31 Cancéro dig. Vol. 2 N° 1 - 2010 - 31-37 10.4267/2042/30746 MISe au PoInt Épidémiologie du cancer gastrique dans le monde Epidemiology of gastric cancer in the world René Lambert I.A.R.C., 150, cours Albert Thomas, F-69372 Lyon Cedex 08 [email protected] ❚ Résumé À l’échelle mondiale, le cancer gastrique est au deuxième rang de fréquence des cancers. Le risque est particulièrement élevé dans les pays de l’est de l’Asie (Japon, Corée). Le cancer du cardia est moins fréquent que le cancer gastrique distal qui représente 80 % des cas. À la jonction œsophago-gastrique, il peut y avoir confusion entre les adénocarcinomes de l’œsophage et ceux du cardia. L’incidence du cancer gastrique distal décline dans le monde alors que celle du cancer du cardia est stable et que celle de l’adénocarcinome de l’œsophage augmente. Le cancer gastrique distal se développe sur la gastrite atrophique chronique dont l’infection par Helicobacter pylori est un facteur causal ; le rôle oncogène direct de la bactérie est encore débattu. Le dépistage du cancer gastrique au stade curable repose sur l’endoscopie directe, ou sur un test filtre, radiologie ou pepsinogène avec endoscopie s’il est positif. La prévention primaire implique l’hygiène de vie, un régime plus pauvre en conserves et plus riche en fruits et légumes, et l’éradication d’Helicobacter pylori. Mots-clés Cancer gastrique, Helicobacter pylori, Dépistage, Gastroscopie, Pepsinogène ❚ Abstract Gastric cancer is the second most frequent cancer site worldwide. The risk is particularly high in East Asia countries (Japan, Korea). Cardia cancer is less frequent than cancer of the distal part of the stomach, which accounts for 80% of cases. At the EG junction there can be confusion between adenocarcinoma of esophagus and of cardia. Incidence of distal gastric and cancer is decreasing over the world, while incidence of cardia cancer remains stable and that of esophageal cancer increases. Gastric distal cancer develops on a mucosa altered by chronic atrophic gastritis caused by Helicobacter pylori infection. The direct oncogenic role of the bacterial agent is still debated. Screening of gastric cancer at a curable stage occurs either on direct primary endoscopy or after a filter test based on radiology or Pepsinogen, followed by endoscopy if the test is positive. Primary prevention is based on a healthier lifestyle with a low salt diet emphasizing fruit and vegetable and on eradication of Helicobacter pylori. Keywords Gastric cancer, Helicobacter pylori, Screening, Gastroscopy, Pepsinogen ❚ Introduction Le cancer gastrique est au deuxième rang pour la fréquence des cancers dans le monde. En 2002, les nombres respectifs des cas incidents et des décès par cancer gastrique étaient estimés à 933 000 et 699 000 (Tableau 1) par la base de données Globocan 2002 [1]. Les zones de risque plus élevé se trouvent dans l’est de l’Asie : au Japon, le cancer gastrique représentait 31 % de tous les cas incidents de cancer chez l’homme et 22 % chez la femme dans les registres de la période 1985-89. Le risque est également élevé dans les Andes en Amérique du Sud, et en Europe de l’est. La comparaison du risque relatif pour le cancer © aln.editions 32 Cancéro dig. Vol. 2 N° 1 - 2010 tableau 1. estimation, à l’échelle mondiale, du nombre de cancers gastriques survenus en 2002. Femmes Hommes Incidence Brute Incidence N° cas Stand. Brute N° cas Stand. Pays développés 33,7 22,3 196 000 18,8 10,0 115 400 Pays non développés 15,9 21,5 405 000 8,7 10,4 214 000 L’incidence brute pour 100 000 personnes représente le nombre réel de cas survenus dans l’année dans le pays. L’incidence standardisée pour l’âge est ajustée sur les tranches d’âge d’une population mondiale, et permet de comparer le risque entre les pays [1] des cancers dans les différents pays ; pour la France, les registres retenus couvraient 9 % de la population, une étude épidémiologique conduite en France s’est appuyée sur des registres départementaux couvrant 16 % de la population [2]. de l’estomac entre différents pays, dont les tranches