L`aphasie du sujet aˆge

publicité
Synthèse
Psychol NeuroPsychiatr Vieil 2010 ; 8 (1) : 43-51
L’aphasie du sujet âgé
Aphasia in elderly patients
doi: 10.1684/pnv.2009.0185
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
OLIVIER MOREAUD1,2
DANIELLE DAVID1
MARIE-PIERRE BRUTTI-MAIRESSE1
MATTHIEU DEBRAY3
ARMELLE MÉMIN1
1
CMRR et neuropsychologie,
Pôle de psychiatrie
et neurologie,
CHU de Grenoble
2
Laboratoire de psychologie
et neurocognition, CNRS
UMR 5105, Grenoble
<OMoreaud@chu-grenoble.
fr>
3
Consultation Mémoire,
Service de gériatrie, CH
de la Région d’Annecy
Tirés à part :
O. Moreaud
Résumé. L’aphasie est un trouble fréquent chez le sujet âgé. Elle est le plus souvent secondaire à des lésions vasculaires ou neurodégénératives. Il est possible de rencontrer chez
les sujets âgés des tableaux aphasiques isolés dont le diagnostic et la prise en charge
sont les mêmes que chez des sujets plus jeunes. Souvent néanmoins, l’évaluation et la
caractérisation sémiologique des troubles sont difficiles en raison de la présence de symptômes associés non linguistiques (troubles attentionnels et dysexécutifs, troubles sensoriels, troubles thymiques, troubles comportementaux), de la fatigabilité des patients et de
la plus grande fréquence des troubles de compréhension. Le diagnostic positif et étiologique est en conséquence rendu plus ardu. Il est alors nécessaire de s’aider d’une évaluation orthophonique et neuropsychologique précise, d’une évaluation neuropsychiatrique
et des moyens d’imagerie appropriés (l’IRM tient une place de choix). Il importe aussi de
bien connaı̂tre la sémiologie aphasique et les différents tableaux aphasiques rencontrés
après une lésion vasculaire et dans le cadre des affections neurodégénératives, Alzheimer
et apparentées. Une prise en charge doit être proposée même chez des patients très âgés,
dans la mesure où le trouble du langage perturbe la communication. Néanmoins, cette
prise en charge est souvent limitée en raison de symptômes associés.
Mots clés : aphasie, langage, vieillissement, accident vasculaire cérébral, démence
Abstract. Aphasia is common in elderly patients in the context of vascular or neurodegenerative disorders. In some cases, aphasia is an isolated symptom, occurring suddenly
after a stroke, or developing progressively as a primary progressive aphasia. The diagnosis and treatment are then very similar in older and younger patients. Therapy may be
more complicated because of the high prevalence, in older patients, of associated non linguistic symptoms (attentional and dysexecutive symptoms, behavioral and psychological
symptoms or sensorial deficits), fatigability, and comprehension deficits. It may then
become very difficult to recognize aphasia among all these disorders and to appreciate
the physiopathology. A complete evaluation of language, cognitive functions, psychopathology, and behavior is very helpful, as are neuroimaging techniques (MRI is the most
relevant). A good knowledge of classical aphasic pictures associated with stroke, Alzheimer disease or related disorders, is highly recommended. Rehabilitation must be proposed even for older patients, so far as aphasia alters the communication abilities. It must
be kept in mind that associated symptoms may limit considerably the therapy.
Key words: aphasia, language, aging, stroke, dementia
L’aphasie est un trouble du langage acquis, secondaire à une lésion cérébrale située, dans la très grande
majorité des cas, dans l’hémisphère cérébral gauche,
au niveau des régions périsylviennes ou dans certaines
régions sous-corticales, en particulier le thalamus.
Ces lésions peuvent survenir à tout âge ; néanmoins,
les pathologies vasculaires et dégénératives en étant
les principales responsables, l’aphasie est observée
plus fréquemment chez les personnes âgées. Il paraı̂t
donc artificiel de vouloir traiter spécifiquement de
l’aphasie du sujet âgé, puisqu’elle a été décrite essentiellement dans cette population. Cependant, la question est plus importante qu’il n’y paraı̂t au premier
abord : tout d’abord, se posent avec le vieillissement
Psychol NeuroPsychiatr Vieil, vol. 8, no 1, mars 2010
des problèmes de diagnostic positif et différentiel, en
raison de la fréquence de l’association avec d’autres
symptômes eux aussi en lien avec l’âge, et qui ont un
retentissement sur le langage (troubles mnésiques,
troubles attentionnels et dysexécutifs, altération intellectuelle globale, troubles sensoriels). Ensuite, si les
tableaux aphasiques traditionnels, décrits dans le
cadre de la pathologie vasculaire, sont bien connus et
posent peu de problèmes de diagnostic lorsqu’ils sont
typiques, de nombreuses aphasies n’entrent pas dans
ce cadre classique. Il importe alors de les reconnaı̂tre,
notamment dans le cadre de la pathologie neurodégénérative, où il s’agit d’un trouble fréquent, voire au premier plan. La reconnaissance et la caractérisation
43
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
O. Moreaud, et al.
sémiologique du trouble aphasique sont des éléments
fondamentaux du diagnostic positif et étiologique.
Enfin de nombreux tableaux frustres existent, qui sont
souvent sous-évalués alors que la gêne est réelle pour
le sujet atteint, et que l’évaluation précise permet souvent de redresser des diagnostics erronés (par exemple, trouble de mémoire ou syndrome confusionnel).
Le but de cet article n’est pas de proposer une question générale sur l’aphasie, ni de passer en revue l’ensemble des pathologies associées au vieillissement
susceptibles de générer des troubles aphasiques, mais
de donner au lecteur peu familier de ce trouble quelques
connaissances de base l’incitant à de plus amples lectures, et d’essayer de dégager des spécificités propres au
sujet âgé. Le lecteur intéressé par une revue complète de
la question de l’aphasie pourra se référer utilement aux
livres de Roch-Lecours & Lhermitte [1] et Gil [2].
