Les racines judaïques de l`antisémitisme

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ANDRÉ GAILLARD
LES RACINES JUDAÏQUES
DE
L’ANTISÉMITISME
1
Je tiens ici à rendre un hommage particulier aux auteurs juifs qui ont pressenti que la
cause permanente de ce que l'on nomme depuis longtemps la "question juive" se trouvait à
l'intérieur même de leur propre culture.
2
SOMMAIRE
AVERTISSEMENT…………………………………………………………………………………………
6
PRÉFACE…………………………………………………………………………………………………...
7
PROPOS PRÉLIMINAIRES
La race, les races et la pensée raciale… ou Qu’est-ce qu’une "race" ?…………… 12
. la race : une notion de différence irréversible ; la race : substratum de tout racisme
. races "naturelles" et races "culturelles" ; races très différenciées et races peu
différenciées
. la race : une donnée empirique, relative et évolutive
. la race : une donnée incontournable mais qui n’est pas anodine
Le racisme ……………………………………………………………………………….. 18
. ses différentes formes (naturelle, culturelle, réactionnelle) et leur devenir
. les victimes du racisme et les deux formes de violences
L’identité juive ……………………………………………….…………………………
23
. les deux dimensions de l’homme juif : une dimension religieuse, accessoire et
facultative ; une dimension raciale, nécessaire (sauf exception) et suffisante
. les Juifs : un peuple-race ; le judaïsme : une culture à composante raciale
Antijudaïsme et Antisémitisme…………………………………………………………….…….. 27
Les différents antisémitismes : réactionnels et idéologiques, latents et caractérisés….. 29
et leurs deux sortes de causes : une cause structurelle, des causes conjoncturelles…… 30
1ère Partie
LES FONDEMENTS BIBLIQUES DE LA PENSÉE RACIALE
ET DU RACISME CULTUREL
LA DIVISION DE L’HUMANITÉ EN JUIFS ET NON-JUIFS
ET L’INVENTION DE LA RACE JUIVE
CHAPITRE I – LES ORIGINES BIBLIQUES DE LA PENSÉE RACIALE ET DU RACISME
32
CULTUREL ………………………………………………………………………………………………..
Le mythe de la Création des hommes et les prémisses de la pensée raciale
Le mythe de l'Alliance et de l’Élection divines
La loi rabbinique de transmission héréditaire de la judéité
Les textes sacrés explicitant l’altérité/inégalité radicale Juifs/non-Juifs
Les mystiques bibliques du pur et de l’impur, de la race et du sang ; l’impureté de nature
des Gentils et les premières lois de pureté raciale
La mystique de la violence inhérente au judaïsme
En résumé - La division de l’humanité en Juifs et non-Juifs ; l’essentialisation de l’homme
juif et l’invention de la race juive.
50
L’hygiène raciale, l’eugénisme et le surhomme juif
L’anthropologie raciale dans le monde scientifique
L’anthropologie raciale dans le monde des lettres
l’altérité Juifs/non-Juifs
la conscience de race dans la judaïcité
les mystiques conjointes de la race et du sang, du pur et de l’impur
la prohibition des mariages mixtes
l’essentialisation-racialisation de l’homme juif
En résumé - La composante raciale de la judéité : élément essentiel de l’identité juive et
substratum des racismes juif et antijuif
CHAPITRE II – LA RACIALISATION DES JUIFS DANS LE MONDE JUIF CONTEMPORAIN..
3
2ème Partie
LES ANTISÉMITISMES ET LEUR CAUSE COMMUNE
STRUCTURELLEMENT LIÉE AU JUDAÏSME :
LA COMPOSANTE RACIALE DE L’IDENTITÉ JUIVE
INTRODUCTION
à cette seconde partie…………………………………………………..
72
73
Les défenseurs des Juifs persécutés, témoins par excellence et de l’identité raciale des Juifs
que la culture judaïque a instituée et répand autour d’elle et de la banalité du
phénomène antisémite :
. Abbé Grégoire, E. Zola, A. Leroy-Beaulieu, J. Jaurès, R. Rolland, P. Claudel, A. Gide, C.
Péguy, G. Bernanos …
. Jacques Maritain
. Jean-Paul Sartre
CHAPITRE III – LES ANTISÉMITISMES LATENTS……………………………………………….
CHAPITRE IV – LES ANTISÉMITISMES CARACTÉRISÉS DE DIVERSES SOCIÉTÉS………
81
L’antisémitisme réactionnel :
. de la société perse d’avant l’ère chrétienne
. de la société gréco-romaine antique
. des sociétés musulmanes depuis le milieu du XXe siècle
L’antisémitisme idéologique et réactionnel :
. de la société chrétienne espagnole des XVe/XVIe siècles
. du monde national-socialiste
CHAPITRE V – L’ANTISÉMITISME DANS LE MONDE JUIF ………………………………….
104
Le racisme envers sa propre personne : "la haine de soi juive"
L’antisémitisme chez les Juifs : une donnée spécifique
Conclusion : Les Juifs victimes premières du judaïsme-culture, victimes secondes des
hommes
3ème Partie
LES INSTITUTIONS RACISANTES SPÉCIFIQUES DU JUDAÏSME :
FACTEURS MAJEURS D’ANTISÉMITISME RÉACTIONNEL
INTRODUCTION
à cette troisième partie……………………………………………….
CHAPITRE VI – LE GHETTO CULTUREL VOLONTAIRE INHÉRENT À LA SOCIÉTÉ JUIVE
110
112
Le fondement du ghetto : la Séparation-ségrégation institutionnelle Juifs/non-Juifs
La ghettoïsation dans le milieu scolaire
Les violences d’ordre psychologique de la société ghettoïsée
La domination par le langage
La ghettoïsation spontanée : facteur structurel d’antisémitisme réactionnel
CHAPITRE VII – L’APARTHEID INSTITUTIONNEL EN ISRAËL ET LES TERRITOIRES
COLONISÉS ……………………………………………………………………………………………
126
Introduction
Israël : un État structurellement ségrégationniste et violent
L’arsenal juridique au service de la colonisation
Les violences d’ordre sémantique, une machine à exclure toute culture arabe :
. l’hébraïsation de la terre de Palestine
. les métaphores zoomorphiques : témoins privilégiés du racisme
. le langage au service de la colonisation
4
. les violences verbales de l’internationale sioniste
Israël : une société à majorité raciste
La dramatique situation morale des non-Juifs israéliens ; le verrou sur la démocratie
Le rôle du monde chrétien dans le développement de l’idéologie sioniste
Le sionisme : idéologie maligne ; l’apartheid : facteur conjoncturel principal de
l’antisémitisme réactionnel moderne
4ème Partie
JUDAÏSME… ANTISÉMITISMES :
UN DESTIN COMMUN
CHAPITRE VIII – LA QUESTION JUIVE ET L’ANTI-ANTISÉMITISME ……………………
La question juive au début du XXe siècle
151
La question juive aujourd’hui
La "lutte contre l’antisémitisme" et son inexorable échec
Judaïsme et antisémitismes : un destin commun
EN GUISE DE RÉSUMÉ, DE COMPLÉMENT ET DE CONCLUSION :
courtes séquences…
BIBLIOGRAPHIE…………………………………………………………………………
5
162
177
Avertissement
Dans cet essai, des Juifs, non pas en tant que personnes déterminées mais comme
représentants de la culture juive, vont être mis en cause. Toute critique d’un système
idéologique repose, certes, sur des idées, mais aussi sur des faits impliquant des personnes.
C’est la loi du genre, difficile et délicate par nature. Elle l’est d’autant plus ici que nous
savons à quelles violences ont pu conduire dans le passé les accusations portées à l’encontre
des Juifs lorsque se déchaînaient propagande et persécutions. Mais, à l’heure actuelle, face au
repli marqué d’une partie notable du monde juif sur lui même en un communautarisme
exacerbé qui l’empêche d’analyser sereinement ses difficultés passées et présentes, il apparaît
que le danger potentiel est considérablement moindre que celui qu’encourage l’absence de
critique.
Une autre difficulté, elle aussi inhérente au contexte moderne, est relative à l’information.
Si le christianisme notamment donne lieu de nos jours à de multiples critiques, voire à de
véritables pamphlets, sans que les chrétiens s’en offusquent vraiment et vouent les auteurs à la
vindicte, on constate que nombre de représentants du judaïsme mettent volontiers en œuvre
des tactiques d'intimidation à l’égard des opposants, qu’ils soient Juifs ou non-Juifs. Il
s’ensuit que mes propos, soulignés par des gardiens vigilants, me feront peut-être accuser
d'antijudaïsme, voire de racisme antijuif1, au prétexte que je dénonce des éléments propres au
judaïsme… Face à ces contempteurs volontiers adeptes de quelque théorie du soupçon, deux
questions se posent : Le judaïsme serait-il la seule entreprise humaine à ne pas véhiculer de
tels éléments ? Les Juifs seraient-ils incapables de percevoir que la Bible et le Talmud, à
l’instar de l’Évangile et du Coran transportent, sous le sceau du sacré qui entrave la raison,
des données potentiellement pernicieuses ? C’est dire que je récuse à l’avance toute
déformation de mes propos résultant d’une lecture partielle ou partisane : si cette étude représente un sévère réquisitoire, est-il utile de préciser que celui-ci s'applique exclusivement aux
éléments pervers de la culture judaïque2 et non à des hommes dont le rôle d'acteurs est intimement conjugué ici à celui de victimes !
.
1. Ces accusations d'antijudaïsme et d'antisémitisme lancées à tout va par des officines ne reculant devant aucun
moyen ne sont pas sans rappeler l"'anti-philosophie" (ce courant du XVIIIe siècle dressé contre les Lumières, où
s'illustrèrent particulièrement les Jésuites pour calomnier grossièrement des philosophes libres ne respectant pas
les règles établies par l'Église) ou bien 1"'anti-communisme", idéologie d'intouchabilité développée, à l'époque
précédant l'extinction du communisme soviétique, par les cadres du mouvement allergiques à toute critique.
2
. Si le judaïsme porte des tares natives spécifiques comme celles que nous allons expliciter, personne n’est plus
convaincu que l’auteur de ses lignes que la pensée occidentale ne serait pas ce qu’elle est sans l’apport éminent
du monde juif. Faut-il rappeler notamment son apport dans le domaine des sciences puisque nombre de lauréats
juifs du Prix Nobel, même s’ils furent largement tributaires des cultures de voisinage, ont bénéficié pour une part
notable d’une tradition d’étude et de débat particulièrement active ?
6
PRÉFACE
L’antisémitisme ! Alors que ce sujet suscite chaque année depuis la fin du XIXe siècle, et
particulièrement depuis le nazisme, une multitude d’ouvrages, d’études et d’articles, peut-on
encore, par quelque analyse théorique nouvelle, avoir l’espoir de comprendre ce phénomène,
source de multiples conflits à la fois endémiques et paroxystiques ? À cette question la
réponse reste toujours positive. Il apparaît en effet clairement, à l’examen de la littérature, que
cette hostilité envers les Juifs en tant que peuple en "chair et en os", « hostilité que rien
n'apaise, qui existe depuis qu'existent des Juifs, qui sévit chez tous les peuples en contact avec
les Juifs »3, cet « antisémitisme éternel »4, suivant une pensée largement répandue dans la
littérature juive orthodoxe, reste toujours, aux yeux de multiples auteurs, largement
mystérieux dans son déterminisme intime.
Des persécutions d’Assuérus et d’Aman rapportées dans le Livre d’Esther à ses multiples
manifestations en ce XXIe siècle, en passant notamment par les persécutions des Romains, des
chrétiens et des musulmans, les pogroms de Russie et de Pologne et le génocide nazi, quel est
donc ce phénomène ? À côté de ses causes essentiellement conjoncturelles décrites par les
historiens et les sociologues, n’y a-t-il pas une métaphysique5, un code ADN, un fond
commun aux formes diverses de ce racisme spécifique ? N’y a-t-il pas en somme des racines
judaïques aux antisémitismes ?
Face à cette situation exceptionnelle il est clair tout d’abord que la compréhension du
phénomène antisémite aux conditions de survenue si différentes et sur lequel les documents
sont particulièrement abondants et de sources multiples, ne saurait résulter d’études purement
historiques. Les travaux considérables consacrés au génocide juif ne semblent guère avoir
entraîné eux-mêmes de progrès notable. C’est que, comme l’écrit avec justesse l’historien
Maurice Goguel : « L’histoire a pour seule fonction de constater les faits et de chercher à
découvrir les liaisons qu’il y a entre eux. Elle n’a pas compétence pour en donner une
explication dernière »6.
Il convient de constater par ailleurs, à propos de la question juive qui a fait couler tant
d’encre, que le plus grand nombre des auteurs depuis la fin du XIXe siècle se répartissent
schématiquement en deux groupes distincts, les uns dirigeant leur discours sur les faits et
gestes jugés fautifs des non-Juifs, les autres sur ceux des Juifs. Il en résulte que les ouvrages
publiés constituent souvent des compilations de données et d’arguments historiques, religieux,
sociaux, économiques… qui déçoivent volontiers les lecteurs les plus intéressés. Certes, les
travaux des historiens, destinés à établir un inventaire aussi exhaustif que possible des actes
antisémites et à les restituer dans leur complexité, sont absolument nécessaires ; certes, les
théories des divers philosophes et sociologues cherchant à réunir sous une même rubrique des
faits disparates quant à leur cause, telle celle, particulièrement répandue, du bouc émissaire
dans les périodes de crise7, apportent un éclairage non négligeable, mais les conclusions de
ces auteurs, quelle que soit leur pertinence, sont manifestement insuffisantes. En ne
s’appliquant qu’à des configurations contingentes de l’antisémitisme, fonction des temps, des
lieux et des hommes (tels le contentieux religieux judaïsme/christianisme, l’existence de
3
. Edmond Fleg, dans son ouvrage Pourquoi je suis juif.
. expression de Hannah Arendt dans Ecrits juifs, p. 26. Notons que cette hostilité immémoriale envers les Juifs a
bien entendu été exploitée par les nazis pour justifier les persécutions qu’ils allaient entreprendre.
5
. Métaphysique est le nom donné à l’œuvre d’Aristote faisant suite à la physique. Par extension, c’est la
connaissance des causes, divines, premières ou finales constituant l’essence des phénomènes (Encyclopédie
Wikipedia).
6
. Jésus, Paris 1950, p. 147.
7
. Cette idée, selon laquelle "un groupe qui souffre éprouve le besoin d’imputer son mal à quelqu’un", fut
particulièrement développée ou reprise par plusieurs auteurs tels que Durkheim, Freud, Braudel, Sartre, Girard,
Chevalier (ce dernier dans sa thèse : Le Juif comme bouc émissaire).
4
7
l’État juif de Palestine, la peur des Juifs, la jalousie…), elles ne permettent pas d’appréhender
la racine profonde de ce phénomène pour le rendre intelligible.
Remarquons aussi que les historiens de l’antisémitisme, Juifs pour la plupart, ne sont pas
entièrement libres comme l’a bien vu Poliakov dans son Histoire de l’antisémitisme. Après
avoir passé une partie notable de sa vie à l’étude du sujet il peut écrire : « Le code de
déontologie que l'historien est tenu d'observer en s'obligeant à affecter une relation neutre et
équitable envers toutes les parties concernées ne peut rien changer au fait qu'il est dans ce
domaine juge et partie. En continuant sur cette voie, on ne peut pas ne pas se demander si les
Juifs et leur nature n'ont pas quelque peu contribué au développement d'un climat antisémite
et à quelques-unes de ses manifestations. À partir de là, il n'est pas exclu que l'historien se
métamorphose en accusateur ou, au moins, en critique de son peuple ». Et il poursuit par
ailleurs que : « Dénoncer les antisémites, est une attitude non scientifique »8.
Il est manifeste qu’ici « les arbres ont caché la forêt »... Or, dans une telle entreprise il
convient avant tout d’apporter une réponse à la grande question qui vaille : Quelle est la
composante identitaire commune que le judaïsme-culture9 imprime aux Juifs et les
différencient fondamentalement des non-Juifs ? Et, dans la circonstance, une seule attitude
semble valable : comme les historiens l’ont fait tout naturellement à l’époque moderne pour le
communisme et le nazisme sans s’indigner des erreurs ou des fautes morales des individus10,
il s’agit d’analyser ce qui, dans la culture juive, constitue des éléments structurels
potentiellement pervers et de rechercher l’origine, le cheminement et l’association des idées
qui conduisent des hommes, beaucoup d’hommes de toutes les époques et de toutes les
cultures, à être hostiles à l’ensemble des Juifs. Par delà les responsabilités individuelles qu’il
convient donc résolument d’écarter, nous verrons ainsi que la clef du phénomène aux
multiples facettes qu’est l’antisémitisme ne peut se situer que dans une vision métahistorique
indépendante du temps et de l’espace et que cette clef, comme l’ont évoqué divers auteurs, est
représentée par la structure même de l’identité juive forgée par le judaïsme pour les siens et
transmise aux non-Juifs.
Parmi les nombreux auteurs juifs convaincus que « l’antisémitisme est aussi ancien que le
judaïsme »11 et que le malheur juif devait être imputé d’abord au système de pensée dont ils
sont tributaires, c’est sans doute Bernard Lazare12 qui, à la fin du XIXe siècle, « se voulant
révolutionnaire au sein de son propre peuple »13, a fait les premiers pas dans cette direction.
Aux banales questions qu’il se pose : « Quelles vertus ou quels vices valurent au Juif cette
universelle inimitié ?» , « Pourquoi fût-il tour à tour, et également, maltraité et haï par les
Alexandrins et par les Romains, par les Persans et par les Arabes, par les Turcs et par les
nations chrétiennes …, il apporte en effet la réponse suivante : « L'attachement d'Israël à sa
loi fut une des causes premières de sa réprobation […] Si cette hostilité, cette répugnance
8
. Histoire de l’antisémitisme, préface au tome II, L’Âge de la science, Paris, Le Seuil 1991.
. Remarquons que plusieurs sens peuvent bien entendu être attribués au mot judaïsme. Ici, en fonction du
contexte, il peut désigner schématiquement le système de pensée, la culture, les autorités et institutions juives,
les traditions et pratiques spécifiques… mais non des personnes.
10
. L’opinion de l’historien allemand Reinhart Koselleck à propos de l’anéantissement des Juifs européens et des
Roms par les nazis (opinion rapportée par M. Olender, dans son ouvrage Race sans histoire, (p. 277 et 279) me
semble tout à fait juste. Il écrit : « le jugement moral a beau être juste et nécessaire, il est impuissant : il ne
contribue pas à la connaissance du passé mais conduit à une situation aporétique ».
11
. Théodore Reinach dans la Grande Encyclopédie.
12
. L’antisémitisme, son histoire et ses causes, p. 11. Remarquons que dès la première moitié du XIXe siècle
des intellectuels juifs allemands dans le sillage des Lumières juives (la Haskala) préoccupés de l’hostilité
rencontrée dans tant de pays par les Juifs travaillèrent pour une réforme des croyances, du culte, du mode
de vie, de la structure sociale, de l'éducation et de la culture juives… mais leur perspective qui était de
fonder une nouvelle identité juive n’avait guère donné de résultat : l’antisémitisme était toujours là.
13
. Expression de Ron H. Feldman, introduction à Ecrits juifs, p. 75.
9
8
même, ne s’étaient exercées vis-à-vis des Juifs qu’en un temps et en un pays, il serait facile de
démêler les causes restreintes de ces colères ; mais cette race a été, au contraire, en butte à
la haine de tous les peuples au milieu desquels elle s’est établie. Il faut donc, puisque les
ennemis des Juifs appartenaient aux races les plus diverses, qu’ils vivaient dans des contrées
fort éloignées les unes des autres, qu’ils étaient régis par des lois différentes, gouvernés par
des principes opposés, qu’ils n’avaient ni les mêmes mœurs, ni les mêmes coutumes, qu’ils
étaient animés d’esprits dissemblables ne leur permettant pas de juger également de toutes
choses, il faut donc que les causes de l’antisémitisme aient toujours résidé en Israël même et
non chez ceux qui le combattirent ».
Pour Maxime Rodinson prolongeant, dans son ouvrage Peuple juif ou problème juif, la
réflexion de Bernard Lazare, c’est à « une culture néfaste, perverse » 14 que revient la
responsabilité première dans le sort réservé aux Juifs. D’autres auteurs, tel E. M. Smalwood15,
mettent avant tout en cause « l’exclusivisme des Juifs qui les a rendus impopulaires ». Pour
l’historien de l’Antiquité Marcel Simon étudiant les réactions des milieux hellénistiques et
romains face aux Juifs, « les facteurs dont naît l’antisémitisme et qui sont aussi vieux que le
judaïsme lui-même tiennent à l’auto-ségrégation qui lui est inhérente et qui est la condition
même de sa survie »16.
Néanmoins ces discours sur la cause invariante des antisémitismes, en mettant en cause
tantôt la Loi en tant que fondement de la culture juive, tantôt la responsabilité des Juifs en tant
que personnes, restent encore très ambivalents…
En définitive, c’est Avraham B. Yehoshua qui, dans son Essai de définition et
d’explication structurelle de l’antisémitisme a franchi récemment le pas le plus notable en
mettant précisément en cause l’identité juive. S’étant fixé « pour but de dégager le
soubassement profond de l'antisémitisme en identifiant un critère non pas substantif, mais
structurel », il écrit : « Si j'essayais d'exprimer le plus simplement possible mon
raisonnement, voilà ce que je dirais : le fait que les Juifs possèdent un système identitaire
virtuel confère à leur identité un caractère souple et fluide, incertain et insaisissable, qui met
en branle, pour le meilleur et pour le pire, un mécanisme parallèle chez le Gentil »17. Certes
l’auteur, en considérant que l’identité juive n’est que virtuelle et indéterminée, se trompe –
cette identité loin d’être ambiguë est particulièrement concrète et différenciée pour qui jette
un regard libre sur la culture judaïque – mais la direction initiale qu’il a empruntée n’en est
pas moins parfaitement juste : « se pencher sur l’élément distinctif qui différencie les Juifs des
autres nations » et « aller aux racines de l’identité juive »18.
Quelle est donc précisément cette identité forgée par la culture juive depuis deux mille
ans et porteuse d’un singulier potentiel de racisme antijuif ?
Ici, comme souvent dans un phénomène réputé longtemps mystérieux, il n’y a pas à
élaborer des choses complexes mais à reconnaître des choses simples, simples dans le sens où,
banales et communes, elles sont objet de l’accoutumance des individus et, de ce fait, négligées
pendant longtemps. De même que la racialisation d’un groupe humain – que cette
racialisation soit inspirée par la nature ou par la culture – constitue la base de tout phénomène
raciste, nous verrons que c’est la pensée raciale inhérente au judaïsme qui, en structurant
14
. Jean Daniel, La prison juive, p. 90.
. Cité par Guillaume Erner, Expliquer l’antisémitisme, p. 29.
16
. Verus Israël. Etude sur les relations entre chrétiens et juifs dans l’Empire romain (135-425), p. 493.
17
. Israël, un examen moral, p. 48 et 29.
18
. Ibid., p. 37. Dans cette recherche sur les antisémitismes, indépendamment des auteurs isolés tels que ceux
cités ici, signalons qu’un nombre notable d’organismes internationaux, européens, nationaux se sont consacrés à
cette même tâche depuis le nazisme. Mais ils n’ont guère dépassé, semble-t-il, la conception juive traditionnelle
selon laquelle la haine des Juifs est enracinée chez les goyim. Jusqu’ici leur recherche est restée manifestement
stérile.
