médiateurs et modérateurs : implications théoriques et - Figure B

THÉORIES ET MÉTHODOLOGIES
THEORIES AND METHODOLOGIES
MÉDIATEURS ET MODÉRATEURS :
IMPLICATIONS THÉORIQUES
ET MÉTHODOLOGIQUES
DANS LE DOMAINE DU STRESS
ET DE LA PSYCHOLOGIE DE LA SANTÉ
par N. RASCLE et S. IRACHABAL*
SUMMARY
MEDIATORS AND MODERATORS :THEORETICAL AND METHODOLOGICAL IMPLI-
CATIONS IN STRESS AND HEALTH PSYCHOLOGY RESEARCH
The concepts of mediators and moderators are often confused in psychological research.
Most empirical studies use these two terms interchangeably and analyse their effects using the
same statistical approaches. Nevertheless, it is very important to distinguish between their
properties as it permits the conceptualization of complex theoretical models and different
levels of analysis. In the domain of stress research, the distinction between these two types of
variable is also essential because it underscores the historical evolution of different models.
The earliest behavioural models of stress (stimulus-response) were simple interactional
models, where by negative consequences of stress could be explained jointly by environmental
and personal variables, and above all by their incompatibility. In this context, moderators
play an important role. Numerous personal variables (personality traits) and environmental
variables (social support) serve as of buffers between stressors (work, life events) and
outcomes (well-being, illness). Although these interactional models are important for
emphasizing individual vulnerability to stress, they do not explain the underlying
psychological processes at work. For this reason, the evolution of models requires the
identification of psychological and/or biological mediators that explain how predictive
variables (environment and personality) have an impact on individual health. The
transactional model of stress is an example of such neo-behavioural models. The
identification of distinct models and variables with specific properties also requires the
selection of appropriate statistical analyses. Testing the effects of moderators does not use the
same kind of analysis as for testing the effects of mediators. ANOVA and hierarchical
regression analyses are the most appropriate methods for testing moderator effects, while path
analyses with Lisrel allow for the examination of mediator effects of a given variable
relative to two other variables. Finally, the clarification of these different issues has value
beyond the domain of stress theory.
Key words : Mediator, Moderator, Methodology, Stress, Health.
Le Travail Humain, tome 64, no2/2001, 97-118
* Université de Bordeaux 2, Laboratoire de psychologie, équipe de Psychologie de la santé,
3ter, place de la Victoire, 33071 Bordeaux, Cedex ; e-mail : [email protected] ;
Depuis quelques années, des publications internationales dans des
domaines variés de la recherche en psychologie sont parues, dont l’objet
consistait à montrer l’intérêt de distinguer un modérateur d’un médiateur,
aussi bien au niveau conceptuel que méthodologique (Baron & Kenny,
1986 ; Shadish, 1996 ; Taylor & Aspinwall, 1996 ; Vollrath, Banholzer,
Caviezel, Fischki, & Jungo, 1994). Prenant appui sur l’utilisation de
méthodes statistiques « innovantes » (les pistes causales avec Lisrel ou la
régression hiérarchique), les auteurs démontrent que la distinction de ces
deux notions rend compte de l’évolution des modèles du comportement
humain. C’est également pour des raisons méthodologiques que, trop
longtemps sans doute, on s’est contenté de tester des modèles simples de
type « stimulus réponse » (cf. Fig. 1a), où l’impact d’une variable mani-
pulée sur la variable à prédire est direct et unique. Dans ce cas, c’est
l’influence du contexte ou des caractéristiques individuelles qui prédisent
un comportement.
Nous sommes là dans une démarche béhavioriste ou déterministe.
L’évolution des modèles de psychologie a permis ensuite d’envisager
l’intervention d’une troisième variable : c’est la conception interaction-
niste de l’homme dans son contexte, où l’on envisage conjointement les
rôles respectifs du contexte et des caractéristiques environnementales
dans l’explication des comportements. Enfin, une troisième voie a permis
d’expliquer l’impact du contexte ou des caractéristiques individuelles sur
le comportement humain par l’intervention d’une variable psychologique
qui décrit plutôt le processus sous-jacent : c’est le modèle transactionnel
avec identification de la « boîte noire ».
