne d'ADN en formation et bloque la réplication virale. (93) Après administration de brincidofovir à posologie usuelle, on ne retrouve pas de cidofovir au niveau plasmatique ce qui diminue la néphrotoxicité. (102) Des études cliniques de phase I, utilisant des posologies croissantes de CMX001 chez plusieurs patients, ont montré que la molécule possédait un bon profil de tolérance. (93) Une étude de phase II a ensuite révélé que l'utilisation de 100mg deux fois par semaine de brincidofovir chez des receveurs de cellules souches hématopoïétiques réduisait significativement l'incidence des infections et maladies à CMV. Cette posologie semble être celle à utiliser car une augmentation de la posologie à 200mg deux fois par semaine est responsable de fortes diarrhées. (103) Une autre étude a inclus des patients infectés par le CMV dont certains possédaient une mutation de résistance au ganciclovir et d'autres au cidofovir. Il a alors été démontré qu'il n'y avait aucune différence d'effet du brincidofovir chez les 77 patients présentant une résistance au ganciclovir par rapport à ceux qui ne possédaient aucune mutation de résistance connue. Cependant, pour ceux résistants au cidofovir, l'efficacité du traitement était diminuée. L'utilisation de CMX001 ne devrait donc pas être initiée chez les patients présentant une résistance au cidofovir. (102) Actuellement, une étude de phase III évalue l'efficacité et la tolérance du CMX001 à la dose de 100mg deux fois par semaine pour la prévention du CMV chez les receveurs R+ de cellules souches hématopoïétiques (NCT01769170). 2.5.1.4. Leflunomide Le leflunomide, connu en Europe sous le nom commercial Arava®, est utilisé dans le traitement de fond de la polyarthrite rhumatoïde et du rhumatisme psoriasique actif de l'adulte. Il a une action antiproliférative sur les lymphocytes T activés en inhibant la dihydro-orotate déshydrogenase et donc la synthèse des pyrimidines. (33) Depuis plusieurs années, le leflunomide est reconnu comme possédant également une activité antivirale notamment sur le cytomegalovirus par inhibition de l'assemblage des virions. (104) (105) Plusieurs cas d'utilisations réussies du leflunomide chez des patients transplantés présentant une maladie à CMV avec intolérance ou inefficacité des autres thérapies sont rapportés (106) (107) (108). Avec son activité immunosuppressive et antivirale, le leflunomide serait utile dans le traitement des infections sévères à CMV notamment chez les transplantés. Les effets indésirables les plus souvent rapportés sont l'anémie, les diarrhées et une augmentation de l'activité hépatique. (109) Des études incluant de plus grands effectifs et méthodologiquement plus robustes, doivent encore être conduites. Elles permettraient de s'assurer de l'efficacité du leflunomide, d'étudier la durée optimale de traitement, les posologies ou encore les effets synergiques possibles avec d'autres antiviraux déjà utilisés. 78 2.5.1.5. Artesunate Ce traitement antipaludéen a montré qu'il possédait une bonne activité antivirale in vitro sur le cytomegalovirus. (110) (111) Son mécanisme d'action antiviral reste pour le moment non élucidé. Il agirait avant la synthèse d'ADN et peutêtre également à un autre stade ultérieur après la réplication de l'ADN (111). Il diminuerait l'activation de facteurs impliqués dans la réplication virale comme Sp-1 et NFĸB. (112) Plusieurs cas anecdotiques d'utilisations cliniques de cette molécule dans le traitement de l'infection à CMV ont été rapportés. Echecs et réussites, les résultats obtenus sont variables. (113) (114) Les données actuelles ne permettent pas de statuer avec certitude quant à son efficacité et/ou sa toxicité. 2.5.2. Vaccin anti-CMV Le développement d'un vaccin anti-CMV est reconnu comme une priorité pour prévenir les infections congénitales chez les nouveau-nés et maladies à CMV chez les transplantés. (115) De nombreux candidats sont actuellement en cours d'évaluation. Le premier vaccin réalisé est un vaccin vivant atténué dérivé de la souche Towne. Testé sur plus de 800 individus, il a montré une bonne sécurité d'emploi n'induisant que très peu d'effets indésirables. Il permet de réduire de 85% la sévérité des maladies à CMV chez les transplantés rénaux R- mais ne parvient pas à prévenir l'infection. De même, il ne permet pas de prévenir l'infection chez les femmes séronégatives au CMV mais protégerait d'une réinfection chez les femmes séropositives. (115) Des vaccins recombinants, associant des séquences génomiques des souches Toledo et Towne, ont été proposés. Ils se sont avérés sans danger chez les 79 sujets séropositifs au CMV et sont actuellement en cours d'essais cliniques de phase I chez des sujets séronégatifs (NCT01195571). (116) Une des stratégies les plus prometteuses semble être l'utilisation de sousunités virales, en sélectionnant les antigènes les plus pertinents pour induire une réponse immunitaire spécifique. La protéine gB, cible des lymphocytes TCD4+ et TCD8+ lors de l'infection naturelle, a ainsi intéressé les chercheurs. Un vaccin utilisant une gB recombinante associé à un adjuvant MF59 a permis d'induire la formation de nombreux anticorps neutralisants. (117) Il a ensuite été proposé d'associer la gB recombinante à un autre antigène intéressant, la pp65. Des résultats de phase II semblent intéressants pour diminuer la virémie chez des patients transplantés de cellules souches hématopoïétiques. (118) L'utilisation de protéines recombinantes permet d'augmenter la tolérance au vaccin mais, lorsque deux ou plusieurs protéines sont nécessaires pour obtenir une réponse immunitaire adaptée, la formulation du vaccin se complique. L'utilisation de vecteurs semble alors intéressante. Ainsi des vaccins avec vecteur dérivé de canarypox contenant la protéine pp65 recombinante (119), ou des vecteurs poxvirus contenant pp65, gB et p150 (120) ont vu le jour et ont donné des résultats intéressants mais qui nécessitent des études cliniques supplémentaires. D'autres formulations s'avèrent également intéressantes : les vaccins à ADN codant pour des antigènes comme pp65 ou gB ou gH/gL/gO, les vaccins avec corps denses de CMV ... Les vaccins anti-CMV sont encore en phase d'essais précliniques ou cliniques de phase I et II. Ils constitueraient une avancée majeure dans la prévention de l'infection ou maladie à CMV. 80 Tableau 12 : Récapitulatif des candidats pour la vaccination au HCMV. (121) Evaluation préclinique Essais cliniques (Phase I/II) Efficacité des essais Résultats / Perspectives Vaccin vivant atténué (Towne) Vaccin vivant recombinant Towne/Toledo gB recombinant Oui Oui Oui Oui Oui Non Oui Oui Oui - protection contre la maladie - Ne prévient pas l'infection - Bonne tolérance chez les volontaires sains séropositifs - Nécessité d'essais cliniques supplémentaires - Induction d'AC neutralisants et réponse TCD4 chez patients séronégatifs - Rapide stimulation des AC neutralisants chez les patients séropositifs - Bénéfique chez les transplantés rénaux et hépatiques - Prévention de l'infection chez les jeunes femmes Vecteurs canarypox Oui Oui Non Vecteurs MVA (Modified Vaccinia Virus Ankara) Vecteurs adénovirus non réplicatifs Oui Oui Non Oui Non Non Peptides (épitopes CD4 et CD8 de cellules T) Oui Oui Non Vaccins ADN Oui Oui Oui Corps denses Oui Non Non Vaccin avec un virus non réplicatif Oui Non Non - Réponse cellulaire chez les volontaires séronégatifs - Peu d'AC neutralisant générés - Semble être un bon candidat pour des une première induction rapide - Ont été étudié sur des petits modèles