15
9
l’identité juive et en la différenciant de façon exceptionnelle est au fondement du phénomène
si particulier que représente l’antisémitisme. Car cette conception raciale de la judéité19 avec
le culte de l’altérité qui l’accompagne obligatoirement, ne concerne pas seulement les Juifs.
En se répandant obligatoirement hors de la sphère du judaïsme, elle va aussi influencer les
non-Juifs et jouer un rôle primordial dans les rapports de ceux-ci avec les Juifs. Juifs et nonJuifs vont être ainsi soumis à un piège permanent, inédit et spécifique, les conditionnant, à
être, à leur manière propre, tantôt racisés tantôt racisants, tantôt agressés tantôt agressants,
tantôt dominés tantôt dominants et voués par là-même à un monologue réciproque, gage d’un
conflit qui ne peut se résoudre. Car, contrairement à une opinion répandue mais gravement
amputée d’une partie de la réalité, l’antisémitisme, pour être un problème d’importance, ne
résume pas le phénomène de l’interaction pathologique entre le peuple juif et les autres. Il a
son corollaire et ne saurait être étudié isolément.
Comprendre ce phénomène intemporel qu’est l’antisémitisme20, cette « hostilité envers les
personnes de race juive » suivant la définition donnée à la fois pas les Juifs et les non-Juifs il
y a plus d’un siècle, c’est en définitive reconnaître, d’une part que le problème juif n’est pas
fondamentalement un problème d’ordre religieux comme l’ont déjà fait remarquer divers
auteurs21 au siècle dernier mais qu’il est essentiellement d’ordre racial, d’autre part que les
réponses aux interrogations formulées précédemment résident bien dans une donnée même du
judaïsme-culture.
19
. La judéité se définit comme l’identité juive, c’est-à-dire la manière dont les Juifs vivent leur appartenance à la
communauté juive. Quant à la judaïcité elle va se définir comme l’ensemble des Juifs, la population ou la
communauté juive, l’entité juive.
20
. À noter que « comprendre », c’est toujours « essayer de comprendre »… S’il est relativement facile, comme
veut en témoigner cet essai, de comprendre pourquoi le racisme est perpétuellement présent dans la sphère du
judaïsme, il faut bien voir par contre que les manifestations extrêmes d’antisémitisme générées par le nazisme,
dans leur horreur inédite, sont largement incompréhensibles.
21
. Citons notamment : André Gide, Georges Bernanos, Charles Péguy, Jacques Maritain, Jean-Paul Sartre…
10
Il n’y a pas de racisme sans race,
d’antisémitisme sans race juive…
Mais qu’est-ce qu’une race ?
PROPOS PRÉLIMINAIRES
11
LA RACE, LES RACES ET LA PENSÉE RACIALE
OU
QU’EST-CE QU’UNE RACE ?
Remarquons tout d’abord que le terme de race emprunté au latin ratio est apparu au XVe
siècle. Il désigne alors une famille, une souche, une lignée, une espèce... On trouve donc ce
mot race dans la littérature écrite depuis cette période, mais aussi dans les traductions et les
travaux divers relatifs au Moyen-Âge et à l’Antiquité grecque, romaine et juive.
Le Dictionnaire français-latin de Robert Estienne (1539) fournit comme équivalent
domus, familia, genus, sanguis.
La première édition du Dictionnaire de l'Académie française en 1694 le définit ainsi :
1- Lignée, lignage, extraction, tous ceux qui viennent d'une même famille (Ex. : il est d'une
race illustre, ancienne ; il est d'une race de gens de bien ; il est de la race royale ; les trois
races des Rois de France ; c'est un homme qu'on soupçonne d'être de race juive) ;
2- On dit par injure et par mépris race maudite ; méchante race ; les usuriers sont une race
maudite ;
3- Race se dit aussi des animaux domestiques, comme chiens, chevaux, bêtes á cornes : ce
chien, ce cheval est de bonne race.
Quant au Littré, en 1866, il évoque notamment la race germanique, la race caucasienne, la
race juive…
Si on reprend le dictionnaire de l’Académie quelques siècles plus tard, par exemple dans
sa huitième édition de 1932-1935, la définition qui s’est affinée est celle-ci : Se dit d'un
groupe d'individus qui se distinguent d'autres groupes par un ensemble de caractères
biologiques et psychologiques dont on attribue la constance non pas à l'action du milieu,
mais à l’hérédité (Ex. : la race caucasienne ; la race mongole ; la race juive ; une race pure
; une race métissée).
On voit d’emblée que le concept de race, qu’il convient impérativement d’explorer au
mieux puisqu’il est à la base de cette réalité concrète qu’est le racisme avec son potentiel
pervers, transporte une notion essentielle : la perception d’une différence entre les groupes
d’hommes. Cette différence qui les sépare est schématiquement de deux ordres :
. soit d’ordre naturel lorsqu’elle relève de la filiation,
. soit d’ordre culturel lorsqu’elle est le fruit d’un certain processus de différenciation d’ordre
comportemental.
Les races dans ce qu’elles comportent de "naturel"
Dans son sens traditionnel et élémentaire, que l’on peut dire encore somatique ou
biologique22, le concept de race s’applique à un ensemble d’individus présentant en commun
un élément physique concernant l’aspect extérieur du corps : couleur de la peau, forme du
crâne et du visage, taille, système pileux… On parle de race blanche, de race noire, de race
jaune… À cet élément qui permet d’emblée de distinguer ces groupes – comme l’écrit
Voltaire en 1756 dans son Essai sur les mœurs : « Il n'est permis qu'à un aveugle de douter
que les Blancs, les Nègres, les Albinos, les Hottentots, les Lapons, les Chinois, soient des
races entièrement différentes » – vient automatiquement s’associer dans l’esprit des humains
depuis leur sortie de l’animalité, l’élément héréditaire, c’est-à-dire une référence à des
22
. Le terme de biologie a été créé en 1802 par Lamarck.
12
ancêtres communs où vont entrer les notions de naissance, d’engendrement, de reproduction,
de sang, de lignée ou, à l’époque moderne, d’hérédité ou de patrimoine génétique23.
Les races dans ce qu’elles comportent de "culturel"
Ces races, que l’on a pu aussi qualifier d’artificielles, de métaphysiques, de mentales24…,
sont le fruit d’un processus idéologique et volontariste de différenciation de la part d’un
groupe, processus qui vient s’ajouter à l’assise biologique. À propos des Juifs à qui est
appliquée avant tout cette expression, Bernanos25 parlait d’ « espèce sociale », Jacques
Maritain26 de « race éthico-historique » au sens où le mot "race" évoque particulièrement les
structures mentales et morales du groupe en question. Toujours inspiré et orienté par les
mythes et imaginaires ancestraux, ce processus de création-élaboration porte essentiellement
sur le comportement régissant les groupes humains et électivement sur celui qui touche au
plus intime : les relations sexuelles. C’est ainsi que l’interdit de ces relations
intercommunautaires va désigner, au plus fruste des hommes, l’existence d’une catégorie
d’hommes différente, différente de la sienne, d’une race au sens à la fois le plus simple et le
plus achevé du terme.
Remarquons ici que, s’il convient de faire cette distinction entre les deux types de races
dans une perspective d’analyse et de compréhension du problème étudié, il est évident qu’il
n’existe chez les humains, où nature et culture sont indissociables, que des races mixtes.
Notons aussi que le terme de race est parfois appliqué à une catégorie de personnes qui ont
simplement en commun des traits relatifs à la nationalité, à l’âge, à la classe sociale, à la
religion, à l’histoire, à la langue, à la profession, aux traditions, à l’intérêt… hors de tout
contexte biologique ou culturel. C’est ainsi, par exemple, que l’on a pu parler de la race
française ou germanique, de la race des jeunes ou des vieux, de la race des patrons, de la race
des surdoués, de la race des voleurs, de la race des usuriers, voire de la race chrétienne,
latine ou islamique… en considérant que toutes les personnes de chacune de ces catégories
possédaient – comme lors d’un processus héréditaire – quelque caractère commun facilement
repérable et reconnaissable. On voit d’emblée que le terme de race – est ici employé au sens
figuré et qu’il en est de même du terme racisme s’il est employé pour qualifier une hostilité
quelconque à l’égard des groupes désignés.
La race dans son sens propre : une donnée empirique, relative et évolutive
Donnée capitale : le concept de race qui n’est qu’une donnée empirique et ne désigne pas
une entité immuable ne peut pas être défini de façon précise. D’une part il est relatif : il y a
des degrés dans les différences d’ordre naturel ou culturel ; d’autre part il est évolutif comme
l’ont été au cours de l’histoire nombre de concepts tels, par exemple, ceux de "peuple", de
"nation", de "pays"… Aux extrêmes, il y a en effet des races qui restent pratiquement stables
car elles élèvent autour d’elles des obstacles infranchissables au métissage sous forme
d’interdits communautaires (on parle de "races très différenciées"), et puis des races qui, au
23
. Le terme hérédité n’est apparu en effet qu’au début du XIXe siècle tandis que l’adjective héréditaire l’avait
précédé de quelque deux siècles. Quant au terme de génétique il fut créé en 1846.
24
. C’était l’opinion tout à fait pertinente de Hitler à propos des Juifs : « Nous parlons de race juive par
commodité de langage, car il n’y a pas à proprement parler, du point de vue de la génétique, de race juive […]
La race juive est avant tout une race mentale » (citation rapportée par P.-A. Taguieff, La Force du préjugé, p.
168).
On peut noter dès maintenant que la race aryenne, fruit de la création volontariste des biologistes allemands du
XIXe siècle, dont se réclamait Hitler, représentait essentiellement une race culturelle. La race juive, quant à elle,
tient largement, et de la race naturelle fondée sur la stricte hérédité et de la race culturelle.
25
. Essais et écrits de combat II, Gallimard, p. 221.
26
. « Les Juifs sont une race au sens où le mot “race” se caractérise avant tout par une communauté de
structures mentales et morales, d’expérience ancestrale, de souvenirs et de désirs, où la charge héréditaire, la
qualité du sang, le type somatique jouent un rôle plus ou moins important ». (L’Impossible antisémitisme, p. 72).
13
contraire, sont tout à fait accessibles aux étrangers en pratiquant l’accouplement
intercommunautaire et qui, avec le temps, s’évanouissent progressivement dans les esprits (on
parle alors de "races peu différenciées").
À propos des premières qui n’évoluent pas et dont la règle d’or est : « Ne pas s’assimiler,
ne pas assimiler », on peut dire qu’elles vont être particulièrement conditionnées au racisme
en même temps que cible de racisme. D’elles, Bernanos écrivait en 1942 « ce qui leur importe
est de se garder intactes, incorruptibles, et le sentiment qui les exalte ne peut être que celui
d’une supériorité absolue, d’une sorte d’élection mystique, indiscutable, incontrôlable,
puisqu’elle leur a été conférée par le sang ; cette supériorité est celle du sang »27. On peut
ajouter que cette forme particulièrement différenciée de race, loin de se donner comme
mission essentielle d’apporter "quelque chose" à des individus comme le font nombre de
communautés notamment religieuses, n’a que celle de persévérer dans l’être : se garder pure,
engendrer le maximum d’enfants, vouer un culte à la mémoire du groupe, enseigner et faire
respecter ses propres lois, promouvoir la solidarité entre ses membres, car elle est à elle-même
sa propre fin.
Par delà les divers éléments accessoires rentrant dans la notion de race, on peut dire en
définitive que cette notion s’applique à une entité collective dont l’homogénéité repose :
. soit sur des caractères biologiques liés à l’ascendance (plus précisément le sang reçu) ;
. soit sur des données culturelles à savoir : d’une part, le sentiment d’une origine, d’une
histoire et d’une destinée communes entraînant généralement une solidarité particulière,
d’autre part, l’endogamie ;
. soit à la fois sur des caractères biologiques et sur des données culturelles.
Au nom de la société blanche il y aura la race des Blancs et celle des non-Blancs ; au nom
des lois du nazisme, la race des Aryens et celle des non-Aryens ; au nom des lois du judaïsme,
la race des Juifs et celle des non-Juifs.
La race : un concept et un mot incontournables mais non anodins
À noter que depuis le nazisme ce mot de race a tendance à être moins utilisé voire à être
banni dans certains secteurs de l’opinion. Il s’agit là d’une réaction qui, tout en reposant sur la
volonté a priori sympathique de prévenir les manifestations racistes, n’en est pas moins une
attitude irréaliste absolument dérisoire relevant de la pensée magique. Qui peut croire que la
suppression du mot puisse réduire le phénomène en question ? Si le racisme repose toujours
sur une notion de race, s’il n’y a pas de racisme sans race selon un aphorisme digne de
Monsieur de La Palice, s’il n’y a pas de racisme anti-Noirs sans race noire, d’antisémitisme
sans race juive, il est non moins clair, en effet, qu’espérer la disparition du phénomène
regrettable qu’est le racisme, en bannissant de la parole ou de l’écrit le terme de race, en
faisant comme si les races n’existaient pas, relève d’une grande naïveté ou d’une utopie
caractérisée. Comme s’il était abusif de parler d’alcool parce qu’il y de l’alcoolisme, de tabac
parce qu’il y a du tabagisme, de nationalité parce qu’il y a du nationalisme, de virus parce
qu’il y a des maladies… ! Plutôt que d’occulter les races, il sera toujours préférable de
regarder cette réalité humaine en face – « réalité difficile à définir mais impossible à
nier ; non un fait de la science, mais un fait de la vie »28 – réalité incontournable à laquelle
les hommes sont confrontés chaque jour. Dans son rapport de 1951, intitulé Le racisme devant
la science, l’UNESCO a tenu à préciser à ce sujet que « les anthropologues sont tous
d’accord pour considérer que la notion de race permet de classer les différents groupes
humains dans un cadre zoologique propre à faciliter l’étude des phénomènes d’évolution ».
Quant à l’historien des sciences André Pichot il peut écrire que : « Nier l’existence des races
27
28
. Essais et écrits de combat II, Gallimard, p. 221.
. Abel Bonnard dans Berlin, Hitler et moi – Inédits politiques, p. 111 et 121.
14
ou remplacer le terme de race pas un synonyme en espérant un quelconque résultat en
matière de racisme relève de la niaiserie ou de la mauvaise foi »29.
Voisin de ce terme de race est en effet souvent utilisé maintenant celui d’ethnie (du grec
ethnos) pour désigner aussi « un groupe humain dont les membres possèdent également un
héritage biologique et culturel commun ». Dans le langage courant on peut noter qu’il y a
souvent unicité de sens entre les deux termes. Ainsi en est-il notamment pour le Comité des
Nations Unies sur l’Élimination de la Discrimination Raciale qui utilise les
expressions groupe racial ou groupe ethnique de manière interchangeable. Ailleurs, ils sont
rapprochés ou intimement liés : origines ethno-raciales. En fait ce mot d’ethnie, mobilisé
particulièrement en guise de succédané de la race, de compromis entre la race et le peuple par
divers historiens depuis le nazisme car apparaissant plus respectable que celui de race30, ne
saurait remplacer ce dernier mot qui reste pourvu d’une valeur essentielle puisqu’à la base
même de la pensée raciale, du racisme en général et de l’antisémitisme en particulier. Si on
veut être fidèle à une donnée historique, on peut même ajouter que les deux mots sont en
opposition sur un point important. L’ethnos grec, dont est issue l’ethnie, est une communauté
ouverte sur l’extérieur et largement accueillante à l’exogamie. La race au contraire, dans sa
forme culturelle la plus différenciée où l’endogamie est institutionnelle, est fermée. Centrée
sur elle-même, elle est à elle-même son origine et sa fin.
Si la notion de race, substratum de la pensée raciale et du racisme, est incontournable il
faut bien considérer en même temps qu’elle n’est pas anodine : racialisant une population,
elle peut être assimilée à un virus polluant l’esprit des humains à la manière d’un virus
informatique pour le cerveau des ordinateurs. Hérité de la nature et transmis par la vie en
société (ne suffit-il pas de sortir dans la rue pour être contaminé par la vue de quelque
"différence"?) ou porté par quelque idéologie d’ordre religieux, philosophique ou politique, ce
virus dont sont porteurs tous les individus sans exception est responsable sur le terrain de
deux scénarios. Tantôt il reste latent : il y a des porteurs sains ; tantôt il est actif : il y a des
porteurs malades et éminemment contagieux. Et cet élément est potentiellement mortifère.
Remarquons qu’au cours des XIXe et XXe siècles divers biologistes européens, tel que Le
Bon avec ses études sur « le volume du cerveau et ses relations avec l’intelligence », ont eu
comme perspective de diviser l’humanité en groupes homogènes et de donner au terme de
race une assise scientifique. De leurs conclusions qui établissaient une hiérarchie entre les
races avec des races héréditairement supérieures destinées à dominer les races inférieures, à
les commander, voire à les éliminer pour le bien général de l’humanité, conclusions qui furent
admises et acceptées par nombre d’intellectuels, il résultait notamment que les croisements
entre races devaient être combattus et que les inégalités naturelles héréditaires justifiaient des
inégalités de droit. Après les conséquences désastreuses que ces données ont eues au XXe
siècle on a considéré généralement ensuite que les différences entre les individus n’étaient que
les variations multiples d’une même appartenance, les diversités d’une même espèce, l’Homo
Sapiens. En fait, l’humanité ne serait point homogène ! Aujourd’hui un scientifique peut en
effet écrire : « la paléogénétique qui depuis quelque dix ans clarifie à grande vitesse l’histoire
de l’humanité est en train de faire voler en éclats cette conception d’une humanité unique :
29
. La société pure – De Darwin à Hitler, p. 13.
. Tel Alfred Naquet dans Antisémitisme et histoire. Il parle de ses « origines ethniques » mais admet néanmoins
« qu’il y a la classe riche et la classe prolétarienne de la race juive » ! Quant à Schlomo Sand il considère que
« de très nombreux auteurs se sont servis et se servent encore de ce concept avec une excessive facilité, et
souvent avec une irréversibilité intellectuelle surprenante » (Comment le peuple juif fut inventé, p. 46).
30
15
l’espèce humaine s’est en effet séparée il y a 75 000 ans en différents groupes qui ont chacun
connu des variations génétiques d’où dépendent nos capacités intellectuelles »31.
Disons que la notion de race telle qu’il convient de l’entendre n’avait nul besoin de cet
apport scientifique pour assurer sa légitimité et nous faire comprendre la nécessité de
l’expliciter au mieux puisqu’elle représente le substratum de l’antisémitisme mais il est clair
que l’apport en question appelle une nouvelle réflexion et vigilance pour prévenir les dérives
du passé.
De la naissance de la pensée raciale dans l’histoire
Alors que le mot race a été créé au XVe siècle et que ceux d’antisémitisme, de racial, de
raciste et de racisme ne l’ont été que dans la seconde moitié du XIXe siècle ou au tout début
du XXe, on constate que ces différents mots sont très largement utilisés par les traducteurs, les
historiens et les écrivains dans leurs travaux écrits relatifs à l’histoire depuis l’Antiquité
gréco-romaine. N’est-ce pas là a priori un anachronisme philologique ?
Contrairement à l’opinion de quelques ethnologues32 selon lesquels « le préjugé racial est
vieux d’à peine trois siècles » la pratique habituelle de tous ces auteurs est bien légitime car la
réalité exprimée par le concept de race dans son sens élémentaire est bien perçue par les
populations les plus frustes depuis des temps immémoriaux avec la barrière de l’endogamie.
« Les préjugés raciaux sont aussi anciens que l’histoire connue » écrit le paléontologue
américain Stephen Gould, « la haine raciale est ancrée dans la nature humaine » écrit de son
côté l’historien Joel Kovel. Comme l’écrit aussi Christian Delacampagne33 : « Bien que le
mot de "race" n’ait pas d’équivalent exact en grec, toutes les conditions étaient réunies,
dans la pensée du IVe siècle avant notre ère, pour qu’apparaisse la notion
correspondante ». C’est ainsi que divers historiens situent précisément dans la période
hellénistique34 et en Égypte l’apparition des premières manifestations racistes en paroles ou
en actes envers les Juifs, c’est-à-dire du processus antisémite. C’est à cette époque en effet
que remontent, de façon qui n’est plus guère discutée, « les premiers écrits attribuant aux
Juifs des défauts enracinés dans leur nature », défauts d’ordre physique ou psychique où
l’accusation envers les Juifs est d’essence typiquement raciste suivant le vocabulaire
moderne.
En résumé, quelques données essentielles doivent être présentes à l’esprit à propos
de race :
1° La notion de race qui tire son sens du racisme n’est pas d’ordre scientifique mais
essentiellement d’ordre empirique. Avant d’être le fruit de quelque raisonnement conscient et
de s’exprimer verbalement, elle est la résultante d’une expérience élémentaire, expérience de
tout individu en présence d’une différence d’ordre physique ou comportemental entre son
groupe et les autres, les races humaines ne se distinguant pas seulement par leurs caractères
physiques comme les races animales, mais par leurs pratiques culturelles. Pour chaque
individu en somme, qu’il ait le mot à sa disposition ou en soit dépourvu comme cela fut le cas
avant le XVe siècle, il y a bien de façon permanente sa propre race et celle de l’autre, distincte
et plus ou moins différente. Et, entre elles, des barrières plus ou moins contraignantes ;
2° La race est une donnée relative : il n’y a que des mélanges raciaux, des catégories
raciales plus ou moins différentes ;
31
. Articles "La paléogénétique révèle une humanité éclatée" et "Allons-nous devenir débiles" de Laurent
Alexandre. Cahier du Monde N° 21043 du 15/09/2012 et N° 21157 du 26/01/2013. Cf aussi : L’humanité au
pluriel de Bertrand Jordan.
32
. tel Michel Leiris dans Race et civilisation, p. 15 et 75.
33
. L’Invention du racisme, p. 281.
34
. Période de quelque deux siècles que l’on situe entre la mort d’Alexandre le Grand (-326) et la conquête
romaine (-143).
16
3° La notion de race est une donnée évolutive. Avec les progrès de la mondialisation qui
banalisent le métissage des formes et des couleurs il y a des races qui s’estompent, voire
disparaissent, dans l’esprit des hommes : le racisme qui les oppose suit la même évolution.
Pour celles où prédominent les données d’ordre culturel ou religieux le problème est
différent : l’évolution du racisme est évidemment fonction de la prégnance de ces données ;
4° Les catégories raciales les plus différenciées, et générant de ce fait le plus de racisme,
sont celles qui associent transmission héréditaire de l’identité et endogamie institutionnelle.
Dans l’espace européen, comme nous le verrons plus avant, ce sont celles des Juifs et des
Tsiganes.
Ces considérations permettent de dire aussi :
• que des individus absolument semblables par leur aspect physique, par leur profession,
par leur culture littéraire et scientifique… peuvent se voir – et donc être vus – d’une catégorie
raciale différente avec comme conséquence potentielle : le phénomène qualifié de racisme ;
• que l’interdit communautaire des unions mixtes, qui désigne au plus simple des hommes
des individus d’un groupe différent du sien, d’une race au sens propre du terme, constitue le
signe par excellence d’une catégorie raciale d’ordre culturel au maximum de la
différenciation. Cette population va, à la fois, être particulièrement conditionnée au racisme et
victime de racisme ;
• que récuser ou invalider le mot race, comme le font divers auteurs depuis la fin du XIXe
siècle35, soit qu’ils donnent au mot "race" un contenu d’ordre strictement biologique comme
dans le monde animal, soit qu’ils pensent que la non-emploi du mot "race" suffirait pour
abolir le phénomène raciste, est une attitude relevant non seulement d’une grande naïveté
mais d’un idéalisme utopique potentiellement grave pas inconscience : la race est en effet un
facteur central de compréhension du phénomène raciste entourant quelques sociétés humaines
particulièrement différenciées ;
• que le regard des individus, fondamental en la matière, est toujours double : on peut
« voir (ou savoir) son groupe différent des autres » et « être vu par les autres comme étant
d’un groupe différent » ;
• que « vieille comme le monde » est la question raciale ! Race, racisme… : des mots
récents pour un phénomène de tous les temps.
