1 Sophie Roux L1, premier semestre Histoire de la philosophie

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Sophie Roux
L1, premier semestre
Histoire de la philosophie moderne (cours & méthodologie)
Introduction à la philosophie cartésienne
PRINCIPE ET MÉTHODE DE L’EXPLICATION ET DU COMMENTAIRE
Remarques préliminaires
Deux questions me sont régulièrement posées :
1/ Y a-t-il une différence entre explication et commentaire ? Et laquelle ?
Lorsqu’une différence est faite entre ces deux genres, elle est la suivante : dans l'explication,
on évite de faire quelque objection ou quelque critique que ce soit au texte ; dans le
commentaire, on a le droit de proposer une évaluation critique, de discuter les difficultés du
texte. Lorsqu’un enseignant demande explicitement de faire une explication, en opposant
celle-ci au commentaire, c’est donc cette différence qu’il faut avoir à l’esprit.
Pour ma part, j’estime que la différence n’est pas très marquée, le problème n’étant pas de
faire ou de ne pas faire d’objection, mais d’en faire de bonnes. Plus précisément :
— La première des difficultés des étudiants en L1 est de réussir à s’approprier des textes ;
en ce sens, il est de bonne règle de donner pour consigne de s’effacer derrière les
textes et ne pas chercher à les critiquer.
— Néanmoins, en pratique, explication et commentaire vont main dans la main : on
commence à vouloir discuter une thèse, on se demande donc si c’est bien la thèse
qui est soutenue dans le texte, on s’aperçoit que le texte est un peu plus subtil qu’on
le croyait au début ; ou bien, quand on a exactement compris la thèse, on en voit du
même coup les limites et la possibilité de le critiquer. Autrement dit, il y a bien un
cercle entre explication et commentaire : pour faire de bonnes objections, il faut
avoir bien compris le texte ; pour avoir bien compris le texte, il faut s’être posé des
questions sur lui, et cela en passe souvent par des critiques qu’on lui adresse.
Mon conseil est donc finalement le suivant : il ne faut jamais oublier son esprit critique, mais
il faut toujours d’abord donner toute sa force à la pensée de l’auteur : faire preuve d’esprit
critique, c’est aussi faire preuve d’honnêteté intellectuelle, et rien n’est plus ridicule que
l’arrogance de l’ignorant qui prétend « descendre en flammes » une pensée qu’il n’a pas
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comprise.
2/ Dans une explication ou un commentaire, a-t-on le droit de citer d’autres textes ?
Là encore, une distinction est parfois introduite entre l’explication et le commentaire, la
première se contenterait de « redire » ce qu’il y a dans le texte, le second le comparant à
d’autres textes.
Pour ma part, je crois une fois encore que les choses sont à la fois moins strictes et,
finalement, plus simples :
— Certains textes de philosophie sont rigoureusement incompréhensibles si l’on ne se
réfère pas à d’autres textes, par exemple parce qu’ils procèdent par allusion, ou
même par réfutation d’autres textes.
— Même dans le cas des textes qui semblent relativement « autonomes », il peut être utile
de comparer le point de vue de l’auteur à des points de vue similaires, mais pas
exactement identiques, pour bien comprendre la spécificité du point de vue auquel
on a affaire.
Si les choses sont simples, c’est, finalement, que la question n’est pas de citer ou de ne pas
citer d’autres textes, mais de le faire de manière pertinente et qui ne soit pas en porte-à-faux
par rapport au texte. Pour donner un exemple, Descartes soutient dans certains textes les
thèses que i) l’essence de l’âme est de penser et que ii) penser c’est être conscient. Objecter à
ces thèses un texte de Freud ou bien des résultats des sciences cognitives d’aujourd’hui risque
d’être maladroit et décalé par rapport aux textes de Descartes, parce que ce dernier ne
connaissait ni les méthodes, ni les arguments, ni les concepts de la psychanalyse ou des
sciences cognitives. En revanche, faire état des objections de certains de ses contemporains
(Arnauld, Gassendi, Locke) « collera » beaucoup mieux aux préoccupations qui étaient les
siennes : si i) et ii) sont vraies, qu’en est-il de l’âme des bébés qui sont dans le ventre de leurs
mère, des hommes ivres ou de ceux qui sont affectés d’une maladie telle qu’ils sont
inconscients, et même de nous tous quand nous dormons d’un sommeil profond ?
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1. Le principe
Principe général
Expliquer un texte = en dégager le sens philosophique, c’est montrer en quoi il répond à
un problème philosophique en analysant la démarche qu’il met en œuvre, les concepts, les
raisonnements, les exemples qu’il utilise.