animaux - Induction d'AC neutralisants et réponse cellulaire sur des modèles animaux - Essais cliniques à réaliser - Induction d'une réponse cellulaire chez la souris - Essai de phase Ib montre une bonne sécurité d'emploi avec aucun effet indésirable chez des volontaires sains et induction d'une réponse CD8+ - Protection contre CMV sur modèle de souris HCMV après une première induction - Induction d'AC neutralisant et réponse cellulaire chez des volontaires et patients avec tumeurs - Diminution de l'incidence et récurrence des épisodes de virémie HCMV chez les patients transplantés de cellules souches hématopoïétiques - Réponses durables avec AC neutralisants chez la souris - Réponses cellulaires chez la souris - Essais cliniques à réaliser - En cours d'essai clinique de phase I (NCT01986010) 81 3. Suivi thérapeutique pharmacologique (STP) 3.1. Définition 3.1.1. Le STP : c'est quoi ? Appelé également "monitoring thérapeutique" ou "therapeutic drug monitoring" (TDM), le suivi thérapeutique pharmacologique (STP) est une spécialité clinique pluridisciplinaire visant à améliorer la prise en charge du patient en ajustant individuellement la dose des médicaments prescrits. Dans un premier temps, le STP consiste à mesurer la concentration d'une molécule thérapeutique dans différents fluides biologiques et à s'assurer qu'elle se situe dans un intervalle thérapeutique établi à partir des données de la littérature. (122) (123) Pour rappel, est appellé intervalle thérapeutique ou marge thérapeutique, les valeurs de concentrations comprises entre la concentration minimale du médicament produisant un effet thérapeutique et la concentration plasmatique maximale qui ne produit pas d'effets toxiques. (124) Figure 14 : Définition de l'intervalle thérapeutique. Sur ce schéma une même molécule a été administrée au même moment à 3 posologies différentes (A,B et C). La posologie B est la seule permettant d'obtenir une concentration plasmatique dans l'intervalle thérapeutique sans atteindre les valeurs toxiques. 82 Cette approche repose alors sur le principe qu'il n'existe pas de relation entre dose et concentration mais une relation entre concentration plasmatique et effet. En raison de facteurs de variabilités pharmacocinétiques, la concentration plasmatique obtenue chez un individu n'est pas entièrement prévisible d'où la nécessité de réaliser ce dosage. Figure 15 : Paramètres pharmacocinétiques et pharmacodynamiques contribuant à la variabilité interindividuelle entre posologie prescrite, concentration sanguine et effet clinique obtenu. (122) (123) Le suivi thérapeutique pharmacologique ne se limite pas à la seule mesure de concentration et à sa comparaison avec des valeurs cibles. En effet, la deuxième partie du travail consiste à interpréter les résultats obtenus en tenant compte de nombreux paramètres comme la réponse clinique, les caractéristiques et le statut clinique du patient, la posologie utilisée, les caractéristiques pharmacocinétiques de la molécule ou encore l'indication du STP. Le clinicien peut ensuite, avec l'avis de l'équipe de pharmacologie, modifier la posologie en fonction des résultats obtenus. (123) Le but final est d'identifier la dose la plus appropriée pour obtenir une réponse optimale tout en minimisant le risque toxique chez le patient. (122) Il permet de limiter les échecs thérapeutiques et de réduire la fréquence des effets indésirables ou toxiques des médicaments. 83 3.1.2. Indications du STP Le STP permet d'optimiser le traitement médicamenteux. Il peut être indiqué dans les situations suivantes (122) (123) (125) : - Défaut de réponse au traitement : la concentration obtenue est-elle en dessous de la zone thérapeutique ? - Exploration d'un phénomène toxique imputable au médicament (notamment lorsque les manifestations cliniques de la maladie sont également celles d'une possible toxicité) : le patient est-il exposé à une concentration plasmatique toxique ? - Suivi régulier des concentrations plasmatiques pour empêcher toute toxicité : les concentrations plasmatiques sont-elles toujours inférieures aux concentrations toxiques ? - Suivi de l'observance au traitement : les concentrations mesurées sont-elles inférieures à celles normalement retrouvées après l'administration d'une posologie donnée ? - Evaluation de l'impact d'un changement posologique ou recherche d'une cause face à un changement d'état clinique du patient : les nouvelles concentrations se situent-elles dans la zone thérapeutique ? - Suivi et détection des interactions médicamenteuses notamment après une modification des traitements associés. - Optimisation des thérapies à faible marge thérapeutique (lithium, ciclosporine, aminoglycosides...). - Ajustement des posologies chez un patient insuffisant rénal. - Aide à la décision d'arrêt du traitement. L'arrêt peut être recommandé quand : Le patient est bien portant et est exposé à une concentration inférieure à la concentration minimale thérapeutique. Le patient présente un état clinique préoccupant et est déjà exposé à une concentration maximale thérapeutique. Une augmentation posologique entrainerait alors un risque de toxicité trop important. 84 3.1.3. Les molécules éligibles au STP Tous les médicaments n'ont pas vocation à subir un STP. Le monitoring thérapeutique n'est en effet intéressant que pour certaines molécules. Les critères suivants font d'une molécule un bon candidat (122) (123) (126) : - Molécules présentant une variabilité inter et intra-individuelle importante. - Existence d'une bonne corrélation entre concentration plasmatique et effet thérapeutique ou toxicité. - Médicaments à marge thérapeutique étroite. - Difficultés à mettre en évidence par un examen clinique une bonne efficacité du médicament ou au contraire une toxicité. - Médicaments présentant un métabolisme saturable. - Intervalles thérapeutiques et méthodes d'analyses reconnus. Un algorithme de décision a été proposé par Ensom et al. pour évaluer l'utilité du suivi pharmacocinétique dans une population de patients donnée. Basé sur 9 questions, il est intéressant à étudier avant la mise en place d'une méthode de STP. Figure 16 : Algorithme de décision proposé pour le suivi pharmacocinétique. (127) 85 3.1.4. Précautions d'utilisation Pour qu'un monitoring thérapeutique soit le plus pertinent possible, chaque étape nécessite des précautions. La première étape concerne le prélèvement biologique. Bien que dans certains cas, l'analyse biologique est réalisée sur LCR (Liquide Céphalo-rachidien), pour la plupart des molécules c'est un prélèvement sanguin qui est nécessaire. Le dosage sera ensuite réalisé sur plasma, sérum ou sang total. Le prélèvement est toujours réalisé dans le bras opposé à l'administration IV tout en prenant soin d'utiliser le bon tube (ex : pas de tube hépariné pour le lithium) (128). Le moment de prélèvement constitue un point clé qui doit être maitrisé afin d'éviter les erreurs d'interprétation. Ainsi, le prélèvement doit être exécuté une fois les concentrations d'équilibre atteintes, soit environ 5 demi-vies après la première administration(123). Dans la plupart des cas c'est la concentration résiduelle (Cmin) qui est mesurée. Le sang est alors prélevé juste avant l'administration de la dose suivante. Plus rarement, pour les aminoglycosides par exemple, on peut chercher à déterminer la concentration au "pic". Le prélèvement est réalisé 1h après l'administration. (128) (125) Lorsque c'est une recherche de toxicité qui est demandée, le prélèvement est à réaliser le plus rapidement possible sans