35
. Parmi eux citons un savant philologue Louis Hervet (1849-1925) au moment de l’affaire Dreyfus.
17
LE RACISME :
ses différentes formes et ses victimes
On peut dire tout d’abord que le racisme représente une certaine idéologie suivant laquelle
les différences entre les races justifient une forme plus ou moins active de distinction, de
séparation et de hiérarchisation. Les sentiments, opinions, croyances, préjugés, théories
qu’engendre ce système de pensée sont bien entendu variables à l’infini et il en est de même
des pratiques, des attitudes, des représentations et des comportements qui en découlent.
Il convient de considérer par ailleurs, d’une part que c’est l’inspiration qui fait le racisme,
d’autre part que le racisme met en jeu deux sortes de personnages : des racisants
potentiellement racistes et des racisés, les premiers nourrissant une hostilité systématique à
l’égard des seconds non pas pour ce qu’ils pensent, mais pour ce qu’ils sont de par leur
naissance ou leur habitus en société et qui les fait membres d’une communauté considérée
comme radicalement différente, inférieure et éventuellement néfaste.
À la base de toute attitude d’ordre racial, il y a un personnage-cible : l’autre, l’hétérogène,
l’étranger. Comme l’écrit pertinemment Hannah Arendt36 « avant de penser "racisme" il
convient de penser "race"». Tout racisme, tout "fait de race", commence, en effet, par la
désignation de l’étrangèreté vue comme une donnée absolue, stable, immuable, irréversible.
D’où les conduites permanentes de mise à part et d’exclusion radicale par lesquelles il va se
manifester sous quelque forme de violence. Ainsi peut-on dire ave Pierre-André Taguieff37
que « le racisme consiste à interpréter la distinction entre Nous et Eux, ou entre Nous et les
Autres, comme une distinction entre deux espèces humaines, la première espèce – celle de
l’énonciateur de la distinction – étant jugée plus humaine que la seconde, voire la seule
véritablement humaine des deux ». De cette situation naissent généralement des solidarités
intra ou intercommunautaires qui vont, dans certaines circonstances, s’exercer à l’encontre
des membres d’une autre communauté humaine en se jouant des frontières diverses : il y aura
de façon banale des solidarités et des alliances agressives, oppressives voire criminelles,
génératrices de conflits sans cesse renouvelés.
Les manifestations du racisme sont donc multiformes mais l’une d’entre elles est
néanmoins emblématique, voire spécifique de cette idéologie comme le montre l’histoire :
l’absence de croisements entre les groupes, fruit du conditionnement des individus et de
quelque interdit communautaire.
LES DIFFÉRENTES FORMES DE RACISME
On peut considérer qu’il existe en pratique trois formes de racisme : naturel, culturel et
réactionnel.
1 - Le racisme « naturel » ou « instinctuel » ou « immanent »
Penser le mot race à partir de la différence héréditaire apparaissant d’emblée à la simple
vue entre les hommes est, avons nous vu à la suite de Voltaire, la chose la plus banale du
monde. C'est dire que la présence de cette notion dans l’esprit conscient ou inconscient des
hommes a largement précédé l'invention du mot et qu’elle est au fondement du
racisme naturel partagé par les différentes communautés humaines.
Dans le cadre d'un instinct primordial d'autoconservation, il est logique en effet de penser,
à la suite de divers biologistes et généticiens, que la préférence communautaire, ou
l’ethnocentrisme, « ce point de vue suivant lequel le groupe auquel on appartient est le centre
du monde et l'étalon auquel on se réfère pour juger les autres »38, puisse être rattaché à la
nature. Car sa base – dans notre cerveau reptilien – est manifestement génétique. Lévi-Strauss
36
. « Penser la race avant le racisme » est le titre du chapitre II de son ouvrage L’impérialisme.
. Le racisme, p. 62.
38
. Définition de W. Sumner rapportée dans l’ouvrage précédent de Taguieff, p. 13.
37
18
a, lui aussi, montré que cet égocentrisme appliqué à la race, ce raciocentrisme, était une
caractéristique universelle des sociétés humaines dont les membres possèdent un penchant
plus ou moins prononcé à s’agréger à quelque groupe, à y puiser leur identité et,
parallèlement, à exclure les autres.
Comme le constate aussi avec justesse Albert Memmi39, « il y a en nous un terrain préparé
pour recevoir et faire germer les semences du racisme pour peu que nous n’y prenions garde
». La banalité du phénomène, « son omniprésence dans l’histoire » semble bien confirmer ce
point de vue selon lequel il s’agit d’une disposition (ou d’une tare) originelle des hommes, ces
animaux sociaux qui, au sein de leur groupe, de leur clan, de leur tribu, de leur
"communion"40, ont tendance spontanée à développer quelque mépris à l’égard des autres
communautés, mépris qui dans les cas extrêmes peut être qualifié de xénophobie. La
généralisation abusive : tous les Anglais sont…; tous les Arabes sont…, donnée immédiate
toujours présente dans la moindre forme de racisme, n’est-elle pas particulièrement banale ?
Certes, ainsi que l’écrit Delacampagne41, « une réaction subjective et momentanée n’est ni
toujours évitable ni automatiquement dangereuse » mais il n’en reste pas moins qu’il s’agit
d’une tentation permanente pour tout individu, tentation à laquelle il succombe souvent et
d’abord par paresse de langage42.
Primo Levi, de son côté, vient appuyer la banalité, voire la naturalité, du phénomène :
« Beaucoup d’entre nous, écrit-il, individus ou peuples, sont à la merci de cette idée,
consciente ou inconsciente, que "l’étranger, c’est l’ennemi". Le plus souvent, cette conviction
sommeille dans les esprits comme une infection latente […] Mais lorsque le dogme informulé
est promu au rang de prémisse majeure d’un syllogisme, alors, au bout de la chaîne logique,
il y a le Lager »43. Certes, il n’y a pas toujours de Lager mais à coup sûr l’émergence d’une
forme de racisme.
2 - Le racisme « culturel » (ou « idéologique ») et la naissance de la pensée raciale
Les données précédentes d’ordre héréditaire, comme ce qui sommeille en chaque individu,
ne sauraient suffire pour expliquer les sentiments et les manifestations xénophobes et racistes
observées dans l’histoire. Le conditionnement des hommes est aussi de l’ordre de l’acquis :
l'homme n'est pas seulement un être de nature avec des comportements génétiquement
déterminés, instinctifs, mais aussi un être de culture. Il va théoriser tel sujet et, comme
toujours, peuvent en résulter des réalités très contrastées : le meilleur et le pire.
La civilisation, la philosophie, les idéologies diverses, les religions44 vont venir modifier et
faire évoluer profondément les dispositions naturelles des hommes... En fonction des valeurs
qu’elles véhiculent, valeurs dont les principales ont été jusqu’ici la Vérité, la Race, l’Élection
divine, le Paradis… elles vont ainsi, tantôt contribuer par l’éducation à orienter les sentiments
altruistes des individus, tantôt au contraire elles vont renforcer le racisme naturel, les races
39
. Le racisme, p. 32.
. Expression de l’écrivain et médiologue Régis Debray dans son ouvrage Les communions humaines – Pour en
finir avec "la religion", Fayard, 2005.
41
. L’invention du racisme, p. 28.
42
. S’il n’y a pas de racisme sans race, si la race dans le monde des hommes conduit facilement au racisme, le
phénomène n’est tout de même pas automatique. Commentant la pensée de Moïse Hess pour qui « la question
raciale vieille comme le monde est bien plus profonde que les questions de nationalités et de liberté qui
agitent aujourd'hui le monde » (citation rapportée par Schlomo Sand dans Comment le peuple juif fut inventé,
p. 116), Isaiah Berlin, peut écrire non sans raison : « Être une race n’est pas désirer la domination raciale [….]
Chaque race a reçu des dons différents et incommensurables et tous ces dons réunis peuvent contribuer à
l'enrichissement de l'humanité » (Trois essais sur la condition juive, p. 120).
43
. Si c’est un homme, Paris, Livre de poche, 2000, p. 7.
44
. (« le religieux est à la fois ce qui permet aux hommes de vivre, d’aimer, de se donner et ce qui les pousse à
haïr, à tuer et à prendre » constate Régis Debray dans un commentaire de son ouvrage Le Feu sacré, fonctions
du religieux. (Figaro Magazine du 12/04/2003).
40
19
étant vues alors comme foncièrement inégales. Parfois même, lorsque la différence est érigée
en absolu, peut naître dans une entité close un sentiment d’incomparabilité et
d’incommensurabilité.
C’est avec la naissance de la pensée raciale que l’on va véritablement parler de racisme
culturel en se basant non pas sur des faits et des gestes dont les motivations peuvent être
discutables mais sur les textes d’ordre religieux ou philosophique qui nous sont parvenus. Car,
seuls des textes peuvent vraiment permettre de distinguer le racisme culturel du racisme
naturel, de situer éventuellement sa naissance dans le temps et de suivre son évolution à
travers les siècles.
Face à cette forme culturelle du racisme, une question essentielle est en effet posée : Quels
sont les éléments qui, en s’associant, contribuent à édifier une pensée raciale potentiellement
capable de générer des comportements racistes et permettent de considérer que tel groupe,
telle communauté, tel régime a développé un racisme culturel ?
À cette question, et en suivant l’avis de divers auteurs, on peut répondre que ces critères
sont représentés par l’existence de règles, théories, commandements, lois, règlements…
pérennisés dans des textes promouvant, au sein d’un groupe, un système de séparation
radicale basé principalement sur le rapport supérieur/inférieur ou/et sur celui du pur/impur.
La loi interdisant l’accouplement avec des personnes d’un autre groupe est ici
particulièrement emblématique.
Il faut ajouter qu’à ces dispositions sont toujours associées, d’une part de contraintes
traduisant l’existence d’une frontière matérielle ou morale élevée à l’encontre des personnes
racisées, telles que l’exclusion de certains emplois, charges et lieux de résidence, d’autre part
des sanctions pour les membres contrevenants de la communauté. Car ici toute fusion est
corruption, le non-mélange du sang qui assure la pureté biologique est en même temps le
critère de la pureté idéologique religieuse ou philosophique. Comme l’écrit P.A. Taguieff45 :
« La phobie du mixte ou de l’hybride porte principalement sur la descendance : ce qui est
rejeté, c’est une descendance métissée perçue comme interruption de la continuité de la
lignée, perte de ressemblance, dissolution de la continuité transgénérationnelle ».
3 - Le racisme "réactionnel" à une agression racisante : le contre-racisme
Racisme naturel, racisme culturel... certes, mais il convient de distinguer aussi le
racisme réactionnel d'une population racisée par un groupe racisant, attitude qui
relève de la loi du talion. C’est dire d’une part que se produit généralement un
phénomène d’agression en cercle vicieux, d'autre part, que l'expression de ce contreracisme est bien entendu différente selon que la population agressée (ou qui se
considère comme telle) est porteuse ou non d'une culture elle-même racisante.
Racisme naturel, racisme culturel : un avenir différent…
Si racisme naturel et racisme culturel peuvent mettre en jeu volonté de puissance et de
domination, leur devenir et leur gravité ne sont cependant pas semblables. Avec le temps, il
apparaît nettement que la première forme n’a pas la gravité de la seconde dans laquelle une
pensée raciale structurée est inscrite dans des traditions ancestrales, mieux encore dans des
textes vus comme sacrés ayant à la fois la prétention d’exprimer une vérité et l’intention
d’établir des règles s’imposant à tous les membres d’une communauté. Le racisme naturel
peut certes entraîner de sauvages et durables conflits mais un espoir de tolérance voire de
réconciliation entre les antagonistes est toujours permis avec les progrès de la civilisation, de
la démocratie et de l’humanisation qui réduit la composante instinctuelle… Dans l’autre cas,
l’évolution d’un conflit ne peut qu’être tout autre. En effet, si le processus de mondialisation,
particulièrement patent par son accélération depuis quelque deux siècles, entraîne une
réduction assez rapide des barrières d’ordre physique directement liées à l’hérédité, il n’en est
45
. Op. cit., p. 68.
20
pas de même bien entendu des barrières culturelles, et plus particulièrement de celles qui sont
sous-tendues par des données religieuses et comportant une endogamie institutionnelle.
Comme l’écrit Françoise Héritier : « Contrairement à ce qu'on pourrait croire, la
mondialisation actuelle, dans l'orbite du capitalisme, ne s'est pas accompagnée
corrélativement d'une parfaite extension au monde entier du champ de la collectivité des
humains. Elle s'est accompagnée au contraire d'une reviviscence de l'idée du pluralisme et du
relativisme moral et culturel, d'un renouveau des particularismes, lesquels visent, retrouvant
l'idéologie du sang et du sperme, porteurs de toutes les différences y compris religieuses, à
établir des barrières insurmontables et des hiérarchies entre les catégories d'humains »46.
LES VICTIMES SPÉCIFIQUES DU RACISME
Il convient de considérer que les victimes d’une agression d’ordre raciste appartiennent à
une catégorie très précise. Les personnes méprisées ou agressées de par la simple fonction
contingente qu’elles exercent : politique, religieuse, enseignante, dirigeante… ou bien en
raison de leur adhésion à un système de pensée d’ordre religieux ou philosophique, ne
sauraient être considérées comme des victimes de racisme. Caricaturer un homme politique ou
un patron, un magistrat ou un professeur, un chrétien ou un musulman, un curé ou un imam,
Jésus-Christ ou Mahomet, peut être vu comme un acte impertinent ou irrespectueux, voire un
sacrilège, mais ne saurait être qualifié d’acte raciste. Il est clair qu’il n’en est pas
automatiquement de même si la personne visée est un Noir (dans le monde des Blancs) ou un
Blanc (dans le monde des Noirs), un Juif ou un Arabe. C’est là, et seulement là où il y a une
catégorie d’ordre racial, qu’il peut y avoir racisme au sens propre... Comme l’écrit Laurent
Joffrin « attaquer une religion (sous-entendu l’islam) n'est pas attaquer une race (sousentendu les Juifs). Réprouver l'intégrisme musulman et dénoncer le pouvoir supposé des Juifs
ce n'est pas la même chose. On est anti-intégriste dans le premier cas, raciste dans le
second »47.
LES VIOLENCES DANS LE PROCESSUS RACISTE : LES SOCIÉTÉS ET LES SOLIDARITÉS
AGRESSIVES
Se situant au niveau des sentiments, des attitudes, des comportements, des actes ou des
conceptions philosophiques (telle, notamment, l’attribution aux membres d’un groupe des
qualités spécifiques ou des défauts enracinés), les expressions du racisme sont variables à
l'infini mais toutes s’expriment par une forme de violence, surtout lorsqu’elles émanent de
groupes structurés les rendant solidaires dans l’action.
Remarquons que la notion de solidarité comporte a priori une polarité positive. Elle est
généralement vue comme une variante de la fraternité manifestée par les membres d'une
communauté venant au secours de ceux qui, au sein de cette même communauté ou d'une
autre jugée digne d'intérêt, souffrent d'une manière ou d'une autre. Cependant cette vue est
terriblement partielle : la solidarité peut être aussi un piège et comporter le pire. S'il est
humain et... normal de préférer a priori sa famille à celle des autres, de préférer ses
compatriotes, les membres de son groupe de pensée, à ceux qui ne rentrent pas dans ces
catégories, il faut bien voir que ce raisonnement peut souvent s'avérer contestable et
répréhensible le comportement de solidarité mis en œuvre. Chaque individu, parce qu’il est
un animal social, peut être confronté à ce type de situation où, avec les moyens dont il
dispose, de façon active ou passive, de concert avec les membres de son groupe, il agresse
plus ou moins gravement les membres d’une communauté autre que la sienne. Et si cette
solidarité agressive et exclusive peut être un phénomène non exceptionnel de la vie en
société, elle devient particulièrement banale, soit dans certaines circonstances extrêmes où
les individus luttent pour la vie : grandes catastrophes naturelles, privation des biens
46
47
. Dans l’ouvrage De la violence II, p. 332.
. à propos de l'affaire Siné dans Libération du 25 juillet 2008.
21
fondamentaux…, soit dans les sociétés où l'obéissance au groupe est sacralisée par quelque
donnée d’ordre religieux, politique ou racial.
Remarquons aussi que c'est aux violences d'ordre physique, celles du bras armé, que l'on
pense généralement tant elles sont spectaculaires et présentes dans le quotidien des hommes.
Visant les corps et les biens, elles donnent lieu à des récits relativement objectifs rapportant
des destructions, des brutalités, des agressions, des expulsions, des assassinats, des tueries,
des guerres, des génocides. Mais ces violences d’ordre physique ne sont pas seules en cause.
Dans la jungle des hommes, il en est d'autres : violences d’ordre moral ou
psychologique tels que mensonges, calomnies, caricatures, injures, métaphores
zoologiques (les rats…), collusions secrètes, complicités et intrigues diverses au préjudice
des opposants. Avant les gestes primitifs ou élémentaires que sont le coup de poing ou le
fusil, associés à ces gestes ou pratiqués isolément, inventés parfois par tel individu dans
l'intimité de sa personne ou plus souvent par des individus solidaires dans l'action par suite
d’une appartenance commune (politique, religieuse, raciale ou autre) sont en effet les actes
verbaux mettant en jeu diverses ressources de l’esprit : la rhétorique, l’imagination,
l’habileté, l’ingéniosité, la ruse, l’ambiguïté, l’obstination, l’imposture, l’art du mensonge…
Souvent plus efficaces que les premières quant au but poursuivi, ces ressources,
extrêmement variables suivant les groupes, vont assurer la domination des plus forts dans
diverses sphères de l’activité humaine et présider notamment à des conquêtes sociales,
politiques, voire territoriales. Remarquons aussi que de telles violences, surtout si elles
émanent d’une collectivité ou d’un État, sont parfois si subtiles et discrètes qu’elles passent
inaperçues du plus grand nombre, l’idéal des commanditaires étant, à l’extrême, de tuer ou
de faire tuer subrepticement sans laisser de traces.
Toutes les violences de cet ordre, exercées électivement à l’encontre de populations
démunies par des groupes riches, instruits et sachant communiquer, vont généralement de
pair avec des faits de ségrégation, de discrimination, de séparation, d'infériorisation,
d'exclusion, d'oppression, d’expulsion, de domination.
22
L’IDENTITÉ JUIVE,
LES JUIFS : UN PEUPLE-RACE,
LE JUDAÏSME : UNE RELIGION RACIALE48
Qualificatif a priori discutable que celui de peuple-race appliqué à la communauté des
Juifs ! Même si de multiples auteurs ont décrit un type juif49, n’est-il pas évident que les
populations juives sont hétérogènes quant à leur aspect extérieur et leurs origines et
notamment que les Juifs d’Europe ne sont pas des Sémites50 ? N’y a-t-il pas eu dans le
judaïsme ancien une soif de convertir et, au cours des temps, de multiples mélanges dans les
divers pays de dispersion ? Pourtant, que ce soit dans les textes fondamentaux du judaïsme,
dans de multiples ouvrages d’auteurs juifs et non-juifs ou dans les dictionnaires, l’expression
de « race juive » est utilisée de façon courante. Et puis cette catégorie d’hommes n’a-t-elle
pas été visée et maltraitée électivement par les nazis se réclamant de la race aryenne édifiée
au XIXe siècle en regard et en antagoniste de la race juive ? Et n’est-ce pas elle encore qui,
comme en témoignent les médias, est toujours ici ou là la cible du phénomène raciste nommé
antisémitisme ?
Sur quels éléments objectifs reposent donc cette considération et cette pratique omniprésentes ?
Il ne fait aucun doute tout d’abord, à l’appui du concept de race, qu’il y a une continuité
spirituelle depuis plus de deux millénaires entre les Hébreux de l’Antiquité et les Juifs de la
Modernité par l’intermédiaire des textes sacrés, des croyances, des rites et des traditions. Ce
lien permet à l’évidence d’appliquer à l’ensemble des Juifs le terme de race au sens spirituel
ou culturel.
Mais il y a manifestement beaucoup plus…
D’une part, il est évident que nombre de Juifs ont toujours eu l’intime conviction qu’ils
étaient les descendants génétiques du peuple hébreu et plus précisément de la race
d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, comme en témoignent à la fois le culte ancestral des
généalogies51 et les travaux actuels d’ordre scientifique sur l’existence du « gène juif »52 et
comme le veulent aussi le christianisme et l’islam. D’autre part, fait sans doute unique dans
48
. Le philosophe Emmanuel Kant, pour bien marquer la différence radicale entre le judaïsme et les autres
religions monothéistes qui, elles, sont trans-raciales et ouvertes à tous, utilisait (dans son ouvrage La Religion
dans les limites de la simple raison) l’expression équivalente de religion ethnique. Pour sa part, Theodor Herzl,
qui fustigeait le caractère religieux des Juifs, parlait de nation ethnique. Quant à l’expression de peuple-race, elle
apparaît particulièrement courante chez les auteurs juifs à partir du milieu du XIXe siècle jusqu’au milieu du
XXe, parallèlement aux travaux sur la biologie des races comme le montre l’historien Schlomo Sand dans son
ouvrage Comment fut inventé le peuple juif.
49
. Ce type juif représente tantôt une donnée morphologique commune, témoin des mariages endogamiques des
populations juives ne se mélangeant pas aux autres, tantôt un habitus commun résultant des conditions
spécifiques dans lesquelles ont vécu et vivent encore beaucoup de Juifs.
50
. Dans les ouvrages retraçant la vie des communautés juives de Pologne avant la seconde guerre mondiale, il
n’était pas exceptionnel, dit un auteur, de rencontrer des Juifs blonds avec des yeux bleus.
51
. Exemple caractéristique de ce culte : les multiples généalogies présentes notamment dans les Livres des
chroniques de la Bible juive ou bien celles, concernant Jésus, rapportées dans les évangiles des Juifs Luc et
Mathieu. La première, celle de Luc (3 : 23), remonte le temps : « Jésus fils de Joseph, fils d’Heli, fils de
Matthat…. fils de Seth, fils d’Adam, fils de Dieu » soit quelque 80 générations entre Jésus et Dieu ; la seconde,
celle de Mathieu (1 : 1), descend le temps à partir d’Abraham : « Abraham engendra Isaac, Isaac engendra
Jacob, Jacob engendra Juda.… Mattat engendra Jacob, Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie de laquelle
naquit Jésus », soit quelque 40 générations entre Abraham et Jésus.
52
. On peut noter par exemple que « depuis les années 1970, en Israël, une succession de recherches
"scientifiques" s’efforce de démontrer, par tous les moyens, la proximité génétique des Juifs du monde entier » et
que « la "recherche sur les origines de populations" représente désormais un champ légitimé et populaire de la
biologie moléculaire, dans une quête effrénée de l’unicité d’origine du "peuple élu" ». (Schlomo Sand à propos
de son ouvrage cité précédemment, Le Monde diplomatique, août 2008).