Langage et vieillissement
Avant d’aborder directement la question de l’aphasie, il nous semble utile de rappeler ce que l’on sait des
modifications du langage au cours du vieillissement
« normal ». L’étude des modifications cognitives qui
surviennent avec l’âge a fait l’objet de travaux très nombreux (pour revue, voir [3]). Néanmoins, il persiste des
incertitudes sur la nature exacte des modifications
observées et sur leur intensité. Ces incertitudes proviennent en partie d’approches méthodologiques différentes. Les études transversales, les plus nombreuses
pour des raisons de simplicité et de moindre coût, comparent des groupes de sujets d’âges différents. Elles
sont sujettes aux effets de cohorte qui peuvent faire
interpréter comme liés au vieillissement des effets en
rapport avec des différences d’éducation, de culture,
d’environnement, de statut médical et d’expérience,
et sont ainsi susceptibles de détecter des différences
importantes entre les groupes. Les études longitudinales, qui évaluent l’évolution avec le temps d’un groupe
de sujets, sont moins sujettes à ces biais, mais beaucoup plus difficiles à réaliser et sont soumises à un
effet d’attrition, les sujets demeurant le plus longtemps
dans la cohorte étant en général ceux qui sont les plus
motivés et qui ont le meilleur fonctionnement cognitif ;
elles vont donc, au contraire des précédentes, avoir tendance à minimiser les effets du vieillissement. De plus,
les sujets âgés sont plus fréquemment atteints de troubles sensoriels et moteurs, de symptômes psychiatriques (dépression notamment), et de pathologies responsables de lésions cérébrales, ce qui rend difficile la
44
reconnaissance des modifications uniquement liées au
vieillissement (et ce qui pose par ailleurs la question
de l’existence et de la définition du vieillissement
« normal »).
Si l’on s’intéresse au langage [3, 4], il semble que le
vocabulaire et les capacités de raisonnement verbal
restent stables avec l’âge. Les données sont plus
contradictoires pour les épreuves de fluence verbale
et de dénomination.
Certaines études mettent en évidence une baisse de
la fluence alors que d’autres ne la retrouvent pas.
Il semble toutefois que la fluence catégorielle (sémantique) baisse de façon significative avec l’âge ; il reste à
déterminer si ce fait n’est pas l’effet de lésions neurodégénératives, puisque les résultats de la cohorte
PAQUID indiquent que des performances faibles en
fluence sémantique prédisent la survenue d’une
démence 12 ans avant son diagnostic [5]. Il est possible
que ceci explique aussi les difficultés en dénomination
observées chez les sujets âgés qui sont plus lents et
moins efficaces que les sujets plus jeunes. Cette difficulté n’est par ailleurs pas forcément due à un problème de langage per se, mais pourrait être la conséquence de moindres capacités de mémoire de travail,
altérant la capacité à activer et à sélectionner le bon
mot au bon moment, gênant la récupération explicite
de celui-ci et générant des difficultés en particulier
dans les situations conversationnelles qui nécessitent
rapidité et efficacité. Dans les épreuves de dénomination, les difficultés des sujets âgés restent modérées,
avec des performances inférieures de 2,5 à 10 % à celles
des sujets jeunes ; les facilitations sont presque toujours efficaces et la majorité des erreurs sont de nature
visuelle ; on note aussi une tendance à s’écarter des
réponses dominantes. Il est donc essentiel, lorsqu’on
s’intéresse à l’aphasie du sujet âgé, de disposer
d’épreuves pourvues de normes fiables en fonction de
l’âge, et d’être très prudent vis-à-vis du diagnostic
d’aphasie lorsque les performances sont peu abaissées
et qu’elles ne s’accompagnent pas d’autres troubles
aphasiques (déformations, troubles de compréhension, notamment).
Définition de l’aphasie
Les troubles aphasiques
Diagnostic positif
L’aphasie est un trouble acquis du langage. Elle
se distingue des troubles de la voix (dysphonies) et de
la parole (dysarthries), même si des difficultés articula-
Psychol NeuroPsychiatr Vieil, vol. 8, no 1, mars 2010
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
L’aphasie du sujet âgé
toires et des modifications du volume vocal peuvent être
observées chez certains patients aphasiques. Elle s’oppose aussi aux troubles du développement du langage,
que par convention l’on qualifie de dysphasies.
Le symptôme le plus caractéristique de l’aphasie est
le manque du mot, c’est-à-dire la difficulté à évoquer
spontanément la bonne étiquette verbale. Ce manque
du mot se manifeste à la fois dans le discours et dans
les épreuves de dénomination sur confrontation
visuelle. La présence d’un manque du mot dans ces
épreuves distingue l’aphasie des troubles du langage
non aphasiques, que l’on peut observer par exemple
dans le cadre du syndrome frontal (le discours est le
plus souvent réduit, peu informatif, et peut donner
l’impression de l’existence d’un manque du mot,
qu’on ne retrouve cependant pas dans les épreuves de
dénomination [6]), lors d’un syndrome confusionnel
[7], lors de lésions hémisphériques droites [8], ou
dans la schizophrénie [9]. Cette distinction n’est cependant pas absolue, particulièrement dans les affections
neurodégénératives, au cours desquelles le manque du
mot peut d’abord n’être évident que dans le discours
avant d’être retrouvé dans les épreuves. De même certaines aphasies vasculaires peuvent, lorsqu’elles
s’améliorent, ne plus s’accompagner de manque du
mot en dénomination (c’est le cas par exemple de
l’aphasie de conduction).
