Chapitre I. Généralités sur les espaces vectoriels. Marc de Crisenoy Convention: dans tout le cours, K désigne un corps commutatif. (En pratique K = Q, R ou C). § Généralités. Déf. 1. On appelle K-espace vectoriel un triplet (E, +, .) ayant les propriétés suivantes: (E,+) est un groupe abélien . est une application de K × E dans E (l’image de (λ, x) par cette application est notée λ.x). ∀λ ∈ K ∀x, y ∈ E λ.(x + y) = λ.x + λ.y ∀α, β ∈ K ∀x ∈ E (α + β).x = α.x + β.x ∀α, β ∈ K ∀x ∈ E α.(β.x) = (αβ).x ∀x ∈ E 1K .x = x Lemme 2. Soit E un K-ev. Alors: i) ∀α ∈ K α.0E = 0E ii) ∀α ∈ K ∀x ∈ E α.(−x) = −(α.x) iii) ∀x ∈ E 0K .x = 0E iv) ∀α ∈ K ∀x ∈ E (−α).x = −(α.x) Indication pour i). Soit α ∈ K. Considérer α.(0E + 0E ). Rq. 3. Soit E un K-ev. Alors: i) ∀λ ∈ K ∀x, y ∈ E λ.(x − y) = λ.x − λ.y ii) ∀λ ∈ K ∀x, y ∈ E λ.(−x + y) = −λ.x + λ.y iii) ∀λ ∈ K ∀x, y ∈ E λ.(−x − y) = −λ.x − λ.y iv) ∀α, β ∈ K ∀x ∈ E (α − β).x = α.x − β.x v) ∀α, β ∈ K ∀x ∈ E (−α + β).x = −α.x + β.x vi) ∀α, β ∈ K ∀x ∈ E (−α − β).x = −α.x − β.x vii) ∀α, β ∈ K ∀x ∈ E (−α).(β.x) = −((αβ).x) viii) ∀α, β ∈ K ∀x ∈ E α.((−β).x) = −((αβ).x) ix) ∀x ∈ E (−1K ).x = −x Prop. 4. Soit E un K-ev. Soient α ∈ K et x ∈ E. Alors: α.x = 0E ⇐⇒ (α = 0K ou x = 0E ) Indication pour =⇒. Si α 6= 0K , alors on dispose de α−1 . Rq. 5. Soit E un K-ev. Alors E 6= {0E } ⇐⇒ ∃x ∈ E \ {0E }. Ex. 6. Notons +K l’addition de K et .K la multiplication de K. Alors (K, +K , .K ) est un K-ev. Ex. 7. Soit n ∈ N∗ . On définit +0 : Kn × Kn → Kn ainsi: (x1 , . . . , xn ) +0 (y1 , . . . , yn ) = (x1 + y1 , . . . , xn + yn ). On définit . : K × Kn → Kn ainsi: λ.(x1 , . . . , xn ) = (λx1 , . . . , λxn ). Alors (Kn , +0 , .) est un K-ev. 1 Ex. 8. Soient E un K-ev et A un ensemble. On note E A l’ensemble des applications de A dans E. On définit +0 : E A × E A → E A ainsi: ∀x ∈ A (f +0 g)(x) = f (x) + g(x). On définit . : K × E A → E A ainsi: ∀x ∈ A (λ.f )(x) = λf (x). Alors (E A , +0 , .) est un K-ev. Déf. 9. Soit E un K-ev. Soit x ∈ E. Soit k ∈ N∗ . Soient x1 , . . . , xk ∈ E. On dit que x est combinaison linéaire de x1 , . . . , xk si ∃λ1 , . . . , λk ∈ K tels que x = λ1 x1 + . . . + λk xk . § Morphismes de K-ev (ou applications linéaires). Déf. 10. Soient E, F deux K-ev. Soit u : E → F une application. On dit que u est linéaire (ou que u est un morphisme de K-ev) si elle vérifie les deux conditions suivantes: i) ∀x, y ∈ E u(x + y) = u(x) + u(y), ii) ∀λ ∈ K ∀x ∈ E u(λ.x) = λ.u(x). Rq. et déf. 11. Soient E, F deux K-ev. Alors l’application de E dans F qui à tout x de E associe 0F est linéaire; on l’appelle l’application nulle de E dans F . Exo. 12. Soit E un K-ev. Soit x ∈ E. On note u l’application de K dans E définie par u(γ) = γx. Alors u est linéaire. Rq. 13. Soient E, F deux K-ev. Soit u : E → F une application linéaire. Soit k ∈ N∗ . Soient α1 , . . . , αk ∈ K et x1 , . . . , xk ∈ E. Alors u(α1 x1 + . . . + αk xk ) = α1 u(x1 ) + . . . + αk u(xk ). Rq. 14. Soient E, F deux K-ev. Soit u : E → F une application linéaire. Alors i) u(0E ) = 0F , ii) ∀x ∈ E u(−x) = −u(x), iii) ∀x, y ∈ E u(x − y) = u(x) − u(y). Exo. 15. Soient E, F deux K-ev. Soit u : E → F une application. Alors les assertions