16 TABULA NO 1/MARS 2010
À LA LOUPE
Certaines choses nous rappellent
que nous devenons plus vieux.
L’arrivée de la rhubarbe, par
exemple. Qui n’a pas chipé, en-
fant, ces longues tiges dans le
jardin familial avant de les mâcher
avec leur acidité et leurs longs fils,
puis les a recraché sous forme de
boulettes ? De leurs larges feuille
on préparait des parasols pour nos
poupées, ou des soupes de sorciè-
res après les avoir coupées en
petits morceaux. Plus tard, on ne
fera plus « de telles choses »,
comme de manger des tiges de
rhubarbe crue, ne serait-ce que
pour épargner des gencives deve-
nues plus sensibles. Cuite, la rhu-
barbe reste une gâterie pendant
toute la vie à moins que des
calculs rénaux ne nous en empê-
chent (lire encadré page 17).
Qu’on s’entende bien : on ne
parle ici que des pétioles. Ni les
racines, ni les feuilles ne sont co-
mestibles, même si on ne l’a re-
Ah, la rhubarbe !
La rhubarbe, qui porte le joli nom latin de rheum rhabarbarum, est avant tout associée à des
mets sucrés. Pourtant, la longue tige acide n’est pas un fruit mais un légume appartenant, tout
comme l’oseille, à la famille des polygonacées. Elle a une histoire plusieurs fois millénaire et
jouit encore aujourd’hui d’une belle popularité. La rhubarbe est le premier légume frais de
l’année nouvelle et nous apporte de la vitamine C après les longs mois d’hiver.
PAR MARIANNE BOTTA DIENER
connu qu’après avoir mené beau-
coup d’essais. C’est ainsi que de
nombreux Américains se sont
empoisonnés pendant la Première
Guerre mondiale après avoir été
incités à manger des feuilles de
rhubarbe cuites comme un -
gume.
Des Barbares
aux Européens
A l’origine, la rhubarbe vient
de Mongolie ou de Sibérie. On en
TABULA NO 1/MARS 2010 17
trouve les premières traces écrites
vers 2700 avant notre ère dans le
livres des herbes aromatiques de
Peng-King, qui la décrit comme
un bon médicament. Ce pouvoir
curateur, on ne l’attribuait, toute-
fois, pas à ses tiges mais à ses
racines charnues. Cette rhubarbe
sauvage utilisée comme remède
est énorme comparée à celle
qu’on cultive actuellement.
Aujourd’hui encore, la médecine
chinoise classique y recourt.
Au début de l’ère chrétienne,
cette rhubarbe sauvage faisait l’ob-
jet d’un commerce international.
Il en serait venu en Europe des
terres lointaines d’Asie orientale et
centrale, plus tard des rives de la
Mer Noire. On y recourait, par
exemple, contre les maladies -
nériennes. Jusqu’au 16
e
siècle,
c’était même en Europe de l’ouest
LE remède approprié. Ceux qui en
étaient affectés devaient ingurgiter
plusieurs fois par jour un jus à base
d’un litre d’eau, dune demi-once
de persil et de deux onces de raci-
nes de rhubarbe séchées. Après
coup, on sait que ça n’a pas servi
à grand chose.
Si bon… si tard
Ce n’est qu’à partir du milieu
du 18e siècle qu’on a constaté que
la rhubarbe pouvait être délicieuse.
Les Anglais furent les premiers à
cultiver et à commercialiser dif-
férentes variétés de rhubarbe en
tant que légume, dès le début du
19
e
siècle. Aujourd’hui encore,
l’Angleterre occupe la première
place des pays cultivant la rhu-
barbe. Les autres pays européens
ont mis plus de temps à se conver-
tir aux saveurs âcres-acides de ce
légume. Au milieu du 19e siècle,
rappelle-t-on, « un commerçant
de Kirchweder, dans les Vierlan-
den proches de Hambourg, aurait
obtenu d’un Anglais quelques
plants de rhubarbe. Il a essayé de
les greffer et il y a réussi. »
Et pourquoi ce nom de rhu-
barbe ou rheum barbarum ? Parce
que, selon les premières histoires,
il aurait été apporté aux Romains
par les Barbares, c’est-à-dire les
chinois et les russes. Une autre
explication voudrait que ce nom
évoque les « barbares de Rha »,
donc des étrangers de Rha, ancien
nom de la Volga.