Le manque du mot aphasique résulte habituellement d’une difficulté à accéder à la forme phonologique correcte. Ceci suppose que les connaissances
sémantiques concernant l’item à dénommer sont préservées et que l’identification par une entrée non verbale est possible. Par exemple, un aphasique ne pouvant dénommer le mot « citron » est capable de dire
qu’il s’agit d’un fruit acide, à la peau épaisse, de couleur
jaune, et n’a pas de difficulté à reconnaı̂tre l’image d’un
citron. De plus, le manque du mot aphasique s’accompagne souvent pour le patient d’une impression de
connaı̂tre le mot (phénomène du mot sur le bout de la
langue [10, 11], et peut être facilité par le contexte (« le
goût du poisson est relevé par le… ») ou l’ébauche
orale du premier phonème (le /s/….). Néanmoins, en
cas de manque du mot sévère, la facilitation peut être
inefficace et le patient, du fait de la gravité de son aphasie et/ou des troubles associés peut échouer à dire s’il a
le sentiment de connaı̂tre le mot ou pas ; c’est le cas par
exemple dans l’aphasie de Wernicke.
Les troubles de compréhension, lorsqu’ils existent,
touchent le plus souvent la compréhension syntaxique.
Par exemple, les patients peuvent ne pas arriver à comprendre et exécuter un ordre séquentiel comme « posez
Psychol NeuroPsychiatr Vieil, vol. 8, no 1, mars 2010
le verre derrière la fourchette » alors qu’ils comprennent individuellement chacun des mots de la phrase.
De même, ils peuvent être gênés pour comprendre
des phrases dont les tournures grammaticales sont
complexes comme, par exemple « le chien est chassé
par le chat », qui sera comprise comme « le chien
chasse le chat ». Habituellement la compréhension du
mot isolé est préservée [12], mais certaines aphasies
peuvent s’accompagner d’un sentiment d’étrangeté
vis-à-vis du mot et d’un trouble de compréhension à
partir du mot [13] ; c’est le cas notamment des formes
fluentes d’aphasies progressives primaires [14].
Lorsque le manque du mot est sévère, il est habituellement facile de le mettre en évidence et de confirmer le diagnostic d’aphasie. Cependant, il est possible
que se pose le problème du diagnostic différentiel avec
des troubles du langage non aphasiques ou avec des
phénomènes aspécifiques, en rapport avec la fatigue
ou avec des troubles attentionnels perturbant la passation des tests. Ceci est particulièrement fréquent chez
les sujets âgés, surtout dans un contexte d’hospitalisation. Il faut alors s’aider de l’étude des autres perturbations aphasiques. En effet, le manque du mot n’est pas
le seul symptôme de l’aphasie, même s’il peut exister
de façon isolée (anomie pure). On peut observer des
modifications du débit de parole et une plus ou moins
grande facilité pour le patient à s’exprimer (caractère
fluent ou non de l’aphasie), des déformations de la production verbale (troubles arthriques, paraphasies phonémiques, paraphasies verbales avec ou sans rapport
de sens, néologismes), des modifications de la construction grammaticale (agrammatisme, dyssyntaxie),
des troubles de compréhension (qui en général concernent la compréhension morpho-syntaxique beaucoup
plus que la compréhension du mot isolé). La répétition
peut être altérée.
Le langage écrit est altéré de la même façon que le
langage oral dans la majorité des cas, et les perturbations de la lecture et de l’écriture reflètent en miroir les
perturbations de l’oral. Il est exceptionnel que l’écrit
soit préservé si l’oral est touché, alors que l’inverse
n’est pas rare (agraphie pure, alexie avec agraphie, alexie pure, etc.).
L’évaluation de ces différents troubles permet de
caractériser au mieux le trouble aphasique et est à la
base de la classification anatomoclinique des aphasies,
proposée initialement par Wernicke et Lichtheim au
XIXe siècle, réactualisée par les auteurs nord américains dans les années 1960 et 1970 [1, 15]. Cette classification reste largement utilisée dans le cadre des aphasies vasculaires. Elle est basée sur les caractéristiques
45
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
O. Moreaud, et al.
des perturbations linguistiques observées, sur le caractère fluent ou non du discours, et sur la préservation ou
l’altération de la répétition (tableau 1). L’intérêt de cette
classification était de faire des inférences sur la topographie lésionnelle, mais les moyens d’imagerie
moderne l’ont largement remise en question, en montrant qu’il est très difficile de relier un tableau aphasique à une topographie précise. De plus, de nombreuses aphasies vasculaires n’entrent pas dans le cadre et
la classification ne s’applique pas aux aphasies neurodégénératives. Mieux vaut donc essayer de décrire
précisément les troubles observés, soit en termes
sémiologiques (par exemple : présence de paraphasies
phonémiques), soit en référence à la linguistique (par
exemple : altération de la 2e articulation du langage),
soit en référence aux modèles de la neuropsychologie
cognitive (par exemple : mauvaise activation du
lexique phonologique de sortie), et leur retentissement
sur les capacités de communication du patient. Cette
description est d’autant plus utile qu’elle sera le support de la prise en charge orthophonique.
À l’issue de cette brève revue, il apparaı̂t que le diagnostic positif de l’aphasie repose en priorité sur l’analyse
du langage provoqué, à l’aide d’épreuves standardisées
de dénomination - à la recherche du manque du mot
et des déformations de la production – et de compréhension, ce aussi bien à l’oral qu’à l’écrit. L’écoute attentive
du discours spontané des patients permet souvent de
suspecter l’aphasie, mais ne suffit en rien à la confirmer ;
de plus le discours spontané peut parfois être faussement rassurant dans des aphasies peu sévères. Toute
évaluation cognitive, même brève, doit comprendre
une épreuve de dénomination sur confrontation
visuelle.
