ETUDE DE LA SEROPREVALENCE DE L’HEPATITE VIRALE C DANS LA POPULATION DREPANOCYTAIRE EN CÔTE D’IVOIRE SEKA-SEKA J. 1, YAPO-CREZOIT A.C. 2, DASSE SERY R.2, AKRE DAGRA P. 3, SORHO F. 3, SOMBO MAMBO F. RESUME Dans ce travail, les auteurs ont évalué la séroprévalence de l’hépatite virale C chez les drépanocytaires en Côte d’Ivoire. 151 malades drépanocytaires des 2 sexes âgés de 1 an à 61 ans ont été testé chez qui il a été recherché l’anticorps anti-HVC par la technique sérologique ELISA. Globalement, les résultats ont montré que 10,60 % des malades étudiés étaient porteurs de l’anticorps antiHVC. Ceci suggérait donc que les malades drépanocytaires constituaient une population à haut risque de contamination par le virus de l’hépatite C. Ce risque apparaissait d’autant plus élevé que le sujet était plus jeune (13,63 % de prévalence pour les sujets entre 1 an et 14 ans), et de sexe masculin (17,64 %). par ailleurs, les malades de phénotype hémoglobinique SFA2 et SSFA2 étaient les plus exposés au virus C avec des fréquences respective de 23,8 % et 9,09 %. Il apparaît par conséquent impérieux d’établir des mesures préventives à même de freiner cette affection en attendant la vaccination anti-HVC. Mots-clés : HVC, séroprévalence, drépanocytose, Côte d’Ivoire. ABSTRACT Seroprevalence of viral hepatitis C (VHC) among sicklecell disease population in Ivory Coast The authors evaluated the prevalence of VHC serological markers in 151 patients attending sickle-cell disease in Ivory Coast. The whole ser o p revalence of anti-VHC antibody pointed out was 10,60 %. The results showed that, patients with sickle-cell disease anaemia presented a higher contamination hazard. This hazard was as higher as the patient was young (13,63 %) and/or male (17,64 %). 1. Maître assistant en Immunologie - Hématologie. 2. Chef de Bioclinique en Immunologie - Hématologie. Patients with SFA2 or SSFA2 phenotype were more exposed to VHC infection with respective frequencies of 23,8 % and 9,09 % because they need many blood transfusions to cure their anaemia. It consequently appears necessary to establish preventive solutions like IEC (sessions) and prophylaxy by hygienic measures until vaccination. Key-words : VHC, seroprevalence, sickle-cell disease. INTRODUCTION La symptomatologie typique de la drépanocytose aussi bien chez l’enfant, l’adolescent que l’adulte se traduit par : . un syndrome anémique hémolytique, . un syndrome douloureux vaso-occlusif, ostéoarticulaire (syndrome pied-main chez l’enfant) (1, 2). Le traitement de ces syndromes et des affections intercurentes associées telle le paludisme, a recours à la voie intraveineuse (transfusion, perfusion) lorsque la voie orale s’avère inefficace. Ceci fait du drépanocytaire homozygote (forme majeure) un sujet à haut risque de contamination par voie sanguine. C’est donc ce constat qui nous a amenés à rechercher à l’instar de l’hépatite virale B, la prévalence de l’hépatite virale C dans la population des drépanocytaires ivoiriens ; par la mise en évidence de l’anticorps anti-virus de l’hépatite C (anti-VHC) ; le but visé étant de pouvoir, à partir de cette prévalence, préconiser des mesures préventives visant à minimiser cette affection dont les conséquences à court et à long terme sont dramatiques : (décès par hépatite C aiguë, évolution vers la chronicité puis la cirrhose et le cancer primitif du foie (CPF)) (3,). I - MATERIEL ET METHODES A. Matériel La population étudiée était composée de 151 drépanocytaires des deux sexes, âgés de 1 an à 61 ans, régulièrement 3. Assistant Hospitalier en Immunologie - Hématologie. 4. Professeur d’Immunologie - Chef du Service Médecine d'Afrique Noire : 1998, 45 (1) SEKA-SEKA J. , YAPO-CREZOIT A.C. , DASSE SERY R., AKRE DAGRA P. , SORHO F.3, SOMBO MAMBO F. 36 suivis dans l’unité des hémoglobinopathies du Service d’Immunologie et d’Hématologie du CHU de Cocody. Dans cette population, 101 sujets ont été transfusés au moins une fois, 50 sujets n’ont jamais été transfusés. Nous avons disposé pour la réalisation du travail, d’une chaîne ELISA PASTEUR. Les réactifs provenaient de kits Enzygnost anti-virus de l’hépatite C (anti-VHC) des Laboratoires Behring. B. Méthodes La recherche de l’anticorps anti-VHC a été