tenir compte des temps d'administration. (123) De même, pour des molécules dont la demi-vie est très longue, il peut parfois s'avérer utile de réaliser le prélèvement avant l'atteinte de l'état d'équilibre. L'interprétation du dosage devra alors être adaptée. (128) Figure 17 : Courbe concentration-temps en administration discontinue. T1/2 représente la 1/2 vie plasmatique. Les deux flèches vertes signalent les concentrations intéressantes à évaluer dans le STP. 86 La deuxième étape concerne la mesure. La technique utilisée doit être spécifique et fiable. (122) Parmi les méthodes utilisées, les plus simples sont les dosages immuno-enzymatiques qui sont disponibles en kits commerciaux et applicables sur des automates. On retrouve par exemple le dosage par polarisation de fluorescence (FPIA : Fluorescence Polarization Immunoassay) ou le dosage "enzyme-multiplied" (EMIT : Enzyme Multiplied Immunoassay Technique). Ils permettent d'obtenir un résultat rapide mais ne sont pas toujours très spécifiques car ils réagissent parfois avec d'autres molécules et métabolites. De plus, ces kits commerciaux ne sont pas disponibles pour toutes les molécules et il devient alors nécessaire d'utiliser d'autres méthodes. Les analyses chromatographiques en chromatographie gazeuse (CPG) ou en HPLC (Chromatographie en phase Liquide à Haute Performance) couplées ou non à une détection par spectrométrie de masse peuvent alors être utilisées. (126) Des contrôles qualités internes et externes réguliers doivent être réalisés et documentés pour assurer une bonne efficacité et spécificité de la méthode utilisée. Les résultats obtenus et les intervalles de référence varient en fonction des méthodes. Il est donc indispensable de connaitre la technique de dosage utilisée avant de proposer une interprétation des résultats. De plus, il est important de conserver la même méthode analytique pour le suivi d'un patient. (128) La dernière étape correspond à l'interprétation des résultats. Elle ne doit pas se limiter à l'analyse seule du résultat de la concentration obtenue. Elle doit tenir compte des caractéristiques du patient, du prélèvement et de la méthode d'analyse. Ainsi pour une interprétation la plus juste possible, le pharmacologue doit avoir à sa disposition les informations suivantes (123) : - Heure du prélèvement sanguin. - Heure d'administration de la dernière dose. - Posologie utilisée au moment du prélèvement (dose, durée, forme d'administration). - Histoire du traitement : date de début de traitement, changements posologiques éventuels ... 87 - Caractéristiques du patient : sexe, âge, ethnie, poids, taille, comorbidités (insuffisance rénale, hépatique ou autres), grossesse... - Etat clinique du patient. - Traitements associés. - Indication du dosage. - Caractéristiques du médicament dosé : pharmacocinétique et zone thérapeutique. C'est seulement en considérant l'ensemble de ces informations que le pharmacologue peut calculer et proposer une posologie permettant de maximiser les chances de succès du traitement. 3.1.5. Intérêts et limites Un suivi thérapeutique pharmacologique bien conduit permettrait d'améliorer l'efficacité du traitement, de diminuer le risque toxique (129) et de réduire les coûts de médicaments et d'hospitalisations. Ces intérêts majeurs ont surtout été démontrés pour certaines molécules dont les aminoglycosides. (130) (131) (132) Pour beaucoup d'autres molécules, les études manquent mais ces avantages semblent réels. La difficulté majeure du STP réside d'abord dans la mise en place d'une bonne coordination entre les différents professionnels de santé. Par exemple, un moment de prélèvement inadéquat entraine des résultats anormaux et des risques de mauvaises interprétations. (126) Ensuite, la délimitation des zones thérapeutiques n'est pas évidente. Les valeurs sont ainsi déterminées à partir d'un groupe d'individus présentant chacun des caractéristiques variables. Les concentrations cibles proposées dans les différentes publications doivent donc être considérées comme des propositions de recommandations, et non des normes réellement établies à proprement parler, sauf, dans le cas où l'atteinte de cette zone a permis d'établir un gain en terme clinique (réduction de la morbi-mortalité...). (126) Enfin, doser la molécule dans le plasma ne permet pas toujours d'obtenir un bon reflet de l'exposition au niveau du tissu infecté. (133) Il convient donc de toujours interpréter les résultats avec précautions. 88 3.1.6. Exemples d'utilisation Tableau 13 : Médicaments dont le suivi thérapeutique pharmacologique (STP) est proposé par les Sociétés Savantes internationales de Pharmacologie. (134) Classe médicamenteuse Exemples de molécules Antibiotiques Digoxine, quinidine, hydroquinidine, flécaïnide, amiodarone Gentamicine, amikacine, tobramycine, vancomycine, teicoplanine Antiviraux et antirétroviraux Saquinavir, ritonavir, nelfinavir, atazanavir, indinavir, amprénavir, lopinavir Médicaments cardiovasculaires analogues non nucléosidiques Autres anti-infectieux ganciclovir Isoniazide, rifabutine, rifampicine Anticancéreux Itraconazole, fluconazole, voriconazole Phénytoïne, phénobarbital, acide valproïque, carbamazépine, lamotrigine, oxcarbazepine, thiopental Ciclosporine, tacrolimus, sirolimus, évérolimus, acide mycophenolique Méthotrexate, 5-fluorouracile, carboplatine Antidépresseurs et antipsychotiques Lithium, clozapine Antiépileptiques Immunodépresseurs Amitriptyline, clomipramine, imipramine, nortriptyline Théophylline, méthadone, buprénorphine, cotinine Divers 3.2. Suivi thérapeutique pharmacologique du ganciclovir 3.2.1. Intérêt Selon une étude menée par Scott et al. (135), le STP du ganciclovir n'a pas sa place dans le suivi des patients traités pour une infection ou maladie à CMV et receveurs d'organes solides. Le manque de corrélation apparent entre concentration du ganciclovir et efficacité ou toxicité représente l'argument majeur proposé par les auteurs. De plus, l'article mentionne la facilité à mettre en évidence une bonne 89 efficacité du traitement par mesure de la charge virale et l'apparition d'une toxicité médicamenteuse par suivi des neutrophiles. Enfin, la bonne corrélation entre clairance de la créatinine et clairance du ganciclovir permet, d'après les auteurs, une bonne adaptation des doses de ganciclovir à la fonction rénale du patient, sans nécessiter un STP. Parmi les critères nécessaires pour qu'une molécule soit éligible au STP, la variabilité interindividuelle est un argument important. Evaluées comme faibles par Scott, des variations importantes sont malgré tout rapportées dans les études. Ainsi, parmi les transplantés d'organes solides, des écarts importants de concentrations de pic (0,96 à 22,1 µg/mL ) et de concentrations résiduelles (0,06 à 11,7 µg/mL) ont été rapportées (136) (137) (138) (139) (140), preuve d'une variabilité interindividuelle élevée. Comme le rapporte Scott et al., ces différences sont en partie explicables par la fonction rénale. En effet, l'AUC (Area Under the Curve) du ganciclovir peut être augmentée d'un facteur 2 chez les insuffisants rénaux faibles, d'un facteur 3,5 chez les insuffisants rénaux modérés et d'un facteur 9 chez des patients insuffisants rénaux sévères. (141) Et pourtant, l'altération rénale n'est pas le seul facteur de variabilité interindividuelle. Les altérations du tractus digestif chez certains patients, entrainant diarrhées ou vomissements diminuent l'exposition au ganciclovir. (142) La prise de nourriture avant administration de valganciclovir