suivantes sont équivalentes: i) u est linéaire ii) ∀x, y ∈ E ∀α, β ∈ K u(αx + βy) = αu(x) + βu(y) iii) ∀x, y ∈ E ∀α ∈ K u(αx + y) = αu(x) + u(y) Lemme 16. Soient E, F, G des K-ev. Soient u : E → F et v : F → G des applications linéaires. Alors v ◦ u est linéaire. Déf. 17. Soient E, F des K-ev. On appelle isomorphisme de E dans F une application de E dans F qui est linéaire, bijective et dont la réciproque est linéaire. Rq. 18. Soient E, F des K-ev. Soit u un isomorphisme de E dans F . Alors u−1 est un isomorphisme de F dans E. Lemme 19. Soient E, F des K-ev. Soit u : E → F une application linéaire. On suppose que u est bijective. Alors u−1 est un isomorphisme. Déf. 20. Soit E un K-ev. On appelle endomorphisme de E une application linéaire de E dans E. 2 Déf. et rq. 21. Soit E un K-ev. Soit γ ∈ K. L’application de E dans E qui à x associe γx est appelée homothétie de rapport γ. C’est un endomorphisme de E. Rq. 22. Soit E un K-ev. Alors l’homothétie de rapport 1K est l’identité de E, l’homothétie de rapport 0K est l’application linéaire nulle de E. Déf. 23. Soit E un K-ev. On appelle automorphisme de E un isomorphisme de E dans E. Rq. 24. Soit E un K-ev. Soit u un automorphisme de E. Alors u−1 est un automorphisme de E. Ex. 25. Soit E un K-ev. Alors l’identité de E est un automorphisme de E. Notations 26. a) Soient E, F deux K-ev. On note LK (E, F ) l’ensemble des applications de E dans F qui sont linéaires. b) Soit E un K-ev. L’ensemble des endomorphismes de E, LK (E, E), est noté LK (E). c) Soit E un K-ev. On note GLK (E) l’ensemble des automorphismes de E. Rq. 27. Dans les notations précédentes, lorsqu’il n’y a pas de risque de confusion, on omet parfois de mettre K en indice. Lemme 28. Soit E un K-ev. Alors GLK (E) est un sous groupe du groupe des permutations de E. § Généralités sur les sous espaces vectoriels. Déf. 29. Soit E un K-ev. Un sev de E est une partie E 0 de E vérifiant les conditions suivantes: i) 0E ∈ E 0 , ii) ∀x, y ∈ E 0 x + y ∈ E 0 , iii) ∀x ∈ E 0 ∀λ ∈ K λx ∈ E 0 . Rq. 30. Soit E un K-ev. Soit E 0 un sev de E. Alors: a) ∀x ∈ E 0 − x ∈ E 0 , b) ∀x, y ∈ E 0 x − y ∈ E 0 , c) ∀x, y ∈ E 0 ∀α, β ∈ K αx + βy ∈ E 0 . Ex. 31. Soit E un K-ev. Alors {0E } et E sont des sev de E. Rq. 32. Soit E un K-ev. Soit E 0 un sev de E. Alors E 0 muni des lois induites est un K-ev. Exo. 33. Soit E un K-ev. Soit E 0 une partie de E. Alors les assertions suivantes sont équivalentes: a) E 0 est un sev de E, b) 0E ∈ E 0 et ∀x, y ∈ E 0 ∀α, β ∈ K αx + βy ∈ E 0 , c) E 0 6= ∅ et ∀x, y ∈ E 0 ∀α, β ∈ K αx + βy ∈ E 0 , d) E 0 6= ∅ et ∀x, y ∈ E 0 ∀λ ∈ K λx + y ∈ E 0 , e) 0E ∈ E 0 et ∀x, y ∈ E 0 ∀λ ∈ K λx + y ∈ E 0 , f) E 0 6= ∅ et ∀x, y ∈ E 0 x + y ∈ E 0 et ∀x ∈ E 0 ∀λ ∈ K λx ∈ E 0 , Ex. 34. Les sev de K sont {0K } et K. 3 Indications. Soit E 0 un sev de K. On suppose que E 0 = 6 {0K }. 