L’aphasie chez les sujets âgés
Les étiologies de l’aphasie chez les sujets âgés sont
largement dominées par la pathologie vasculaire cérébrale et les affections neurodégénératives. Nous nous
focaliserons donc sur ces affections, en les séparant
nettement car elles ont des présentations sémiologiques assez différentes. Les autres étiologies (traumatiques, tumorales, inflammatoires, infectieuses) n’ont
pas, à notre connaissance, donné lieu à des travaux
permettant de dégager des caractéristiques propres
aux sujets âgés ; ce sont néanmoins des étiologies
qu’il faut savoir évoquer lorsque le contexte s’y prête.
L’aphasie vasculaire
Parmi les patients présentant un accident vasculaire
cérébral, les aphasiques sont plus âgés que les non
aphasiques [16]. Il a été suggéré une plus grande prévalence chez les sujets âgés des aphasies fluentes (de
type Wernicke), alors que les aphasies non fluentes
avec agrammatisme surviendraient préférentiellement
chez des patients plus jeunes [17], mais ceci n’a pas été
Tableau 1. Classification des aphasies (d’après [1, 15]).
Table 1. Classification of aphasia (according to [1, 15]).
Fluence
Aphasie de Broca
Diminuée
Manque
du mot
+
Compréhension
Répétition
Déformations
Sub-normale
Altérée
Troubles arthriques,
dysprosodie, agrammatisme
Paraphasies phonémiques avec
conduites d'approche
Paraphasies phonémiques/
verbales/
sémantiques, dyssyntaxie,
jargon
Discours souvent limité à une
stéréotypie
Aucune
Aphasie de conduction
Peu diminuée
+/-
Normale
Altérée
Aphasie de Wernicke
Normale ou
augmentée
++ à +++
Très altérée
Altérée voire
impossible
Aphasie globale
Très diminuée
+++
Très altérée
Aphasie transcorticale motrice
(aphasie dynamique de Luria)
Aphasie transcorticale
sensorielle
Aphasies sous-corticales
Diminuée
+/-
Normale
Altérée voire
impossible
Normale
Normale ou
augmentée
Variable
++
Très altérée
+
Variable, souvent
normale
Normale, souvent
écholalique
Normale
Paraphasies verbales,
sémantiques
Paraphasies verbales,
hypophonie, possibles troubles
articulatoires
+/- présent, peu sévère ou absent (latences de dénomination élevées) ; + présent, peu sévère ; ++ sévère ; +++ très sévère.
46
Psychol NeuroPsychiatr Vieil, vol. 8, no 1, mars 2010
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
L’aphasie du sujet âgé
retrouvé dans une étude récente [16]. Il est très habituel, y compris chez des sujets très âgés, de rencontrer
des tableaux aphasiques isolés ; cela ne pose en général pas de problème de diagnostic et la prise en charge
orthophonique ne diffère pas de celle des sujets plus
jeunes.
Parfois la présentation clinique est plus complexe et
le diagnostic positif peut être ardu, surtout chez les
sujets les plus âgés : souvent le manque du mot est
peu sévère, avec à la fois des paraphasies sémantiques
et des erreurs visuelles, et survient chez des patients
présentant des symptômes cognitifs, comportementaux et thymiques associés (ralentissement, troubles
attentionnels, troubles des fonctions exécutives, troubles mnésiques, dépression, anxiété, apathie). De plus,
l’évaluation précise de ces patients est rendue difficile
par les troubles associés et par la fatigabilité (il s’agit
souvent de patients polypathologiques, fragiles, en
perte d’autonomie). Si le diagnostic d’accident vasculaire a été porté, il n’est pas forcément très utile immédiatement de reconnaı̂tre que le patient présente une
aphasie ; il sera toujours temps de l’évaluer et de la
prendre en charge dans le courant de l’évolution.
Cependant, l’aphasie peut être le seul symptôme de
l’accident vasculaire ; chez de tels patients, si on n’y
est pas attentif, on peut avoir simplement l’impression
d’une aggravation globale de leur état, amenant plutôt
à envisager un syndrome confusionnel, et si l’on ne
pratique qu’un simple scanner, il est tout à fait possible
de méconnaı̂tre une petite lésion ischémique, ce qui
change fondamentalement la prise en charge. Il ne
faut donc pas hésiter à demander une imagerie appropriée (IRM avec séquences de diffusion ou scanner de
perfusion) à la recherche d’une lésion vasculaire
récente, et surtout se donner les moyens du diagnostic
de l’aphasie, par une évaluation orthophonique.
Il n’est pas évident à la lecture de la littérature de
savoir si le pronostic de l’aphasie vasculaire est moins
bon avec l’âge. Cependant, l’évolution vers un syndrome démentiel, fréquente après un accident vasculaire cérébral dans les 3 ans qui suivent celui-ci, est
plus fréquente chez les sujets plus âgés [18]. La persistance d’une aphasie peut rendre l’évaluation de ce syndrome démentiel délicate, et il ne faudra pas à tort
considérer comme en rapport avec une altération
cognitive globale des symptômes relevant de la sémiologie aphasique, et porter par excès un diagnostic de
démence vasculaire ou de maladie d’Alzheimer. À l’inverse, il importe de ne pas attribuer à l’aphasie, ou à la
dépression qui y est associée, une perte d’autonomie
importante en rapport avec un syndrome démentiel.
Psychol NeuroPsychiatr Vieil, vol. 8, no 1, mars 2010
Aphasie et démences dégénératives
Au sein des affections neurodégénératives l’aphasie
peut être un symptôme parmi d’autres (c’est le cas par
exemple dans la forme habituelle, amnésique, de la
maladie d’Alzheimer, MA) ou, au contraire, constituer
le symptôme principal de l’affection et rester au premier plan tout au long de l’évolution : on est alors
dans le cadre syndromique des aphasies progressives
primaires (APP) défini par Mesulam [19, 20].