augmente de 30% l'exposition du patient au ganciclovir. (142) Les patients développant une septicémie sévère à cytomegalovirus présentent en général un volume de distribution plus élevé nécessitant des doses de charge plus importantes. (143) Le poids du patient est corrélé à la clairance et au volume de distribution du médicament. Ainsi, les patients de faible poids devraient recevoir une plus faible dose de valganciclovir que les patients de poids plus élevé afin d'obtenir une exposition équivalente. (22) Les cotraitements influencent également la pharmacocinétique du ganciclovir. Par exemple, l'administration de probénécide avec le ganciclovir entraine une augmentation de l'AUC du ganciclovir. (144) Enfin, les comorbidités influencent, elles aussi, les paramètres pharmacocinétiques. En effet, des différences sur l'AUC, le volume de distribution, le temps de demi-vie ou encore la clairance rénale du ganciclovir ont été observées en comparant patients sains ou infectés par le VIH et transplantés d'organes. (22) 90 Donc, le ganciclovir répond bien au premier critère d'éligibilité au STP qui est la présence d'une importante variabilité pharmacocinétique. Cette variabilité est partiellement explicable par des facteurs identifiés (débit de filtration glomérulaire altéré, poids...) mais une part importante reste inexpliquée. (22) Figure 18 : Profil pharmacocinétique type du ganciclovir après administration de 900 mg de valganciclovir chez un patient de 80 kg et présentant un débit de filtration glomérulaire de 80 mL/min. (22) Second critère très important, une molécule éligible au STP doit présenter une bonne corrélation entre concentrations plasmatiques et efficacité ou toxicité. En 2004, en prenant compte notamment des études de Erice et al. (145) et Tornatore et al. (146), Scott n'établit aucune relation entre concentrations médicamenteuses et réponse pharmacologique. Pourtant, les essais in vitro ont pu établir une CI50 (entre 0,1 et 2,8 µg/ml) c'est à dire une concentration pour laquelle 50% de la réplication virale est inhibée (135) et une étude in vivo a confirmé ce résultat (autour de 0,4 µg/ml) (147). Une inhibition complète de la réplication virale in vitro sur des cellules lymphoblastiques a été également mise en évidence avec une concentration de 20 µg/ml. (148) De plus, plusieurs études font le lien entre concentration et efficacité aussi bien en traitement prophylactique qu'en curatif : - Whiltshire et al. (149) en 2005 avec un travail conduit chez 240 patients receveurs d'organes solides D+/R- et bénéficiant d'un traitement prophylactique par valganciclovir ou ganciclovir oral. Les patients présentant une AUC de 25 mg.h/L avaient 8 fois plus de risques de présenter une élévation de la virémie pendant le traitement par rapport aux patients avec une AUC de 50 mg.h/L. - Filler et al. (150) en 1998 : 14 transplantés rénaux pédiatriques ont bénéficié d'un traitement prophylactique par ganciclovir oral en ciblant une 91 concentration résiduelle de 0,9 µg/ml établie à partir des données de la littérature comme la valeur la plus appropriée. Aucun de ces patients n'a développé de maladie à CMV. - Fishman et al. (139) en 2000 : 43 transplantés d'organes solides ont bénéficié d'un traitement prophylactique par ganciclovir IV avec pour cible une concentration résiduelle entre 0,3 et 1,6 µg/ml. Seuls deux patients ont développé une maladie à CMV et tous deux présentaient une Cmin < 0,3 µg/ml. - Picketty et al. (151) en 2000 : 14 patients infectés par le VIH et présentant une rétinite à CMV, sont traités par ganciclovir IV à la dose de 5 mg/kg/12h puis ganciclovir oral. Cinq de ces patients ont présenté une rechute avant 90 jours et présentaient une Cmin de 0,4 ± 0,3 µg/ml après un mois de traitement oral. Les 9 autres patients présentaient une Cmin entre 0,8 et 0,9 µg/ml. - Zhang et al. (152) en 2003 : 11 transplantés rénaux pédiatriques présentant une infection à CMV sont inclus. Ils ont reçu du GCV IV pendant 15 jours puis GCV oral pendant 3 mois. La concentration résiduelle moyenne observée chez ces patients était de 1,3 ± 0,8 µg/ml. Dix de ces patients ont présenté une bonne réponse virologique, 1 seul à développer une maladie à CMV après avoir reçu par erreur une dose trop faible de GCV oral entrainant une concentration résiduelle de 0,35 µg/ml. - Gagermeier et al. (153) en 2014 : 21 transplantés pulmonaires ont été traités par ganciclovir avec 1,5 µg/ml comme Cmin cible. Dix ont présenté une réponse rapide au traitement et 11 une réponse clinique sous-optimale dont 5 de façon persistante. Ces 5 patients présentaient une concentration résiduelle inférieure à 1 µg/ml. Les 6 autres patients présentaient une Cmin entre 2 et 5 µg/ml et ont montré une réponse différée. Face à ses résultats, il ne peut donc pas être affirmé que la relation concentration - efficacité du ganciclovir n'existe pas. 92 Concernant la relation concentration-toxicité, elle est considérée par Scott et al. comme non établie. Cependant, il apparaît que l'incidence des toxicités du ganciclovir serait associée à des doses élevées. Une hématotoxicité a ainsi été rapportée chez 3 patients sur 5 transplantés de moelle osseuse et recevant un traitement par ganciclovir. Ces patients présentaient des concentrations résiduelles et au pic élevées respectivement supérieures à 2,6 µg/ml et 12,8 µg/ml. (154) Une étude menée au Japon entre 1998 et 2000 a montré qu'une neutropénie apparaissait après 21 jours de traitement par ganciclovir chez 21% des receveurs de cellules souches allogéniques. Même si la mesure des concentrations plasmatiques n'a pas été évaluée, il apparaît que la dose totale de ganciclovir administrée était supérieure chez les patients développant cette neutropénie (155). Dans l'étude de 2005 de Whiltshire et al., la relation entre neutropénie, leucopénie et forte exposition a été également évoquée. En effet, avec une AUC moyenne de 39 mg.h/L, 15% de neutropénies ont été observées alors qu'avec une AUC moyenne de 61 mg.h/L, l'incidence des neutropénies atteignait 20%. De même pour les leucopénies évaluées à 40% et 50% avec des AUC moyennes respectives de 34 mg.h/L et 62 mg.h/L. (149) Une étude récente incluant 185 patients montre qu'une dose de ganciclovir supérieure ou égale à 12 mg/kg/jour est considérée comme un facteur de risque de développement d'une hématotoxicité. (156) La neurotoxicité comprenant agitation, confusion, hallucination et désorientation semble être associée à de fortes concentrations plasmatiques. Les patients insuffisants rénaux avec un dosage mal adapté seraient les plus à risque de développer cette toxicité (22). Un cas d'encéphalopathie sévère sous traitement par ganciclovir a dévoilé une concentration résiduelle plasmatique élevée atteignant 7 µg/ml après dialyse et 48h après administration de la dernière dose. (157) La plupart des études faisant part d'une neurotoxicité sous ganciclovir montrent que les symptômes sont diminués après diminution des doses ou arrêt du traitement. (22) Avec les données actuelles, la relation concentration-toxicité n'est pas encore clairement établie mais il semble que des fortes concentrations pourraient être associées à une incidence plus élevée d'hématotoxicité et de neurotoxicité. 