0 a) Remarquer qu’il existe x ∈ E \ {0K }. b) Montrer que 1 ∈ E 0 . c) En déduire que E 0 = K. Prop. 35. Soient E, F des K-ev. Alors L(E, F ) est un sev de F E . Lemme 36. Soient E, F des K-ev et u : E → F une application linéaire. a) Soit E 0 est un sev de E. Alors u(E 0 ) est un sev de F . b) Soit F 0 est un sev de F . Alors u−1 (F 0 ) est un sev de E. Déf., notation et rq. 37. Soient E, F des K-ev et u : E → F une application linéaire. u(E) est appelé image de u et est noté Im(u). C’est un sev de F . u est surjective ssi Im(u) = F . Déf., notation et rq. 38. Soient E, F des K-ev et u : E → F une application linéaire. u−1 (0F ) est appelé noyau de u et est noté Ker(u). C’est un sev de E. Prop. 39. Soient E, F des K-ev et u : E → F une application linéaire. Alors u est injective ssi Ker(u) = {0E }. § Intersection de sous espaces vectoriels. Sous espace vectoriel engendré par une partie. Prop. 40. Soit E un K-ev. a) Soit\I un ensemble non vide. Soit (Ei )i∈I une famille de sev de E indexée par I. Ei est un sev de E. Alors i∈I \ F est un sev de E. b) Soit F un ensemble non vide de sev de E. Alors F ∈F Cor., déf. et notation 41. Soit E un K-ev. Soit A une partie de E. Alors il existe un plus petit (pour l’inclusion) sev contenant A. Il est unique. On l’appelle le sev engendré par A et on le note Vect(A). Indications pour l’existence. \ Noter F = {F sev de E | A ⊂ F } puis poser G = F. F ∈F Vérifier que G est un plus petit élément (pour l’inclusion) de F. Ex. 42. Soit E un K-ev. Alors Vect(∅) = {0E } et Vect(E) = E. Rq. 43. Soit E un K-ev. Soit F un sev de E. Alors Vect(F ) = F . Rq. 44. Soit E un K-ev. Soient A et B deux parties de E. On suppose que A ⊂ B. Alors Vect(A) ⊂ Vect(B). Déf. 45. Soit E un K-ev. Soit A une partie de E. Si Vect(A) = E, alors on dit que A est une partie génératrice de E. Théo. 46. Soit E un K-ev. Soit m ∈ N∗ . Soient x1 , . . . , xm ∈ E. Alors Vect{x1 , . . . , xm } = {y ∈ E | ∃λ1 , . . . , λm ∈ K y = λ1 x1 + . . . + λm xm }. 4 (Le sev engendré par x1 , . . . , xm est l’ensemble des combinaisons linéaires de ces éléments.) Indications. On pose F = {y ∈ E | ∃λ1 , . . . , λm ∈ K y = λ1 x1 + . . . + λm xm } et G = Vect{x1 , . . . , xm }. a) Vérifier que F est un sev de E. b) Justifier que F ⊂ G. c)i) Justifier que {x1 , . . . , xm } ⊂ F . ii) En déduire que G ⊂ F . Notation et rq. 47. Soit E un K-ev. Soit x ∈ E. On note Kx = {y ∈ E | ∃λ ∈ K y = λx} (= ”{λx | λ ∈ K}”). On a que x ∈ Kx. Kx est le sev engendré par x (ou plus précisément, par {x}). On note que x = 0E ⇐⇒ Kx = {0E }. Déf. 48. Soit E un K-ev. On dit que E est une droite s’il existe x ∈ E \ {0E } tel que E = Kx. Rq. 49. Soit E un K-ev. Soit x ∈ E \ {0E }. Posons D = Kx. Alors D est une droite et est le sev engendré par x. Par abus de langage, on dit parfois que D est la droite engendrée par x. Rq. 50. Soit D un K-ev. On suppose que D est une droite. Alors ∀x ∈ D \ {0D } D = Kx. § Somme de sous espaces vectoriels. Lemme et déf. 51. Soit E un K-ev. Soient F, G deux sev de E. Alors {x ∈ E | ∃f ∈ F ∃g ∈ G x = f + g} est un sev de E. On l’appelle somme de F et de G et on le note F + G. Rq. 52. Soit E un K-ev. Soient F, G deux sev de E. Alors F + G = G + F , F ⊂ F + G et G ⊂ F + G. Rq. 53. Soit E un K-ev. Soit F un sev de E. Alors a) F + {0E } = F et {0E } + F = F , b) F + E = E et E + F = E, c) F + F = F . Rq. 54. Soit E un K-ev. Soient F, F 0 , G, G0 des sev de E. On suppose que F ⊂ F 0 et que G ⊂ G0 . Alors F + G ⊂ F 0 + G0 . Exo. 55. Soit