23
l’histoire religieuse, l’élément identitaire que le judaïsme assigne aux Juifs et qu’il renvoie
aux non-Juifs, chrétiens en particulier tributaires de la Bible juive, repose bien depuis toujours
sur une notion de race avec ses deux composantes, biologique et culturelle, ici intimement
conjuguées. Du fait de cette association inédite nous dirons même, en rejoignant d’éminents
auteurs juifs, que la race juive est la race par excellence.
Quel est l’élément commun à l’ensemble des Juifs permettant de parler de race juive ?
Constatons tout d’abord que cette communauté ne fournit guère que des réponses
inconsistantes à cette interrogation fondamentale. Alors qu’« il n'est pas de collectivité aussi
préoccupée de définir et de clarifier son identité que le peuple juif comme le montrent le
nombre impressionnant de symposiums à travers le monde consacrés, explicitement ou
implicitement, à l'identité juive, écrit Avraham B. Yehoshua, n'est-il pas quelque peu
dérisoire que ce peuple qui a plus de trois mille ans d'âge se pose encore la question de son
identité d'une manière aussi frénétique et obsessionnelle, et n'arrive pas à assouvir sa
quête !»53 En effet, du Juif pieux qui rend à chaque instant de sa vie un culte à Yahvé jusqu’à
l’athée qui pense que ce dieu est un personnage littéraire, de l’érudit qui ne cesse de scruter
les livres saints à celui qui ignore tout du judaïsme, du Juif qui revendique sa judéité et en est
fier à celui qui la refuse, l’a en aversion ou l’ignore, il y a en effet mille et une manières pour
les Juifs de décliner leur rapport au judaïsme et de se voir Juifs. Pour Freud il s’agit d’un
« principe mystérieux inaccessible à toute analyse et ne devant être découvert que par la
recherche scientifique », pour l’historien Jacob Talmon c’est « la chose qui file entre les
doigts et disparaît comme un mirage54 », pour Yehoshua, l’identité juive, pourtant si
importante dans le processus antisémite, n’est que « virtuelle », « incertaine »,
« insaisissable »…!
C’est dire notamment que la judéité (ou la judaïté) ne se définit pas par une croyance
religieuse, ne se définit pas non plus par un système de pensée, par une tradition, par une
morale, par une manière d’être, par une vision du monde, par une pratique rituelle, par une
nationalité, par un territoire, par une patrie, par une langue, par un idéal, par une catégorie
sociale, par une origine, par un destin, par une histoire marquante (tel le génocide nazi pour
les générations actuelles55), par un état d’esprit telles la conscience d’être en danger, la
solidarité dans le malheur, la responsabilité envers les membres de son groupe, les sentiments
que l’on inspire ou que l’on suscite… ! En effet, toutes ces thèses ne s’appliquent qu’à des
configurations contingentes de la judéité.
S’il est difficile voire impossible à l’ensemble des Juifs d’exprimer le principe qui réunit
Askhénases et Séfarades, occidentaux, orientaux et africains, riches et pauvres, orthodoxes et
libéraux, croyants et athées c’est en fait dans la logique des choses. De même que l’œil ne voit
pas sa propre conjonctive, peut s’appliquer ici la célèbre formule de Wittgenstein56 suivant
laquelle « les aspects des choses qui sont les plus importants sont souvent cachés en raison de
leur simplicité et de leur familiarité».
De toute façon, ce qui compte avant tout dans cette étude concernant les
antisémitismes ce n’est pas la judéité telle que les Juifs la voient, mais celle que
perçoivent les non-Juifs les plus divers et qui les conditionne dans leurs sentiments et
leur comportement à l’égard des Juifs.
Ainsi que nous l’expliciterons plus avant, à partir des textes bibliques et talmudiques
fondateurs du judaïsme et de nombre d’auteurs juifs de l’époque contemporaine, on est amené
53
. Israël, un examen moral, p. 14.
. Ibid., p. 16.
55
. Au XIXe siècle ce furent principalement l’affaire Dreyfus et les pogromes de Russie, antérieurement
l’Inquisition avec Torquemada…
56
. De la certitude, Gallimard, coll. Idées, 1976.
54
24
à considérer que l’élément spécifique, qui permet à la fois à tous les Juifs de se voir Juifs et
d’être identifiés comme Juifs par les non-Juifs, est la distinction-séparation radicale
qu’apporte l’identité juive fondée sur le mythe spécifique de l’Élection divine : « Tu nous as
choisi pour être singulier, différent et radicalement séparé de tous les autres peuples » !
Depuis plus de deux mille ans en effet, tous les Juifs du monde sont tributaires,
consciemment ou non, d’une histoire marquée du fil rouge d’une Élection primordiale et
sacrée. Et cette différence, à la base de l’identité juive, n’est pas d’ordre philosophique ou
religieux mais d’ordre purement racial.
On pourra même remarquer lors de notre cheminement que le terme de race appliqué au
peuple juif, est pris à la fois dans sa composante naturelle (la race : catégorie liée à
l’engendrement) et dans sa composante culturelle (la race : catégorie idéologique, spirituelle,
mentale, métaphysique…). Nous verrons en fait que c’est dans l’expression peuple-race
appliquée aux Juifs que le terme de race, bien loin de relever du classique mais élémentaire
critère de peau, revêt sans doute son sens le plus fort, en même temps que le plus
contraignant. C’est en effet le témoin d’un processus exceptionnel de différenciation
culturelle. Comme a pu l’écrire fort justement un des théoriciens juifs, Isaac Kadmi-Cohen
(1892-1944), dans son essai Nomades. Essai sur l’âme juive, la race juive – en transportant les
notions de pureté, de différence pour une judéité indélébile – est l’entité raciale « par
excellence ». Il reprenait en fait ce qu’avait dit précédemment un autre Juif éminent, Disraeli,
pour qui la race juive était « la quintessence de la race57». Marcel Proust, quant à lui, parlait
de « l’admirable puissance de la race juive »58.
Les deux dimensions théoriques, religieuse et raciale, du judaïsme-culture ou qu’estce qu’un Juif ?
En reconnaissant tout d’abord que les Juifs ne sont pas toujours des croyants comme le
sont les adeptes des religions ordinaires, mais des appartenants par le sang et l’endogamie à
un peuple particulier, on résume assez bien la situation générale de la judaïcité en constatant,
avec Yerushalmi, que « l’ancienne définition religieuse du juif, devenue manifestement
anachronique, céda progressivement le pas à une définition raciale »59. Javier Teixidor, par
exemple, a bien vu la différence fondamentale entre un chrétien et un Juif. « Etre chrétien,
écrit-il, c'est affirmer que la voie du salut est celle qui mène de l'Incarnation du Christ à son
second avènement glorieux ; être juif, c'est assurer la perpétuité du peuple juif ; on pense à la
"judéité", le privilège personnel, inhérent à une sorte de prédestination raciale dont faisait état
Hannah Arendt »60. Le grand rabbin René-Emmanuel Sirat confirme en effet que le Juif est
bien défini par l'appartenance héréditaire : « la connaissance et la pratique de la religion pour
les enfants nés de mère juive ne s'imposent pas pour qu'ils soient reconnus comme juifs » 61.
Accessoire depuis longtemps pour la qualification des Juifs, la dimension religieuse (c’està-dire la croyance relative aux deux grands sujets spécifiques : la divinité et l’immortalité) a
en effet laissé place à l’athéisme devenu très largement majoritaire. On peut noter que cette
régression du religieux s’est particulièrement affirmée, d’abord avec Baruch Spinoza au
XVIIe siècle, avec les Lumières (la Haskala) au XVIIIe siècle, puis à partir de la seconde
57
. Citation rapportée par I. Berlin dans Trois essais sur la condition juive, p. 55. Si, comme nous l'expliciterons
plus avant, les expressions employées par les auteurs juifs d'« entité raciale par excellence » et de « quintessence
de la race » sont bien adéquates pour désigner leur communauté, nous emploierons ici l'expression scientifique
moderne de race différenciée.
58
. Dans Le Côté Guermantès (Pléiade, II p.190).
59
. L’antisémitisme racial est-il apparu au XXe siècle ? De la limpieza de sangre espagnole au nazisme :
continuité et rupture, Esprit N° 190, p. 25.
60
. Le judéo-christianisme, p. 246.
61
. dans son ouvrage La tendresse de Dieu (donnée rapportée par Alfred Grosser, Les fruits de leur arbre, p. 30).
25
moitié du XIXe siècle jusqu’à nos jours, à la fois dans le monde scientifique et dans le monde
des lettres juifs.
Cette dimension religieuse traditionnelle étant inutile pour être Juif c’est dire que la
dimension raciale qui, comme la précédente, fait partie intégrante du judaïsme depuis ses
origines (donnée que nous expliciterons plus avant), représente le dénominateur commun à
toutes les identités juives, le facteur suffisant pour être Juif, bref, l’élément commun à tous les
Juifs. C’est dire en définitive qu’à la question "Qu’est-ce qu’un Juif ?", la réponse générale62,
en retenant le caractère suffisant, est celle-ci : "un héritier de sang juif".
La querelle de la race juive chez les auteurs juifs.
Même si la thèse selon laquelle les Juifs forment bien une catégorie raciale est toujours
restée largement majoritaire, notamment chez les Juifs religieux et les sionistes en référence à
de multiples écrits, il y a toujours eu quelque dispute à ce sujet entre divers sociologues et
anthropologues juifs. « La question de savoir si les Juifs constituent une race en soi est si
passionnante, écrit par exemple le médecin allemand Félix Theilhaber en 1911, que les
chercheurs n'ont de cesse de s'y intéresser ». C’est ainsi que quelques auteurs depuis le
nazisme, soit en rejetant toute pertinence au concept de race, soit en mettant en avant
l'hétérogénéité physique des populations juives, soit, pour les plus lucides d’entre eux, en
prenant conscience que le racisme en général et l’antisémitisme en particulier sont toujours
dirigés contre une communauté vue comme une catégorie raciale, évitent délibérément le
mot de race et le fustigent même comme représentant une « donnée mythique » ou « des
scories d'un autre âge ». En vérité, ces auteurs méconnaissent la portée de ce concept de
race exprimant essentiellement une différence entre deux catégories humaines comme nous
l’avons vu précédemment.
Notons que Max Weber, quant à lui, (dans son ouvrage Le judaïsme antique) utilisait pour
désigner le groupe des Juifs le terme de caste [mot qui provient du portugais casta (pur, non
mélangé) et qui se rapproche du français chaste]. Certes, la "caste" et la "race" juive
comportent bien des données communes d’importance : l’identité par le sang reçu à la
naissance, l’endogamie et l’impureté des hors-communauté, mais elles se différencient aussi
par une donnée non moins importante : dans le système religieux hindou la caste fait partie
intégrante d’une structure hiérarchisée (dite "des castes") alors que dans le judaïsme la race
est autonome, phénomène d’autant plus marqué que la race en question est particulièrement
différenciée.
En résumé, la querelle d’ordre sémantique autour de cette question est absolument vaine :
avec la communauté des Juifs nous avons affaire à une catégorie raciale caractérisée avec
laquelle le processus raciste est toujours en puissance ou en marche. Si l’on constate de plus
que la notion de race qui lui est appliquée est largement consacrée par le temps et par l’usage
dans le monde juif et hors de lui, qu’elle est hautement revendiquée par des Juifs religieux ou
non religieux dans de nombreux écrits, qu’elle s’est imposée comme allant de soi à maints
auteurs et traducteurs modernes y compris depuis le nazisme, qu’elle est incluse dans le terme
d’antisémitisme utilisé fréquemment par les historiens pour des données remontant à
l’antiquité, il apparaît que l’expression et le concept de peuple-race sont non seulement
justifiés mais également incontournables. Quant au mot juif, parce que racialement connoté, il
va représenter (pour répondre positivement à une question du philosophe Alain Badiou63) un
signifiant exceptionnel. On peut y voir en effet un équivalent sémantique de l’étoile jaune !
62
. Nous verrons que les exceptions à cette règle, les convertis au judaïsme, viennent confirmer, voire exalter la
règle : les enfants de ces convertis auront du sang juif.
63
. Pour Alain Badiou, il s’agit en effet « de savoir si le mot "juif" constitue, oui ou non, un signifiant
exceptionnel dans le champ général de la discussion intellectuelle » (Circonstances, 3, Portées du mot « juif ».
4ème de couverture).
26
ANTIJUDAÏSME ET ANTISÉMITISME
« ANTI-JUDAÏSME »
Le mot est utilisé ici uniquement pour désigner une opposition aux données du judaïsmereligion avec ses éléments de doctrine ou de morale. Cette opposition est exercée soit par les
adeptes d’une autre religion se voyant porteuse de la seule Vérité, soit simplement par des
auteurs critiquant, au nom de la raison ou en vertu de leur propre expérience, certaines
dispositions de la culture juive. Pour ces derniers, le judaïsme est vu simplement comme une
entreprise humaine avec ses lumières et ses ombres, ses valeurs humanistes et antihumanistes, une entreprise évolutive et non comme une entreprise divine, parfaite et
immuable par définition.
Il y a donc plusieurs anti-judaïsmes. Seront particulièrement distingués par la suite les antijudaïsmes confessionnels : païen, chrétien et arabo-musulman, puis l’anti-judaïsme laïque ou
universaliste dont Karl Marx, qui a éprouvé une « répugnance absolue pour la religion
israélite qui s’accommode si bien d’un régime économique et social inhumain qu’elle paraît
en être le credo spirituel »64, est bien entendu un des représentants les plus éminents.
Notons aussi, à la suite de nombre d’historiens, que l’anti-judaïsme qui porte
essentiellement sur un système de pensée religieuse a très souvent évolué vers le racisme
antijuif qui, lui, vise directement des personnes. La cause de cette particularité est simple à
comprendre : alors que l’opposition envers le christianisme, l’islam, le bouddhisme... a pu
entraîner certes des conflits sanglants mais non d’ordre raciste – christianisme, islam,
bouddhisme... ne sont que des systèmes religieux ; chrétiens, musulmans, bouddhistes… ne
sont que des croyants – il n’en est pas de même avec le judaïsme dont la rencontre, que ce soit
par la connaissance de sa doctrine, de ses textes fondamentaux ou de ses représentants, fait
considérer les Juifs éventuellement comme les fidèles d’une communauté religieuse mais
toujours comme les membres d’une communauté d’ordre racial65, substratum incontournable
de tout racisme.
« ANTISÉMITISME »
Historique du mot et définition
C’est sensiblement au milieu du XIXe siècle que fut créé ce mot à partir du qualificatif
sémitique lequel, appliqué initialement à un ensemble de langues comprenant notamment
l’hébreu et l’arabe, évolua par la suite pour devenir un concept d’anthropologie. Il semble que
ce soit Christian Lassen qui l’a utilisé pour la première fois en 1847. Selon cet universitaire
allemand d’origine norvégienne, les peuples indogermaniques (qualificatif également
nouveau) sont les plus doués et les plus productifs, tandis que les peuples sémitiques sont
égoïstes, avides et improductifs. Nombre d’intellectuels européens : allemands
(principalement juifs familiers de la race juive), anglais, français (notamment Ernest Renan
avec ses recherches personnelles en philologie sémitique et son ouvrage Le judaïsme comme
race et comme religion), considérèrent de même qu’il y avait dans la sphère occidentale deux
grandes races humaines : les Aryens et les Sémites. Sous le terme d’Aryens sont désignés
principalement les peuples germaniques et scandinaves, descendants de populations dites
indo-européennes et appartenant à la race aryenne ; sous le terme de Sémites sont désignés un
ensemble de peuples issus d'un même groupe racial (en principe les descendants de Sem, fils
aîné de Noé dans le récit biblique), les principaux d’entre eux étant les Hébreux et les Arabes.
64
65
. Donnée rapportée par Maximilien Rubel, dans son livre Karl Marx, essai de biographie intellectuelle.
. D’où la majuscule (et non une minuscule) qui s’impose au mot Juif lorsqu’il désigne une personne.
27
Ces données, fort discutables mais admises par tous, vont s’avérer d’une particulière
importance : désormais les termes Aryens et Sémites vont faire référence exclusive à l’origine
raciale des populations désignées, tandis que le terme sémites est appliqué essentiellement aux
Juifs, les Arabes n’étant vus à ce moment là en Europe que comme des étrangers lointains, de
rôle et d’influence négligeables.
C’est semble-t-il en 1860 que le mot antisémite est utilisé pour la première fois.
L’intellectuel juif allemand Moritz Steinschneider (1816-1907), une des importantes figures
du mouvement tardif des Lumières juives, parle de Préjugés antisémites (en allemand :
antisemitische Vorurteile) pour qualifier les idées, alors courantes en Europe, selon lesquelles
la race sémite représentée par les Juifs, serait inférieure à la race aryenne.
Quant au terme antisémitisme (Antisemitismus), c’est le journaliste allemand Wilhelm
Marr (1819-1904) qui l’invente aux alentours de 1870 à l'occasion de la fondation de sa Ligue
antisémite (Antisemitenliga) et de l’édition de son journal Les Cahiers antisémites
(Antisemitische Hefte). Très rapidement il est repris par une publication juive allemande,
l’Allgemeine Zeitung des Judenthums, pour caractériser les activités antijuives de Marr66
lequel, dans son ouvrage La victoire du judaïsme sur le germanisme paru quelque temps
auparavant, considère que les Juifs, qui ne se mélangent pas aux autres, sont porteurs, de par
leur naissance, de critères proprement raciaux conditionnant leur rôle néfaste dans la société,
notamment dans les domaines économique et social, critères les rendant inassimilables.
Les termes antisémite et antisémitisme, promus à la fois par des Juifs et par des non-Juifs,
font l’unanimité : ils sont rapidement adoptés par tous, hommes politiques, auteurs,
journalistes, historiens… et la race juive est une expression courante. En 1882, tandis que se
créent en Allemagne et en Autriche divers partis s’affichant antisémites, le premier congrès
antijuif international réunit à Dresde 3.000 délégués venus d’Allemagne, d’Autriche-Hongrie
et de Russie. Quelques années plus tard la Ligue pan-germanique se créée et adopte elle aussi
une pensée foncièrement hostile aux Juifs. La France n’est pas en reste : le mot antisémite
apparaît dans le Journal des Goncourt en 1890, le mot antisémitisme dans Le lys rouge
d’Anatole France en 1896 et, en 1898, la Chambre des députés comporte un groupe de 22
députés antisémites avec Drumont à sa tête, tandis que la vieille ligue antisémite s’intitule
bientôt le Grand Occident de France (par opposition au Grand Orient de France considéré
alors comme le fief des Juifs et des Francs-maçons).
L’antisémitisme : une hostilité d’ordre racial
Des données historiques précédentes il s’ensuit que la définition-princeps de
l’antisémitisme, suscitée à la fois par ses promoteurs juifs et non-juifs hostiles ou favorables
aux Juifs, est celle-ci : « l’hostilité (ou la haine) systématique envers les Juifs en tant que
représentants d’une communauté d’ordre racial ». Pour les auteurs de divers dictionnaires
modernes (tel par exemple le dictionnaire Petit Robert) ayant à leur disposition le terme de
racisme créé au début du XXe siècle, la définition de l’antisémitisme devient ainsi : « le
racisme dirigé contre les Juifs ».
On voit d’emblée que l’antisémitisme n’est pas une opposition à un système de pensée
religieuse auquel on peut s’opposer dans le cadre de controverses, controverses théologiques
notamment comme les chrétiens ont pu en mener67. Il ne s’agit pas non plus d’une xénophobie
dont les soubassements sont divers ou d’une critique d’un système de pensée au nom de la
raison. Il s’agit d’une haine envers des personnes en chair et en os, vues comme les membres
d’une lignée et porteuses de caractères spécifiques.
66
. Rapporté par l’historien Gérald Messadié, Histoire Générale de l’antisémitisme, p. 14.
À ce propos, Marcel Simon précise que : « la démarche par laquelle l'Église réfute le système théologique de
la synagogue est de même nature, et tout aussi légitime aux yeux de l'historien le plus soucieux d'impartialité,
que celle qui amène les différentes confessions chrétiennes à se poser en s'opposant » (Verus Israël, p. 493).
67
28
"Antisémitisme" : un mot incontournable mais source notable d’ambiguïté
On peut remarquer que le terme, devenu irrécusable du fait de l’ancienneté de son usage,
est souvent utilisé de façon non conforme à son sens originel, y compris parfois par des
historiens reconnus pour qui toute forme d’hostilité à l’égard des Juifs ou du judaïsme-culture
est une forme d’antisémitisme… C’est là une erreur qui relève d’une méconnaissance de ce
que représente le judaïsme68 qui n’est pas une religion ordinaire avec son système doctrinal
mais une religion intimement liée à un peuple-race déterminé par l’hérédité de ses membres et
la pratique de l’endogamie. Mais c’est aussi une source de malentendus regrettables entre les
auteurs de travaux sur le sujet qui ont à intégrer dans leur discours l’hostilité d’ordre religieux
(l’antijudaïsme) et sa banale évolution vers le racisme antijuif.
À noter que le terme voisin de judéophobie a été introduit dans le vocabulaire par Maxime
Rodinson et qu’il a été repris depuis par quelques auteurs dans la double intention de désigner
la haine des Juifs en tant qu’individus dotés d’une essence particulière et de gommer la
connotation raciale du terme antisémitisme. Mais ces auteurs ont manifestement négligé deux
données capitales : d’une part le fait que c’est le système du penser judaïque, où le Juif est
rivé dans son identité pour sa vie entière, qui a inventé et promu l’essentialisation de l’homme
juif (donnée que l’on va toujours retrouver à la base du phénomène antisémite), d’autre part
l’importance de distinguer l’antijudaïsme (hostilité à base religieuse) de l’antisémitisme
(hostilité à base raciale). Si le passage de l’un à l’autre est particulièrement fréquent comme
nous l’avons déjà noté, il est évident en particulier que l’hostilité envers les Juifs peut être
d’ordre purement racial comme ce fut le cas dans le nazisme et comme on le constate
maintenant dans le monde chrétien qui, à l’exception de sa frange traditionaliste, a abandonné
toute hostilité d’ordre doctrinal envers les Juifs (c’est-à-dire tout antijudaïsme).
Les antisémitismes
Certains auteurs, constatant que l’antisémitisme est multiforme parlent fort justement des
antisémitismes plutôt que de l’antisémitisme. Ainsi, suivant les périodes de l’histoire sont
décrits particulièrement l’antisémitisme des Romains à partir de leur arrivée en Palestine,
celui des chrétiens presque continu depuis les premiers temps du christianisme, celui des
athées à partir du XVIIIe siècle, celui de divers auteurs européens des XIXe-XXe siècles, celui
des musulmans d’aujourd’hui, voire celui de certains Juifs. Suivant la raison initiale de
l’hostilité envers les Juifs sont décrits aussi l’antisémitisme religieux, économique, social,
culturel…
Dans notre perspective, qui est avant tout de comprendre le phénomène-antisémitisme, il
convient plutôt de distinguer :
1°- des antisémitismes réactionnels qui relèvent de la loi banalement humaine du talion face
à ce qui est vu comme une agression de la part des Juifs ;
2°- des antisémitismes idéologiques émanant soit d’une société culturellement racisante,
l’exemple-type étant celui du nazisme, soit d’une société devenue racisante au contact de la
société raciale juive, l’exemple-type étant la chrétienté espagnole des XVe/XVIe siècle
et en fonction de leur prégnance :
1°- des antisémitismes latents se situant dans le domaine de la pensée et des sentiments ;
2°- des antisémitismes caractérisés lorsqu’il y a passage à des actes de violence physique ou
morale.