93 La mise en place d'un STP chez des patients traités par ganciclovir a déjà montré son intérêt pour améliorer la prise en charge. Chez des enfants, il a pu être utilisé aussi bien pour atteindre une concentration efficace (158) que pour mettre en évidence une toxicité liée au ganciclovir (159). Une large étude menée au RoyaumeUni préconise l'utilisation du STP en population pédiatrique. En effet, ces patients sont souvent sous-exposés au ganciclovir et les échecs thérapeutiques sont alors plus nombreux notamment au moment de la croissance rénale. (160) Chez les transplantés d'organes solides, un STP en routine ne peut être formellement recommandé mais dans des cas critiques il a clairement montré son intérêt. Bedino et al. rapporte notamment le cas d'une patiente transplantée rénale non répondeuse au ganciclovir, ne présentant pas de mutations de résistance mais des concentrations plasmatiques trop faibles. Après ajustement posologique, la charge virale a chuté et la patiente s'est rétablie (161). Enfin, l'utilisation du STP chez des patients infectés par le VIH et recevant du ganciclovir oral pour le traitement d'une rétinite à CMV, a déjà montré son utilité clinique pour éviter l'échec thérapeutique et la progression de la maladie (151) (162) . 3.2.2. Indications Aux vues des différentes études réalisées, l'utilisation en routine du STP pour le ganciclovir n'est pas encore totalement étayée par les données de la littérature. Dans certains cas, il apparait néanmoins indiqué : - Absence de réponse au traitement : la recherche de mutations devrait être associée à un dosage de concentrations plasmatiques. - Maladie évolutive avec pronostic vital engagé dans le but d'obtenir la concentration la plus adaptée pour une exposition optimale du patient. - Rétinites à CMV : une concentration résiduelle inférieure à 0,6 µg/ml a montré une inefficacité du traitement. - Patients à risques de sous exposition : enfants, troubles digestifs sévères, dialyse, patients en réanimation ... - Risques de surexposition et de toxicités. 94 3.2.3. Précautions d'utilisation Comme déjà mentionné dans la partie 3.1.4, le prélèvement constitue un point clé dans la réalisation du STP. Dans le cas du ganciclovir, les conditions de conservation doivent être strictes. En effet, le ganciclovir a une stabilité limitée dans les prélèvements sanguins. Boulieu et al. ont rapporté une diminution de 21% de la concentration initiale du ganciclovir après avoir laissé le prélèvement à température ambiante seulement 15 minutes et une diminution de 72% après 2h. Il convient donc de placer immédiatement les prélèvements sanguins dans la glace et de les centrifuger rapidement à faible température. Le plasma obtenu est alors stable 2h à température ambiante et peut-être conservé plus de quatre semaines entre -20°C et -80°C. (163) Les techniques de dosages utilisées pour le ganciclovir sont nombreuses mais la chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse et les essais immunochimiques sont les plus sensibles. Comme ces méthodes sont onéreuses et longues, des techniques d'HPLC (High-Performance Liquide Chromatography) plus rapides et très sensibles sont aussi largement utilisées. (135) Un procédé spécifique, associant chromatographie liquide et détection ampérométrique, a même été développé spécifiquement pour le dosage du ganciclovir et de l'aciclovir chez les transplantés d'organes solides. Cette méthode permet d'éviter les interférences avec les autres molécules administrées (prednisone, tacrolimus ...). (164) 3.2.4. Cibles thérapeutiques Historiquement, ce sont les valeurs obtenues par Fletcher et al. en 1986 qui ont été prises comme référence. Pour une dose de 2,5 mg/kg toutes les 8 à 12h, les auteurs rapportaient une concentration résiduelle comprise entre 0,25 et 0,63 µg/ml et une concentration de pic entre 4,75 et 6,2 µg/ml. (165) Ces valeurs semblent aujourd'hui en dessous des recommandations possibles mais il ne faut pas oublier qu'elles avaient été obtenues au décours de traitements à faible posologie (2,5 mg/kg 2 à 3 fois/j). 95 Il n'existe aucune valeur cible déterminée et recommandée. Mais récapitulons les différentes données de la littérature dont la liste suivante n'est pas exhaustive : Tableau 14 : Récapitulatif des différentes données pharmacologiques de la littérature. Etude Filler 1998 (150) Fishman 2000 (139) Fishman 2000 (139) Picketty 2000 (151) Zhang 2003 (152) Gagermeier 2014 (153) Shepp 1985 (154) Sakamoto 2013 (152) Erice 1987 (136) Population Transplantés rénaux pédiatriques Traitement prophylactique Transplantés d'organes solides Traitement prophylactique Transplantés d'organes solides Traitement curatif Rétinites à CMV Traitement curatif Transplantés rénaux pédiatriques Traitement curatif Transplantés pulmonaires Traitement curatif Transplantés de moelle osseuse Traitement curatif Transplanté rénal Traitement curatif Immunodéprimés Traitement curatif Résultats Aucune maladie avec Cmin à 0,9 µg/ml Cible utilisée : Cmin entre 0,3 et 1,6 µg/ml 2 maladies à CMV avec Cmin < 0,3 µg/ml Réussite du traitement avec Cmin moyen = 2,65 µg/ml Cible utilisée : Cmin entre 0,8 et 0,9 µg/ml 5 rechutes avant 90j avec Cmin = 0,4 ± 0,3 µg/ml Cible utilisée : Cmin = 1,3 ± 0,8µg/ml 1 maladie à CMV avec Cmin = 0,35 µg/ml Cible utilisée : Cmin = 1,5 µg/ml 5 réponses sous-optimales avec Cmin<1µg/ml Hématotoxicité avec Cmin = 2,6 µg/ml et Cmax = 12,8 µg/ml Encéphalopathie avec Cmin > 7 µg/ml Etat clinique amélioré : Cmin moyen = 0,7 µg/ml Absence de progression de la maladie : Cmin moyen = 0,73 µg/ml Absence de réponse au traitement : Cmin moyen = 0,43 µg/ml A partir de ces données des concentrations résiduelles cibles ont été déterminées : - En traitement prophylactique, une Cmin > 0,9µg/ml semble être associée à une bonne réussite. - Pour le traitement curatif, une Cmin entre 1 et 2µg/ml semble être adaptée. La zone thérapeutique de Cmin comprise entre 1 et 2 µg/ml a ainsi été retenue par la société française de pharmacologie et thérapeutique. Les résultats obtenus avec les schémas posologiques recommandés ne sont pas toujours idéaux et une étude in vitro suggère l'utilisation d'un nouveau protocole posologique. Un profil optimal serait obtenu en maintenant une concentration de ganciclovir à 20 µg/ml à J1, J2, J8, et J10 et une concentration nulle sur les autres jours. (148) Les recherches quant aux modalités optimales du schéma posologique du ganciclovir doivent être poursuivies. 96 PARTIE 2 : Etude au CHU de Rennes 97 Le ganciclovir (GCV) représente la première ligne de traitement curatif ou prophylactique du cytomégalovirus (CMV). Un suivi thérapeutique pharmacologique (STP) est proposé au laboratoire de pharmacologie du CHU de Rennes afin de maximiser l'efficacité du traitement et de minimiser le risque de toxicité. Il existe une zone thérapeutique recommandée (concentration résiduelle (Cmin) entre 1 et 2µg/ml) mais celle-ci est relativement peu étayée. Par ailleurs, l'expérience clinique locale a montré que la recherche de Cmin plus élevées (allant jusqu'à 4µg/ml) permet d'améliorer l'effet du médicament dans certains cas. Néanmoins ces observations préliminaires demandent à être confirmées non seulement au point de vue de l'efficacité mais également au point de vue de la tolérance du traitement. OBJECTIFS L'objectif principal est d'évaluer l'impact de l'exposition au GCV caractérisée par la Cmin sur l'efficacité et la toxicité du traitement. Des concentrations résiduelles supérieures à la zone thérapeutique utilisée aujourd'hui ne seraient-elles pas associées à une meilleure et plus rapide éradication du virus ? Nous allons tenter de répondre à cette question en menant une étude rétrospective comparant deux groupes de patients exposés soit à des concentrations élevées de ganciclovir (> 2 µg/ml) soit à des concentrations plus