Les APP sont décrites comme affectant plutôt des
sujets autour de la soixantaine, mais il n’est pas rare
d’en observer à des âges plus avancés. Elles débutent
insidieusement par des difficultés dans le langage spontané, qui s’aggravent progressivement avant d’aboutir à
un tableau aphasique complet. La plainte initiale est souvent celle d’une difficulté à trouver les mots, notamment
les noms de personnes et de lieux. Cette anomie isolée
va se retrouver après un délai variable (parfois plusieurs
années) dans les épreuves de dénomination. Deux formes évolutives sont possibles. Soit le discours se réduit
et apparaissent des difficultés articulatoires et un agrammatisme alors que la compréhension reste préservée :
c’est l’aphasie progressive non fluente. Soit le discours
reste fluide, voire abondant, mais des troubles de compréhension du mot apparaissent : c’est l’aphasie progressive fluente. Cette forme fluente s’accompagne
généralement de difficultés globales d’identification
des objets et des personnes par perte progressive des
connaissances sémantiques, raison pour laquelle elle
est assimilée à la démence sémantique [21, 22]. Le diagnostic de l’APP est assez aisé si l’on pense à la rechercher : il faut bien faire préciser sa plainte au patient, qui
est en général très conscient de ses difficultés, alors que
l’entourage a souvent tendance à considérer qu’il s’agit
d’un trouble de mémoire. Une épreuve brève de dénomination et un test de compréhension de mots (en choisissant des items peu fréquents comme des animaux
sauvages ou des fruits exotiques) sont en général suffisants pour évoquer le diagnostic. Une évaluation orthophonique et neuropsychologique complète est ensuite
nécessaire pour confirmer ou non le caractère isolé de
l’aphasie. Il n’est pas rare d’observer quelques difficultés
dans le calcul et une apraxie gestuelle, ce qui n’exclut
pas le diagnostic. On peut aussi trouver des performances abaissées aux tests de mémoire verbale, sans que le
patient présente pour autant de syndrome amnésique.
De plus l’autonomie au quotidien reste préservée très
longtemps. Quelques troubles du comportement peuvent apparaı̂tre dans le courant de l’évolution, mais ils
restent au second plan, alors que les troubles du langage
s’aggravent, souvent jusqu’au mutisme.
47
O. Moreaud, et al.
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
Glossaire (d’après [1, 15])
Fluence : caractère plus ou moins abondant du discours. Une aphasie sera dite non fluente lorsque l’initiation,
l’articulation et la production des séquences grammaticales sont réduites et demandent des efforts, générant
des interruptions et de la lenteur. Au contraire, une aphasie sera dite fluente si le discours est articulé et initié
facilement, avec des phrases longues, même s’il peut y avoir des pauses liées au manque du mot.
Dysprosodie : altération du rythme, du timbre et de l’inflexion de la voix, donnant parfois l’impression d’un
accent étranger.
Troubles arthriques (anarthrie, syndrome de désintégration phonétique, apraxie de la parole) : difficulté de
programmation des traits articulatoires permettant l’articulation des sons du langage ; soumis à la variabilité
et à la dissociation automatico-volontaire (se distingue en cela des dysarthries, qui sont permanentes).
Agrammatisme : discours fait de phrases brèves, contenant essentiellement des substantifs, avec simplification des structures syntaxiques, mais restant informatif (« style télégraphique »).
Dyssyntaxie (paragrammatisme) : discours ne respectant pas les règles d’organisation syntaxique, ce qui le
rend souvent peu compréhensible (jargon).
Paraphasies phonémiques : modification de l’ordre des sons (phonèmes) au sein d’un mot, avec des omissions, des substitutions, des inversions, ou des ajouts.
Conduites d’approche : tendance qu’ont les patients à essayer d’autocorriger leurs productions (se voit surtout dans l’aphasie de conduction).
Paraphasies verbales : utilisation de mots pour d’autres, avec ou sans rapport de sens.
Paraphasies sémantiques : utilisation de mots pour d’autres avec un rapport de sens.
Stéréotypie : production orale articulée de façon répétitive, et constituant parfois la seule production de
l’aphasique.
Echolalie : tendance à répéter immédiatement et spontanément, comme un écho, les paroles de l’interlocuteur.
Agraphie : trouble acquis de l’écriture.
Alexie : trouble acquis de la lecture.
Le diagnostic d’APP peut être plus difficile au début,
à un stade où l’anomie est isolée et n’est pas forcément
retrouvée dans les épreuves formelles de dénomination. Il faut donc savoir être prudent et revoir les
patients à distance, parfois jusqu’à un à deux ans plus
tard. L’imagerie met habituellement en évidence une
atrophie focale à prédominance hémisphérique gauche
des régions préfrontales inférieures et temporales antérieures et un hypométabolisme des mêmes territoires.
Les APP sont incluses dans les tableaux cliniques
des dégénérescences lobaires frontotemporales [23].
Il n’est cependant pas rare qu’elles soient en rapport
avec des lésions de type Alzheimer (1/3 des cas selon
les séries), mais il n’existe aucun critère clinique fiable
permettant à ce jour d’en faire la distinction [24]. Une
forme particulière d’APP, l’aphasie logopénique (AL),
serait quasi exclusivement en rapport avec lésions de
type Alzheimer : l’AL est une aphasie où le discours
est marqué par des pauses et des hésitations, où les
phrases sont courtes, avec un manque du mot important dans le discours spontané, moindre dans les
épreuves de dénomination, et au cours de laquelle on
48
constate de nombreuses paraphasies phonémiques.