effectuée sur les sérums des malades par la technique ELISA. Le sang veineux de chaque sujet a été prélevé sur tube sec et stérile au moyen de vacuitainer apyrogène. Après coagulation et décantation à la température du laboratoire, le sang a été centrifugé à 5000 tours par minute pendant 10 mn. Le sérum recueilli a été aussitôt analysé ou conservé à -20°C pour analyse ultérieure ou confirmation des résultats. L’exploitation statistique des résultats a été effectuée par le test du Chi-Deux (X2). Selon le type d’hémoglobine nous avons obtenu les séroprévalences présentées dans le tableau II. Tableau II : Séroprévalence du VHC en fonction du type d’hémoglobine Type d’hémoglobine Effectif Séropositif % SSFA2 88 8 9,09 SFA2 21 5 23,8 SAFA2 18 1 5,55 SC 20 2 10 AS 4 0 0 151 16 10,60 Total L’influence de la transfusion sur la prévalence du VHC a été recherchée ; les tableaux III, IV et V présentent les résultats obtenus. Tableau III : Influence de la transfusion sur la séroprévalence du VHC II - RESULTATS Populations étudiées Globalement, les résultats ont montré que 10,6 % des drépanocytaires étudiés étaient porteurs de l’anticorps antiVHC. L’analyse des résultats en fonction du sexe a révélé que 17,64 % des sujets de sexe masculin ont été en contact avec le virus de l’hépatite C contre 4,82 % pour les sujets de sexe féminin. Rapportées aux tranches d’âges, les prévalences enregistrées sont fournies par le tableau I. Effectifs Séropositifs % Sujets transfusés 101 11 10,89 Sujets non transfusés 50 5 10 Polytransfusés 91 11 12,08 Monotransfusés 10 0 0 Tableau IV : Influence du nombre de transfusions sur la séroprévalence du VHC Nombre de transfusions Tableau I : Séroprévalence du virus de l’hépatite C en fonction de l’âge des drépanocytaires Age (ans) Effectif Séropositifs % 1 à 14 83 12 13,63 15 à 61 63 4 6,3 Total 151 16 10,60 X 2 C = 3,85 > X 2 C = 3,84 Médecine d'Afrique Noire : 1998, 45 (1) Effectifs Séropositifs % 1 10 0 0 2 28 2 7,14 3 12 1 8,33 >3 51 8 15,69 Total 101 11 10,89 ETUDE DE LA SEROPREVALENCE… 37 Tableau V : Séroprévalence du VHC dans la population transfusée en fonction du type d’hémoglobine Type d’hémoglobine Effectifs Séropositifs % SSFA2 81 8 9,87 SFA2 12 3 25 SAFA2 7 0 0 SC 1 0 0 AC 0 0 0 101 11 10,89 Total III - DISCUSSION Globalement, il est apparu que le drépanocytaire était un sujet exposé à l’infection par le VHC avec une séroprévalence anti-VHC de 10,60 %. Si ce résultat apparaissait superposable à celui de RIOCHE et Coll. à l’Institut Pasteur de Côte d’Ivoire (1993) qui rapportaient un taux de 10,20 % dans la population ivoirienne générale (4), ce c h i ffre était inférieur aux valeurs enregistrées par ces mêmes auteurs dans une population de 51 hémodialysés avec une prévalence de 43,1 %. De même, notre chiffre était inférieur à celui de ARRUDA et Coll. au Brésil (1993) qui ont trouvé un taux de 30 % dans une population de 47 drépanocytaires (5). Ces différences avec notre résultat pourraient trouver leur application, soit dans la différence de taille des échantillons, soit dans l’influence des facteurs environnementaux spécifique à chaque pays (conditions d’hygiène, niveau socio-économique des populations étudiées). Quoiqu’il en soit, la relative faiblesse du taux dans notre série ne devrait pas faire perdre de vue le danger représenté par le VHC pour cette population de malades. En fonction du sexe, les sujets de sexe masculin étaient les plus exposés à la contamination par le VHC avec une prévalence de 17,64 % contre 4,82 % pour les sujets de sexe féminin. Cette différence est significative au X 2 c = 5,81 > X 2 a = 3,84 Ces résultats corroboraient ceux de RIOCHE et Coll. (1993) où les hommes étaient plus infectés avec une séroprévalence de 11 % contre 3,5 % pour les femmes (4). L’explication pourrait vraisemblablement être le fait d’une part, que les garçons dans notre série étaient majoritaires dans la tranche d’âge la plus fragiles (1 à 14 ans) et, d’autre part, que les garçons étudiés étaient majoritairement de phénotype hémoglobinique homozygote, donc plus fréquemment soumis à des traitements par voie parentérale. Rapportée aux tranches d’âge, nous avons enregistré une séroprévalence beaucoup plus élevée chez les sujets de 1 à 14 