habituelles (< 2 µg/ml). L'efficacité (temps avant négativation de la charge virale CMV, survenue de mutations virales) et la tolérance notamment hématologique sera comparée entre les deux groupes. MATERIEL ET METHODES Population étudiée Les patients ayant bénéficié d'une mesure de concentration résiduelle du ganciclovir au laboratoire de pharmacologie entre janvier 2011 et août 2014 ont été 98 répertoriés. Un même patient a pu être inclus deux fois s'il a présenté deux épisodes distincts d'infection à CMV traités par ganciclovir et ayant nécessité un STP dans les deux cas. Quatre-vingt-cinq patients ont ainsi été inclus à l'étude. Parmi ceux-ci, 20 patients ont été exclus en raison d'un défaut d'informations nécessaires à la conduite de l'analyse ou à la présence d'incohérences dans les données récoltées. Au total, les données de 65 patients âgés de 4 à 74 ans ont été colligées pour l'étude. Collection des données et classification Pour chaque patient des données pharmacologiques, virologiques, hématologiques et biologiques ont été recueillies au travers des systèmes informatiques des laboratoires du CHU de Rennes. Les données cliniques ont été relevées dans le dossier patient informatisé et/ou dans les dossiers papiers archivés. Les données pharmacologiques recensées comprennent l'ensemble des dosages de Cmin réalisés, leur date ainsi que le résultat de l'analyse. Une attention particulière a été portée au recueil des données indispensables à l'interprétation des résultats pour un STP. Ainsi, seuls les patients dont la date de début de traitement a été mentionnée, ont pu être inclus. La présence d'un délai trop court (< 8h) entre dernière administration et prélèvement sanguin a constitué un facteur d'exclusion. En effet, si ce délai n'est pas assez important on ne peut affirmer que la concentration mesurée s'apparente à une concentration résiduelle. Les données virologiques répertoriées comprennent les mesures de charges virales (CV) évaluées au laboratoire de virologie par méthode de polymerase chain reaction (PCR) pendant la durée du traitement par GCV, ainsi que les recherches et résultats de mutations UL97 et UL54 évaluées par technique génotypique de séquençage Sanger. Les patients ne présentant que des CV évaluées dans les biopsies coliques ont été exclus de l'étude (3 patients). Seules les CV plasmatiques ont donc été analysées. L'efficacité du traitement a été évaluée en déterminant le temps avant négativation (TAN) de la charge virale plasmatique CMV. Ce TAN correspond au temps écoulé exprimé en jours entre le début du traitement et la négativation de la CV dans le plasma. Les recommandations internationales (24) indiquent que le 99 traitement anti-CMV peut-être arrêté après obtention d'au moins 2 CV négatives et consécutives dans le plasma. Les données virologiques ont donc été colligées jusqu'à obtention de ces 2 charges virales négatives. En revanche, le TAN a été calculé entre l'initiation du traitement et la date de la première CV négative. Les patients n'ayant jamais réussi à atteindre une charge virale indétectable sous traitement (n = 5) n'ont pas pu être pris en compte dans la détermination du TAN moyen. Cependant, ils ont été inclus dans une analyse de survie en les considérant comme des données censurées. Les données hématologiques répertoriées comprennent le taux d'hémoglobine, de neutrophiles, de leucocytes et de plaquettes. Pour chacun de ces paramètres biologiques, les valeurs initiales et minimales en cours de traitement ont été relevées. En cas d'apparition de toxicité hématologique, le grade de toxicité définit selon les référentiels ad hoc était relevé (166). La toxicité observée n'a pas pu être imputée au GCV chez les patients présentant une toxicité avant administration du GCV et dont le grade n'a pas été modifié pendant la durée du traitement. Tableau 15 : Grades de toxicité hématologique utilisés pour l'étude. (166) Grade 1 Grade 2 Grade 3 Grade 4 Hémoglobine 9,5 - 10,5 g/dl 8,0 - 9,4 g/dl 6,5 - 7,9 g/dl < 6,5 g/dl Neutrophiles 1,0 - 1,5 G/L 0,75 - 0,999 G/L 0,5 - 0,749 G/L < 0,5 G/L Plaquettes 75 - 99,999 G/L 50 - 74,999 G/L 20 - 49,999G/L < 20 G/L Les patients de l'étude ont été classés en deux groupes : un groupe faible exposition (Low Exposure, LE) et un groupe forte exposition (High Exposure, HE). Les patients étaient inclus dans le groupe HE s'ils présentaient au moins un dosage de Cmin > 3 µg/ml et/ou deux dosages successifs entre 2 et 3 µg/ml, ceci dans le but de confirmer une exposition importante sur une période de temps étendue. Si les Cmin évaluées étaient ≤ 2 µg/ml, le patient était inclus dans le groupe LE. Une attention a également été portée à l'évaluation de la fonction rénale des patients. Deux valeurs de créatinémies ont été sélectionnées : celle au début du traitement et celle correspondant à la valeur maximale atteinte pendant le traitement. 100 Grâce à celles-ci le DFG (Débit de Filtration Glomérulaire) a été calculé à partir de la formule CKD-EPI et comparé à la classification des insuffisances rénales chroniques définies par la HAS (Haute Autorité de Santé) (167) : Tableau 16 : Classification des stades d'évolution de la maladie rénale chronique. 2 STADE DFG (ml/min/1,73m ) Définition Stade I ≥ 90 DFG normal Stade II Entre 60 et 89 DFG légèrement diminué Stade III Entre 30 et 59 Insuffisance rénale chronique modérée Stade IV Entre 15 et 29 Insuffisance rénale chronique sévère Stade V < 15 Insuffisance rénale terminale Analyse statistique Pour la comparaison des résultats les statistiques usuelles ont été utilisées. Les TAN et CV de départ dans les deux groupes ont ainsi été comparés par un test de Wilcoxon-Mann-Whitney et les différences de fréquences de toxicités ont été évaluées par un test de Fisher. Une analyse de survie a également été réalisée dans les deux groupes en considérant la négativation de la charge virale (et non le décès du patient) comme l'évènement à suivre. Cette analyse a permis la génération des courbes de Kaplan Meyer. Un test log-Rank a ensuite permis de comparer la courbe HE à celle de LE. RESULTATS Patients Ainsi, les 65 patients ont été répartis comme suit : 37 patients LE et 28 patients HE. Tous présentaient une immunodépression provoquée soit par une maladie SIDA (n=3) soit par un traitement immunodépresseur notamment dans le cadre d'une greffe de moelle osseuse, de cellules souches ou d'organes solides. 101 Figure 19 : Répartition et caractéristiques cliniques des patients. LE : faible exposition et HE : forte exposition. La majorité des patients greffés étaient des patients transplantés hépatiques ou rénaux (62%). Une autre partie était des greffés cardiaques, pulmonaires ou allogreffés de moelle osseuse. Les derniers inclus recevaient un traitement immunosuppresseur pour les indications suivantes : myasthénie, leucémie, hépatite auto-immune, maladie de Crohn. Concernant leur fonction rénale au début du traitement, 27,7% des patients LE et 18,5% des patients HE présentaient une fonction rénale normale. Pour 16,7% des patients LE et 18,5% des patients HE, un DFG légèrement diminué a été observé. La majorité des patients HE et LE présentaient donc au début du traitement une insuffisance rénale modérée à sévère (55,6% des patients LE et 63,0% des patients HE). Au cours de la prise en charge par le GCV, 25% des patients LE et 25,9% des patients HE ont vu leur fonction rénale se détériorer à l'origine de possibles augmentations de concentrations plasmatiques. Cette évaluation de la fonction rénale est cependant à interpréter avec précaution car pour un certain nombre de patients (patients > 75 ans, en réanimation, transplantés rénaux, poids extrêmes...) la formule CKD-EPI peut-être inexacte. Néanmoins, cela permet d'avoir une idée générale de l'état de la fonction rénale des deux groupes en sachant qu'une fonction rénale altérée est propice à des concentrations plasmatiques en GCV plus élevées. 