Remarquons ici que d’assez nombreux auteurs parlent d’antisémitisme racial. Cette
expression peut avoir le mérite d’affirmer fermement que c’est bien le peuple juif qui, dans sa
68
. Remarquons que plusieurs sens peuvent être attribués au mot judaïsme. En fonction du contexte, il peut
désigner schématiquement soit le système de pensée, soit les autorités et institutions juives, soit les traditions et
pratiques spécifiques, soit parfois l’ensemble des Juifs.
29
spécificité raciale, est la cible de l’hostilité exprimée mais elle est manifestement
pléonastique.
Les causes des antisémitismes
Ces causes sont de deux sortes :
• la composante raciale de la judéité. Intimement liée au judaïsme-culture, conditionnant
les non-Juifs à voir les Juifs comme une catégorie d’ordre racial et transformant toute hostilité
envers des Juifs en une forme de racisme, elle représente la cause structurelle du processus
antisémite
• les accusations, fondées ou non, des non-Juifs envers les Juifs vus dans leur ensemble
lignager69. Analysées et décrites par les historiens, variables à l’infini parce que fonction des
hommes, des temps et des lieux, elles sont les causes conjoncturelles du phénomène.
Ajoutons, d’une part que l’une et l’autre sorte de causes sont nécessaires pour qu’il y ait
antisémitisme, d’autre part que leur association apporte la réponse à la grande interrogation
qui se pose : Comment l’antisémitisme est-il inséparable du judaïsme ? ou en d’autres
termes : Pourquoi l’antisémitisme accompagne-t-il en permanence le peuple juif ?
C’est ce que nous allons développer dans le texte qui suit.
69
. C’est le propre du racisme : l’hostilité se rapporte à tous les individus issus d’une souche commune, y compris
aux enfants dans les cas extrêmes.
30
Ière Partie
LES FONDEMENTS BIBLIQUES DE LA PENSÉE RACIALE
ET DU RACISME CULTUREL
LA DIVISION DE L’HUMANITÉ EN JUIFS ET NON-JUIFS
ET L’INVENTION DE LA RACE JUIVE
31
CHAPITRE I – LES ORIGINES BIBLIQUES
DE LA PENSÉE RACIALE ET DU RACISME CULTUREL
LA DIVISION DE L’HUMANITÉ EN JUIFS ET NON-JUIFS
À l’origine de la pensée raciale, que nous allons découvrir au sein du judaïsme antique où,
comme l’écrit le philosophe Michel Onfray70, « la Torah invente l’inégalité ethnique,
ontologique et métaphysique des races », divers éléments sont intimement associés.
Fondement de la division de l’humanité en deux catégories, les Juifs et les non-Juifs, ce sont :
• les mythes hébreux fondateurs : la Création des hommes, l’Alliance et l’Élection divines ;
• la loi rabbinique de transmission héréditaire de l’identité juive ;
• les textes sacrés consacrant la division de l’humanité.
Témoins d’une pensée raciale déjà caractérisée et inspirant les premières lois écrites de
pureté raciale, sont également révélées par les textes :
• une mystique du pur/impur,
• une mystique de la violence.
LE MYTHE DE LA CRÉATION DES HOMMES
71
ET LES PRÉMISSES DE LA PENSÉE RACIALE
C’est dans le double récit de la Création rapporté dans le livre de la Genèse que l’on peut
logiquement situer l’origine de la pensée suivant laquelle les Juifs forment une catégorie
humaine radicalement différente de celle des non-Juifs. Dans la première description (Gen., 1,
26-27) il est dit que l’homme a été créé en tant qu’espèce (hommes et femmes), exactement
comme les animaux (mâles et femelles) et par le même moyen : la parole divine efficace en ellemême ; dans la seconde description au contraire (Gen., 2, 7) la création n’est pas celle de
l’espèce humaine (mâle et femelle) mais d’un homme particulier, Adam. Elle est effectuée
non par la parole divine comme précédemment mais par le modelage de la glaise et surtout
par l’action du souffle divin (c’est-à-dire par insufflation d’une âme).
De ces récits mythiques concernant l’événement primordial, trois interprétations
principales ont été émises au cours des siècles.
Dans la première interprétation qui est la plus ancienne rapportée par le Talmud de
Babylone et qui est toujours en vigueur au sein du judaïsme religieux contemporain, on
considère qu’il y a eu, à propos des hommes, deux créations distinctes et successives : dans un
premier temps Dieu crée les animaux et les hommes ordinaires (les non-Juifs), dans un second
temps il crée Adam, le père des Juifs à qui, dans un geste particulier de suprême distinction, il
donne une âme. La catégorie des Juifs, la plus tardivement créée et la plus parfaite, est la race
élue de Dieu. Selon une tradition rabbinique, il y aurait eu en effet neuf cent soixante quatorze
générations, comme autant d'essais faits par Dieu, entre la création des hommes ordinaires et
celle des Juifs. Dans le Talmud, écrit vers le IIIe siècle, il est dit ainsi : « Vous êtes nommés
adam mais les nations du monde ne sont pas nommées "adam" […] Vous avez droit au nom
d'hommes mais non les idolâtres […] Vous les Israélites, on vous appelle des hommes, alors
que les nations du monde ne méritent pas le nom d’hommes mais seulement d’animaux ».
Dans le Zohar, un des principaux ouvrages de la Kabbale juive datant du XIIIe siècle, on lit de
même : « "Les individus vivants" désignent les enfants d'Israël qui constituent l'individualité
vivante, sainte et suprême […] C'est vous qui êtes appelés "hommes" et non les autres
peuples, serviteurs des étoiles et des constellations ». Un texte récent de la revue de la
Jeunesse loubavitch de France reprend cette même conception : « Si Dieu a créé l’univers
entier selon la division fondamentale des quatre règnes, minéral, végétal, animal et humain, il
70
. Traité d’athéologie, p. 199.
. Les citations de cette partie proviennent pour la plupart de l’ouvrage de l’historien André Pichot, Aux origines
des théories raciales. De la Bible à Darwin.
71
32
est écrit qu’il existe en réalité un cinquième genre : Am IsrAël, le peuple juif. Et l’écart qui le
sépare du quatrième genre – l’ensemble de l’espèce "parlante" humaine – n’est pas moindre
que l’écart entre l’humain et l’animal »72.
Selon cette interprétation que l’on a qualifiée de préadamique, qui n’est présente qu’au sein
du judaïsme et qui va avoir une longue carrière – « au XIXe siècle, l'origine préadamiste du
polygénisme était tout à fait connue » écrit André Pichot – deux humanités, d’aspect similaire
mais d’essence et de valeur différentes, sont ainsi en présence.
La seconde interprétation est essentiellement celle du christianisme. Pour lui, après avoir
rejeté formellement la conception précédente selon laquelle les non-Juifs n’ont constitué de la
part du Créateur qu’une ébauche humaine, Adam est vraiment le père de tous les hommes :
tous ont été créés simultanément à l’image de Dieu et possèdent une âme.
On remarquera néanmoins que le christianisme adoptera intégralement le dogme de
l’Élection divine du peuple juif destiné à engendrer le Messie. Il ajoutera seulement que ce
Messie et Sauveur des hommes est Jésus de Nazareth.
Quant à la troisième interprétation que l’on a pu, à l’époque moderne, qualifier de soft
par rapport à la première et qui, comme elle, ne se voit qu’au sein du judaïsme, elle apporte
une nuance par rapport aux deux autres : tous les hommes ont bien été créés simultanément
par Dieu et possèdent une âme – les deux récits de la Bible sont généralement considérés
aujourd’hui par les exégètes comme provenant de deux sources distinctes du même
événement73 – mais les Juifs ont néanmoins une âme particulière car ils sont appelés à former
le Peuple élu destiné à être séparé des autres. Au XVIe siècle, Rabbi Yéhudah-Lajb ben
Betsalel (1520-1609), dit le Maharal de Prague, théorisa ainsi la spécificité des Juifs d’où
découle leur distinction radicale d’avec les non-Juifs : « Le fait que les Juifs soient imprégnés
de l'Esprit de Dieu et d'un grand sens prophétique, plus que les autres nations qui ne
possèdent pas l'Esprit, est comparable au fait que la race humaine possède une intelligence
supérieure à celle de toute autre créature qui n'est pas douée d'intelligence, grâce à une
prédisposition qui lui est inhérente. Si l'on prétend que la nation a reçu ces divines qualités de
la Prophétie et de l'Esprit divin, hors de toutes prédispositions particulières, alors il est aussi
possible que l'animal puisse recevoir une intelligence humaine sans prédisposition
particulière. Mais ceci est évidemment impossible. De la même manière, il est impossible
qu'Israël ait acquis ces choses sans quelques caractéristiques spirituelles particulières »74.
À l’époque contemporaine le rabbin Léon Askénazi (1922-1996), par exemple, adopte une
pensée très voisine. Pour lui, deux éléments essentiels sont à retenir du texte biblique
concernant la Création : d’une part les goyim sont bien des hommes contrairement à ce
qu’enseignent les milieux piétistes juifs toujours adeptes de l’interprétation hard du mythe,
d’autre part les nations du monde, qui ne sont pas nommées adam, n’ont pas reçu le souffle
divin. Une distinction fondamentale et immuable s’impose entre les Juifs, le peuple élu, et les
autres.
Notons ici que cette origine adamique de l’humanité fut violemment contestée dès le
XVIIIe siècle par nombre d’esprits éclairés pour qui cette origine ne se situait pas en Palestine.
En résumé, si les interprétations du mythe biblique de la Création sont diverses au sein du
judaïsme puisqu’elles vont « de la prétention anodine voulant que seuls ceux qui étudient la
Torah sont des hommes à l'assimilation des rapports sexuels avec un non-Juif à un crime de
72
. Citation rapportée par J. Macé-Scaron dans La tentation communautaire, Plon 2001, p. 51.
. Leçons sur la Torah, Albin Michel 2007, p. 256-257.
74
. A. Pichot, Op. cit, p. 56.
73
33
bestialité »75, il reste que la différenciation entre Israël et le reste du monde, dans le sens
d’une supériorité du premier, est partout clairement affirmée et vue comme irréductible.
Il convient aussi de remarquer que ce mythe biblique de la Création – soit dans sa forme
dure selon laquelle la création conjointe des non-Juifs et des animaux a précédé celle des
Juifs, soit dans sa forme douce selon laquelle les Juifs, seuls descendants d’Adam, reçoivent
une âme particulière – est au fondement même de la dimension biologique de l’identité juive
ou, en d’autres termes de sa dimension raciale. L’historien A. Pichot a bien vu l’élément
crucial en cause : « L’élection divine n'est pas seulement spirituelle, écrit-il, ce n'est pas
seulement une question d'âme, elle est biologiquement marquée dans le corps »76.
LE MYTHE BIBLIQUE DE L’ALLIANCE ET DE L’ÉLECTION DIVINES
Selon le récit biblique les Hébreux et leur dieu, Yahvé, ont établi, voici quelque trois mille
ans, un contrat selon lequel les Hébreux, moyennant obéissance à ce dieu, constituent son
peuple privilégié, le Peuple choisi parmi tous les autres et reçoivent en héritage, en propriété
exclusive et perpétuelle, une terre particulière, la Terre promise.
« J’ai octroyé à ta race ce territoire – du torrent d’Égypte jusqu’au grand fleuve
d’Euphrate » (Genèse XV, 18).
« Désormais, si vous êtes dociles à ma voix, si vous gardez mon alliance, vous serez mon
trésor entre tous les peuples ! Car toute la terre est à moi, mais vous, vous serez une dynastie
de pontifes et une nation sainte » (Exode, 19, 5-6).
« Race d'Israël, le serviteur de Yahvé, Enfants de Jacob, ses élus! » (1 Chroniques, 16, 13).
Intimement associé au mythe de la Création et confortant la séparation radicale des Juifs et
des non-Juifs, tel se présente le pacte mythique de l’Alliance (le berith) entre Dieu et le
peuple juif. Toute la tradition juive va être particulièrement marquée par cette donnée biblique
majeure suivant laquelle Dieu après avoir doté ce peuple, Israël, d’un esprit particulier voire
d’une nature spécifique, s’est tourné vers lui pour instaurer un ordre social conforme à ses lois
et offrir ainsi un modèle à toute l’humanité. De multiples textes de la Bible, de la Mischna, du
Talmud vont développer le thème du Peuple élu tandis que rabbins et docteurs de la Loi, à
travers les siècles et jusqu’à nos jours dans les diverses nations, vont travailler de toutes leurs
forces pour faire des Juifs une communauté radicalement distincte et séparée des autres.
« Dogme capital : les habitants du monde sont répartis entre Israël et les autres nations
prises en bloc. Israël est le peuple élu »77.
Remarquons que l’Élection sacrée d’une communauté a son corollaire :
l’Altérité/supériorité et son accompagnement obligé : l’Exclusion, elle-même sacrée, des
autres communautés. Il y a les Juifs et les Autres, une nation sainte à côté de celle des impies,
une race supérieure à celle des autres. Quant à la Terre promise elle deviendra naturellement
la Terre éternelle, la Terre acquise, donnée essentielle de l’idéologie sioniste.
Notons aussi que ces mythes de la Création, de l’Élection et de l’Alliance entre un dieu et
un peuple sont passés intégralement dans la doctrine du christianisme. « Le salut vient des
Juifs » proclame l’Évangile de saint Jean (Jn 4, 22) tandis que Mgr J. M. Lustiger78 peut écrire
logiquement : « Deux catégories d’hommes divisent l’histoire : celle qui participe de
l’élection, Israël, et celle qui n’y a pas droit […] Les juifs ne sont ce qu’ils sont que dans la
mesure où ils sont d’abord les témoins de l’Élection ». Georges Bernanos, en fidèle interprète
du dogme chrétien, écrit de même à propos des Juifs : « leur religion est basée sur un
privilège racial, concédé par Dieu à la race, à la chair et au sang juifs »79. Quant à Charles
75
. Ibid., p. 57.
. Ibid., p. 54.
77
. Le Talmud du rabbin Cohen, Éditions Payot, 1986, p. 104.
78
. La Promesse, p. 16 et 162.
79
. Lettre du 10 juin 1944. Combat pour la liberté, Plon 1971, p. 546.
76
34
Péguy, face à cette faveur inouïe accordée à la seule lignée des Juifs, il interroge Dieu en ces
termes : « Que vous ont-ils fait, mon Dieu, ces gens-là, pour être honorés de cet honneur,
favorisés, fortunés, bénis, graciés de cette grâce »80.
Si l’Élection a été vue par le monde juif depuis deux millénaires comme un honneur et un
privilège divins absolument gratuits conférant un statut d’exception au peuple juif, certains
auteurs modernes, en témoins inconscients de l’exceptionnelle paranoïa véhiculée par le
judaïsme, ont ajouté le fait que l’Élection comportait aussi une responsabilité : celle
d’apporter rien de moins que la Justice et la Paix sur la terre en vertu d’une mission
messianique : la Rédemption de l’humanité (suivant un commentaire traditionnel du Livre
d’Isaïe). « C’est pour l’humanité que le judaïsme est venu » écrit Emmanuel Levinas 81;
« Le juif est au monde pour accomplir une mission qu’il n’a pas choisie et à laquelle tout se
subordonne, et non pour pourvoir à son propre "épanouissement" » écrit de son côté Gilles
Bernheim82. Bien des idéologies, idéologies laïques et révolutionnaires comme le
communisme, ou religieuses telles que le christianisme et l’islam, se sont donné aussi la
mission de promouvoir pour tous les hommes quelque paradis terrestre ou céleste. Pourtant la
différence est fondamentale entre elles et le judaïsme. Dans ces systèmes de pensée, tous les
hommes – il leur suffit de le vouloir – sont appelés à apporter leur concours à l’entreprise de
salut universel ; pour le judaïsme, seul le peuple juif, qui se voit en peuple-messie, a cette
vocation éminente entre toutes.
À propos du mythe hébreu de l’Alliance, il n’est pas inintéressant d'évoquer ici les travaux
récents d’Israël Finkelstein et de Neil Asher Silberman sur la Bible dévoilée83. Suivant ces
chercheurs, la religion juive a été (re)constituée par divers personnages (Esdras, Néhémie…)
au retour de l'exil babylonien, sur la base d’une idéologie antérieure. Il n'y a donc eu ni
d'Abraham, ni de Moïse, ni de conquête de la terre promise. Pour ces chercheurs juifs le
monothéisme a une origine perse ou hittite tandis que N. Kramer84 montre, par ailleurs, qu'une
large partie du matériel biblique est d'origine sumérienne ou akkadienne et plus globalement
babylonienne (avec particulièrement le code d'Hammurabi).
Si on mesure notamment les incalculables conséquences que la croyance au mythe de
l’Alliance divine ont entraînées dans l'histoire, notamment depuis un siècle avec l’occupationcolonisation-annexion de la Palestine par le mouvement sioniste et si, par ailleurs, on suit
l'hypothèse très vraisemblable de divers historiens contemporains selon lesquels les Juifs du
Maghreb seraient des Berbères judaïsés à l'époque romaine, tandis que les musulmans de la
Palestine arabe seraient des Juifs convertis à l'islam dans les premiers temps de la conquête,
comment ne pas évoquer les abysses où peuvent conduire les mythes qui structurent les trois
religions monothéistes ?
Comme nous le verrons, en adoptant et en répandant dans le monde entier ces mythes
hérités du judaïsme, le christianisme aura une responsabilité particulièrement notable,
notamment dans les événements les plus dramatiques du XXe siècle.
En résumé : il semble bien que ce soit dans ces tout premiers textes de la Bible,
contestant l’unité du genre humain en prônant l’existence de deux espèces d’hommes,
que réside véritablement l’invention de la pensée raciale telle que nous l’entendons à
l’époque moderne, pensée qui est à la base même du phénomène nommé racisme.
80
. Le Mystère de la charité de Jeanne d’Arc, Œuvres poétiques complètes, Gallimard, Bibliothèque de la
Pléiade, 1994, p. 48.
81
. Difficile liberté, Albin Michel, Le livre de poche, p. 247.
82
. Réponses juives aux défis d’aujourd’hui, p. 144.
83
. La Bible dévoilée, Les nouvelles révélations de l'archéologie, Bayard, 2002.
84
. Dans L'histoire commence à Sumer.
35
À propos de ces mythes inauguraux fondateurs du judaïsme où s’invente la pensée raciale,
rappelons tout d’abord, et pour aller à l'essentiel, qu’un mythe en général, dans son acception
moderne qui marque une rupture avec l’histoire, est un récit légendaire, fabuleux,
merveilleux, fantastique, né de l’imagination des hommes, mais qui est néanmoins porteur de
sens pour les communautés humaines qui l’ont adopté. Ainsi que l’écrit Paul Valéry85 : « Il
n’est de discours si obscur, de racontar si bizarre, de propos si incohérent à quoi nous ne
puissions donner un sens ». En effet, le récit mythique qui exprime et enseigne des règles de
vie, des interdits, des sentiments peut représenter pour ses adeptes le fondement d'une
idéologie, d’une existence, d'un comportement, d'une conception du monde, d’une aide à
vivre. D'une certaine philosophie en somme. Beaucoup de peuples auront ainsi, pour le
meilleur et pour le pire, leurs mythes sacrés fondateurs.
Remarquons aussi que les mythes, indépendamment de leur « efficacité idéologique
considérable »86, sont soumis avec le temps à une évolution singulière. Au premier stade, les
événements qu’ils comportent sont vus par les populations comme des événements "vrais".
C’est la phase théologique où leur prégnance est maxima. Puis, à un second stade, atteint
après un certain nombre de millénaires, ils rentrent dans la phase mythologique proprement
dite : c’est la phase que l’on peut qualifier de culturelle où leur influence globale se réduit tout
en gardant, très longtemps encore, leur capacité d’inspiration et de conditionnement. Malgré
l'émergence dans les esprits de leur caractère légendaire, les mythes continuent à imprégner
durablement la civilisation qui les porte, à meubler son imaginaire collectif et à mobiliser des
énergies considérables : « Ce n’est pas parce que Dieu est mort, qu’est morte la théologie
instinctive et inconsciente qui nous pousse à placer au départ de toute histoire une origine,
puis un processus… » écrit Régis Debray87. Comment ne pas faire référence ici aux Pères
fondateurs du sionisme (en tant qu’idéologie ou mouvement politique) et aux sionistes
d’aujourd’hui, athées dans leur grande majorité, qui ont exploité et exploitent chaque jour en
Palestine depuis un siècle cette Alliance avec un dieu qui n’existe pas pour eux ! Comme
l’écrit pertinemment Cioran : « Lors même qu’il s’éloigne de la religion, l’homme y demeure
assujetti ; s’épuisant à forger des simulacres de dieux, il les adopte ensuite fiévreusement :
son besoin de fiction, de mythologie, triomphe de l’évidence et du ridicule »88.
Si les mythes grecs (Prométhée, Œdipe, Antigone, Narcisse, Orphée, Sisyphe...) ont,
depuis déjà un certain nombre de siècles, perdu leurs croyants et accédé au domaine de l’art
en inspirant désormais écrivains, poètes et artistes en Occident latin, les mythes bibliques
quant à eux sont sans doute encore assez éloignés de leur stade terminal. Les dieux de
l’Olympe « reposent dans leur linceul de pourpre »89 mais celui de la Bible, Yahvé, est
toujours vivant et opérationnel même pour ceux qui le nient. Dans l’esprit d’une multitude de
Juifs et de chrétiens tributaires de leur culture ancestrale, diverses données ne sont-elles pas
encore des valeurs sacrées : « les Juifs forment la Race élue de Dieu », « la Palestine est la
Terre d’Israël »?
LA TRANSMISSION HÉRÉDITAIRE DE LA JUDÉITÉ
"Est juif celui qui a du sang juif"
Alors que les adeptes de la plupart des religions n'ont que le lien d'une croyance
métaphysique commune et que ce caractère d'adepte est accessible à tous, la judéité quant à
elle, radicalement différente, relève essentiellement d’un principe biologique. La naissance est
85
. Petite lettre sur les mythes, Variétés II, 1930.
. Expression de Georges Dumézil rapportée par M. Olender, Op. cit. p. 150.
87
. Le pouvoir intellectuel en France, Ramsay, 1979.
88
. Mahomet ou le fanatisme, Le temps singulier, 1979, p. 9.
89
. Renan dans La prière sur l’Acropole.
86
36
le vrai critère d'appartenance, le Juif se définit par ses ancêtres : est juif celui qui a du sang
juif.
Pendant la période biblique la judéité se transmettait par le père mais, depuis la loi
rabbinique, établie après la destruction du Temple par les Romains à l’aube de l’ère moderne,
la judéité se transmet avant tout par le sang maternel selon la formule : Est juif celui qui a une
mère juive. Au Ve siècle de notre ère, alors que les légions romaines violèrent les femmes
juives d'Afrique du nord, la Halakha confirma que les enfants nés de ces unions étaient bien
juifs. Il faut remarquer néanmoins, d’une part que la judéité dans le judaïsme traditionnel se
transmet systématiquement par le sang paternel lorsque celui-ci est un Cohen, un Lévy ou un
Israël, d’autre part qu’elle se transmet à la fois par le père et la mère dans le judaïsme réformé
moderne.
Pour toute une tradition, la judéité est indélébile. « On est juif pour la vie ou on ne l’est
pas » : même en cas de conversion à une autre religion le sujet conserve son identité juive.