Deux questions fondamentales : (1) que veut dire l’auteur ? (2) comment s’y prend-il pour
convaincre son lecteur ?
On voit par là que toute la difficulté de l’exercice consiste à réussir à s’approprier la pensée
de l’auteur, même dans le cas où l’on est absolument pas d’accord avec lui ; c’est un peu
comme si on se mettait à la place de cet auteur, mais en essayant d’en dire plus qu’il ne dit
explicitement. Il faut donc déployer tout ce qu’il y a dans ce texte, ce qu’il présuppose, les
problèmes qu’il soulève. (Fiction commode : se dire qu’on écrit non pas pour un examinateur
qui sait tout, mais pour quelqu’un qui ne connaîtrait pas Descartes, et qu’il faudrait,
justement, aider à comprendre ce texte.)
Chose la plus difficile à comprendre : il faut avoir beaucoup lu un auteur pour comprendre ce
qu’il dit, mais aussi être capable de saisir la singularité d’un texte, irréductible à d’autres
textes du même auteur. Autrement dit, deux dangers : celui de l’ignorant et celui du demisavant :
— L’ignorant, celui qui n’a rien lu de Descartes, ne verra pas les difficultés d’un texte et
ne fera que le paraphraser, ie. redire en moins bien ce qu’il a dit.
— Le demi-savant, qui a bien appris son cours, voudra dire tout ce qu’il sait : cela peut
lui faire manquer la singularité du texte.
Entre les deux, avoir suffisamment assimilé de Descartes pour pouvoir le convoquer quand on
en a besoin pour faire comprendre le texte.
Trois écueils majeurs
1/ La simple paraphrase (répétition diluée ou retranscription maladroite, dans le langage
d’aujourd’hui, de ce que dit l’auteur).
2/ Le contresens (erreur de compréhension du texte, souvent suivie d’une critique enflammée
de l’auteur : ce n’est pas en soi un problème de critiquer un auteur, mais on doit lui avoir
donné toutes ses chances avant de le critiquer, sinon, c’est trop facile).
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3/ Le texte comme prétexte (c’est ce qui arrive aux bons étudiants, qui, ayant travaillé le cours
sur Platon, veulent mettre la théorie des idées partout, et, si c’est leur cours sur Descartes,
retrouver le cogito dans n’importe quel texte).
Pour éviter ces travers, il faut impérativement s’interroger sur le problème précis dont il
est question dans le texte, et les arguments utilisés pour le résoudre.
2. Proposition de méthode
Méthode de travail. L’idée est d’affiner progressivement sa compréhension du texte en
passant par plusieurs étapes. Il faut se dire une fois pour toutes que cela prend du temps de
comprendre un texte, on n’y arrive pas d’un seul coup.
Comprendre globalement le texte
1/ Lire attentivement le texte, au moins deux fois. Résoudre les difficultés de français
(vocabulaire, construction grammaticale) qui pourraient se poser. Demandez-vous déjà : de
quoi est-il apparemment question ? quelle est l’idée générale du texte ?
Cherchez à identifier les notions et les expressions importantes du texte ; repérez notamment
les termes qui ont l’air synonyme. Sont-ils définis ? Si ce n’est pas le cas, pourriez-vous le
faire vous-même ? Faites des hypothèses de compréhension : il ne faut pas hésiter à se
demander ce qu’un terme recouvre exactement, à faire plusieurs hypothèses concernant sa
signification, et à les discuter en fonction du reste du texte.
2/ Dégagez de manière précise et détaillée les étapes, la progression du texte. Ce peut être
celle d’un raisonnement complexe (« a, b, c, donc d »). Il peut s’agir d’une analyse
d’exemple (« on constate en particulier que a, on est tenté de conclure que en général A ». Le
texte peut être organisé autour d’une distinction, etc.
En tous les cas, vous devez pouvoir repérer des parties. Essayez de leur donner des titres, en
vous demandant à quelle question chacune d’elle répond (quelle est l’idée principale,
l’objectif de chaque partie ?).
Attention aux relations logiques (« car, puisque » : justification ; « parce que » : explication,
indication d’une cause ; « ou bien… ou bien » : alternative ; « donc » : conclusion,
conséquence ; « si…alors » : implication ; « mais, toutefois, cependant, or » : concession, ou
objection, ou ajout d’un nouvel élément pour un raisonnement ; etc.).
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3/ Après avoir dégagé la structure du texte, vous devez vous demander : que veut montrer
l’auteur ? Comment peut-on formuler la thèse qu’il entend soutenir ? A quelles autres thèses
cette thèse s’oppose-t-elle ? Qu’est-ce qu’elle exclut ou ne prend pas en compte ? Qu’est-ce
qu’elle implique ?