Passant de modèles relativement simples à des modèles multifactoriels
très complexes, les chercheurs ont éprouvé le besoin de préciser le statut
de certaines variables psychologiques sans y parvenir de façon unanime
(Parkes, 1994). C’est ainsi que l’on voit encore utilisés indifféremment les
termes modérateur et médiateur pour une même variable psychologique
(Vollrath et al., 1994).
Afin d’atténuer ces confusions et d’éclaircir les notions de médiateur et
de modérateur, nous commencerons par souligner leurs différences. Puis
nous montrerons comment ces variables s’intègrent dans les modèles de la
psychologie de la santé et de la psychologie du travail. Enfin nous tente-
rons d’expliquer les méthodes d’analyse quantitative susceptibles de tester
leurs effets respectifs.
98 N. Rascle et S. Irachabal
Variable
indépendante
Variable
dépendante
Fig. 1a. — Effet direct d’une variable indépendante sur une variable dépendante
Main effect of the independent variable on the dependent variable
I. MÉDIATEURS ET MODÉRATEURS :
I. IMPLICATIONS THÉORIQUES
I. 1. DIFFÉRENCES FONDAMENTALES
Un médiateur décrit un processus à travers lequel la variable indé-
pendante est susceptible d’influencer la variable dépendante (Baron
& Kenny, 1986). Dans ce cas, la variable indépendante est à l’origine du
déclenchement de l’action d’un médiateur ou de son intensité, qui lui-
même influence la réponse (variable dépendante). Par contraste, un
modérateur est plutôt une variable de nature qualitative (sexe, race,
contexte...) ou quantitative (niveau de revenu...) affectant la direction ou
l’intensité de la relation entre la variable indépendante et la variable
dépendante. C’est le principe de l’interaction statistique où des variables
indépendantes peuvent isolément avoir un effet différent de leur effet
combiné (cf. Fig. 1b).
Cette différence renvoie à des problématiques de recherche souvent
complémentaires : avec les modérateurs, l’intérêt est avant tout descriptif,
alors qu’il est exploratoire quand on aborde des médiateurs. En fait, la
mise en évidence statistique d’une interaction entre deux variables indé-
pendantes ne suffit pas à expliquer ce qui provoque cet effet. C’est le cas
par exemple des résultats relatifs au rôle modérateur du soutien social sur
la santé1.A contrario, l’existence d’un médiateur renvoie à l’intervention
d’une variable active de l’organisme entre le stimulus et la réponse
(cf. Fig. 1c). Comme l’expriment Baron et Kenny (1986), si les variables
modératrices déterminent dans quel cas certains effets se déclarent, les
variables médiatrices expliquent comment ou pourquoi ils apparaissent.
Médiateurs et modérateurs 99
1. L’étude de Ell et al. (1992) montrait en effet que, pour les femmes atteintes d’un cancer du
sein, un soutien social perçu comme satisfaisant était un facteur protecteur significatif. Or, com-
ment expliquer cette relation sinon par la prise en compte de variables intermédiaires ? Le soutien
social réduirait par exemple la détresse des patients, influencerait l’observance de leurs traitements
ou modifierait leur fonctionnement neuro-immuno-endocrinien.
Variable
indépendante Variable
dépendante
Variable
modératrice
Fig. 1b. — Effet modérateur
Moderator effect
Cette distinction prend tout son sens dans le domaine de la
psychologie de la santé ou plus précisément de la psychologie du
stress. MMM
I. 2. IMPLICATIONS EN PSYCHOLOGIE DE LA SANTÉ
Les termes de modérateurs et de médiateurs renvoient à deux modèles
théoriques du stress distincts : le modèle interactionniste et le modèle
transactionnel. Ils s’appliquent à des variables possédant un statut diffé-
rent dans le modèle multifactoriel de la psychologie de la santé (Bruchon-
Schweitzer & Dantzer, 1994). Historiquement, ces deux modèles cohabi-
tent, bien que le deuxième soit apparu plus récemment (Lazarus & Folk-
man, 1984).