ans, soit 13,63 % contre 6,3 % pour les sujets âgés de 15 à 61 ans. Il y a donc une susceptibilité plus importante des enfants pour l’infection par le VHC par rapport aux adultes. Cette forte prévalence de l’infection par le VHC chez les enfants confirmait les résultats de AL FAWAZ et Coll. en Arabie Saoudite (1993) qui ont trouvé un taux de séroprévalence de 18,20 % dans une population de 55 enfants drépanocytaires (6). Ce constat pourrait être le fait que cette tranche était la plus fragile du fait d’un système immunitaire encore incomplètement mâture. La transfusion sanguine a accru le risque de contamination : (10,89 %) chez les sujets transfusés contre 10 % chez les non transfusés. Ce risque était encore plus élevé pour les polytransfusés : 12,08 %. Il y avait une corrélation positive entre le nombre de transfusions et le risque d’infection par le VHC. Ceci était corroboré par les travaux d’autres auteurs, notamment RESTI et coll. en Italie (1991) qui rapportaient une séroprévalence de 62,94 % dans une population de 35 malades bêta-thalassémiques polytransfusés (7). De même, AL FAWAZ et Coll. signalaient un taux de 64,40 % chez les drépanocytaires 6 fois transfusés, contre 2,43 % chez ceux 3 fois transfusés (6). Par ailleurs, les drépanocytaires de type SFA2, SC et SSAF2 étaient les plus exposés au risque d’infection par le VHC avec des séroprévalences respectives de 23,8 %, 10 % et 9,09 %. Ces valeurs élevées s’expliqueraient par la prédominance dans ces groupes de malades du syndrome anémique qui était corrigé par des transfusions sanguines répétées. CONCLUSION Malgré la relative faiblesse du taux global de la séroprévalence du VHC dans la population des malades drépanocytaires, l’infection par le virus C de l’hépatite constitue un véritable problème de santé publique. Les conséquences à court et à long terme (hépatite C fulminante, cirrhose, CPF), nécessitent la mise en place de mesures préventives rigoureuses. Nous préconisons pour ce faire une stratégie Médecine d'Afrique Noire : 1998, 45 (1) SEKA-SEKA J. , YAPO-CREZOIT A.C. , DASSE SERY R., AKRE DAGRA P. , SORHO F.3, SOMBO MAMBO F. 38 de lutte à deux volets : . L’information et l’Education Sanitaire des populations qui doivent s’inscrire dans un programme National comme cela se fait dans d’autres affections virales : variole, SIDA. Cette stratégie devra prendre en compte toutes les couches socio-professionnelles, les sujets à haut risque de contamination, notamment drépanocytaires, personnel de santé, femmes enceintes, nouveau-nés, hémodialysés. . La prophylaxie par les mesures d’hygiène Elle devra prendre en compte les voies de contamination : . limitation des transfusions sanguines, . limitation des partenaires sexuels, . port de préservatifs. Dans tous les cas, l’idéal demeure pour l’avenir, la vaccination anti-VHC seule à même de permettre une immunisation active et efficace du drépanocytaire et des autres personnes à risque, contre l’infection par VHC. BIBLIOGRAPHIE 1 - BEGUE P. La maladie drépanocytaire. Sandoz Edit., Rueil-Malmaison, 1984, 108-111. 2 - BEGUE P., ASSIMADIE K. La maladie drépanocytaire. Sandoz Edit., Rueuil-Malmaison, 1985, 78-96. 3 - COURSAGET, P., BOURDIL, C., KASTALLY R., YVONNET B., RAMPANARIVO Z. Prevalence of hepatitis C virus infection in Africa : anti-HCV antibodies in the general population and in patients suffering from cirrhosis or primary liver cancer. Res. Virol., 1990, 141 : 449-454. 4 - RIOCHE M., KOUASSI SANGARE A., N’DRI TH.Y., AKRAN V., TSHIPETA M. A ffections hépatiques imputables au virus de l’hépatite C en Côte Médecine d'Afrique Noire : 1998, 45 (1) d’Ivoire, prévalence des anticorps anti-VHC dans les hépatites non-a, nonB aiguës. Communication personnelle. 5 - ARRUDA V.R., EIDKA B., ZEN G.C., GONCALES et Al. Hepatitis C antibody (anti HCV), prevalence in Brasilian patients with sickle-celle diseases. Vox Sang, 1993 ; 65 : 247. 6 - AL FAWAZ, RAMIA S. Declin in hepatitis B infection in sickle-cell anaemia and beta thalassemia major. Archive of Disease in Childhood, 1993 ; 77 : 691-9. 7 - RESTI M., AZZAKI C., ROSSI M.E. et Al. Prevalence of hepatitis C virus antibody in beta thalassemia polytransfused in a long-term follow up. Vox Sang : 1991 ; 60 : 246-247.