4/ Quel est le problème auquel cette thèse permet de répondre ? Et quelle est son
importance ? Et en quoi est-ce intéressant ou important de répondre à ce problème ? (C’est ce
qu’on appelle déterminer l’enjeu).
Comprendre le détail de l’argumentation
Une fois fait ce premier travail, on peut s’intéresser au détail du texte pour comprendre la
fonction précise de chacune des étapes du texte. C’est un peu la même chose, mais à une
échelle plus réduite. Cela permettra d’éviter de privilégier sans raison un passage du texte :
c’est le texte tout entier qu’il faut expliquer.
1/ Pour chaque argument, il faut se demander : comment est-il construit ? comment
fonctionne-t-il ? Ex. : argument par analogie, déduction, réfutation, appel à l’expérience, etc.
Quelles sont les étapes de l’argument ?
2/ Essayez de définir les concepts importants qui sont employés. Demandez-vous : pourquoi
ceux-là et pas d’autres ? Essayez de comprendre le lien entre les concepts. Rendez-vous
attentifs aux distinctions.
3/ Analysez les exemples : à quoi servent-ils ? Pourquoi ceux-là et pas d’autres ? De même
pour les comparaisons, les images, les métaphores. Attention : l’abstraction de la philosophie
ne consiste pas à employer des mots compliqués et à fuir le concret ; bien comprendre une
image concrète, voire triviale, peut être aussi important que de donner une définition d’un
concept
qui
« fait
philossophique »
(« transcendental »,
« ipséité »,
« attitude
propositionnelle », etc.).
4/ Dégagez ce qui est présupposé ou sous-entendu par l’auteur dans son argumentation,
ainsi que les conséquences prévisibles de ce qu’il affirme. C’est un aspect très important de
l’explication.
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Demandez-vous en particulier : en quoi la thèse de l’auteur se distingue-t-elle d’autres thèses
possibles sur le même problème ? Quelles autres positions sont exclues par ce qu’il soutient ?
Contre quelles thèses écrit-il ? Pourriez-vous trouver des philosophes qui soutiennent de telles
thèses ?
Comment pouvez-vous prolonger les arguments de l’auteur ? Pouvez-vous donner des
exemples, du moins d’autres que les siens ?
(Le lecteur attentif aura réalisé que sont répétés ici des conseils déjà donnés. C’est qu’il s’agit
de faire les mêmes opérations à petite échelle qu’on a fait auparavant à grande échelle.)
Approfondir sa compréhension du texte en essayant de le réfuter
1/ Pourriez-vous indiquer les limites ou les problèmes que posent les arguments de l’auteur,
si on les prolonge ? N’y a-t-il pas des objections à formuler à l’égard de ses présupposés ?
2/ Demandez-vous comment l’auteur pourrait répondre à de telles objections. Y a-t-il des
passages paradoxaux, apparemment contradictoires ? Peut-on résoudre le paradoxe ?
Pourriez-vous appuyer vos objections par des références à d’autres auteurs ?
Il ne faut pas se méprendre sur le but de cette dernière étape : le but n’est pas de trouver le
point faible qui permettrait d’affirmer qu’on est bien plus malin que l’auteur du texte qu’on
commente, mais de comprendre un peu plus le texte. En effet, on s’aperçoit souvent lors de
cette dernière étape qu’on a manqué certains détails du texte : on a été paresseux, et on a
attribué à l’auteur une thèse plus simple que celle qu’il soutient en vérité.
3. Organiser la rédaction
L’introduction
Pour simplifier, on peut dire que toute introduction comprend nécessairement les trois parties
suivantes :
1/ situer le texte dans l’œuvre de l’auteur si cette œuvre est connue, et, en tout cas exposer le
problème philosophique que le texte aborde. Il est risqué de situer le texte dans l’histoire de la
philosophie toute entière, cela donne souvent lieu à des rapprochements mal venus.
2/ présenter brièvement mais précisément la thèse de l’auteur, ce qu’il veut montrer. (Éviter
de mettre cinq ou six questions à la suite, aucun auteur de philosophie n’aborde dans un texte
de vingt lignes cinq ou six questions à la fois. Si l’examinateur a bien fait son travail, il a
choisi un texte où il y a un problème fondamental, l’examiner entraînera peut-être qu’on
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aborde des sous-problèmes, des problèmes annexes, mais ils lui sont subordonnés et ce n’est
pas la peine de tout dire dès l’introduction.)