d’âge de la population diffèrent, s’appuie sur un taux ajusté, appelé « taux standardisé pour l’âge » (ASR) pour 100 000 personnes d’une population d’âge fixe reflétant la distribution des âges dans la population mondiale. Ce taux ajusté s’applique à l’incidence et à la mortalité par cancer gastrique. Dans les pays développés, comme dans les pays en développement, l’incidence est plus élevée chez l’homme que chez la femme [2-5]. Les données estimées sur l’incidence sont présentées dans les tableaux 2 et 3 extraits de Globocan 2002 [1] ; des données observées plus précises sont collectées dans les registres de cancer basés sur la population de la région concernée. Le plus souvent, ces registres ne concernent qu’une partie de la population du pays, soit environ 17 % pour les États-Unis [5]. En Europe, l’étude Eurocare 4 [3,4] s’est appuyée sur 47 registres régionaux pour calculer la survie Le cancer de l’estomac ne figure pas parmi les cancers à bon pronostic. La survie à 5 ans a fait l’objet d’études épidémiologiques ; elle est généralement exprimée en survie relative pour tenir compte de l’espérance de vie de la population en l’absence de cancer de l’estomac. Pour l’ensemble des pays européens concernés par l’étude Eurocare 4, la survie relative à 5 ans est 23,4 % pour la période 2000-2002 [4] ; un chiffre deux fois plus élevé est observé au Japon qui a institué un dépistage de masse pour le diagnostic précoce de ce cancer. À titre comparatif, le chiffre correspondant pour le cancer colorectal est 56,8 %. tableau 2. estimation de l’incidence brute et standardisée pour l’âge du cancer de l’estomac et nombre de cas survenus dans l’année, pour 2002, dans quelques contrées à risque élevé [1]. Femmes Hommes Incidence Brute Stand. Japon 118,6 62,1 Corée 66,9 69,6 Portugal 43,4 Chili 41,6 Incidence N° cas N° cas Brute Stand. 73 800 55,4 26,1 36 000 15 900 32,9 26,8 7 700 27,6 2 100 25,8 13,6 1 300 46,1 3 200 20,1 17,7 1 600 tableau 3. estimation de l’incidence brute et standardisée pour l’âge du cancer de l’estomac et nombre de cas survenus dans l’année, pour 2002, dans quelques contrées à risque faible [1]. Femmes Hommes Incidence N° cases Incidence Stand. 17,0 10,4 4 900 8,6 4,1 2 600 9,7 7,2 13 700 5,5 3,3 8 000 Malaisie 8,7 13,2 1 000 4,7 6,2 535 Inde 4,2 5,7 22 700 2,3 2,8 11 700 France USA Brute Stand. N° cas Brute 33 Cancéro dig. Vol. 2 N° 1 - 2010 Cependant, d’autres cancers digestifs ont un pronostic bien plus médiocre ; la survie relative à 5 ans du cancer du pancréas est calculée à 5,2 %. Le cancer du cardia ou cancer proximal de l’estomac est situé en aval de la jonction anatomique œsophago-gastrique dans une région étendue sur 2 cm. La jonction œsophago-gastrique est soulignée en endoscopie par la jonction épithéliale des muqueuses épidermoïdes et glandulaires, appelée « ligne Z ». Près de 20 % des cancers de l’estomac sont localisés sur le cardia. Le cancer distal de l’estomac qui représente environ 80 % des cas est situé au-delà de cette limite. La proportion des cancers à localisation distale est plus élevée chez l’homme que chez la femme, et plus élevée dans les pays en développement que dans les pays développés. ❚ La jonction œsophago-gastrique À la jonction œsophago-gastrique, l’environnement endoluminal est hostile pour l’épithélium, d’où une inflammation chronique. La zone de 5 cm située en amont de la ligne Z est exposée à un pH bas dans la période post prandiale avec également présence de sels et d’acides biliaires. La muqueuse du cardia, en aval de la ligne Z, est aussi exposée à l’acide et aux sels biliaires. La cardite traduit l’inflammation chronique de la muqueuse, et explique la présence de métaplasie intestinale à ce niveau chez 30 % des personnes examinées. Une certaine ambiguïté est inévitable pour la localisation œsophagienne ou gastrique de l’adénocarcinome situé à la jonction œsophago-gastrique qui comprend l’œsophage terminal et l’estomac proximal, malgré la constatation de différences entre les deux tumeurs pour la distribution épidémiologique et pour les marqueurs