102 Tableau 17 : Caractéristiques démographiques, biologiques et virales des patients HE et LE. GROUPE LE GROUPE HE Nombre de patients 37 28 Age moyen 52 ans (de 4 à 74 ans) 59 ans (de 32 à 71 ans) Sexe 13 femmes 24 hommes 8 femmes 20 hommes Etat clinique 33 patients greffés : - greffe hépatique : 15 - greffe cardiaque : 4 - greffe rénale : 9 - allogreffe de moelle osseuse :3 - non précisé : 2 25 patients greffés : - greffe hépatique : 6 - greffe cardiaque : 6 - greffe rénale : 6 - greffe pulmonaire : 1 - allogreffe de moelle osseuse : 6 1 patient SIDA 2 patients SIDA 3 autres patients sous immunosuppresseurs (myasthénie, hépatite auto-immune, leucémie aigue) 1 autre patient sous immunosuppresseur (maladie de Crohn) Au début du traitement : creatinémie moy : 121,8 ± 57 µmol/l et DFG moy : 2 66,3 ± 38 ml/min/1,73m (évalué par formule CKD-EPI) Au début du traitement : creatinémie moy : 175,2 ± 104 µmol/l et DFG moy : 2 50,8 ± 36 ml/min/1,73m (évalué par formule CKD-EPI) Pendant le traitement : créatinémie max moy : 157,4 ± 95 µmol/l et DFG max moy : 2 56,1 ± 37,5 ml/min/1,73m (évalué par formule CKD-EPI) Pendant le traitement : créatinémie max moy : 246,7 ± 172 µmol/l et DFG max moy : 2 40,1 ± 34 ml/min/1,73m (évalué par formule CKD-EPI) 4,74 log 4,46 log Fonction rénale CV moyenne de départ Relation exposition et efficacité du traitement Pour une CV moyenne de départ évaluée comme équivalente dans les deux groupes ( test Mann-Whitney avec p=0,38), le TAN moyen du groupe HE apparait plus court que le TAN moyen du groupe LE (29,2 jours vs 45,1 jours). La génération du test de Wilcoxon-Mann-Whitney ne montre cependant pas que cette différence est significative (p=0,20). 103 Tableau 18 : Comparaison du temps avant négativation et du nombre de mutations observés entre les groupes faible et forte exposition. Patients 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 32 33 34 35 36 37 RESULTATS Groupe LE TAN (jours) 17 34 46 27 28 105 102 34 105 106 7 26 31 26 26 64 49 94 20 5 16 19 3 70 120 143 33 13 65 19 38 31 27 8 20 ẋ = 45,1 jours Mutation 1 1 1 1 1 1 6 mutations Patients Groupe HE TAN 38 39 40 41 42 43 44 45 46 47 48 49 50 51 52 53 54 55 56 57 58 59 60 61 62 63 64 65 16 15 1 17 23 32 63 33 36 34 56 12 66 27 6 61 44 45 23 29 33 8 17 11 21 ẋ = 29,2 jours Mutation 1 1 mutation L'analyse de survie réalisée a mené à la génération des courbes de Kaplan Meyer (figure 24). La courbe correspondant au groupe HE décroit plus rapidement que celle du groupe LE. Il semble donc que chez les patients présentant une Cmin en ganciclovir plus élevée, la négativation de la charge virale était obtenue plus rapidement. Cependant, à nouveau, le test statistique n'a pas montré de différences significatives entre les deux groupes (p = 0,38). 104 Figure 20 : Courbes de Kaplan Meyer. Probabilité d'obtenir une charge virale détectable en fonction du temps : comparaison des groupes faibles et fortes expositions. Un autre critère est également rapporté, il s'agit de la mise en évidence de mutations. Le groupe HE présente 3,6% de mutations (1 mutation pour 28 patients) alors que pour le groupe LE, le nombre de mutations s'élève à 16,2% (6 mutations pour 37 patients). Relation exposition et toxicité du traitement Les données hématologiques d'un patient HE n'ont pu être colligées, la comparaison est donc réalisée entre un groupe LE de 37 patients et un groupe HE de 27 patients : 105 Tableau 19 : Comparaison des toxicités hématologiques observées dans les groupes HE et LE. Groupe LE Anémies Neutropénies Thrombocytopénies Nombre total de toxicités hématologiques Absence Grade 1 Grade 2 Grade 3 Grade 4 Absence Grade 1 Grade 2 Grade 3 Grade 4 Absence Grade 1 Grade 2 Grade 3 Grade 4 Absence 1 toxicité 2 toxicités 3 toxicités Nombre de patients 13 5 5 12 2 21 4 5 1 6 23 2 3 3 6 7 15 6 9 Groupe HE Pourcentage 35,1 13,5 13,5 32,4 7,4 56,8 10,8 13,5 2,7 16,2 62,2 7,4 8,1 8,1 16,2 18,9 40,5 16,2 24,3 Nombre de patients 8 3 5 9 2 19 2 1 1 4 17 2 3 2 3 5 10 9 3 Pourcentage 28,6 10,7 17,9 32,1 7,1 67,9 7,1 3,6 3,6 14,3 60,7 7,1 10,7 7,1 10,7 17,9 35,7 32,1 10,7 Tout d'abord, il convient de noter que l'administration de GCV dans le cadre d'un traitement du CMV n'est pas sans conséquences sur les lignées hématologiques. Ainsi la toxicité hématologique apparait ici fréquente : 53 patients sur les 64 inclus (82,8%) en présentent au moins une sous traitement par GCV. Dans les deux groupes, l'anémie semble plus souvent retrouvée (chez 67,1% des patients HE+LE) que la neutropénie (37,5% des patients HE+LE) ou la thrombocytopénie (37,5% des patients HE+LE). La comparaison des deux groupes montre un risque d'atteinte d'au moins une lignée hématologique similaire (Fisher avec p=1) : dans le groupe HE il s'élève à 81,5% et dans le groupe LE à 81,1%. Le risque de présenter une toxicité sur les 3 lignées est de 24,3% dans le groupe LE et 10,7% dans le groupe HE. 106 DISCUSSION Les résultats de ce travail ne montrent pas de diminution statistiquement significative du TAN dans le groupe de patients le plus fortement exposé au GCV. La durée moyenne de TAN est pourtant inférieure dans le groupe HE comparativement au groupe LE. Le faible effectif de l'étude et la forte variabilité interindividuelle du TAN observée au sein des groupes pourraient être à l'origine de ce résultat. Le nombre de mutations dans le groupe LE est également plus important que dans le groupe HE laissant penser qu'une plus faible exposition en GCV pourrait être à l'origine de la sélection de mutations sous traitement. Nous ne pouvons, néanmoins, déterminer si ces mutations ont été sélectionnées pendant le traitement ou bien avant la mise sous traitement. Enfin, la toxicité du GCV n'apparait pas différente que l'exposition au médicament soit élevée ou moins élevée. Ces données pourraient plaider pour une absence de risque de survenue d'effets secondaires lors de l'augmentation modérée de l'exposition. Cette conclusion doit elle aussi être nuancée par la taille de l'effectif. Ces premiers résultats semblent vouloir néanmoins encourager de nouvelles recherches soutenues par une méthodologie plus rigoureuse sur le sujet. En effet, ce travail présente de nombreuses limites : Tout d'abord, il s'agit d'une étude rétrospective, basée sur des données parfois anciennes et issues de la "vraie vie" à la différence de données plus fiables relevées prospectivement au cours d'un essai clinique. Comme évoqué précédemment, il s'agit d'une étude portant sur un petit nombre de patients, lesquels sont relativement hétérogènes (patients traités pour une maladie infectieuse, pour une pathologie inflammatoire, transplantés d'organes différents). La puissance statistique de ce travail est donc faible et cela limite certainement la mise en évidence des effets. Il existe une différence entre le nombre de patients inclus dans le groupe LE ( n=37 ) et le groupe HE ( n=28 ) qui soulève également un autre biais. En effet, lors d'un traitement par GCV, l'obtention de Cmin comprises entre 1 et 2µg/ml est le plus souvent recherchée, plutôt que, sauf cas particulier, des concentrations plus élevées pour lesquelles on pourrait craindre la survenue d'effets