I. 2.A. L’approche interactionniste
En ce qui concerne les théories du stress, le renouveau est lié à la prise
en compte des différences interindividuelles (Cox & Ferguson, 1991).
C’est bien la relation « personne-environnement » qui est au cœur du phé-
nomène de stress et il convient par conséquent de la prendre en compte
dans les modèles explicatifs. Toutefois, cette relation peut être décrite de
multiples façons de telle sorte que plusieurs modèles, bien distincts quant
à leurs hypothèses et résultats, peuvent revendiquer également le qualifi-
catif d’ « interactionniste »1. Pour notre part, nous proposons de dis-
tinguer les conceptions interactionnistes élémentaires et complexes.
L’apparition des premières s’effectue à l’occasion d’études de nature épi-
démiologique qui mettent en lumière l’existence de types de personnalité
plus ou moins sensibles à certaines situations stressantes. Dans ce cadre
théorique, et c’est à la fois l’intérêt et la limite de cette première concep-
tion, l’interaction « personne-environnement » se trouve bien au centre
des modèles mais demeure statique dans la mesure où aucun des deux
termes de l’interaction n’est décrit comme modifiant l’autre.
Dans le cadre des premières théories interactionnistes du stress, les
variables individuelles et situationnelles et leurs relations participent à
100 N. Rascle et S. Irachabal
Variable
indépendante Variable
médiateur
Variable
dépendante
Fig. 1c. — Effet médiateur
Mediator effect
1. Les termes d’interaction et de transaction ne font pas référence dans ce cas aux échanges
dans un groupe ou aux relations interhumaines mais à un type de relation statistique envisagée
entre deux variables de nature différente Plutôt que d’interactionnisme, en l’occurrence, il
conviendrait de parler selon nous d’interdépendance lorsque les modèles explicatifs du stress posent
seulement l’existence d’une relation statique (en termes d’écart) entre la personne et l’envi-
ronnement sans décrire les modifications qu’implique une telle relation.
l’explication des difficultés d’ajustement (Bruchon-Schweitzer, 1994).
C’est généralement la conjonction entre certaines caractéristiques de
l’environnement et de la personne qui constitue un « facteur de risque »
(cf. Fig. 1d). En fait, ce qui est étudié, c’est la capacité de résistance (ou a
contrario la vulnérabilité) individuelle à l’égard d’un stresseur. Ainsi, cer-
taines dimensions de la personnalité moduleraient la relation entre les
stresseurs et l’ajustement ultérieur. En effet, si l’on reprend la définition
évoquée précédemment (Baron & Kenny, 1986), on peut supposer que,
dans le cadre d’une hypothèse modératrice, le stresseur n’a d’effet sur des
difficultés d’ajustement qu’en présence de certaines caractéristiques de
personnalité. On peut dans ce sens tout à fait supposer que les effets indé-
pendants du stresseur ou de la personnalité sur les problèmes de santé ou
d’ajustement soient différents de leurs effets combinés. De plus, il est tout
à fait envisageable d’avoir des effets d’interaction significatifs entre les
variables prédictives (contexte × personnalité) sans que les effets indépen-
dants ne soient vérifiés statistiquement.
Dans le cadre d’un modèle multifactoriel de la psychologie de la santé,
on peut distinguer deux types de modérateurs (cf. Taylor & Aspinwall,
1996) : les modérateurs internes, comme les traits de personnalité, et les
modérateurs externes, comme le temps, le sexe, le statut socio-écono-
mique, le soutien social.
Examinons par exemple le rôle modérateur de certains facteurs de
personnalité.
L’affectivité négative (facteur de vulnérabilité émotionnelle)
L’affectivité négative a été définie comme une dimension disposition-
nelle de l’humeur par Watson et Clark (1984). Elle est constituée d’un
certain nombre d’états émotionnels négatifs, tels que la colère, le mépris,
la culpabilité, la peur et la dépression.
Médiateurs et modérateurs 101
Stresseurs
Personnalité
Problèmes
dajustement
Fig. 1d. — Modèle interactionniste du stress
Interactional model of stress
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