moléculaires. Dans la plupart des pays, l’adénocarcinome du cardia est plus fréquent que celui de l’œsophage (Tableau 4). tableau 4. la fréquence relative des adénocarcinomes de l’œsophage et du cardia varie selon les pays, comme le montrent les nombres enregistrés dans les registres de cancer. Adénocarcinome de l’œsophage (nombre pour période) Adénocarcinome du cardia gastrique (nombre pour période) USA 9 registres SEER 1973-95 4 358 7 830 Angleterre 4 registres 1975-94 6 821 7 219 Danemark Registre national 1978-95 1 425 2 865 France 4 registres 1978-92 376 1 009 Japon Registre Osaka 1980-93 192 3 088 Registre Les nombres concernent les 2 sexes. L’adénocarcinome du cardia est plus fréquent que celui de l’œsophage. La disproportion des nombres est très élevée au Japon [21] En amont de la ligne Z, quelques caractéristiques de l’épithélium de l’œsophage de type épidermoïde permettent de repérer la jonction des deux organes : les vaisseaux superficiels longitudinaux ou « vaisseaux palissadiques » sont bien visibles et s’arrêtent à la jonction de l’estomac. Si l’on utilise la chromoscopie au Lugol, on peut mettre en évidence, juste au-dessus de la ligne Z, quelques petits îlots de muqueuse non colorée qui correspondent à des zones ectopiques de muqueuse de type « cardial ». Les marqueurs biologiques de cette muqueuse ectopique, accessibles à l’immunofluorescence, sont les cytokératines 7 et 20 contrastant avec le marqueur de la muqueuse « épidermoïde », la cytokératine 13. Les zones ectopiques de muqueuse cardiale en amont de la ligne Z sont faciles à distinguer des segments longs de l’œsophage de Barrett, mais ne doivent pas être confondues avec les segments courts ou ultra-courts, caractérisés par un déplacement de la ligne Z. L’œsophage de Barrett, complication du reflux gastroœsophagien, et asymptomatique dans 80 % cas, est le facteur causal de l’adénocarcinome de l’œsophage, souvent localisé dans le segment distal. Une estimation raisonnable du risque de cancer est 0,5 cas pour 100 personnes ayant un Barrett, soit 1 cas pour 200 années/patient. La correction chirurgicale du reflux gastroœsophagien ne supprime pas le risque. En aval de la ligne Z, le pôle supérieur des plis gastriques est un autre marqueur de la limite proximale de l’estomac. En aval de la jonction épithéliale, la muqueuse gastrique présente un court segment (2 à 6 mm) de type « cardial ». En magnification, les crêtes épithéliales ovalisées de cette muqueuse font ensuite place à un épithélium de type « fundique » offrant un alignement régulier de cryptes arrondies. La classification de Siewert est pratique lorsque l’on s’en tient aux conséquences cliniques et thérapeutiques : – cancer de type I situé sur le bas œsophage ; – cancer de type II localisé à cheval sur la jonction œsophagogastrique, le vrai cancer du cardia ; – cancer de type III, intragastrique localisé sous le cardia anatomique. ❚ Le déclin de l’incidence du cancer gastrique L’incidence du cancer décline partout dans le monde au rythme de 2 à 3 % par an, ce qui signifie qu’une prévention primaire généralisée est en cours, tout en n’étant pas programmée [6]. Dans la mesure où la population mondiale vieillit (en particulier au Japon), alors que le risque de cancer s’accroît avec l’âge, l’effet préventif est partiellement masqué pour les chiffres bruts mais apparaît manifeste pour les chiffres de l’incidence standardisée sur l’âge. En France, l’incidence standardisée sur l’âge pour 100 000 personnes a diminué de 1980 à 2005. Les chiffres respectifs sont 14,7 et 8,0 pour l’homme et 6,2 et 3,1 pour la femme [2]. La régression du risque est liée aux modifications du style de vie et de l’impact des facteurs environnementaux. Ceci est bien confirmé par l’étude des populations migrantes du Japon 34 qui changent de style de vie. L’incidence standardisée sur l’âge du cancer gastrique a été suivie chez les migrants japonais d’Hawaï, de Californie, de villes comme Washington ou New York : le risque reste élevé pour la première génération et s’effondre pour la génération suivante. Cette