Éditorial Ger Psychol Neuropsychiatr Vieil 2011 ; 9 (1) : 67-8 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Les particularités, attitudes et stratégies des chercheurs romantiques. . . ne suivent pas la voie du réductionnisme qui est la philosophie dominante des chercheurs classiques. Les scientifiques romantiques ne veulent ni fragmenter la réalité en ses composantes élémentaires ni réduire la richesse de la vie à des modèles abstraits qui perdent les propriétés des phénomènes eux-mêmes. Il est de la plus haute importance. . . de préserver la richesse de la réalité vivante, et ils aspirent à une science qui maintient cette richesse. Alexandre Romanovitch Luria The making of mind doi:10.1684/pnv.2011.0262 U ne revue thématique sur le thème des émotions et leurs perturbations chez les sujets âgés était prévue pour 2011. Pour une plus grande souplesse de parution des textes, le principe de la revue thématique n’a pas été retenu dans la nouvelle formule de la revue et les textes paraîtront au cours de l’année. Plus que les perturbations cognitives qui sont utilisées pour définir les pathologies cérébrales associées au vieillissement, ce sont, en effet, les perturbations affectives qui constituent bien souvent l’élément déterminant de la souffrance des patients et de leur entourage. Nous avons pensé qu’une présentation générale de la psychologie des émotions serait utile. Depuis quelques années, de nombreux travaux en neuropsychologie cognitive sont consacrés aux émotions pour mieux comprendre ces perturbations. Toutefois, la psychologie cognitive est basée sur la théorie de l’information et étudie le fonctionnement du cerveau sur le modèle d’un ordinateur, évidemment dénué de toute vie affective et émotionnelle. Son application à l’étude des phénomènes affectifs est-elle légitime ? Certains en doutent, comme Jerry Fodor (La modularité de l’esprit. Essai sur la psychologie des facultés) pour qui, si les méthodes de la psychologie cognitive se sont révélées très riches pour la compréhension des « systèmes périphériques » modulaires, comme la mémoire, la perception, le langage. . ., elles sont difficilement applicables à l’étude des « systèmes centraux » (comme l’intelligence, la vie affective) qui ne sont pas modulaires, mais holistiques, c’est-à-dire mettant en jeu le fonctionnement global du cerveau. En outre, les travaux neuropsychologiques consacrés aux émotions reposent, de façon plus ou moins implicite, sur les théories néodarwiniennes qui décrivent des émotions primaires (joie, tristesse, dégoût. . .) considérées comme des entités ontologiques, non dissociables, non analysables, d’origine biologique et communes à l’homme et à l’animal. Nul ne peut contester que les émotions, chez l’animal, reposent sur des bases biologiques innées, propres à l’espèce, et qui se présentent comme des réactions instinctives, fixes et stéréotypées, déclenchées par un type de stimulus « spécifique ». Nul ne peut contester, non plus, la filiation entre les émotions animales et celles de l’homme. Mais, sur cette continuité se produit une rupture essentielle qui tient à l’immaturité de l’espèce humaine et qui fait de l’homme avant tout un être social : le bébé n’est pas un être indépendant (« Le bébé n’existe pas » selon la formule de Donald Winnicott). Sa vie affective ne peut être séparée, dès les premiers instants, des rapports sociaux impliquant sa mère, son père et, à travers ses parents, la société dans laquelle il vit : ce sont ces échanges qui sont déterminants pour son développement psychique et non la seule maturation de son cerveau (cf l’enfant-loup). Les émotions humaines ne peuvent donc pas être considérées comme de simples réponses préfabriquées de l’organisme : elles sont étroitement dépendantes de l’histoire individuelle et sociale, largement médiatisées par les mécanismes cognitifs. L’étude scientifique de la vie affective chez l’homme est particulièrement ardue en raison de sa complexité et de sa richesse qui sont tout autant des caractéristiques de l’espèce humaine que son développement cognitif. Elle nécessite de passer par des intermédiaires plus simples et Pour citer cet article : Derouesné C. Ger Psychol Neuropsychiatr Vieil 2011; 9(1) :67-8 doi:10.1684/pnv.2011.0262 67 C. Derouesné de l’étude des phénomènes dans leur complexité, seule accessible à la psychologie sociale ou à la psychanalyse. Autrement dit, l’étude de la pathologie émotionnelle nécessite d’être abordée à différents niveaux d’observation, dans une perspective d’intégration, mais dans le respect des lois propres à chaque niveau, c’est-à-dire des disciplines correspondantes, nulle n’ayant le monopole de « la » vérité. Christian DerouesnÉ Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. le problème est donc de dégager des niveaux d’observation plus accessibles à l’analyse : est-ce le cas des émotions ? On peut en douter si on ne les résume pas à de simples réactions préfabriquées. Les avancées dans la compréhension des bases cérébrales de la vie affective et sociale (et il faut souligner, dans ce sens, l’importance du travail que présentent Nathalie Ehrlé et al.) ne doivent pas faire oublier que ces données, pour importantes qu’elles soient, se situent à un niveau d’observation très loin de la vie réelle : elles ne peuvent se substituer aux résultats 68 Ger Psychol Neuropsychiatr Vieil, vol. 9, n ◦ 1, mars 2011