Comme l’écrit un auteur, « être juif c’est être engagé dans la vie en tant que juif sans jamais
pouvoir y renoncer. La contrainte du Sinaï signifie que la fuite est impossible »90. Ceci
n’empêche pas, bien entendu, certains Juifs de penser différemment et, en s’appuyant
éventuellement sur des textes particuliers, de considérer que la judéité peut se perdre par la
volonté ou bien qu’il y a des Juifs de sang pur et des Juifs de qualité inférieure, des demi-Juifs
et des quart-de-Juifs. Donnée en définitive essentielle : indépendamment de toute
connaissance ou pratique du judaïsme de la part d’une personne, la qualité de juif lui est
assurée par le sang, cet élément premier qui fait la race.
Remarquons aussi que la loi juive prévoit des apports étrangers par conversion. Il est
évident que le judaïsme s’est formé, tout au moins à certaines périodes, par ce processus91
comme s’est produit le phénomène inverse de conversion des Juifs au christianisme et à
l’islam. On peut considérer toutefois que le judaïsme rabbinique non seulement ne fait guère
de prosélytisme mais qu’il pratique généralement une dissuasion maximale près de tout
candidat éventuel à la conversion92. Traduisant une négation de cette donnée essentielle du
judaïsme qu’est l’Élection divine, combattu vigoureusement par la plupart des autorités
religieuses, le prosélytisme juif est ainsi resté marginal même s’il y a toujours eu des
mélanges de sang. C’est dire que l’option de conversion existe mais que les conditions
exigées concrètement par les rabbins sont telles – notamment celle de pratiquer les 613
commandements de la Torah – que, sauf exception, un goy (terme appliqué initialement aux
chrétiens, puis à tous les étrangers et qui est synonyme aussi de gentil) ne devient pas juif,
conformément à la thèse largement majoritaire selon laquelle « la volonté ne saurait suffire
pour faire partie du peuple choisi par Dieu ». « On connaît, écrit Martine Leibovici93, la
célèbre phrase de Rabbi Helbo de la fin du IIIe siècle, phrase présente à quatre reprises dans
90
. Elie Botbol, Quel avenir pour le judaïsme, p. 57.
. Dans la Guerre des Juifs, Josèphe peut écrire : « Ayant amené à leur culte un grand nombre d’Hellénes, ils en
firent une partie de leur communauté » (rapporté par E. Renan dans Judaïsme et Christianisme, p. 110). Par la
suite, la conversion la plus notable est sans doute celle des Khazars établis entre la mer Noire et la mer
Caspienne au VIIIe siècle.
92
. A. Chouraqui dans Mon testament (p. 7) précise même que : « Pour le juif de l’exil, tout prosélytisme était à
la fois impossible, interdit et lourdement sanctionné».Pour Théo Klein (Le Guetteur, p. 168) : « Les rabbins
soumettent la conversion à de telles exigences rituelles et les candidats à des tracas tellement suspicieux que la
conversion cesse d’être une adhésion pour devenir une soumission ». À propos de ce prosélytisme juif qui a été
actif à certaines périodes et qui ne repose nullement comme dans le christianisme et l’islam sur l’apport aux
"sauvages", aux "ignorants" , aux "retardataires"… des biens supérieurs que sont la Vérité et surtout le bonheur
paradisiaque post-mortem, on peut ajouter que le moteur de ce prosélytisme est moins l’intérêt des goyim que
l’intérêt supérieur du groupe juif à savoir son renforcement au milieu des autres. Pour le monde juif quasi
unanime la vie se termine en effet dans le shéol, où tous les individus, justes et criminels, rois et esclaves, pieux
et impies se retrouvent pour y demeurer dans le silence et redevenir poussière.
93
. Simone Weil, la mal née in La Haine de soi, Éditions Complexe 2000, p. 298.
91
37
le Talmud de Babylone : « les prosélytes sont aussi pénibles pour Israël que la lèpre pour
l’épiderme ». Celle de Rabbi Hama, un autre maître de la même époque, n’est pas moins
expressive : « Le Saint, béni soit-il, ne fait reposer sa Présence que sur les familles d’Israël
dont la généalogie est sans tache ».
De toute façon, après les exceptionnelles conversions légitimées par les rabbins, le droit du
sang, le jus sanguinis en vigueur, s’applique automatiquement pour les descendants du
converti : celui-ci, par son sang, transmet la judéité. Le judaïsme comporte en effet une
dimension qui lui est presque spécifique dans la sphère occidentale : la dimension
généalogique avec son double contenu d’irréversibilité et de contrainte morale94. C’est ainsi
que nombre d’auteurs juifs, pour bien marquer ces données originales, insistent
particulièrement sur la dimension biologique ou raciale du judaïsme, dimension d’où il
s’ensuit que les notions de sang et de pureté de lignage ont, pour les Juifs, une tout autre
portée que pour les non-Juifs. Certes, ces derniers sont toujours plus ou moins amenés par
l’environnement familial à être chrétiens, socialistes ou fascistes… mais ils ne sont pas nés
chrétiens, demi-chrétiens ou quart-de-chrétiens, socialistes ou fascistes, bien nés ou mal nés.
Non tributaires du sang reçu à la naissance, ils gardent la liberté fondamentale de ne pas se
voir et de ne pas être vus comme les héritiers obligatoires d’une culture ancestrale. Cette
liberté ne saurait appartenir aux hommes nés Juifs95, otages du lien intime entre leur identité et
leur hérédité : elle ne peut être pour eux que le fruit d’une conquête personnelle et d’une
rupture laborieuse.
La circoncision : signe d’appartenance au peuple élu de Dieu et marque d’identité
Il convient d'ajouter que le marquage par le sang, institué par la loi de transmission
héréditaire de la qualité de juif, se trouve complété chez l’enfant mâle (ou le prosélyte adulte
qui se convertit) par un marquage spécifique dans la chair : la circoncision. Dans le judaïsme,
cette pratique revêt en effet une signification précise : c’est le signe de l’Alliance éternelle
conclue entre Yahvé, le dieu de la mythologie hébraïque, et Abraham. « Mon alliance sera
marquée dans votre chair, comme une alliance perpétuelle. L'incirconcis, le mâle dont on
n'aura pas coupé la chair du prépuce, cette vie-là sera retranchée de sa parenté : il a violé
mon alliance » (Genèse 17, 13-14). D'un côté, il y aura le peuple élu de Dieu et, de l’autre, la
masse des individus exclus de la promesse.
On peut remarquer que ce marquage dans la chair, en s’éloignant de sa référence purement
religieuse, est même devenu avec le temps un acte affirmant à lui seul et de façon irrévocable
l’identité juive. C’est une marque qualifiante de la judéité : sur un enfant mort avant l’ablation
du prépuce le préposé à l’opération, le mohel, effectue son travail. De même, les convertis au
judaïsme ne sont qualifiés de Juifs qu’après cette entaille irréversible.
Conditionnant le sujet tous les jours de sa vie à se voir d’une catégorie autre que celle des
non-Juifs et, en cas d’indocilité, à se savoir menacé par les siens « d’être rejeté parmi la
94
. Seule la communauté tsigane peut, de ce point de vue, lui être comparée : représentant également une
catégorie raciale minoritaire elle sera "naturellement" victime de racisme. Par ailleurs, il est évident que le
problème du racisme est fort différent dans les deux populations : les Tsiganes, du fait de leur type de
nomadisme, n’ont qu’une modeste culture contrairement aux Juifs dont le nomadisme s’accompagne d’une
intégration culturelle poussée dans tous les pays où ils vivent.
95
. Dans l’islam la transmission de la religion par le père constitue aussi une contrainte archaïque mais
l’inspiration et la signification de cette pratique sont fondamentalement différentes de celles du judaïsme. Les
notions de sang, de lignée, de race, si importantes dans le judaïsme, sont chez lui quasi-inexistantes : l’islam,
comme le christianisme, est accessible à tous les hommes : toute théorie raciale comme toute idéologie raciste lui
est fort étrangère.
38
"canaille"96 », cette mutilation du sexe irréversible, contrevenant au respect de l’intégrité
physique dû à tout individu97 et à sa liberté, sera pour certains Juifs une pénible sujétion.
LES TEXTES SACRÉS EXPLICITANT LA DIVISION DE L’HUMANITÉ
ET LA PENSÉE RACIALE
Alors que bien des écrits du judaïsme appellent à respecter l'étranger98, alors que le
monothéisme intransigeant a pu contribuer à promouvoir l’égalité entre les hommes, à réduire
la barbarie antique et à susciter la générosité qui a pu guider les chrétiens et les pionniers du
socialisme99, on peut dire que ces données sont largement occultées par l’histoire et la
littérature juives au profit de celles exaltant le judéocentrisme suivant lesquelles le non-Juif
est toujours le gentil, le goy, le quelconque, le commun, l’autre par nature. Entre ces deux
sortes de textes contradictoires les plateaux de la balance ne sont manifestement pas au même
niveau... Découlant directement des mythes fondateurs instituant une différence d’essence
entre Juifs et non-Juifs, bien des écrits émanant du judaïsme vont venir en effet conforter la
donnée suivant laquelle le peuple juif est fondamentalement différent des autres, donnée que
nous avons vue à la base de tout racisme. Citons quelques-uns de ces textes dont le caractère
sacré masque l’archaïsme mais qui sont toujours source d’inspiration à l’époque moderne en
dehors même des cercles religieux :
« Race d'Israël, son serviteur, Enfants de Jacob, ses élus ! » (Chroniques 16, 13).
« C’est un souvenir pour les enfants d’Israël, afin qu’aucun étranger à la race d’Aaron ne
s’approche pour offrir du parfum devant l’Éternel » (Nombres 16, 40).
« Toi, Éternel, Tu les garderas, Tu les préserveras de cette race à jamais » (Ps 12, 8).
Ainsi parle le Seigneur Dieu : « Aucun étranger, incirconcis de cœur et incirconcis de
chair, n'entrera dans mon sanctuaire, aucun étranger qui demeure au milieu des fils d'Israël
» (Ez. 44, 9).
Le Deutéronome précise de son côté le sort qu'il convient de réserver aux idolâtres : « Si
ton frère, fils de ta mère, ou ton fils ou ta fille ou la femme que tu serres contre ton cœur, ou
ton prochain qui est comme toi-même, vient en cachette te faire cette proposition : "Allons
servir d'autres dieux" – ces dieux que ni toi ni ton père vous ne connaissez, parmi les dieux
des peuples proches ou lointains qui vous entourent d'un bout à l'autre du pays – tu
n'accepteras pas, tu ne l'écouteras pas, tu ne t'attendriras pas sur lui, tu n'auras pas pitié, tu
ne le défendras pas ; au contraire, tu dois absolument le tuer. Ta main sera la première pour
le mettre à mort, et la main de tout le peuple suivra ; tu le lapideras, et il mourra pour avoir
cherché à t'entraîner loin du Seigneur ton Dieu » (Deut. 13, 7-11).
Dans tous les écrits fondamentaux du judaïsme, notamment dans le Talmud, le peuple juif
est toujours vu en effet comme un peuple différent des autres sinon supérieur : N'est-il pas
écrit dans la Torah : « qu'Israël vivra en solitaire et ne se confondra pas avec les nations » ?
(Nombres 23, 9)
96
. Rey-Flaud, Et Moïse créa les Juifs, p. 253.
. Remarquons ici que le tribunal de grande instance de Cologne, dans son jugement du 26 juin 2012, a jugé que
la circoncision d’un enfant pour un motif religieux était une mutilation passible d’une condamnation.
98
. « N'humilie pas l'étranger, ni l'opprimé, car vous avez été étrangers en Égypte ! N'humilie jamais la veuve ni
l'orphelin » (Exode 22:20) ; « Tu aimeras l'étranger qui s'installe chez toi comme toi-même » (Lévitique 19, 1718 et 34) ; « Vous et l’étranger serez égaux devant l’Éternel. Même loi et même droit existeront pour vous et
pour l’étranger parmi vous » (Nombres 15, 15-16).
99
. Si on peut légitimement attribuer au monothéisme des vertus (Emmanuel Levinas parle, lui, d’une nette
supériorité), il ne faut pas méconnaître qu’il fut aussi, contrairement au polythéisme, source d’intolérance et de
violence (cf. Jean Soler dans La violence monothéiste ou J. P. Castel dans Le déni de la violence monothéiste).
Par ailleurs, sur le plan Vérité, on ne saurait comparer le monothéisme et le polythéisme. Appartenant l’un et
l’autre au domaine de la mythologie leurs données ne sont pas accessibles à la raison mais à la foi.
97
39
N'est-il pas dit que le Juif religieux doit, chaque matin, bénir Dieu de l'avoir créé Juif et
non autre ?
N'est-il pas écrit, dans la Halakha, qu'un Juif peut transgresser le Shabbat pour sauver la
vie d'un autre Juif, mais non de celle d'un non-Juif ?
N'est-il pas prescrit au Juif pratiquant de prononcer chaque matin les paroles de la prière du
Shaharit : « Béni soit l'Éternel qui ne m'a pas fait goy… »?
Le grand mystique juif Moshe Luzzatto (1706-1746) intégrera parfaitement ces données : «
Dans le monde à venir, affirme-t-il sans ambages, aucune nation n'a de place à l'exception
d'Israël ». N'est-il pas dit d'ailleurs dans le Lévitique que : « le plus saint des peuples, est
celui d'Israël » ? À ces propos, Schattner100 rapporte une donnée tout à fait caractéristique
d'une certaine évolution de l'éthique juive. Alors que dans une version ancienne de la Mishna
il est dit : « Qui a détruit une vie a détruit tout un monde et qui a sauvé une vie a sauvé tout
un monde », les versions imprimées ultérieurement sont devenues : « Qui a détruit une vie au
sein d'Israël a détruit tout un monde et qui a sauvé une vie en Israël a sauvé tout un monde.»
Dans le Talmud (Sefer Midrash) on peut lire aussi : « Dieu créa les akums [les non-Juifs]
sous forme d'hommes en l'honneur des Juifs. Les akums n'ont été créés que pour servir les
Juifs jour et nuit sans qu'ils puissent quitter leur service. Il ne conviendrait pas à un Juif
d'être servi par un animal, mais bien par un animal à figure humaine […] Il faut s'appliquer
à attiser les querelles des akums quand le feu commence à brûler ; car quand les chiens
s'entre-déchirent, ils laissent les agneaux en repos ».
Comme le suggèrent tous ces textes, si le judaïsme a généré une pensée d’ordre racial
inédite dans les autres communautés, c’est pour avoir théorisé de façon particulière,
l’étranger. Désigné à la fois par la doctrine, les rites et les textes, il est celui qui n’est pas élu
de Dieu, qui est soit un ennemi, soit un opposant, soit celui que l’on tolère par
condescendance, voire celui que l’on reçoit par intérêt, bonté ou générosité (comme en
témoignent divers textes cités précédemment ou bien l’histoire de Ruth la Moabite101), mais
celui qui est fondamentalement autre de par son ascendance charnelle. Il peut être aussi celui
qui, par son caractère impur, est susceptible de menacer l’équilibre, l’intégrité et l’harmonie
du Juif. Les deux éléments de base que nous trouvons ici sont toujours les mêmes : les mythes
fondateurs et la loi fondant la judéité, éléments qui se sont associés et confortés mutuellement
au cours des temps pour une situation particulièrement contraignante car fondée sur des textes
sacrés restés en vigueur jusqu’à nos jours102.
Le christianisme et l’islam ont commis nombre de crimes inexpiables au nom de leur
Vérité, néanmoins, les dites traditions religieuses n’ont jamais perdu de vue très longtemps
que les populations étrangères qu’elles méprisaient ou oppressaient étaient faites de gens
destinés avant tout, quels qu’ils soient, à être convertis (par la persuasion ou la force) et à
devenir des frères. Pour le christianisme, un musulman est toujours un chrétien potentiel et
réciproquement. Pour le judaïsme au contraire (sauf exception) l’étranger reste l’étranger en
vertu du mythe de l’Alliance et du droit du sang qui fondent à tout jamais deux catégories
d’individus, les Juifs et les Autres. Régis Debray103 remarque d’ailleurs fort pertinemment que
si le Décalogue dit : « Tu ne tueras pas », il proclame aussi qu’ « autrui n’est point les autres.
Interdit est l’homicide, non la guerre. Caïn est coupable de meurtre, il a tué son frère, mais
Josué est un héros, il a exterminé les Cananéens par milliers. Tu ne tueras point (un
100
. Le maillon faible, Interrogations sur l'alliance entre nationalisme et religion en Israël, Esprit-mai 1998, p.
92.
101
. Laquelle, en donnant un enfant au vieux Booz, va s’inscrire dans la généalogie des ascendants du roi David.
102
. Certes, nous disent les ethnologues, toutes les sociétés anciennes ont conditionné leurs enfants à se méfier
des étrangers, des autres, des inconnus, des non-consanguins, mais ce qui fait la spécificité de la culture juive
c’est d’avoir cultivé et exalté cette donnée jusqu’à nos jours avec une application sans faille.
103
. Le feu sacré, p. 200.
40
coreligionnaire) mais tu tueras outre-mont, derrière la dune (les faux frères idolâtres, les
apostats, et, bien sûr, les Philistins) ».
Si le Lévitique et le prophétisme juif donnent parfois au mot prochain le sens de l’autre au
sens plein, si divers penseurs juifs modernes, tels Rosenzweig et Lévinas104 ont pu soutenir
que l’accueil de l’étranger fait partie intégrante de la foi juive, il reste que pour l’essentiel de
la tradition, notamment pour le pouvoir rabbinique, le prochain n’est que l’enfant du peuple
juif et le non-Juif une menace perpétuelle. Il est patent que le judaïsme rabbinique qui est né il
y a quelque deux mille ans parallèlement au christianisme et qui s’est depuis sans cesse
renforcé, « judaïsme raciste selon tous les conseils d’Esdras et de Néhémie105 » comme
l’estime Ilan Halevi, a joué comme un élément de civilisation régressif en confortant les
mythes fondateurs par des dispositions spécifiques. Quels que soient les contextes sociaux
s’appliquent en effet avec lui des interdits qui signent l’autrisme106, la race et le racisme et qui
annihilent d’emblée, aux yeux des hommes libres, ce que certains textes pouvaient suggérer
de généreux, de progressiste, d’universaliste. On peut noter en effet que la notion d’humanité
universelle n’est pas née avec le Dieu d’Israël mais avec le Dieu chrétien, notamment avec le
Juif Paul, lequel par sa double culture judaïque et gréco-romaine (et plus précisément
stoïcienne), aura cette formule : « Désormais il n'y a plus ni Grecs ni Juifs, ni circoncis ni
incirconcis, ni Barbares ni Scythes, ni esclaves ni hommes libres »107.
LES MYSTIQUES BIBLIQUES DU PUR ET DE L’IMPUR, DE LA RACE ET DU SANG
L’impureté de nature des gentils et les premières lois de pureté raciale
Si les catégories du pur et de l'impur sont présentes dans nombre de systèmes religieux,
comme l’écrit Roger Caillois108, elles revêtent néanmoins dans la Bible et les divers écrits
sacrés du judaïsme un statut tout à fait exceptionnel. Pour les Juifs fidèles elles représentent
rien de moins qu’une contrainte continue, voire une véritable obsession dans un idéal
constamment réaffirmé de distinction, de séparation et de préservation : « Soyez saints pour
moi, car je suis saint, moi l’Éternel, et je vous ai séparés d’avec les autres peuples pour que
vous soyez avec moi » (Lévitique 17, 14).
La cacherout va constituer un des principaux fondements de la Loi, de la pensée et de la
culture juives.
Sont concernés en premier lieu les mystères de la vie. Pour les Hébreux comme pour les
peuples anciens, bien des réalités dont ils sont les témoins : la maladie, la mort, la
reproduction… échappent à leur entendement. Dans une conception fondamentalement
religieuse du monde, tous ces éléments mystérieux sont vus comme une manifestation de la
divinité. Une distinction nette est établie entre le monde du divin et celui de l’humain, entre le
sacré et le profane, d’où les multiples tabous entourant la mort, l’exercice de la sexualité et
notamment l’accouchement où une femme est en contact avec le sang. Dans cette
circonstance, la femme doit alors se purifier pendant quarante jours afin de redevenir apte à
104
. On peut remarquer que Levinas (dans son ouvrage Difficile liberté) et Rosenzweig ont eu quelque propension
à mettre cet universalisme au crédit exclusif du judaïsme en négligeant le fait que leur pensée est largement
tributaire de l’universalisme chrétien et de celui des philosophes du XVIIIe (ces derniers étant eux-mêmes
héritiers de divers penseurs grecs et romains).
105
. Question juive, p. 68.
106
. Mot que l’on a défini comme "le sentiment de méfiance, voire d’hostilité envers l’Autre, l’étranger".
107
. (I Cor. 12, 13). Ainsi que l’écrit Julia Kristeva (citée par J. Ricot dans son Étude sur l‘humain et l’inhumain,
p. 48) : « L’Église paulinienne hérite du cosmopolitisme propre à l’hellénisme tardif qui offrait déjà des
conditions matérielles et juridiques plus propices qu’auparavant aux étrangers et à leurs croyances. Paul
s’appuie sur cette disposition pour rompre avec le nationalisme des communautés juives ». C’est ainsi que le
christianisme, en héritier du paganisme gréco-romain, récusera formellement toute appartenance raciale qui
sépare les hommes. Et puis le XVIIIe siècle, avec les Lumières et la Révolution française, proposera au monde le
concept idéal de l’unité du genre humain.
108
. L’homme et le sacré, p. 43.
41
prendre part au culte divin. Après un rapport sexuel, une purification est également exigée de
l'homme et de la femme.
À partir de cette donnée biblique suivant laquelle la vie est sacrée et le sang siège de la vie,
le judaïsme va forger et enrichir ses propres données mythiques : le sang devient tantôt le
symbole de la pureté, de l’intégrité et de la sainteté quand il est à l’intérieur du vivant, tantôt
au contraire le symbole de l’impureté et de l’abomination lorsqu’il provient d’une plaie ou des
voies naturelles de l’homme et de la femme. D’ailleurs, à l’extérieur, il se durcit, se coagule,
se recouvre d’un croûte noire. « Sang de l’homme assassiné qui "crie" vengeance depuis la
terre […] Sang de la femme non fécondée qui, dissocié de l’œuvre de vie, la quitte au moment
de ses règles et la met en état d’impureté rituelle. Sang de l’animal abattu absolument interdit
à la consommation »109. Tout sang qui s’évacue devient un sang souillé, impur, salissant celui
qui le touche.
Toujours associée au système du licite et de l’illicite, de l’autorisé et de l’interdit, cette
distinction récurrente de la Torah revêt de multiples formes et s’applique dans de multiples
domaines : le corps de l’homme et celui de la femme, les animaux, les plantes, les aliments,
les vêtements, les objets, les métiers, les lieux, l’air, les odeurs, la terre, les hommes…Tous
les aspects de la vie font ainsi l’objet d’une codification par le droit rabbinique : mariages et
naissances, circoncisions et enterrements, divorces et héritages, jeûnes et fêtes, prêts et
remboursements, salaires et indemnités, propriété des esclaves et modes de fermage des
terres. L’alimentation est particulièrement concernée. Dès la Genèse, les premières lois
alimentaires sont formulées de façon précise par Dieu lui-même : « Et Dieu dit : Voici que je
vous donne toute herbe portant de la semence et qui est à la surface de toute la terre, et tout
arbre ayant en lui du fruit d’arbre et portant de la semence ; ce sera votre nourriture »
(Genèse 1, 29). Quant aux animaux destinés à être consommés après avoir été offerts en
sacrifice pour s’attirer les bénédictions de Yahvé, il convient de distinguer aussi ceux qui sont
purs et dignes d’être offerts, de ceux qui ne le sont pas. Voici les signes de différenciation : «
Vous mangerez de tout animal qui a la corne fendue, le pied fourchu et qui rumine ». Il sera
tué de façon rituelle (casher) et vidé de son sang, ce principe vital frappé d’un interdit parce
que réservé à Dieu. « Mais vous ne mangerez pas de ceux qui seulement ruminent, ou qui ont
seulement la corne fendue. Vous les regarderez comme impurs ». Impurs aussi sont les
poissons sans écailles et sans nageoires. (Lévitique 11, 3-4). Un verset biblique résume bien la
raison d'être des lois alimentaires : « C'est moi, Iahvé, votre Élohim, qui vous ai séparés des
peuples, et ainsi vous séparerez la bête pure de l'impure » (Lévitique 20, 24-25). Il y a
correspondance entre le peuple élu et la nourriture pure.