évolution suggère que les facteurs environnementaux agissent, non pas sur les adultes, mais dans la première enfance. La régression du risque ne concerne pas l’ensemble des cancers gastriques. Les études épidémiologiques conduites en Europe et aux États-Unis confirment la régression du cancer distal de l’estomac alors que le cancer du cardia demeure stable et que le risque d’adénocarcinome de l’œsophage augmente. La régression de la mortalité par cancer gastrique ne dépend pas que de l’incidence ; elle est influencée par les progrès de la détection précoce du cancer au stade curable et des lésions prémalignes [6,7]. Cette évolution est particulièrement marquée au Japon où la chute soutenue depuis 1970 de la mortalité par cancer gastrique est expliquée par la généralisation du dépistage radiologique et endoscopique. En Europe, il n’y a pas eu de généralisation du diagnostic précoce, ce qui explique la très faible amélioration (3 %) de la survie relative à 5 ans constatée dans l’étude Eurocare 4 pendant la période 1988-89 [3]. Le chiffre demeure à 25 % dans la période 2001-2002 [4]. Étapes de la carcinogenèse gastrique Le cancer gastrique se développe sur une muqueuse de gastrite atrophique chronique. Le développement de l’atrophie gastrique est favorisé par une consommation élevée de sel (rôle des conserves). L’élévation du pH intraluminal stimule la croissance de bactéries anaérobies qui réduisent le nitrate (NO2) en nitrites (NO) avec formation de mutagènes N-nitrosés, sous l’influence de l’oxyde nitrique synthétase (i-NOS). Le développement du cancer est favorisé par le tabagisme, chez l’homme comme chez la femme. Les antioxydants comme l’alpha-tocophérol (vitamine E) ou l’acide ascorbique (vitamine C), présents dans les fruits et les légumes, ont un effet protecteur en bloquant la formation de mutagènes. La carcinogenèse gastrique suit la séquence proposée par Correa [8] – gastrite chronique atrophique – métaplasie intestinale – dysplasie. L’infection par Helicobacter pylori est le facteur déclenchant de la gastrite atrophique chronique. La séquence des mutations survenant dans la transition des lésions précancéreuses jusqu’au cancer comprend les mutations sur les oncogènes (K-ras, b-caténine), sur les gènes suppresseurs ou régulateurs (APC, TP53), et sur les gènes réparateurs MMR (hMLH1). Pour le cancer gastrique de novo, la mutation d’un gène régulateur de la transcription de l’E-cadhérine (16q) joue le rôle majeur. ❚ Stades précoces et curables du cancer gastrique Lésions précancéreuses Ces lésions apparaissent en des zones circonscrites de la muqueuse gastrique modifiée par l’inflammation chronique liée à Cancéro dig. Vol. 2 N° 1 - 2010 l’infection par Helicobacter pylori. Ces lésions néoplasiques précancéreuses ont le plus souvent une morphologie non-polypoïde et souvent déprimée ; qualifiées de « dysplasie » en Occident, elles sont appelées « adénomes plans » ou « déprimés » au Japon. Le risque de progression en cancer est plus élevé lorsque les atypies cellulaires sont importantes (néoplasie intra-épithéliale de haut-grade). Les polypes adénomateux sont rares et ne représentent que 10 % des lésions polypoïdes de l’estomac. La majorité des polypes gastriques sont des lésions non néoplasiques. Il peut s’agir de polypes kystiques du fundus gastrique qui accompagnent parfois la polypose familiale colorectale liée à la mutation du gène APC. Il peut aussi s’agir de polypes hyperplasiques ou enfin de polypes hamartomateux dans le cadre d’une polypose juvénile ou d’un syndrome de Peutz-Jeghers. Cancer superficiel En endoscopie, les lésions néoplasiques (adénome ou cancer) dont la morphologie suggère qu’elles ne dépassent pas en profondeur la sous-muqueuse sont appelées « superficielles ». Le plus souvent, ces lésions ne sont pas saillantes et, même au Japon, le taux de non reconnaissance atteint 19 %. Le diagnostic endoscopique implique l’utilisation d’instruments à haute résolution, et la reconnaissance de critères tels qu’un changement brutal de couleur d’une zone de la muqueuse ou une anomalie