indésirables. Les populations comparées ne présentent pas le même nombre de patients mais présentent des 107 caractéristiques plutôt communes : répartition similaire en fonction de l'état d'immunodépression (un grand nombre de patients greffés et quelques patients VIH ou atteints d'autres pathologies), une CV moyenne (4,74log et 4,46log) et des fonctions rénales au début du traitement équivalentes (55,6% des patients LE et 63,0% des patients HE présentent une insuffisance rénale modérée à sévère). Ce résultat obtenu concernant la similitude des fonctions rénales entre les deux groupes (comparaison des fréquences d'insuffisances rénales : Fisher avec p=0,74) est étonnant. En effet, le groupe HE aurait pu présenter une fréquence d'insuffisances rénales plus élevée à l'origine d'une plus forte exposition au GCV. Pour certains patients, le délai entre administration et prélèvement n'était pas spécifiquement renseigné rendant aléatoire le caractère de certitude de disposer de vraies concentrations résiduelles. Enfin, puisqu'il s'agit d'une étude rétrospective, le suivi biologique des patients qui constitue le critère de jugement principal de ce travail, n'était pas strictement codifié. Le suivi thérapeutique pharmacologique n'était pas réalisé systématiquement et le recours au STP ainsi que sa répétition dans le temps était dépendant du prescripteur. Par ailleurs, ce STP se résumait pour plusieurs patients inclus à la mesure d'une seule concentration résiduelle à un moment donné du traitement. Ainsi, 22 patients du groupe LE et 6 patients du groupe HE ont été classés à partir d'une seule mesure de Cmin. Celle-ci n'est donc peut-être pas complètement représentative de l'exposition au GCV pendant la totalité du traitement. Cette remarque s'applique également à la mesure de la charge virale qui, bien que ce suivi lors d'une infection à CMV soit d'avantage codifié, était laissée à la discrétion du clinicien. CONCLUSION Une plus forte exposition au GCV ne permettrait pas d'atteindre plus rapidement la négativation de la CV du CMV mais n'entrainerait pas plus de toxicités hématologiques. La proportion de patients présentant une mutation de résistance est plus élevée dans le groupe LE, sans qu'il soit possible de déterminer si ces résistances ont été sélectionnées sous traitement. Une étude prospective devrait être menée afin de confirmer ces résultats. 108 Conclusion 109 L'incidence croissante de résistances aux traitements, les effets indésirables sévères et la durée parfois longue nécessaire à la négativation de la charge virale CMV plasmatique sont autant de difficultés rencontrées aujourd'hui pour traiter les patients infectés par le cytomegalovirus. L'efficacité du ganciclovir sur l'infection est établie mais des questions subsistent : une exposition plus importante n'amélioreraitelle pas la prise en charge ? Une surexposition n'aggraverait-elle pas les effets indésirables hématologiques ? Une sous-exposition au ganciclovir ne serait-elle pas un facteur de risque de développement de mutations de résistance ? Dans ces circonstances, il apparaît clairement que le suivi thérapeutique pharmacologique a sa place. Les réponses obtenues avec les données recueillies ici, ne permettent pas aujourd'hui, d'affirmer la nécessité de réévaluer la zone thérapeutique du ganciclovir. Cependant, les résultats de ce travail préliminaire sont encourageants et nécessiteraient la mise en place d'une étude prospective. La recherche de nouvelles molécules efficaces sur les souches résistantes est également indispensable. Sans oublier "qu'il vaut mieux prévenir que guérir", le vaccin anti-CMV serait une révolution majeure dans la prise en charge du cytomegalovirus. Ce travail m'aura apporté des connaissances multiples sur un virus au nom compliqué ou effrayant pour certains, et peu connu en dehors du domaine hospitalier. Femmes enceintes, patients transplantés et patients infectés par le VIH sont rencontrés à l'officine et concernés par cette pathologie virale. La connaissance du virus, de son traitement et des moyens de prévention permet d'informer, soutenir, accompagner les patients et s'inscrit alors dans le rôle déontologique du pharmacien d'officine. 110 111 Bibliographie 1. Histoire naturelle des infections à cytomegalovirus. Imbert-Marcille B.M. 8, s.l. : John Libbey Eurotext, 2001, Vol. 7, pp. 577-84. 2. Alain S, Denis F. cytomegalovirus. Encyclopædia Universalis. [En ligne] [Citation : 30 JUILLET 2015.] http://www.universalis.fr/encyclopedie/cytomegalovirus/. 3. Cytomegalovirus in Renal Transplantation. Brennan DC. 4, 2001, Journal of the American Society of Nephrology, Vol. 12, pp. 848-855. 4. Murphy E, Shenk T. Human cytomegalovirus. Current Topics in Microbiology and Immunology;. s.l. : Springer-Verlag Berlin, 2008. Vol. 325. 5. Légifrance. Journal officiel du 30 juillet 1994. Arrêté du 18 juillet 1994 fixant la liste des agents biologiques pathogènes. 30 juillet 1994. 6. INRS. CYTOMEGALOVIRUS (CMV). 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DE PHARMACIE DE RENNES N° ARNOULT, Claire .- Suivi thérapeutique pharmacologique du ganciclovir dans la prise en charge du cytomegalovirus : faut-il réévaluer la zone thérapeutique ? Résultats d'une étude préliminaire menée au CHU de Rennes. 123 feuilles., 20 illustrations., 19 tableaux. , 30 cm.- Thèse : Pharmacie ; Rennes 1; 2016 ; N° . Résumé français Le cytomegalovirus (CMV) est responsable d'infections potentiellement graves chez les personnes immunodéprimées notamment chez les patients greffés ou atteints du SIDA. Le ganciclovir représente la première ligne de traitement dans la prise en charge de ces infections. Cependant, la mise en évidence de résistances entraine l'utilisation de nouvelles molécules et la recherche de nouvelles stratégies plus efficaces. Le suivi thérapeutique pharmacologique permet d'obtenir une exposition optimale du patient au ganciclovir et représente ainsi une stratégie utile dans la prise en charge du cytomegalovirus. Ce travail a pour objectif d'évaluer si une exposition au ganciclovir plus importante que celle habituellement utilisée n'améliorerait pas l'efficacité du traitement. L'étude réalisée compare l'évolution de la charge virale plasmatique CMV entre des patients exposés à des concentrations plasmatiques résiduelles habituelles et des patients exposés à des concentrations plus élevées. Résumé anglais Cytomegalovirus (CMV) is responsible for potentially severe infections in immunocompromised patients including transplant recipients and AIDS patients. Ganciclovir represents the first-line treatment in the management of these infections. However, the increasing number of resistances highlights the need to use new molecules and find new strategies more effective. Therapeutic drug monitoring is used to obtain an optimal patient exposure to ganciclovir. This work aims to assess the impact of greater ganciclovir exposure on the effectiveness of treatment. The retrospective study compares the evolution of CMV viral load between patients exposed to normal trough plasma concentrations and patients exposed to higher concentrations. Rubrique de classement : PHARMACOLOGIE Cytomegalovirus - Ganciclovir - Valganciclovir Suivi thérapeutique pharmacologique Mots-clés : Mots-clés anglais MeSH : Président : Assesseurs : Cytomegalovirus - Ganciclovir - Valganciclovir Therapeutic drug monitoring Madame GOUGEON Anne Monsieur LEMAITRE Florian Monsieur FILLATRE Pierre JURY : Adresses de l’auteur : Madame PRONIER Charlotte 44 rue de Bellevue 35350 St Méloir des Ondes