E un K-ev. Soient F, G deux sev de E. Montrer que F + G = G ⇐⇒ F ⊂ G. Exo. 56. Soit E un K-ev. Soient F, G deux sev de E. Montrer que F + G = Vect(F ∪ G). Lemme 57. Soit E un K-ev. Soient F, G, H des sev de E. Alors: i) (F + G) + H = {x ∈ E | ∃(f, g, h) ∈ F × G × H x = f + g + h}. ii) F + (G + H) = {x ∈ E | ∃(f, g, h) ∈ F × G × H x = f + g + h}. iii) (F + G) + H = F + (G + H). Prop. 58. Soit E un K-ev. Soit m ∈ N∗ . Soient E1 , . . . , Em des sev de E. Alors: E1 + . . . + Em = {x ∈ E | ∃(x1 , . . . , xm ) ∈ E1 × . . . × Em x = x1 + . . . + xm }. Rq. 59. Soit E un K-ev. Soit m ∈ N∗ . Soient E1 , . . . , Em des sev de E. 5 Alors E1 , . . . , Em ⊂ E1 + . . . + Em . Rq. 60. Soit E un K-ev. Soit m ∈ N∗ . Soient x1 , . . . , xm ∈ E. Alors Vect{x1 , . . . , xm } = Kx1 + . . . + Kxm . Exo. 61. Soit E un K-ev. Soit m ∈ N∗ . Soient E1 , . . . , Em des sev de E. Alors E1 + . . . + Em = Vect (E1 ∪ . . . ∪ Em ). Déf. et notation 62. Soit E un K-ev. Soit m ∈ N∗ . Soient E1 , . . . , Em des sev de E. On dit que E1 , . . . , Em sont en somme directe (ou encore, par abus de langage, que la somme E1 + . . . + Em est directe) si: ∀(x1 , . . . , xm ) ∈ E1 × . . . × Em (x1 + . . . + xm = 0E =⇒ x1 = 0E , . . . , xm = 0E ). E1 + . . . + Em est alors noté E1 ⊕ . . . ⊕ Em . Rq. 63. Soit E un K-ev. Soit m ∈ N∗ . Soient E1 , . . . , Em des sev de E. Alors les assertions suivantes sont équivalentes: i) E1 , . . . , Em sont en somme directe, ii) pour tous (x1 , . . . , xm ), (x01 , . . . , x0m ) ∈ E1 × . . . × Em on a: x1 + . . . + xm = x01 + . . . + x0m =⇒ (x1 , . . . , xm ) = (x01 , . . . , x0m ), iii) ∀x ∈ E1 + . . . + Em ∃!(x1 , . . . , xm ) ∈ E1 × . . . × Em x = x1 + . . . + xm . Exo. 64. Soit E un K-ev. Soit m ∈ N∗ . Soient E1 , . . . , Em des sev de E. Alors E = E1 ⊕. . .⊕Em si et seulement si ∀x ∈ E ∃!(x1 , . . . , xm ) ∈ E1 ×. . .×Em x = x1 +. . .+xm . Prop. 65. Soit E un K-ev. Soient F, G deux sev de E. Alors F et G sont en somme directe ssi F ∩ G = {0E }. Ce critère est valable uniquement pour DEUX sev, et pas pour trois ou plus. En effet: Ex. 66. On note E = K2 . On considère E1 = K × {0K } E2 = {0K } × K et E3 = {(λ, µ) ∈ K2 | λ = µ}. E1 , E2 et E3 sont des sev de E (ce sont des droites). E1 ∩E2 = {0E } E1 ∩E3 = {0E } E2 ∩ E3 = {0E }. E1 , E2 et E3 ne sont pas en somme directe. § Sous espaces vectoriels supplémentaires. Théo. 67. Soit E un K-ev. Soient F, G deux sev de E. Alors les assertions suivantes sont équivalentes: i) E = F ⊕ G, ii) E = F + G et F ∩ G = {0E }, iii) ∀x ∈ E ∃!(f, g) ∈ F × G x = f + g. Indications. Montrer que i) ⇐⇒ ii) et que i) ⇐⇒ iii). Déf. 68. Soit E un K-ev. Soit F un sev de E. Un supplémentaire de F dans E est un sev G de E tel que E = F + G et F ∩ G = {0E }. Rq. et déf. 69. Soit E un K-ev. Soient F, G deux sev de E. Alors les assertions suivantes sont équivalentes: i) G est un supplémentaire de F dans E, ii) F est un supplémentaire de G dans E. Lorsque ces assertions sont vraies on dit que F et G sont supplémentaires dans E. 6 Ex. 70. Soit E un K-ev. Alors {0E } et E sont supplémentaires dans E. Ex. 71. K × {0K } et {(λ, µ) ∈ K2 | λ = µ} sont des supplémentaires de {0K } × K dans K2 . 7