du réseau des capillaires superficiels. La morphologie des lésions superficielles est répertoriée dans les sous-types du type 0 de la classification de Paris (les types I à IV correspondent au cancer avancé). Les lésions superficielles sont classées en [9] : 1) polypoïdes (0-Ip ou 0-Is) ; 2) non-polypoïdes avec le type légèrement élevé (0-IIa), planes (0-IIb) et légèrement déprimées (0-IIc) ; 3) excavées (0-III) s’il y a un vrai ulcère. Dans l’estomac, le cancer superficiel revêt surtout le type non-polypoïde (95 % des cas). L’école japonaise décrit sous le nom de « Early gastric cancer » une tumeur d’apparence superficielle (m ou sm). Ce cancer précoce est considéré comme curable ; le choix entre mucosectomie endoscopique ou chirurgie est fondé sur la profondeur de l’invasion de la sous-muqueuse. Le traitement endoscopique est légitime si l’invasion est inférieure à 500 µ car le risque d’invasion des ganglions lymphatiques régionaux est alors négligeable. Cancer de novo et cancer localisé Le terme « de novo cancer » est souvent utilisé, au Japon, pour décrire des cancers plans ne dépassant pas 5 mm de diamètre et entourés d’une muqueuse gastrique sans dysplasie, ce qui suggère un développement sans précurseur bénin. Les registres de cancer utilisent souvent une classification simplifiée du cancer gastrique en trois stades : localisé, régional et distant. Le stade localisé désigne les tumeurs dont le développement ne dépasse pas l’épaisseur de la paroi gastrique et qui n’ont pas de ganglions régionaux envahis. 35 Cancéro dig. Vol. 2 N° 1 - 2010 ❚ Histopathologie et classification épidémiologique Les lésions néoplasiques intramuqueuses qui ont un taux élevé d’atypie cellulaire sans envahir la lamina propria de la muqueuse sont appelées « cancer intramuqueux » au Japon et « dysplasie (ou néoplasie intra-épithéliale) de haut grade » en Occident. En fait, dans la nouvelle classification de Vienne qui établit un consensus entre les spécialistes japonais et occidentaux, la dysplasie de haut grade et le cancer intramuqueux sont placés dans la même catégorie située entre la dysplasie de bas grade et le cancer envahissant la sous-muqueuse. Dans la classification WHO (World Health Organization), le cancer gastrique est classé en catégories de différenciation, tubulaire, papillaire, mucineuse, et en adénocarcinome avec cellules en « bague à chaton ». La classification de Lauren, souvent utilisée par les épidémiologistes, ne distingue que 2 catégories : le type « intestinal » correspond à un cancer différencié ; le type « diffus » correspond à un cancer indifférencié. Sur le plan épidémiologique, on considère que le type « différencié » est plus lié à l’infection par Helicobacter pylori que le type diffus [6,7]. ❚ Le cancer gastrique familial Le cancer gastrique familial est reconnu dans environ 10 % des cas. Le cancer gastrique héréditaire, décrit surtout en NouvelleZélande, est causé par une mutation germinale du gène codant pour une protéine d’adhésion cellulaire, l’E-cadhérine. Il revêt le type histopathologique du cancer « diffus ». Les facteurs génétiques ont une place dans la survenue du cancer gastrique sporadique [6,7]. La même mutation de l’E-cadhérine, mais de type somatique non transmise par l’hérédité, est observée dans le cancer sporadique de type « diffus » de la classification de Lauren. Par ailleurs, le polymorphisme génétique de l’hôte peut interférer avec celui de l’agent bactérien Helicobacter pylori qui représente un facteur causal. Des cytokines sont produites par les cellules de l’épithélium gastrique en réponse au contact avec les antigènes de surface de l’agent bactérien. Les personnes dont le phénotype est le groupe sanguin A sont plus sensibles au cancer gastrique car la bactérie a une meilleure adhésion à la surface muqueuse. Il en est de même pour celles qui ont l’antigène Lewisb. ❚ Le rôle de l’infection par Helicobacter pylori L’infection par Helicobacter pylori est le principal facteur causal du cancer gastrique à localisation distale ; elle est en cause dans 80 % des cas, ce