Pas un fruit
La rhubarbe est en réaliune
plante vivace au même titre que
le pied-d’alouette ou le rud beckia.
Elle appartient à la famille des
polygonacées tout comme l’oseille
et la renouée. C’est donc claire-
ment un légume, même si on
L’acide oxalique n’est pas le bienvenu
La rhubarbe contient beaucoup d’acide oxalique. Il peut favoriser l’apparition de
calculs rénaux. C’est pourquoi il faut être prudent avec ces tiges acides.
Les calculs rénaux sont une maladie
assez courante quand on pense qu’une
personne sur dix en souffre durant sa
vie. L’urine contient, en plus de l’eau,
quantité de substances chimiques
comme le calcium et le phosphate,
mais aussi des produits d’excrétion
comme l’acide urique, de l’urine et de
l’acide oxalique. En cas de modifica-
tion défavorable de l’urine, ses compo-
sants cristallisent. Se forment alors des
calculs qui grandissent progressive-
ment.
Certaines habitudes alimentaires
inappropriées favorisent la formation
de calculs. Lors de la formation des
calculs les plus courants, ceux d’oxa-
late de calcium, l’alimentation porte
une certaine responsabilité quand elle
comprend peu de produits lactés riches
barbe. Celui qui se trouve dans les tiges
est inoffensif, sauf pour les gens affec-
tés de calculs rénaux. En suivant ces
conseils, on peut réduire la teneur en
acide oxalique contenu dans les ti-
ges :
•Toujourscuireoublanchirlarhu-
barbe, puis jeter l’eau de cuisson.
•Préférer les tiges jeunes et nes
car les plus vieilles et plus épaisses
contiennent plus d’acide oxalique.
•Pelerlestigescarc’estlapeau
qui contient le plus d’acide oxa-
lique.
•Choisirdesrecettesderhubarbe
qui contiennent des produits lai-
tiers (lait, yogourt, fromage frais).
•Renoncer à la rhubarbe cueillie
après mi-juin, elle contient trop
d’acide oxalique.
en calcium, trop de viande et des pro-
duits alimentaires riches en acide oxa-
lique comme la rhubarbe, les épinards,
les asperges et le chocolat.
Autrefois, les gens souffrant de
calculs rénaux recevaient pour conseil
de limiter leur consommation de cal-
cium. Mais ça s’est révélé totalement
erroné, car la charge d’acide oxalique
d’un plat comprenant de la rhubarbe
ou des épinards est immédiatement
réduite quand on mange simultané-
ment des produits laitiers riches en
calcium. En revanche, quand il n’y a
pas assez de calcium dans l’intestin,
l’acide oxalique n’y est pas intercepté,
alors il aboutit dans le sang et dans
l’urine.
L’acide oxalique est essentielle-
ment présent dans les feuilles de rhu-
KEYSTONE/CARO/SORGE
18 TABULA NO 1/MARS 2010
La rhubarbe à chair rouge « feu de Staint-Elme » est très
appréciée. Elle a des arômes aigre-doux.
l’emploie surtout dans des recet-
tes sucrées.
Les feuilles de rhubarbe sont
très grandes, arrondies à ovales
avec des bordures dentelées. Les
pétioles sont charnus et juteux.
Quand la rhubarbe fleurit, d’im-
posantes inflorescences blanches
apparaissent qui peuvent attein-
dre une taille de 1,5 mètre. On ne
mange que les tiges, les feuilles
ne servant, au mieux, qu’à déco-
rer, par exemple en sous-assiettes
sur une table estivale. Aupara-
vant, on les cuisait dans beau-
coup d’eau pour enlever le cal-
caire d’une casserole. Ce qui n’a
rien d’étonnant, car elles contien-
nent beaucoup d’acide oxalique
servant à enlever radicalement les
traces de calcaire indésirables.
Lieux et soins
La rhubarbe pousse bien dans
des lieux ensoleillés bénéficiant
d’un peu d’ombre. Idéalement,
cette plante nécessitant beaucoup
de nutriments trouve son terrain
favori non loin du compost pour
bénéficier de ses eaux d’écoule-
ment. Le sol ne doit pas être
gorgé d’eau, mais offrir une belle
humidité, car la rhubarbe a be-
soin de beaucoup d’eau. Chaque
plante nécessite au moins un m2.
