Phil d`or n° 5 191110

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« Les soirées Phil’d’or »
Cinquième rencontre (19/11/2010) :
Une initiation à la philosophie ?
+
« Qu’est-ce que savoir ? selon la philosophie rationaliste (Descartes) »
L’intérêt de ces petits « bilans », à la suite de chaque rencontre, c’est que vous
puissiez, si vous le souhaitez, vous constituer un petit livret, rassemblant, au fil
des séances, nos réflexions partagées. Les concepts développés sont mis en
évidence en bleu. Vous ne retrouverez certes pas tout ce que nous avons
« remué » mais ce qui a fait le socle de nos réflexions.
*
A partir de quand (les conditions, selon la philosophie) ou à partir de quel âge
(selon la psychologie), peut-on favorablement se mettre à philosopher ? Il n’est
pas sérieux de dire qu’il est possible de philosopher dès lors que l’on est entré à
l’école maternelle. En effet, l’esprit d’enfance se caractérise par la primauté de
l’exercice de l’intelligence comme imagination. Or la philosophie est
précisément un dépassement de ces formes premières d’expression (pour chaque
individu mais aussi dans l’histoire de l’humanité) que sont les histoires illustrées
et les mythes. La philosophie exige, pour être exercée, l’aisance dans
l’abstraction. Tant que l’enfant n’a pas appris à lire et écrire, sa pensée a donc
totalement besoin du support des images.
Mais l’on parle, dans l’enfance, de l’entrée dans l’âge de raison. C’est
précisément cet âge où l’enfant devient capable de prendre une certaine distance
avec l’imagination. Mais pour autant, devient-il capable de conceptualiser ? Il
entre sur la voie qui l’amènera jusque-là mais il ne peut faire l’impasse, d’abord,
de frotter son esprit aux mathématiques, à la littérature, à l’histoire… Ces deux
dernières nourrissent la rencontre de l’enfant avec l’humanité au-delà des limites
de son cercle restreint et ouvrent ainsi son esprit, tandis que les sciences lui
apprennent la patience, la rigueur et le sens de la vérité valable pour toute
intelligence. Mais longtemps les enfants continuent à se poser, certes des
questions brûlantes, mais qui dépassent les limites de l’expérience possible :
l’enfant (et l’adolescent) cherche des réponses absolues à des questions
absolues. Lorsque l’esprit devient capable de renoncer à de telles questions,
c’est qu’il a grandi et qu’il devient capable de philosopher… Je renvoie, ici, à la
« loi des trois états » proposée par A. Comte (cf résumé n° 3).
Il n’y a pas d’initiation à proprement parler à la philosophie. On entre
directement dans la philosophie ou on n’y entre pas. D’où sa difficulté
particulière.
Ainsi avons-nous travaillé ensemble à philosopher avec Descartes. Je vous ai
proposé un texte qui permettait de dégager un aspect de la thèse rationaliste sur
la connaissance, laquelle thèse entre en opposition avec celle rencontrée la fois
passée : la thèse empiriste de la connaissance. Ainsi le rationaliste défend-il
l’idée que la connaissance ne vient pas de l’expérience mais de la raison.
Descartes s’amuse à nous faire prendre conscience, à partir de la considération
d’un morceau de cire, que les qualités sensibles des corps ne nous permettent
pas de savoir ce que sont ces corps. En effet, la simple expérimentation ne nous
permet aucune connaissance car elle condamne l’expérimentateur à la passivité,
laquelle ne peut faire aboutir à quelque connaissance que ce soit. La cire, froide,
est dure, odorante, etc., alors que la cire approchée du feu est molle, sans odeur,
etc. Qu’en conclure ? Que la cire est changeante, par exemple ? Mais cette seule
affirmation me fait comprendre que ma « lecture » de l’expérience se fait à partir
d’idées qui sont dans ma tête et qui ne peuvent aucunement venir de
l’expérience. En effet, si je puis apprécier que deux apparences sont tantôt celles
d’une même corps, tantôt celles de deux corps différents, c’est bien à l’aune de
d’une idée : celle que la diversité (des apparences) n’invalide pas
nécessairement le fait de l’identité (des corps) ! Etc. Ainsi Descartes finira-t-il
pas dire que l’idée fondamentale qui me permet d’étudier le monde comme un
ensemble de corps (identité car il s’agit toujours de corps) tandis que tous ces
corps sont divers (variétés des formes, consistances, etc. dans le monde), c’est
celle d’étendue (espace). Si le monde est fondamentalement espace, alors c’est
la géométrie qui me permet de le connaître : « Toute ma physique est
géométrie », dira Descartes. Les idées qui sont dans ma tête (sans venir de
l’expérience et donc « innées » selon Descartes) sont ainsi l’ensemble des
mathématiques qu’il me faut développer en faisant précisément des
mathématiques.
Toutefois, savoir, c’est nécessairement savoir que l’on sait. Descartes regarde
l’évidence des idées devenues « claires et distinctes » (évidence conquise par
une recherche rigoureuse, donc, et non celle, immédiate, des préjugés) comme le
critère de reconnaissance des jugements vrais. Soit, mais on pourra toujours
objecter à Descartes que le monde n’est peut-être pas mathématiquement
organisé (« un grand livre écrit en langage mathématique », selon l’expression
de Galilée) et qu’ainsi nous ne faisons qu’interpréter le monde
mathématiquement ! Pour sauver l’idée de connaissance et ne pas retomber,
comme c’est le cas avec les empiristes, dans celle de la seule croyance possible,
Descartes introduit la véracité divine dans son système. Mais rigoureusement :
Descartes a en effet cru réussir à prouver l’existence de dieu. Ainsi Dieu ne
peut-il pas faire que je me trompe quand, ayant bien usé de mes facultés (et
ayant bien exercé les mathématiques qui sont dans ma tête, « empreinte de
l’ouvrier [Dieu ] sur son ouvrage [l’homme]), je crois être dans le vrai.
N. Abécassis
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