3/ indiquer les étapes du texte, sa progression. Ce n’est pas un saussissonage : évitez
d’employer des tournures purement formelles qui ne disent rien sur le contenu des thèse (« il
donne un argument, puis il prend un exemple, puis il conclut ») ou d’indiquer des numéros de
ligne qui n’apportent rien (« de la ligne 4 à la ligne 6, l’auteur avance sa thèse »). Cela vise à
différencier les moments du texte en indiquant à la fois leur fonction par rapport à la totalité
que constitue le texte et leur contenu conceptuel.
Le développement
1/ faire autant de parties dans l’explication qu’il y en a dans le texte (en général, deux ou
trois, pas plus), c’est-à-dire mouler le mouvement de votre explication sur celui du texte. Ce
n’est pas interdit de faire autrement (dans l’absolu, il n’y a aucun interdit, tous les coups sont
permis s’ils aident à comprendre le texte), mais cela fait courir le risque d’en manquer
l’enchaînement logique. Il est assez rare qu’il soit bon de suivre un autre ordre que celui du
texte ; normalement il y a une progression d’un moment du texte à un autre, bouleverser cette
progression est le plus souvent un signe qu’on ne l’a pas comprise.
2/ Au début d’une partie, indiquez l’idée générale de la partie et sa fonction dans
l’organisation du texte. Puis procédez à l’analyse du détail : citez les passages, puis procédez
à leur explication (Point important : ne faites pas comme si le correcteur avait sous les yeux
non seulement votre copie, mais aussi le texte à commenter. Le correceteur ne doit pas avoir
besoin de se reporter au texte : votre commentaire est un texte second par rapport au texte
commenté, mais autonome par rapport à lui).
3/ Attention : certains éléments du texte appellent des explications et des éclaircissements qui
peuvent être longs, tandis que d’autres passages demanderont moins d’efforts. Votre
explication doit mettre le texte en relief, faire le tri entre ce qui est essentiel à la réflexion et
ce qui est accessoire. Parfois, il faut s’arrêter longuement à des termes ou à des passages clés,
tenter proposer une définition éclairante, se demander pourquoi l’auteur écrit ce qu’il écrit
comme il l’écrit, ce que ça ajoute par rapport à ce qui précède. Mais parfois, on peut passer
assez vite. Tout n’est pas également profond dans un texte, tous les énoncés d’un grand
philosophe ne sont pas également grands on rencontre parfois des trivialités ou même des
idioties, et ce serait manquer de discernement que de traiter tous les énoncés de la même
manière.
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4/ Si vous avez des objections à formuler, ou des problèmes à indiquer, essayez de le faire en
cours d’explication.
5/ Écrivez proprement et lisiblement. Soignez l’orthographe et la grammaire : il n’est pas
trop tard pour fréquenter le Bled, le Bescherelle, le Robert… Relisez-vous pour supprimer les
fautes. Tâchez d’avoir un style clair et sobre (Descartes devrait au moins vous apprendre
ceci : la concision et la précision). Pensez à faire des paragraphes (une idée = un paragraphe =
un alinéa) ; sautez une ligne entre chaque partie, deux lignes entre l’introduction et le corps du
devoir (de même pour la conclusion) ; faites des transitions entre les parties.
La conclusion doit
1/ faire le bilan de la réflexion de l’auteur en montrant en quoi l’auteur a répondu au
problème, ce que sa réflexion nous permet de comprendre à ce sujet,
2/ éventuellement résumer les difficultés que soulèvent la thèse de l’auteur ou son
argumentation.
Attention : éviter les formules grandiloquentes, comme si le texte qu’on vient de commenter
était LE texte à connaître de Descartes, voire de la philosophie occidentale, voire de la
philosophie tout court. (C’est un conseil général, la grandiloquence est le plus souvent
ridicule. Il se trouve cependant que les copies s’y laissent souvent aller en conclusion pour
revaloriser ce qui vient d’être fait : or, si c’est bien, c’est bien ; si ce n’est pas le cas, ce n’est
pas le fait de s’enthousiasmer sur la grandeur d’un texte qui métamorphosera une chenille en
papillon.)
Conseil final
Ne rédigez pas tout au brouillon, contentez-vous de faire un plan détaillé, puis de rédiger à
partir de ce plan. Seules l’introduction et la conclusion doivent être soigneusement travaillées
au brouillon. On peut écrire l’introduction en dernier (cela dépend des esprits, mais certains
sont ainsi faits qu’ils ne voient clair dans ce qu’ils font qu’après l’avoir fait : c’est dans ce
genre de cas qu’on peut laisser une place pour l’introduction, qu’on écrit en dernier).
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