La première année, il ne faut pas
la récolter pour qu’elle puisse
bien se développer et les années
suivantes, ne couper que les tiges
nécessaires pour lui conserver sa
vigueur. Il faut couper aussitôt
que possible les inflorescences
pour qu’elles ne tirent pas trop de
nutriments au détriment de la
plante. La récolte commence aus-
sitôt que les premières tiges ont
atteint la bonne taille. Sous nos
latitudes, ça arrive en général au
milieu du mois d’avril. Le dernier
jour est aussi le plus long jour de
l’année (21 juin). Ainsi, ses raci-
nes ont-elles le temps d’amasser
suffisamment de réserves d’ici
l’hiver. Si on récolte plus tard, on
aura de mauvaises surprises le
printemps suivant. A part ça,
aucune nouvelle tige n’apparaîtra
tandis que les plus anciennes
contiendront tellement d’acide
oxalique qu’elles pourraient de-
venir toxiques. Un plant de rhu-
barbe vit huit à dix ans.
Il est possible de diviser de
vieilles plantes de rhubarbe et
d’en prolonger la vie. Il suffit d’en
extraire une et d’en enlever sur les
bords des morceaux à l’aide d’une
bêche. Ils doivent avoir au moins
un œil, donc un rejeton. On les
replante ensuite dans la terre.
La rhubarbe est le premier -
gume frais de l’année qui pousse
en pleine terre. En janvier, les pay-
sans étendent de grandes feuilles
au-dessus des champs pour que
les tiges des racines qui ont résisté
à l’hiver poussent plus vite. En
mars, on enve ces protections,
À LA LOUPE
Ah, la rhubarbe !
La rhubarbe autrement
A force d’en manger au goûter et au dessert, en tarte, en yogourt ou
en confiture (lire recette page 19), on en oublie que la rhubarbe a
des vertus qui la destinent (aussi) aux compositions salées.
PAR JEAN-LUC INGOLD
Passons sur les délicieux chutneys qui vont si bien
au foie gras et marient habilement l’aigre et le doux,
l’épicé et le moelleux. C’est un classique, même si
on ne lui rend pas l’hommage qui lui revient au
profit de préparations souvent plus exotiques.
Mais la rhubarbe trouve d’autres applications
plus conformes à sa nature. En voici deux, l’une
dans un plat de poisson, l’autre dans un plat de
viande.
La première recette est de Louis Outhier, chef
mythique de L’Oasis, à la Napoule, citée dans le
Larousse gastronomique. On cuit d’abord à feu doux
les filets d’un saint-pierre de 1,5 kg. Une minute par
face puis on les réserve. Dans le même beurre, on
passe pendant 30 secondes 150 g de rhubarbe
épluchée taillée en minces rondelles. Arrivent 2 dl
de crème fraîche réduite de moitié, sel, poivre, un
peu de sucre et de basilic et on en nappe les filets
de poisson.
Le rôti de porc est proposé par notre chère
Betty Bossi, merci. On commence par faire mariner
quelques heures la viande à l’aigre-doux. Puis on
la saisit vivement de tous côtés après l’avoir salée,
on la mouille de vin blanc et on braise 30 minutes
à four moyen. On ajoute alors 2 cs de miel liquide,
1 dl de bouillon et 400 g de rhubarbe en tronçons
de 4 cm, plus la marinade. Le tout va cuire 1 heure
supplémentaire sous arrosage régulier. Et on sert
avec du riz ou une polenta.
Bon appétit, bien sûr.
UNION MARAICHÈRE SUISSE
TABULA NO 1/MARS 2010 19
Confiture de
rhubarbe à l’orange
La rhubarbe est typique du printemps.
Une des façons de l’apprécier toute
l’année consiste à en faire de la confi-
ture. Les agrumes mettent bien en va-
leur les arômes de la rhubarbe.
Ingrédients
•1kgderhubarbe
•200gd’orangesbioavecleurpeau
•800gdesucregélifiant
•2csdeliqueurd’orange
Préparation
Laver soigneusement les oranges, les sécher et les -
couper en petits dés avec leur peau. Enlever les pépins.
Laver la rhubarbe, enlever les fils et la découper en
tronçons de 1 cm de longueur. Les mélanger avec les
oranges et 400 g de sucre gélifiant. Laisser reposer quel-
ques heures jusqu’à ce que le sucre se soit dissout. Ver-
ser dans une grande casserole et porter à ébullition sans
cesser de touiller. Ajouter alors la deuxième moitié du
sucre, laisser cuire quatre minutes, remplir des pots pro-
pres et les fermer immédiatement.