Ce tableau ressemble à celui de l’aphasie de conduction
mais la compréhension n’est en général pas totalement
préservée, en raison de troubles de la mémoire à court
terme auditivo-verbale [25].1
Il existe par ailleurs des tableaux évoquant une APP,
mais difficile à classer dans les cadres ci-dessus ; il
s’agit, dans notre expérience, souvent de patients plus
âgés, chez lesquels l’évaluation neuropsychologique
précise permet de mettre en évidence des déficits
dans des domaines habituellement préservés dans
l’APP stricto sensu : mémoire visuelle, habiletés visuoconstructives et capacités visuoperceptives. Souvent
l’imagerie montre alors une atrophie et un hypométabolisme diffus. On sort alors du cadre strict de l’APP,
même s’il est difficile d’en dire plus quand aux lésions
sous-jacentes, dont on pourrait penser qu’elles seraient
plutôt de type Alzheimer et ce d’autant plus que l’évolution tend souvent vers une perte d’autonomie et l’apparition de troubles de mémoire francs au quotidien.
1
Pour une revue complète sur l’APP, voir [14].
Psychol NeuroPsychiatr Vieil, vol. 8, no 1, mars 2010
L’aphasie du sujet âgé
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
Encadré : Comment examiner le langage à la recherche d’une aphasie ?
– L’examen doit être systématique :
• langage oral/écrit
• langage spontané/automatique/provoqué/élaboré
• expression/compréhension
– Il faut toujours tenir compte du niveau d’éducation et de la langue maternelle
– En pratique :
• On commence par interroger le patient en écoutant attentivement ses productions, ce qui permet déjà de
repérer le manque du mot ; le caractère aisé (fluent) de la production ou au contraire la nécessité pour le
patient de faire des efforts, avec des hésitations et des pauses (caractère non fluent) ; les déformations (troubles de l’articulation, de la phonologie = organisation des sons dans le mot et la phrase) ; le respect ou non
des règles de la conjugaison, de la grammaire et de la syntaxe ; le caractère informatif ou non des productions ; les modifications éventuelles de la prosodie (intonations). On voit aussi rapidement si la compréhension est altérée
• On poursuit en proposant une épreuve de dénomination, qui consiste à faire nommer aux patients des
objets présentés visuellement. L’idéal est d’utiliser une épreuve standardisée, comprenant au moins une
dizaine d’items. Elle permet de mettre en évidence le manque du mot, qui est le symptôme essentiel de
l’aphasie : il n’y a pas d’aphasie sans manque du mot
○ Celui-ci est plus ou moins sévère
○ Il est variable d’un moment à l’autre et d’un item à l’autre
○ Il existe fréquemment une dissociation automatico-volontaire, un mot pouvant être produit normalement
dans un contexte automatique, mais pas en situation de production volontaire. On note le type de réponse et
d’erreurs. En cas d’échec, on essaie de faciliter la production, par le contexte (quand il pleut, on prend son…)
ou l’ébauche (le p…). En cas d’échec, il faut toujours s’assurer que l’item non dénommé a été identifié, en
questionnant le patient ou en lui faisant désigner l’item en choix multiple. Si le trouble du patient concerne
l’identification (et donc qu’il ne peut dénommer parce qu’il n’identifie pas les items présentés), il ne s’agit
plus d’aphasie, mais d’agnosie visuelle ; le diagnostic différentiel est parfois très difficile
• On teste la compréhension orale par des ordres plus ou moins complexes, par exemple épreuve des 3
papiers de Pierre Marie (« voici 3 papiers un grand, un moyen, un petit, vous allez me donner le grand, garder
le moyen et jeter le petit »)
• Il est utile de tester la répétition de mots, simples ou complexes, et de phrases, car cela permet de mieux
repérer les déformations (troubles arthriques, paraphasies)
– Un examen plus long et plus analytique, notamment du langage écrit, est du ressort de l’orthophoniste,
à qui tout aphasique avéré ou suspecté devrait être adressé dans les meilleurs délais
Si l’on s’intéresse maintenant à la forme habituelle
de MA, qui débute par un syndrome amnésique d’aggravation progressive, les troubles du langage sont initialement discrets et surtout mis en évidence par les
tests. Ces troubles résultent beaucoup plus d’une
atteinte des connaissances sémantiques que d’un
manque du mot. Cette atteinte sémantique peut être
mise en évidence, dès les phases de démence légère,
voire dans la phase prodromale [26], dans les tâches
de fluence (avec un abaissement relatif de la fluence
catégorielle par rapport à la fluence formelle) et dans
des tâches d’identification et de dénomination de personnes célèbres (pour revue, voir [27]). Une étude a
cependant montré qu’un manque du mot aphasique
Psychol NeuroPsychiatr Vieil, vol. 8, no 1, mars 2010
pouvait être rencontré et il est vraisemblable que
coexistent au début de la MA un manque du mot et
une atteinte des connaissances sémantiques [28].
Dans les phases plus tardives de la maladie, les troubles associés rendent difficile la caractérisation précise
des difficultés. Il est cependant habituel de considérer
que le trouble du langage évoque le tableau de l’aphasie transcorticale sensorielle, avec un discours fluide,
vide de sens, avec de nombreuses paraphasies sémantiques, parfois des paraphasies phonémiques, et un
trouble de compréhension portant à la fois sur les
aspects morphosyntaxiques et le mot isolé, alors que
la répétition est préservée, souvent sur un mode
écholalique [4].