Particulièrement concernée aussi la terre d’Israël. C’est une terre pure, une terre sacrée car
elle est la terre que Yahvé a donnée au peuple qu’il a choisi, séparé du vulgaire et exhaussé.
Et dans l’armée de l’Israël moderne on parlera même de la « pureté des armes juives » !
Réciproquement la terre des étrangers est considérée comme impure : on ne peut y adorer
Yahvé.
Quant aux relations sexuelles d’un Juif avec un étranger impur par nature, elles sont bien
entendu particulièrement visées par cette mystique. Pour la Torah elles constituent une
souillure particulièrement grave et conduisent dans le gehinnom (l’enfer). Il y a cependant une
différence entre la relation d’une femme avec un goy et celle d’un homme avec une goya
(non-juive). Pour la femme juive souillée par le non-Juif, c’est une faute impardonnable. La
Halakha (la loi religieuse) désigne cette relation comme un lien de prostitution et, pendant
plusieurs siècles, la femme coupable d’infidélité raciale était lapidée par le peuple ou bannie
comme lépreuse. Pour l’homme juif souillé, c’est une faute grave voire un acte contre-
109
. Le Juif et l’Autre, p. 80.
42
nature110, mais le repentir est néanmoins possible au prix d’humiliations publiques, de
mortification sexuelle, de bannissement plus ou moins long.
Car ici, avant tout, ce qui est sacré doit rester avec le sacré, le profane avec le profane. Si
l’un et l’autre se mêlent il y a impureté, état qui appelle le plus vite possible la levée de la
souillure. D’où les multiples rites de purification par l’eau et les pratiques de ségrégation
présents dans le judaïsme, telle l’interdiction faite aux Juifs de partager la table des Gentils –
on ne boit pas de vin servi par un Non-Juif, on ne mange pas la nourriture de l’impur pour ne
pas devenir impur – toutes pratiques faisant partie des 613 commandements de la Torah.
« Plus on reste entre soi, mieux on aura satisfait au leitmotiv du Lévitique qui est de conjurer
en toutes choses l’abomination des abominations : le mélange. » Est sacrilège celui qui viole
un interdit et particulièrement le plus grave de tous, la règle d'endogamie. « Ce viol, nous dit
Roger Caillois111, ne représente pas seulement "une infraction à l'organisation sur laquelle
repose la vie en commun" c'est en même temps l'équivalent exact, sur le plan mystique, de
l'homosexualité ».
Une des missions essentielles de la race élue de Dieu n’est-elle pas en effet de ne pas se
mêler à la race des Gentils impurs par nature ? Et le judaïsme talmudiste apporte même cette
précision : si un Juif reste toujours juif même en devenant athée, agnostique ou converti à une
autre religion112, de même un Gentil reste un Gentil même s’il se convertit au judaïsme.
Certes, distinct du goy par la conversion, le guer (suivant l’appellation qu’on lui donne)
devient un fils spirituel d’Abraham et accède au salut par la foi mais, par le sang, il reste
biologiquement un Gentil destiné à être neutralisé dans le groupe.
Tributaire lui aussi de cette tradition où la judéité est indélébile, Jean-Claude Milner, après
avoir constaté qu’il y avait trois catégories de Juifs : les Juifs d’affirmation, les Juifs
d’interrogation, les Juifs de négation, peut ainsi écrire, à propos de ces derniers considérés
comme des « compagnons de route des persécuteurs113 » : « même pour eux, le nom
demeure » car, « rien, ni Dieu ni maître, ne peut faire que ce nom […] ne soit le même nom
que celui que se donnent les Juifs d’affirmation »114.
C’est dire aussi, d’une part que la conversion au christianisme ou à une autre religion est
généralement vue comme une trahison du peuple juif, voire depuis le nazisme « une
continuation de l’Holocauste par d’autres moyen » pour le rabbin Joël Berger, porte-parole de
la Conférence des rabbins allemands115, d’autre part qu’il y a une multitude de Juifs malgré
eux, affiliés d’autorité au critère de race et des Juifs qui, ignorant leur ascendance, sont des
Juifs inconnus.
Éviter le mélange du sang des Juifs et de celui des non-Juifs, cette grande prescription du
judaïsme repose sur de nombreux textes de la Torah. « Tu ne t’allieras pas par mariage avec
eux (les Cananéens) ; tu ne donneras pas tes filles à leurs fils et tu ne prendras pas leurs filles
pour tes fils » ordonne le Deutéronome (7, 3-4). Dans l'Exode (34, 16) Moïse reçoit un ordre
de Dieu pour que son peuple n'épouse pas les filles des étrangers tandis qu’Esdras et Néhémie
110
. Dans son ouvrage The Tempter of Eve datant de 1902, l’auteur Charles Carroll considère, quant à lui, que le
mariage consanguin et l’inceste, qui préservent la pureté raciale des Juifs, sont préférables au métissage avec des
non-Juifs (rapporté par A. Pichot, Op. cit. p. 89).
111
. L'homme et le sacré, p. 106.
112
. L’écrivaine Nathalie Rheims, par exemple, peut écrire ainsi : « je suis juive de père et mère, et catholique de
confession » (La Vie, N° 3296 du 30 octobre 2008, p. 41), d’autres se considèrent bouddhistes par la croyance et
Juifs par le sang.
113
. Le Juif de savoir, Grasset 2006.
114
. Les penchants criminels de l’Europe démocratique, p. 108.
115
. Quant à la conversion de Aaron Lustiger elle n'est rien d’autre, pour Israël Lau, grand rabbin d'Israël, qu' «
une trahison de son peuple et de sa religion tandis que celui qui est devenu Mgr Jean-Marie Lustiger est vu
comme « le représentant de l'extermination spirituelle qui conduit, comme l'extermination physique, à la
solution finale de la question juive » (citations rapportées par Alfred Grosser, Les fruits de leur arbre, p. 29.
43
de retour de l’exil babylonien pleurent amèrement parce que « la race sainte s'est mêlée avec
les peuples des pays voisins » (Esd. 9, 2) et ordonnent d’autorité à : « tous ceux qui avaient
pris des femmes étrangères, de les renvoyer ainsi que leurs enfants » (Esd. 10, 44). Car la
pureté du sang, c’est à la fois la non-souillure des hommes et la sauvegarde des frontières
matérielles et spirituelles de la communauté116.
Le Livre de Josué (23, 13), quant à lui, donne cette recommandation : « Si vous vous alliez
par mariage avec eux, s’ils pénètrent chez vous, sachez-le bien : Yahvé, votre Dieu, ne
continuera pas à déposséder ces nations devant vous. Elles deviendront pour vous un filet et
un piège, un fouet sur vos flancs et des aiguilles dans vos yeux, jusqu’à ce que vous
disparaissiez de dessus cette terre que vous a donnée Yahvé, votre Dieu ».
Après les auteurs de la Bible, les rabbins, porteurs fidèles de « l'obsession "raciale" de
Néhémie117 », vont encore accentuer cette poursuite de l’incessante unicité du peuple juif.
« C'est en toute lucidité, écrit Kadmi-Cohen118, que les docteurs, après avoir gravement
délibéré, décidèrent d'augmenter le nombre des prescriptions, de les aggraver, de les rendre
aussi strictes que possible […] Ils sentaient que leur ensemble, rigoureusement observé par la
crainte du châtiment céleste, servirait aux juifs épars et dispersés dans le monde entier de
ciment d'union, qu'il leur donnerait une cohésion unique et bâtirait entre eux et le reste du
monde un mur infranchissable ».
Même les lois juives relatives à l’esclavage des non-Juifs dans le monde juif vont tenir
compte de cette obsession de l’impureté essentielle des étrangers. Dans son ouvrage de 1867
intitulé L’Esclavage selon la Bible et le Talmud, ouvrage qui est la principale référence en la
matière, Zadoc Kahn (1839-1905), qui sera grand rabbin de France, fait état que la loi à
appliquer par les maîtres vis-à-vis des esclaves implique de les circoncire et de les convertir.
Malgré les grands risques qu’ils prenaient pour leur sécurité et leurs réticences à faire de ces
hommes des Juifs, il s’agissait en priorité pour les maîtres d’éviter toute souillure avec
quelque non-Juif. Il écrit ainsi : « Si le Talmud exige que les esclaves professent, du moins en
partie, le judaïsme, c'est qu'il s'agit pour lui de sauvegarder par là de nombreux intérêts. À
une époque où les lois de pureté lévitique étaient strictement observées, il était important
d'éviter tout contact qui pût amener une souillure. En outre, le vin touché par un esclave non
circoncis, de même que par un idolâtre, ne pouvait plus servir à l'Israélite »119.
L’angoisse des origines impures et des filiations incertaines, l’obsession de préserver
l’homogénéité génétique du peuple choisi par Dieu, la phobie de la pollution résultant du
mélange entre Juifs et non-Juifs imprègneront toujours profondément le judaïsme où le sang,
notion inconnue dans les autres traditions religieuses, est porteur de la filiation et de l’identité.
Les notions de race juste ou pure, de race incirconcise ou impure, découlant de l’Élection et
promues par les multiples commentateurs au cours des siècles, contribueront ainsi grandement
à faire des Juifs un peuple à part, différent, séparé, saint, « le trésor bien-aimé de Dieu », une
exception originelle porteuse des coutumes de pureté dictées par Dieu lui-même.
Prémisses de l’hygiène raciale qui, va s’épanouir au XIXe siècle chez les eugénistes juifs
avant d’être reprise par les eugénistes aryens et plus tard par les nazis, ces concepts bibliques
obsédants du pur et de l’impur, du licite et de l’illicite, concepts vus parfois dans une
perspective de sainteté mais destinés avant tout à maintenir le peuple juif dans sa singularité –
116
. À propos de cet épisode biblique, Heinrich Graetz (1817-1891) dans son Histoire des Juifs a pu écrire non
sans pertinence « Ce fut un instant grave et décisif pour l’avenir de la nation ». Épisode capital en effet que
celui-là pour le judaïsme : comme nous le verrons longuement ce rejet des unions mixtes, qui vient conforter la
séparation radicale Juifs/non-Juifs instituée dès les origines pour que soit respecté l’ordre divin, est le témoin par
excellence d’une catégorie raciale particulièrement différenciée et du racisme qui va en découler.
117
. Ilan Halevi, Question juive, p. 67.
118
. dans Nomades. Essai sur l’âme juive, p. 145.
119
. Citation rapportée dans Aux origines des théories raciales. De la Bible à Darwin, p. 105-109.
44
à la fois en dissuadant les Juifs de le quitter et en empêchant toute intrusion extérieure – n’ont
absolument pas d’équivalent dans les autres sociétés. Certes, les catégories du pur et de
l’impur sont bien présentes dans certaines sociétés primitives mais, fait singulier, elles
structurent ici, depuis plus de deux millénaires, une exceptionnelle culture écrite où les
mythes fondateurs, qui sont toujours opérationnels même chez les athées, ne peuvent que
subsister longtemps encore. D’autre part on peut ajouter, fait également singulier, que ces
données qui contribuent si puissamment à forger l’identité raciale spécifique des Juifs,
conditionnent à la fois la survie du peuple juif et du judaïsme.
LA MYSTIQUE DE LA VIOLENCE INHÉRENTE AU JUDAÏSME
Témoin de la pensée raciale promue par le judaïsme, le thème de la violence envers les
non-Juifs est particulièrement présent dans les livres de la Bible : fait notable, seuls le Livre
de Ruth et le Cantique des Cantiques ne parlent pas de la guerre tandis que les rares préceptes
de générosité sont noyés parmi des commandements d’une cruauté et d’une injustice
caractérisées. Les textes, où s’invente le concept de guerre sainte comme le remarque Michel
Onfray120 et qui vont servir de justification à cette violence sous les ordres de Yahvé, le Dieu
juif des armées, sont en effet multiples. Citons en quelques uns :
« Lorsque le Seigneur ton Dieu t'aura fait entrer dans le pays et qu'il aura chassé devant
toi les nations nombreuses, tu les voueras totalement à l'interdit (Deut. 7, 1-2) « et tu les
supprimeras » (Deut. 7, 24).
« Qu'Israël se réjouisse en son Créateur, que les enfants de Zion se réjouissent en leur Roi
[...] Qu'ils chantent pour la joie sur leurs couchettes ! Que les louanges élevées vers Dieu ne
quittent pas leurs gorges et que les sabres à deux pointes ne quittent pas leurs mains, afin de
faire descendre la vengeance dévastatrice sur les nations et le châtiment sur les peuples » (Ps
149).
« Sache aujourd'hui que l'Éternel, ton Dieu, marchera lui-même devant toi comme un feu
dévorant, c'est lui qui détruira tes ennemis, qui les humiliera devant toi ; tu les chasseras, tu
les feras périr promptement, comme l'Éternel te l'a dit » (Deut. 9, 3).
Le peuple hébreu adresse ainsi ses supplications à son dieu Yahvé : « Dieu ! si tu voulais
massacrer l'infidèle ! Hommes sanguinaires, éloignez-vous de moi... Seigneur, comment ne
pas haïr ceux qui te combattent ? Je les hais d'une haine parfaite, ils sont devenus mes
propres ennemis » (Ps 139, 19-22). « Par ta fidélité tu extermineras mes ennemis et tu feras
périr tous mes adversaires, car je suis ton serviteur » (Ps 143, 12).
« Quand le tabernacle partira, les Lévites le démonteront, quand le tabernacle campera,
les Lévites le dresseront ; et l’étranger qui en approchera sera puni de mort » (Nombres 1,
51).
Yahvé qui, selon Régis Debray121, « passerait aujourd’hui en correctionnelle pour
incitation à la haine raciale et apologie de crimes de guerre », n’est pas tendre pour les
opposants à son peuple : « Je vais punir Amalec de ce qu'il a fait à Israël en s'opposant à lui
quand il remontait d'Égypte. Va maintenant, tu battras Amalec et vous vouerez à l'anathème
tout ce qui est à lui : tu n'auras pas pitié de lui et tu mettras à mort hommes et femmes,
enfançons et nourrissons, bœufs et moutons, chameaux et ânes » (Samuel 15, 2-3).
N'est-il pas prévu dans le psaume 137 de « broyer sur le roc les bébés de Babylone » ?
120
. Op. cit., p. 214.
. Dans son ouvrage Un candide en Terre sainte, p. 26. Quant à Michel Onfray (Op. cit. p. 216) il peut écrire à
ce même propos : « Depuis deux mille cinq cents ans, aucun responsable issu du peuple élu n'a décidé que ces
pages relèvent de la fable, de balivernes et de fictions préhistoriques dangereuses au plus haut point, car criminelles. Bien au contraire. Il existe sur la totalité de la planète un nombre considérable de gens qui vivent,
pensent, agissent, conçoivent le monde à partir de ces textes qui invitent à la boucherie généralisée sans jamais
avoir été interdits de publication pour appel au meurtre, racisme et autres invitations aux voies de fait ».
121
45
Remarquons qu’Amalec (avec les Amalécites) est vu dans le judaïsme comme l’archétype
de l’ennemi des Juifs. Ce qualificatif fut appliqué au cours des temps aux Romains, aux
Arméniens, aux chrétiens et de nos jours aux Arabes. Et, chacun le sait : Amalec doit être
exterminé.
Cette notion de guerre sainte inventée par la Torah au nom de Yahvé le Dieu des armées
d’Israël aura une longue descendance. Ce sera la guerre juste ou la juste condamnation
prônées par saint Augustin dès le second siècle et le djihad par Mahomet quelques siècles plus
tard. Pour les réformés d’Amérique ce sera, y compris dans la guerre, le "In God we trust"122;
en Allemagne, directement repris du texte biblique,123 ce sera le "Gott mit uns "; en Israël, les
soldats orneront leurs armes de l’Étoile de David et, sur le champ de bataille, se conforteront
avec des textes bibliques. Car la bonne cause rend bonne la violence !
Quant à la loi du Talion proprement dite, elle est ainsi formulée dans l'Ancien Testament :
« Si malheur arrive, tu paieras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main,
pied pour pied, brûlure pour brûlure, meurtrissure pour meurtrissure » (Exode, 21, 23-25).
« Si un homme provoque une infirmité chez un compatriote, on lui fera ce qu’il a fait :
fracture pour fracture, œil pour œil, dent pour dent ; on provoquera chez lui la même
infirmité qu’il a provoquée chez l’autre » (Lévitique, 24, 17-20).
« Ton œil sera sans pitié : vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent, main pour main, pied
pour pied » (Deutéronome 19, 21).
La conquête du pays de Canaan par Josué prescrit par la Torah est un épisode
servant particulièrement de référence.
Dans cette conquête de la Terre promise, l’ordre de Yahvé, le dieu des combattants, dont la
puissance et la justice s’exercent exclusivement à l’égard du peuple hébreu, est impératif :
« Vous chasserez devant vous tous les habitants du pays car c'est à vous que je le donne à
titre de possession... Si vous ne dépossédez pas à votre profit tous les habitants, ceux que vous
aurez épargnés seront comme des épines dans vos yeux et vous harcèleront sur le territoire
que vous occuperez ».
Le texte rapportant l’événement représente, semble-t-il, la première relation de
l’extermination systématique de toute une population. « Quand il entendit le son de ma
trompe, le peuple poussa un cri de guerre formidable et le rempart s’écroula sur lui-même.
Aussitôt le peuple monta dans la ville et ils s’en emparèrent. Ils appliquèrent l’anathème à
tout ce qui se trouvait dans la ville, hommes et femmes, jeunes et vieux, jusqu’aux bœufs, aux
brebis et aux ânes, les passant au fil de l’épée » (Jos. 7, 21). « Ne laissez en vie rien de ce qui
respire. Détruisez-les jusqu’au dernier… comme le Seigneur votre Dieu vous l’a ordonné… »
(Deut. 2, 16).
Pour les commentateurs ayant cherché à expliquer cet ordre de destruction totale des
peuples voisins donné par le Dieu de la Torah et qui sert toujours de référence en Palestine, la
raison en serait, nous dit Abraham B. Yehoshua, « la volonté d'évincer toute possibilité de
122
La guerre d’Irak fut menée par Bush, président des États-Unis, comme une lutte entre le Bien et le Mal, une
"croisade". Le général William G. Boykin, sous-secrétaire adjoint à la défense pour le renseignement aux ÉtatsUnis, chrétien évangéliste, pouvait proclamer : « Nous, l’armée de Dieu, dans la maison de Dieu, dans le
royaume de Dieu, avons été élevés pour une telle mission » ; et, à propos de la guerre en Somalie contre les chefs
de guerre musulmans, « je savais que mon Dieu était plus grand que le leur, je savais que mon Dieu est un vrai
dieu et le leur une idole » (Los Angeles Times, 16 octobre 2003). Comme l’explique naïvement un caporal
américain : « Nous devons tuer les méchants » ! (Cité dans GI’s in Iraq are asking : Why are we here ?,
International Herald Tribune, Paris, 12 août 2004).
123
« Dieu marche avec nous » (Deut. XX, 4) dans le combat contre les Égyptiens voués à l’extermination.
46
relation naturelle avec la Terre d'Israël qui n'aurait pas reçu la médiation divine et spirituelle »124.
La célébration de la violence : la grande fête liturgique de Pourim
Chaque année, depuis plus de deux millénaires, cette fête particulièrement joyeuse du
calendrier juif vient entretenir et exalter une tradition de vengeance et de revanche. L’histoire,
rapportée dans le Livre d’Esther, est celle d’un groupe de Juifs réussissant non seulement à
déjouer une tentative d’extermination mais à se venger sur des Gentils « n’opposant pourtant
aucune résistance ». Le récit se situe sous le règne de l’Empereur perse Assuérus qui vient
d’épouser une très belle juive (Esther) et d’en faire une nouvelle reine après répudiation de la
précédente. Haman, le premier ministre d’Assuérus, complote afin d’obtenir du roi qu’il
massacre tous les Juifs mais il ne sait pas qu’Esther est juive. Celle-ci, en compagnie de son
cousin Mardochée et au péril de sa vie, avertit Assuérus du complot anti-Juifs ourdi par
Haman et réussit à sauver son peuple. Haman et son fils sont pendus aux potences qu’ils
avaient fait ériger initialement à l’intention de Mardochée tandis que ce dernier prend la place
de Haman comme premier ministre. Le décret d’élimination des Juifs ne pouvant être
invalidé, Mardochée édicte un nouveau décret permettant aux Juifs de s’armer et de tuer leurs
ennemis ce dont ils s’acquittent avec joie et ardeur. « Dans toutes les provinces du roi
Assuérus ils se rassemblèrent afin de frapper ceux qui avaient comploté leur perte… Ils se
débarrassèrent de leurs ennemis en égorgeant soixante-quinze mille de leurs adversaires. Le
quatorzième jour ils se reposèrent et de ce jour ils firent un jour de festins et de liesse […]
Personne ne leur résista car la peur des Juifs pesait sur toutes les populations » (Esther 9, 5
et 16).
La fête de Pourim, nous dit Elliott Horowitz125, fut souvent l’occasion de flambées de
violence de la part des Juifs quand ils n’étaient pas minoritaires dans leur pays de résidence,
tandis qu’allait s’élaborer avec le temps une véritable mystique de la vengeance et un culte de
la force en référence à divers textes bibliques et annonçant d’emblée quelque combat sans
merci contre ceux ne faisant pas partie du peuple juif. Car Yahvé (Esra-El : "que notre Dieu
soit fort") est le protecteur de son peuple. Un psaume le proclame : « Aucun ennemi ne saura
le circonvenir ni aucun malfaiteur l’humilier. J’écraserai devant lui ses agresseurs et, ceux
qui les haïssent, je les abattrai. Ma fidélité et ma bonté seront avec lui et, par mon nom,
grandira sa domination sur la mer et son empire sur les fleuves »126.
Le messianisme biblique et la violence
D’après la Bible la paix universelle marquera la fin des temps mais elle sera précédée d’un
temps obligé de bouleversements de toutes sortes et de violences meurtrières. « Les auteurs
regroupés dans le livre d’Isaïe, écrit Jean Soler127, justifient généralement ces tueries, soit par
la nécessité pour Iahvé de châtier son peuple infidèle (punition collective pour la faute de
quelques-uns), soit par le besoin d’exterminer les ennemis de son peuple, soit par les deux :
Iahvé utilise les goyim pour punir les Israélites et ensuite il châtie les goyim pour avoir versé
le sang de son peuple ».
« Après l'anéantissement des ennemis, les Juifs récupéreront un immense butin et tous les
peuples, devenus leurs vassaux, leur verseront un tribut :
124
. Pour une normalité juive, p. 63. À noter que cet épisode de la Bible, comme nombre de faits rapportés dans
la Bible, n’est peut-être qu’un mythe mais il reste que ce mythe est toujours pourvu d’une exceptionnelle
capacité d’inspiration et d’action pour les Juifs d’aujourd’hui et notamment pour les sionistes dans leur guerre de
colonisation et de conquête en Palestine.