qui a suscité de très nombreux travaux [10-18]. La prévalence de cette infection dans la population humaine âgée de 50 ans, ou plus, est plus élevée dans les pays en développement (74 %) que dans les pays développés (58 %) ; ces variations de la prévalence sont liées à celles des facteurs environnants. Pour l’année 2002 (Tableau 5), il est estimé [18] que 590 000 cas de cancer gastrique incidents sont attribuables à Helicobacter pylori. Le cancer gastrique est le plus fréquent des cancers associés à un facteur infectieux, étant placé un peu en avant des cancers dus au papillomavirus. Le cycle de l’infection humaine est une contamination orale dans l’enfance qui s’accroît avec l’âge et peut être suivie d’une séroconversion après l’éradication avec des ré-infestations possibles. L’infection par Helicobacter pylori est responsable de la gastrite chronique atrophique, et les études cohortes ont montré que le risque de cancer gastrique était plus élevé chez les personnes qui avaient des anticorps positifs contre cet agent bactérien 10 ans auparavant. L’élévation du pH endoluminal liée à la gastrite chronique entraîne la formation de carcinogènes avec présence précoce de l’oxyde nitrique synthétase inductible (i-NOS) dans la muqueuse qui peut altérer les acides nucléiques. L’inoculation de souches bactériennes cagA et vacA positives chez la gerbille de Mongolie peut provoquer un cancer gastrique [12]. La détermination récente, par Tomb [11], de la séquence complète de l’ADN d’Helicobacter pylori a mis en évidence des îlots communs à certaines souches avec un pouvoir carcinogène plus élevé, car tableau 5. l’estimation pour l’année 2002, et à l’échelle mondiale, du nombre de cancers gastriques causés par Helicobacter pylori s’appuie sur les arguments suivants : - H. pylori n’intervient pas pour le cancer du cardia ; - la prévalence de l’infection à H. pylori, infection chez les personnes âgées de 45-64 ans, est plus élevée dans les pays en développement [18]. Nombre cancers estomac % cancer gastrique distal N° cancer gastrique distal Prévalence Infection H. pylori Cas attribués à H. pylori Pays développés 196 600 80 % 158 000 58 % 117 000 Pays non développés 406 800 80 % 324 000 74 % 254 000 Pays développés 115 800 88 % 101 000 58 % 75 000 Pays non développés 214 700 87 % 187 000 74 % 146 000 Hommes Femmes 36 elles altèrent plus fortement la muqueuse gastrique. Il s’agit en particulier de l’îlot cagA qui améliore la connexion avec l’antigène Lewisb des cellules gastriques. La protéine cagA génère l’inflammation de la muqueuse, et est associée à une protéine vacA qui produit des vacuoles dans les cellules. L’Helicobacter pylori a été classé comme agent carcinogène dans les monographies de l’Agence Internationale du Cancer de l’OMS [16]. ❚ Dépistage précoce du cancer gastrique Le dépistage des cancers digestifs repose sur la détection, au stade curable, chez des personnes asymptomatiques, soit du cancer superficiel, soit des lésions précancéreuses. Le dépistage de masse ou « dépistage organisé » est prévu à l’échelle de la population et repose en général sur un test assez simple de sélection. Le dépistage individuel ou « dépistage opportuniste » est réalisé chez des personnes soucieuses de leur santé qui contactent leur médecin personnel, et fait appel directement à l’endoscopie. Le dépistage organisé du cancer de l’estomac au Japon a commencé en 1963 et s’appuie sur une technique simple de radiologie, la gastrofluororadiographie. Des études randomisées – cohorte et cas témoins – ont mis en évidence, dans ce pays, une réduction de l’incidence du cancer chez les personnes compliantes. Plus récemment, un autre test filtre a été utilisé au Japon, c’est le test du pepsinogène [6]. Un niveau de Pepsinogène I d’au moins 3 fois la valeur normale, soit ≤ 70µng/ml ou un rapport Pepsinogène I/II ratio ≤ 3, justifie la gastroscopie. À l’extérieur du Japon, il a été proposé d’utiliser la sérologie de la souche cagA positive d’Helicobacter pylori comme indicateur de souches bactériennes agressives et comme test de