49
O. Moreaud, et al.
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
Spécificités de la prise en charge
chez le sujet âgé
Il est admis que la prise en charge orthophonique
de l’aphasie vasculaire, lorsqu’elle respecte certaines
modalités, en particulier en ce qui concerne la fréquence et la durée des séances, et la durée totale de la
prise en charge, est bénéfique et améliore la capacité de
communication des patients [29]. Ce principe ne doit
pas être remis en cause chez le sujet âgé, dès lors que
l’aphasie est isolée et quelle que soit sa sévérité. Il n’est
pas possible, de même que chez le sujet jeune, de
conseiller une technique de prise en charge plutôt
qu’une autre [30]. Néanmoins, la prise en charge est
souvent limitée par les troubles de la compréhension
ou par des facteurs non liés à l’aphasie, comme la fatigabilité, la moindre motivation ou les troubles sensoriels associés. L’existence de troubles cognitifs globaux
ou d’un syndrome démentiel ne sont pas forcément
des contre-indications, si le patient est motivé et si
l’aphasie est au premier plan. Dans la plupart des cas
cependant, l’orthophoniste est limité dans son action,
et doit se contenter d’une éducation de l’entourage
familial, de façon à ce que celui-ci communique au
mieux avec le patient.
Dans les pathologies dégénératives, il n’existe que
peu de données concernant la prise en charge orthophonique. On peut supposer qu’elle a un intérêt direct
dans les aphasies primaires progressives, et peut-être
indirect dans la maladie d’Alzheimer. La rencontre avec
l’orthophoniste sera de toute façon utile, même si elle
n’aboutit pas à une prise en charge, pour évaluer au
mieux les troubles du langage, les expliquer au patient,
à sa famille, et éventuellement aux autres acteurs de la
prise en charge, et proposer des exercices à réaliser au
domicile. L’objectif est d’optimiser la communication
entre le patient et son entourage. Des recommandations à ce sujet ont été émises par la Haute autorité de
santé [31]. Une prise en charge orthophonique est fréquemment proposée dans la MA, mais aucune donnée
ne permet de juger de son intérêt et de son efficacité, ni
de sa durée, chez des patients dont la maladie va évoluer pendant plusieurs années. À notre avis, une prise
en charge orthophonique dans ce cadre devrait être
réservée à des patients motivés, chez qui le trouble du
langage est un des symptômes les plus perturbants,
avec l’objectif de favoriser la communication - au sens
large - et la qualité de vie. Le contrat de prise en charge
doit être clair au départ afin de pouvoir terminer une
prise en charge lorsqu’elle semble inutile ou lorsque
l’aggravation de la maladie la rend peu réaliste.
50
Points clés
• L’aphasie est un trouble fréquent chez le sujet
âgé.
• Elle est le plus souvent secondaire à des lésions
vasculaires ou neurodégénératives.
• Il importe de bien connaı̂tre la sémiologie des
aphasies vasculaires classiques et des troubles du
langage des maladies neurodégénératives. Lorsque
la sémiologie est typique, le diagnostic est aisé, et
la prise en charge ne diffère pas de celle de sujets
plus jeunes.
• Il est particulièrement fréquent chez le sujet âgé
de rencontrer des tableaux atypiques, en raison de
l’intrication avec d’autres symptômes, linguistiques
ou non.
• Une prise en charge doit être proposée même si
elle souvent limitée par les symptômes associés.
Dans l’aphasie progressive, qu’il s’agisse d’une
forme fluente ou non fluente, les patients sont très conscients de leurs difficultés linguistiques et, par là même,
très demandeurs d’une prise en charge. Il nous semble
essentiel de caractériser au mieux les troubles et les
mécanismes sous-jacents, qui peuvent être très divers
d’un patient à l’autre, même au sein d’un même type
(fluent ou non fluent), de façon à informer le patient et
son entourage sur ces troubles et à proposer des
conseils améliorant la communication. L’aphasie progressive étant évolutive, une réévaluation régulière est
nécessaire. À notre avis, c’est une des rares indications
de prise en charge prolongée, tant que le patient ne présente pas de troubles cognitifs plus globaux ou de troubles trop importants de la compréhension. Des travaux
récents confortent l’intérêt de cette prise en charge, en
particulier dans les formes fluentes [32, 33].
Conclusion
La spécificité de l’aphasie du sujet âgé résulte surtout de l’intrication du trouble du langage avec d’autres
problèmes, cognitifs, psychologiques, comportementaux, et somatiques. En cela, on rejoint la problématique gériatrique, qui est celle de la fragilité et de la
polypathologie. Ceci ne doit cependant pas nous faire
baisser les bras et, au contraire, justifie toute l’attention
que l’on peut apporter à ces patients âgés, dont l’évaluation est souvent plus longue, plus complexe et plus
décevante que chez des sujets plus jeunes, mais dont
Psychol NeuroPsychiatr Vieil, vol. 8, no 1, mars 2010
L’aphasie du sujet âgé
toutes les dimensions sont importantes à considérer si
l’on veut leur rendre service. Il n’est pas non plus totalement inhabituel de rencontrer, parfois même chez
des sujets très âgés, des aphasies isolées, dont le diagnostic et la prise en charge ne diffèrent alors en rien du
cas général. On ne peut qu’inciter les cliniciens, gériatres ou non, à adresser leurs patients à l’orthophoniste
chaque fois qu’ils suspectent un trouble aphasique, et
on incitera en conséquence les orthophonistes à bien
connaı̂tre l’aphasiologie et les spécificités du sujet âgé.
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017.
Références
1. Roch-Lecours A, Lhermitte F. L’aphasie. Paris : Flammarion
Médecine Sciences, 1979.
19. Mesulam MM. Slowly progressive aphasia without generalized dementia. Ann Neurol 1982 ; 11 : 592-8.
2. Gil R. Les aphasies. In : Neuropsychologie. Abrégés. Paris :
Masson, 2003 : 21-61.
20. Mesulam MM. Primary progressive aphasia. Ann Neurol
2001 ; 49 : 425-32.
3. Howieson DB, Loring DW, Hannay HJ. Neurobehavioral variables and diagnostic issues. In : Lezak MD, ed. Neuropsychological
assesment. New York : Oxford University Press, 2004 : 294-301.
4. Eustache F. Langage, vieillissement et démences. In : Eustache
F, Lechevalier B, eds. Langage et aphasie. Bruxelles : DeBoeck
Universités, 1989 : 205-27.