Conseil : comme il n’y a plus d’orange quand c’est la
saison de la rhubarbe, on peut couper en dés les tiges
acides et les congeler sans les blanchir. On peut alors
apprêter cette confiture quand c’est la saison des oran-
ges. La confiture de rhubarbe est aussi excellente avec
des bananes ou, bien sûr, des fraises. Plus d’autres fruits,
il suffit d’essayer.
les feuilles se développent et les
pétioles deviennent plus épais.
Du rouge au vert
La rhubarbe cultivée est divi-
sée en trois variétés selon la cou-
leur des tiges. La rhubarbe verte
à chair verte a un goût amer et
très acide. Aujourd’hui, on tend
à lui préférer la rhubarbe à tige
rouge. La rhubarbe fraise est
rouge au-dedans et au-dehors
avec une extrémité verte. Elle est
douce et appréciée pour cette rai-
son, mais moins productive. La
meilleure des rhubarbes rouges
porte le surnom de « feu de Saint-
Elme ». Elle est aussi rouge au-
dedans qu’à l’extérieur, produit
des tiges longues et fermes et
convient bien à la cuisine. Comme
elle est légèrement acide, pas be-
soin de beaucoup de sucre. La
rhubarbe verte à extrémité rouge
a un goût plutôt âcre.
Règle valable pour toutes les
variétés : les tiges récoltées jeunes
ont un goût tendre et doux. Plus
elles vieillissent, plus les tiges
sont acides et fibreuses.
Cuisine et préparation
Les tiges de rhubarbe se prêtent
à toutes sortes d’appts. On peut
les utiliser en compote, en tarte, en
gâteau, en soufflé, en gratin, en
crème, en glace ou en confiture.
Sous cette forme, elle est encore
meilleure avec d’autres fruits,
comme les bananes ou les oranges.
On prépare de plus en plus la rhu-
barbe avec des plats salés, par
exemple des chutney aigre-doux et
relevés, des légumes d’accompa-
gnements piquants ou des sauces
à viande, à volaille et à gibier.
Bien que la rhubarbe soit elle-
même acide, un surplus d’acidité
sous forme de jus de citron et de
vin blanc lui convient bien. Pareil
avec tout arôme citronné issu, par
exemple, d’un zeste de citron ou
de la citronnelle ou des feuilles
de kafir finement hachées. On
combine aussi la rhubarbe avec
la cannelle ou la vanille, l’anis
étoilé ou le gingembre. Mais im-
possible de se passer de sucre.
En préparant la rhubarbe, il
ne faudrait pas utiliser de réci-
pient métallique, ni de feuille
d’alu, car les acides se combinent
facilement avec les métaux. Ce
n’est bon ni pour la santé ni pour
le goût. On peut conserver quatre
jours au frigo les tiges de rhu-
barbe fraîches. Congelée en petits
dés, on peut la garder sans pro-
blème pendant six mois.
Effet sur la santé
Les tiges tendres de rhubarbe
contiennent des quantités moyen-
nes de vitamines A, B1, B2 et de
niacine. Sa teneur en vitamine C,
en revanche, est importante : avec
100 g de rhubarbe crue, on couvre
un tiers des besoins journaliers en
vitamine C. De surcroît, on trouve
dans la rhubarbe beaucoup de sels
minéraux comme le potassium, le
calcium, le phosphore, le magné-
sium et le fer. Sa teneur en acide
malique, citrique et oxalique est
spécialement élevée. Les person-
nes qui supportent mal la rhu-
barbe devraient la consommer en
l’associant à des produits laitiers
(lire encadré page 17).
Dans le langage populaire, la
rhubarbe nettoierait le sang et
dépurerait le corps, de même
qu’elle stimulerait la digestion et
aurait des effets diurétiques. Son
effet légèrement purgatif est le
fruit de sa forte teneur en pectine
ainsi qu’à l’action stimulante de
l’anthraquinone sur le péristal-
tisme. A ce jour, on recommande
au printemps la rhubarbe en
guise de cure de décrassage,
même si on ne la mange pas di-
rectement au jardin, mais qu’on
la prépare finement.
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