sélection [13]. La méthode n’est pas considérée comme ayant un bon rapport coût/efficacité. Le dépistage organisé et le dépistage opportuniste concourent ensemble à la détection précoce du cancer, donc à sa prévention [6]. Au Japon, le dépistage de masse à l’échelle nationale ne détecte pourtant qu’une faible proportion des cancers incidents [19], et l’accroissement de la détection précoce résulte de la généralisation du dépistage opportuniste par endoscopie en raison de l’exemple donné. Ainsi, la proportion de cancers gastriques localisés inscrits sur les registres de cancer japonais (10 registres) est-elle bien plus élevée que celle inscrite sur 9 registres de cancer aux Etats-Unis : les chiffres respectifs sont 54 % pour l’année 2000 au Japon et 24 % pour la période 1995-2001 aux États-Unis. Cette proportion élevée explique que la survie à 5 ans du cancer gastrique (tous stades réunis) au Japon soit autour de 50 % pour la période 1993-96. Cancéro dig. Vol. 2 N° 1 - 2010 multiples modifications du régime alimentaire (moins de conserves, plus de fruits et de légumes et une augmentation des règles d’hygiène. Ce style de vie, lié à une réduction du risque de cancer gastrique, a été adopté dès l’enfance. La chimioprévention du cancer gastrique a été proposée par des agents antioxydants comme le bétacarotène, la vitamine C, l’alpha-tocophérol [20]. Deux études ont été conduites en Europe et 2 autres en Amérique latine (Colombie et Venezuela) ; leurs résultats n’ont pas été concluants, ce qui permet de suggérer que de multiples facteurs diététiques interviennent en association avec l’infection par Helicobacter pylori. L’éradication d’Helicobacter pylori a été proposée comme stratégie de prévention contre le cancer gastrique dans les pays où la prévalence de l’infection est très élevée ; mais le rapport coût/efficacité est peu favorable. L’expérience tentée au Venezuela [17] a été un échec à cause du faible taux d’éradication obtenu en raison de la résistance au traitement et du taux de réinfection. Le taux d’éradication a été plus élevé en Colombie. Deux vaccins contre Helicobacter pylori ont été proposés, mais il n’a pas été prouvé qu’un programme de vaccination à large échelle aurait un bon rapport de coût/efficacité. Enfin, l’éradication de l’agent bactérien chez les personnes traitées par endoscopie pour un cancer gastrique précoce, prévient la survenue de cancers métachrones dans le suivi [15]. En fait, un programme actif de prévention, supporté par les autorités sanitaires du pays, n’est envisageable que dans les pays où l’incidence du cancer gastrique est très élevée. S’il est logique de se concentrer sur la prévention primaire dans ces pays, il y a une incertitude sur les moyens employés : modification du style de vie et du régime ou éradication d’Helicobacter pylori. Si un programme actif de prévention est justifié au Japon, il ne le serait pas en France. Dans ce pays, comme dans tous les pays développés d’Occident, le dépistage ne justifie pas la mise en place par les autorités sanitaires d’une politique nationale. Il est préférable d’insister sur le contrôle de qualité des examens endoscopiques, pour renforcer l’efficacité de la détection précoce, au cours des examens dits « opportunistes ». Au Japon, le dépistage de masse va continuer avec une probable mise en place du test filtre par le Pepsinogène pour le dépistage de masse et le début du dépistage à un âge plus tardif (50 ans au lieu de 40 ans). ❚ Références 1. Ferlay, F Bray, P Pisani, et al. GLOBOCAN 2002. Cancer Incidence, Mortality and Prevalence Worldwide IARC CancerBase No. 5, version 2.0, 2004. IarcPress, Lyon 2004. ❚ Prévention primaire du cancer gastrique 2. Belot A, Grosclaude P, Bossard N, et al. Cancer incidence and mortality in France over the period 1980-2005. Rev Epidemiol Santé Publique 2008;56:159-75. Le style de vie occidental adopté dans tous les pays développés, comme au Japon par les plus jeunes générations, associe de 3. Verdecchia A, Guzzinati S, Francisci S, et al. 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