5. Amieva H, Le Goff M, Millet X, Orgogozo JM, Pérès K, BarbergerGateau P, et al. Prodromal Alzheimer’s disease : successive emergence of the clinical symptoms. Ann Neurol 2008 ; 64 : 492-8.
6. Lhermitte F, Derouesné J, Signoret JL. Analyse neuropsychologique du syndrome frontal. Rev Neurol (Paris) 1972 ; 127 : 415-40.
7. Chedru F, Geschwind N. Disorders of higher cortical functions
in acute confusional states. Cortex 1972 ; 8 : 395-411.
8. Hannequin D, Goulet P, Joanette Y. Contributions de l’hémisphère droit à la communication verbale. Rapport de neurologie,
Congrès de psychiatrie et de neurologie, Bordeaux. Paris : Masson, 1987.
9. Andreasen N, Grove WM. Thought, language, and communication in schizophrenia : diagnosis and prognosis. Schizophr Bull
1986 ; 12 : 348-59.
10. Brown R, McNeill D. The « tip-of-the-tongue » phenomenon.
J Verb Learn Verb Behav 1966 ; 5 : 325-37.
11. Goodglass H, Kaplan E, Weintraub S, Ackerman N. The “tipof-the-tongue” phenomenon in aphasia. Cortex 1976 ; 123 :
145-53.
12. Le Dorze G, Nespoulous JL. Anomia in moderate aphasia :
problems in accessing the lexical representation. Brain Lang
1989 ; 37 : 381-400.
13. Gainotti G, Silveri MC, Villa G, Miceli G. Anomia with and
without lexical comprehension disorders. Brain Lang 1986 ; 29 :
18-33.
14. David D, Moreaud O, Charnallet A. Les aphasies progressives
primaires : aspects cliniques. Psychol NeuroPsychiatr Vieill 2006 ;
4 : 189-200.
15. Goodglass H, Kaplan E. The assessment of aphasia and related disorders. Philadelphie : Lea & Febinger, 1983.
21. Belliard S, Bon L, Le Moal S, Jonin PY, Vercelletto M, LeBail B.
La démence sémantique. Psychol NeuroPsychiatr Vieill 2007 ; 5 :
127-38.
22. Moreaud O, Belliard S, Snowden J, Auriacombe S, BasagliaPappas S, Bernard F, et al. Démence sémantique : réflexions d’un
groupe de travail pour des critères de diagnostic en français et la
constitution d’une cohorte de patients. Rev Neurol (Paris) 2008 ;
164 : 343-53.
[23]. Neary D, Snowden JS, Gustafson L, Passant U, Stuss D,
Black S, et al. Frontotemporal lobar degeneration : a consensus
on clinical diagnostic criteria. Neurology 1998 ; 51 : 1546-54.
24. Galton C, Patterson K, Xuereb JH, Hodges JR. Atypical and
typical presentations of Alzheimer’s disease : a clinical, neuropsychological, neuroimaging, and pathological study of 13 cases.
Brain 2000 ; 123 : 484-98.
25. Gorno Tempini ML, Brambati SM, Ginex V, Ogar J, Dronkers
MF, Marcone A, et al. The logopenic/phonological variant of primary progressive aphasia. Neurology 2008 ; 71 : 1227-34.
26. Dubois B, Feldman HH, Jacova C, De Kosky ST, BarbergerGateau P, Cummings J, et al. Research criteria for the diagnosis
of Alzheimer’s disease : revising the NINCDS-ADRDA criteria. Lancet Neurol 2007 ; 6 : 734-46.
[27]. Moreaud O. Connaissances sémantiques et maladie d’Alzheimer. In : Belin C, Ergis AM, Moreaud O, eds. Actualités sur les
démences : aspects cliniques et neuropsychologiques. Marseille :
Solal, 2006 : 109-33.
28. Moreaud O, David D, Charnallet A, Pellat J. Are semantic
errors actually semantic ? Evidence from Alzheimer’s disease.
Brain Lang 2001 ; 77 : 176-86.
29. Bhogal SK, Teasell R, Speechley M. Intensity of aphasia therapy, impact on recovery. Stroke 2003 ; 34 : 987-93.
30. Joseph PA. Quand doit-on commencer la rééducation orthophonique chez l’hémiplégique aphasique ? Selon quelles modalités et pendant combien de temps ? Ann Réadaptation Méd Phys
1998 ; 41 : 53-65.
16. Engelter ST, Gostynski M, Papa S, Frei M, Born C, AjdacicGross V, et al. Epidemiology of aphasia attributable to first
ischemic stroke : incidence, severity, fluency, etiology, and thrombolysis. Stroke 2006 ; 37 : 1379-84.
31. Haute autorité de santé. Orthophonie. Rééducation de la voix,
du langage et de la parole. Décembre 2007. www.has-sante.fr/
portail/jcms/c_626379.
17. Joanette Y, Ali-Cherif A, Delpuech F, Habib M, Pellissier JF,
Poncet M. Evolution de la sémiologie aphasique avec l’âge. Rev
Neurol (Paris) 1983 ; 139 : 657-64.
32. Jokel R, Rochon E, Anderson ND. Errorless learning of
computer-generated words in patient with semantic dementia.
Neuropsychol Rehab 2009 ; 19 : 1-26.
18. Leys D, Henon H, Machowiak-Cordoliani MA, Pasquier F.
Poststroke dementia. Lancet Neurol 2005 ; 4 : 752-9.
33. Henry ML, Beeson PM, Rapcsak SZ. Treatment for anomia in
semantic dementia. Semin Speech Lang 2008 ; 29 : 60-70.
Psychol NeuroPsychiatr Vieil, vol. 8, no 1, mars 2010
51
Téléchargement