125
. Dans Reckless Rites : Purim and the Legacy of Jewish Violence (Des rites imprudents : Pourim et
l'héritage de la violence juive) ; éléments rapportés par Ruth Meisels, rédactrice de Haaretz.
126
. Ps. 89, 23-26.
127
. dans La violence monothéiste, p. 274, 276 et 278.
47
"Les richesses de toutes les nations alentour seront rassemblées : or, argent, vêtements en
très grande quantité. Et il adviendra que tous les survivants de toutes les nations qui auront
marché contre Jérusalem monteront année après année se prosterner devant le roi Iahvé des
armées et célébrer la fête des Cabanes" » (Livre de Zacharie 14, 3-16).
« Cette unification de l'humanité par la violence autour d'Israël et de son dieu est
préfigurée dans le livre de Joël écrit avant la fin de l'Empire perse, dans lequel Israël occupait
une place subalterne et même insignifiante. L'intervention du dieu des Juifs dans l'histoire de
l'humanité doit s'accompagner d’importants bouleversements cosmiques :
"Je produirai des signes dans le ciel et sur la terre, sang, feu, colonnes de fumée. Le soleil
se changera en ténèbres, la lune en sang, avant la venue du jour de Iahvé, grand et terrible
[...]. Oui, en ces jours-là, quand je rétablirai Juda et Jérusalem, je rassemblerai toutes les
nations et les ferai descendre dans la vallée de Josaphat" » (Livre de Joël 3, 3-4 et 4, 1-2).
« Et les armées de Gog (personnage symbolique représentant les ennemis d’Israël)
s'entre-tueront :
"Je le châtierai par la peste et le sang, je ferai tomber la pluie torrentielle, des grêlons, du
feu, du soufre sur lui, sur ses troupes et sur les peuples nombreux qui sont avec lui. Je
manifesterai ma grandeur et ma sainteté, je me ferai connaître aux yeux des nations
nombreuses, et ils sauront que je suis Iahvé" » Livre d’Ézéchiel 38, 19-24).
La violence est en effet très banale dans les nombreux livres l’Ancien Testament. Parmi
ces livres, c’est celui d’Esther qui, pour Luther, apparaît « le plus assoiffé de sang, et donc,
le plus "anti-chrétien" ».
La mystique de violence à travers les siècles
Consacrée par une liturgie à la fois ancestrale et fervente cette mystique va être sans cesse
reprise et renouvelée non seulement par les instances religieuses mais par nombre de
commentateurs des textes bibliques. Parmi eux citons par exemple le philosophe et
théologien juif Maïmonide au XIIe siècle qui a publié un catalogue qui fait autorité
concernant les 613 commandements constituant la loi orale. Retenant le commandement
négatif n° 49 : « Ne laisser survivre aucun Cananéen » il renvoie au Deutéronome et
explique, en référence au commandement n° 187, que les tuer constitue, par contre, un
commandement positif ». En précisant que ce commandement est valable pour tous les
temps, il fait ce commentaire : « Le fait de passer par le fil de l'épée les sept peuples est
un devoir qui nous incombe ; il s'agit même d'une guerre obligatoire »128.
Cette mystique qui a fait s’éloigner du judaïsme nombre de Juifs129 au cours des temps,
apparaît spécifique de la culture juive. Aucune autre tradition religieuse ne semble avoir
inventé et développé une telle éthique qui va, à la fois, assurer la cohésion exceptionnelle du
groupe, s’adapter sans cesse au temps et au contexte environnemental tout en marquant
profondément de son empreinte, dans beaucoup de domaines et sous diverses formes, le vaste
monde chrétien occidental depuis deux mille ans.
À propos de cette violence inhérente à la culture juive, Hannah Arendt130 a pu écrire : «
Lorsqu’on découvrit la tradition juive d’hostilité souvent violente à l’égard des chrétiens et
des non-Juifs, le public juif en général fut non seulement indigné, mais sincèrement étonné
car ses porte-parole s’étaient persuadés et avaient persuadé les Juifs que, s’ils étaient ainsi
séparés des autres nations, la faute en revenait aux non-Juifs, à leur hostilité et à leur
obscurantisme ».
128
. Maïmonide, Le livre des commandements. Cité par Jean Soler, Op. cit., p. 272.
. Telle Simone Weil qui écrit : « Si les Hébreux de la bonne époque ressuscitaient parmi nous, leur première
idée serait de tous nous massacrer y compris les enfants dans leurs berceaux, et de raser nos villes, pour crimes
d’idolâtrie » (Sylvie Courtine-Denamy Simone Weil, p. 250).
130
. Sur l’antisémitisme, p. 13.
129
48
En résumé
En instaurant un ensemble de lois et de rites exclusivistes, les rédacteurs de la Bible se sont
appliqués à décrire une altérité structurelle irréductible entre deux univers : les Juifs pourvus
d’une essence particulière et les non-Juifs. Il y a Nous et Eux, expression qui deviendra
volontiers Nous ou Eux131 ! Cette conception suivant laquelle tout ce qui est essentiel se
partage en couples polarisés – entre le Bien et le Mal il n’y a rien – où le pôle positif s’oppose
radicalement au pôle négatif, est typiquement biblique et fondamentalement étrangère au
monde grec. Notons qu’elle sera adoptée par tous les totalitarismes et notamment par le
nazisme pour qui il y aura les Aryens et les non-Aryens et, d’une manière générale, par tous
les antisémites.
Sont ainsi formulées dans le judaïsme les notions fortement subjectives de race juste et
pure, de race incirconcise et impure tandis qu’est rapporté un code juridique tout entier
inspiré par la volonté de distinguer et de séparer le peuple hébreu des populations
environnantes et d’en faire par auto-ségrégation un peuple qui, en opposition à celui des nonJuifs racialement autre, se veut pur et à lui-même sa propre finalité. En effet, aucun système
de pensée autre que le judaïsme n’aura privilégié le groupe au détriment de l’individu132 et
généré une catégorie aussi différenciée culturellement et biologiquement133 que celle des
Juifs.
Dans maintes communautés étudiées par les ethnologues, il existe aussi un orgueil de
groupe portant ces sociétés à se croire supérieures ou privilégiées par rapport aux autres.
Néanmoins, elles ne sauraient être comparées à la société hébraïque que l’on peut considérer
comme la première société culturellement racisante de l’histoire du monde occidental. Portée
par l’exceptionnel monument scripturaire qu’est la Bible, basée sur la filiation généalogique
(donnée qui, à elle seule, détermine l’identité de chaque Juif pour la vie entière et près de
laquelle toutes les autres sont accessoires et contingentes), fondée en droit sur une législation
écrite prônant l’endogamie et punissant les contrevenants dans une mystique de pureté, cette
société a véritablement inauguré, au seuil du premier millénaire, la pensée raciale d’ordre
culturel avec ses trois mystiques : l’altérité/supériorité, la pureté et la violence dont
l’association constitue le fondement commun de toutes les doctrines qualifiées aujourd’hui de
racistes.
131
. Lors de l’affaire Dreyfus, un album du dessinateur Jean-Louis Forain aura pour titre « Nous, vous, eux ».
. En témoin fidèle de ce système, Ben Gourion, lors des persécutions nazies de 1938, aura sa phrase célèbre :
« Si je savais qu'il était possible de sauver tous les enfants d'Allemagne en les installant en Angleterre, ou juste
la moitié en les installant en Eretz-Israël, je choisirais cette deuxième solution ».
133
. L’historien des sciences A. Pichot peut écrire à ce propos : « Je ne crois pas qu'un seul groupe humain ait autant
cherché à se caractériser biologiquement sur le mode galtonien que le peuple juif. À ma connaissance, même sous le
nazisme, personne n'a entrepris, à un niveau comparable, de telles études, statistiques ou autres, sur les
particularités anthropologiques, médicales, démographiques, etc., des Aryens ou des peuples supposés tels. Il
aurait été intéressant de faire un parallèle entre les unes et les autres, mais apparemment la spécificité et la
supériorité aryennes ont surtout été des affirmations incantatoires et n'ont pas donné lieu à des études
comparables à celles qui ont été faites pour (et par) les juifs entre 1885 et 1930 » (Aux origines des théories
raciales. De la Bible à Darwin, p. 432).
132
49
CHAPITRE II – LA RACIALISATION DES JUIFS
DANS LE MONDE JUIF CONTEMPORAIN134
Parallèlement aux travaux de Lamarck dans sa Philosophie zoologique, puis plus tard avec
ceux de Darwin dans son Origine des espèces, c’est avec le XIXe siècle que le monde juif :
biologistes, intellectuels, religieux… devait, en constante référence aux textes bibliques et
talmudiques, traduire biologiquement la notion de peuple élu à la base même du judaïsme et
fonder une raciologie juive innovante et autonome. Tandis que se constituait postérieurement,
en face d’elle et en opposition à elle, la raciologie aryenne à partir des années 1880, elle
devait connaître en effet un développement singulier pendant de très nombreuses années. Au
milieu du XXe siècle, l’avènement du nazisme et le génocide allaient donner un coup d’arrêt
brutal à la raciologie en général et à la raciologie juive en particulier, mais après une éclipse
de quelques dizaines d’années, cette dernière est maintenant l’objet d’un exceptionnel
renouveau, notamment dans les milieux juifs des États-Unis et d’Israël.
Seront examinés successivement :
• l’hygiène raciale, l’eugénisme et le surhomme dans le monde juif,
• la génétique des Juifs dans le monde scientifique juif,
• l’anthropologie raciale juive dans le monde des lettres.
1 - L’HYGIÈNE RACIALE, L’EUGÉNISME ET LE SURHOMME DANS LE MONDE JUIF
135
Le Britannique Francis Galton (1822-1911), fondateur dans les années 1870 de cette
science alors nouvelle appelée eugénisme (science de la bonne race ou de la bonne
naissance), s’interroge ainsi : « Notre devoir n’est-il pas de faire tous les efforts raisonnables
pour hâter l’évolution, et la rendre moins pénible qu’elle ne le serait, livrée à ses propres
forces ? » Car, ajoute-t-il, à propos des races primitives ou dépourvues des caractéristiques
constitutives de la civilisation : « Éduquez-les, civilisez-les, je n’imagine pas qu’on parvienne
à modifier une race ». Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’eugénisme se propose ainsi
d’améliorer la société, soit en entravant la multiplication des individus inaptes (c’est
l’eugénisme négatif), soit en sélectionnant les individus les plus aptes dans la perspective de
leur reproduction (c’est l’eugénisme positif). Un grand nombre de biologistes-eugénistes, en
majorité juifs, trouvèrent que c'était une idée noble de vouloir améliorer ainsi l'humanité. Se
référant aux principes bibliques et talmudiques en vigueur depuis quelque deux millénaires,
deux personnalités éminentes du judaïsme disciples de Galton, Lucien Wolf (1857-1930) et
Joseph Jacobs (1854-1916), sont considérées, dès 1880, comme les créateurs de l’hygiène
raciale juive et les maîtres d’œuvre des études s’y rapportant. Ainsi que nous allons le voir,
les nombreux textes élaborés alors sont particulièrement démonstratifs de la continuité de la
pensée juive initiée par les mythes bibliques et véhiculant en premier lieu le commandement
suprême du judaïsme : la Distinction-Séparation radicale des Juifs et des non-Juifs interdisant
tout mélange de sang.
134
. C’est-à-dire, en suivant les historiens français, depuis le début du XIXe siècle.
. Diverses citations et données de ce paragraphe sont extraites, d’une part de l’ouvrage d’André Pichot, Aux
origines des théories raciales. De la Bible à Darwin au chapitre 21 : L’hygiène raciale et le surhomme, d’autre
part de celui de l’historien israélien Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé. Avec A. Pichot, premier
historien à avoir étudié le phénomène de la racialisation des Juifs à l’époque contemporaine en référence aux
données de la Bible, remarquons « aussi "politiquement incorrect" que ce soit de le dire, que l'hygiène raciale a
bien été inventée, sous la forme spécifique d'une hygiène raciale juive, au début des années 1880, par des
eugénistes juifs disciples de Galton ». Quant à l’expression « hygiène raciale » elle n’a, semble-t-il, été utilisée
qu’en 1895 par Alfred Ploetz qui « n’a guère inventé que le mot […] l’invention proprement dite s’étant faite
antérieurement dans l’entourage de Galton » (p. 450).
135
50
C’est dans son article "What is Judaism ? A Question of To-Day" de 1884 que le premier
des auteurs donne, dans la limite des connaissances biologiques de l’époque en matière
d’hérédité, une parfaite définition de l’hygiène raciale appliquée aux Juifs. Il écrit ainsi :
« Dans le judaïsme la religion et la race sont des termes presque interchangeables.
L'observance rigide pendant de longs siècles d'un légalisme "particulier" par un peuple
particulièrement exclusif a nécessairement conduit à ce que ce peuple devienne la
manifestation de ses lois [...] Le phénomène le plus frappant dans la vie juive est la
survivance de la race. Il n'y a rien de plus remarquable dans toute l'histoire de l'humanité
[...] Cette permanence de la race n'a rien d'un caprice de la nature ; elle est exclusivement à
attribuer à la discipline d'un système artificiel par lequel sa vie a été réglée. Dans le
processus graduel de formation d'un peuple, il doit advenir une période où il se distingue par
un haut degré de force et de vigueur. Une telle période est observable dans l'histoire de toutes
les grandes nations, mais dans tous les cas, à l'exception des juifs, on la laissa s'éclipser.
L'optimisme fortement marqué du judaïsme, la haute intelligence du peuple, et
particulièrement le contraste par rapport aux enseignements et aux habitudes des autres
races, conduisirent sans aucun doute les Hébreux à apprécier leur supériorité plus
hautement que tout autre peuple […] Sur la base de leur exclusivisme fut construit un code
parfait de lois, pourvoyant à la progression naturelle des capacités physiques de la race, et
donnant à chaque précepte de leur civilisation supérieure une forme concrète qui devait
avoir été calculée pour maintenir leur prééminence [...] Il est bien connu que les juifs sont
une race réellement supérieure, physiquement, mentalement et moralement, aux peuples
parmi lesquels ils vivent. Les faits soutenant cette conception ont été fréquemment notés
[…] La supériorité morale a aussi été maintes fois illustrée par l'examen des statistiques
criminelles et des naissances illégitimes […] Je crois que l'importance de la supériorité des
juifs consiste précisément dans le fait qu'elle constitue presque un degré dans l'évolution »136.
Outre le séparatisme radical fondé sur les éléments fondateurs de la Création et de
l’Alliance, nombre de préceptes bibliques et talmudiques conçus par Moïse et les rabbins,
notamment les lois régissant les relations conjugales, la sexualité, la pureté, l’alimentation…,
sont ainsi interprétés par Wolf comme des prescriptions eugéniques ayant fait accéder la race
juive – « en assurant la reproduction d’Israélites forts et sains » – à un degré supérieur de
l’évolution humaine.
Quant à Joseph Jacobs dans ses articles de 1885 et 1886, après avoir défini les caractères
raciaux juifs d’après une méthode anthropométrique mise au point par Galton, il étudie
particulièrement la proportion de grands hommes juifs recensés notamment dans les
dictionnaires, les annuaires et les livres d'histoire au cours du XIXe siècle par comparaison
avec celle des non-Juifs. De ses travaux, il conclut lui aussi à la nette supériorité des premiers
dans le domaine intellectuel et indique qu’elle serait plus grande encore si les Juifs de Pologne
et de Russie persécutés dans leur pays pouvaient exprimer tous leurs talents. La raison
invoquée pour cette supériorité, et plus précisément pour ce génie héréditaire, est la même
que chez Wolf : les prescriptions de la Bible et du Talmud relatives à l’alimentation, à
l’hygiène et au mariage à l’intérieur de la communauté. Il y ajoute, idée originale, le rôle
favorable des persécutions antisémites qui ont poussé les Juifs les plus faibles à quitter le
judaïsme. « Dans le cas des Juifs, écrit-il, la persécution, quand elle n'a pas été trop dure, a
probablement aidé à faire ressortir leurs meilleures potentialités : pour une race hautement
spirituelle la persécution, quand il y a un espoir d'en triompher, est une incitation à l’action
[…] La raison juive n'a jamais été entravée, et finalement les membres les plus faibles de
chaque génération ont été éliminés par la persécution qui les tentait ou les forçait à
embrasser le christianisme, et ainsi les juifs contemporains sont les survivants d'un long
136
. Aux origines des théories raciales. De la Bible à Darwin, p. 358-360.
51
processus de sélection non naturelle qui les a apparemment excellemment adaptés à 1a lutte
pour l'existence intellectuelle ».
Dans son texte The Racial Characteristics of Modern Jews, Jacobs s’applique
particulièrement à démontrer la pureté de la lignée des Juifs. En réponse à Ernest Renan qui,
dans son texte Le Judaïsme comme race et comme religion137, évoquait le métissage de la
race israélite, il apporte deux arguments. Il parle tout d’abord d’une dominance du caractère
juif sur le caractère non-juif ce qui permet à la progéniture issue des mariages mixtes de ne
pas avoir à subir la néfaste infusion de sang aryen. « En examinant quelques cas de mariages
mixtes, écrit-il, j’ai été frappé par l’uniformité avec laquelle les enfants ressemblent au côté
juif ». Comme Wolf, il considère d’ailleurs que la plupart des mariages mixtes sont stériles ou
produisent une descendance sans vitalité destinée à s’éteindre spontanément, ce qui contribue
au maintien de la pureté du sang juif à travers les âges. Par ailleurs, étudiant les données
anthropologiques et reconnaissant le type juif sur des bas-reliefs assyriens et sur des
sculptures antiques, il affirme « la persistance du type juif depuis les dernières 2600 années ».
De ses travaux, et après avoir reçu l’approbation des grands rabbins Adler et Reichler, Jacobs
concluait : « Je suis enclin à soutenir la vieille croyance en une pureté substantielle de la race
juive, et à considérer que la grande majorité des juifs contemporains sont les descendants en
ligne directe de la diaspora de l'Empire romain ».
Quant au célèbre biologiste britannique Redcliffe Nathan Salaman (1874-1955), ses
travaux, relatés dans son article Heredity of the Jews publié en 1911 pour le premier numéro
de la revue pionnière Journal of Genetics, consistèrent principalement à appliquer les lois de
Mendel à l’hérédité des Juifs. Après avoir étudié un certain nombre d’enfants issus de
mariages entre Juifs et non-Juifs et avoir comparé par ailleurs Séfarades et Ashkénases en ce
qui concerne leur pureté raciale (il voit les premiers comme des métissés d’Arabes ou
d’Espagnols, les seconds comme des Juifs de pure race et d’intelligence supérieure), il conclut
en définitive que la race juive n’est pas une race pure mais qu’elle forme néanmoins une
entité biologique compacte. Salaman, qui fut un sioniste militant et un membre éminent de
l’Université hébraïque de Jérusalem, cessa de publier ses idées sur la race juive pendant la
période nazie, mais les reprit après la guerre et les conserva jusqu’à sa mort en 1955.
Aux États-Unis, deux auteurs juifs américains se sont fait particulièrement remarquer par
leurs travaux en la matière. Ce sont, d’une part le médecin-anthropologue Maurice Fishberg
(1872-1934), d’autre part le rabbin américain Max Reichler (1885-1957), celui-ci en tant
qu’observateur attentif du mouvement eugéniste mené par les biologistes juifs européens.
Maurice Fishberg s’est attaché, en suivant largement les thèses de Wolf et de Jacobs, à
souligner la valeur eugénique des préceptes religieux juifs issus de la Bible et du Talmud.
Rappelant toutes les lois et les pratiques du judaïsme, relatives notamment au mariage
endogamique et à l’alimentation casher, il écrit dans son texte de 1917 sur Eugenics in Jewish
Life : « Je ne connais pas de groupe social ou religieux qui ait encouragé et pratiqué
l'eugénisme positif avec une intensité comparable à ce qu'ont fait les juifs dans le Ghetto. La
plupart des enseignements rabbiniques fourmillent de propositions d'eugénisme positif, et l'on
est tenté de dire que les rabbins ont anticipé Galton de seize siècles »138.
À l’influence favorable des préceptes du judaïsme sur la qualité des Juifs, il ajoute aussi la
thèse déjà formulée antérieurement concernant la lutte pour la vie. Celle-ci, en mobilisant
beaucoup d’énergie chez les Juifs, a entraîné une véritable sélection éminemment positive par
élimination des plus faibles. C’est cette conjonction d’éléments qui explique leur rôle éminent
dans la société. « Il est bien connu, écrit-il, que la proportion de personnes d'aptitudes remar137
. Chapitre de son ouvrage Judaïsme et Christianisme. Remarquons que pour Ernest Renan, qui était très
proche du milieu scientifique positiviste, notamment par son ami Berthelot, une "vraie" race ne pouvait être que
pure et exclusivement d’ordre physique.
138
. A. Pichot, Op. cit., p. 383.
52
quables, d'individus qui se sont distingués dans toutes les entreprises humaines, est plus
grande parmi les juifs que parmi les peuples d'une autre foi, au milieu desquels ils vivent […]
Il suffit seulement de considérer le nombre énorme de financiers, marchands, médecins,
industriels, juristes, musiciens, artistes, journalistes, scientifiques, etc. d'origine juive en
Europe et en Amérique, et de garder à l'esprit que les enfants d'Israël constituent seulement
une petite fraction de 1 % de la population blanche mondiale, pour être convaincu que le
nombre de personnes talentueuses, aptes et couronnées par le succès, dépasse parmi eux ce
qu'on aurait pu attendre s'ils n'avaient pas excellé en ces directions ».
Reichler, dans un texte de 1916 intitulé Jewish eugenics, insiste lui aussi sur l’influence
favorable des préceptes bibliques et talmudiques. Il écrit : « Les rabbins s'efforcèrent par des
lois et des préceptes directs, aussi bien que par des avis et admonestations indirects, de
préserver et d'améliorer les saines qualités innées de la race juive [...] Leur idéal était une
race saine de corps et d'esprit, pure et sans tache, exempte de tout mélange avec un
protoplasme humain inférieur »139.
Et il poursuit par cette citation de Kellicott : « Les familles dans lesquelles de bonnes et
nobles qualités de corps et d’esprit sont devenues héréditaires, forment une aristocratie
naturelle ; et si de telles familles enregistrent fièrement leur pedigree, se marient entre elles
et sont dotées d'une fécondité éminente, elles peuvent assurer position et succès à la majorité
de leurs descendants dans tout avenir politique. Elles peuvent devenir les gardiens et les
curateurs d'un sain héritage inné qui, incorruptible et sans tache, peut être préservé dans sa
pureté et sa vigueur, quelle que soit la période d'ignorance et de décadence réservée à la
nation dans son ensemble. Négliger de transmettre non ternies les qualités germinales sans
prix que possèdent de telles familles, devrait être considéré comme la trahison d'un devoir
sacré ».
Si, pour ces auteurs, les lois et les pratiques du judaïsme jouent un rôle particulièrement
notable sur les qualités éminentes de la race juive et notamment sur la supériorité de
l’intelligence, d’autres théoriciens juifs ont, quant à eux, particulièrement insisté sur la qualité
du patrimoine héréditaire des Juifs à travers les millénaires en comparaison de celui des nonJuifs. Ce sont notamment deux auteurs allemands : Elias Auerbach et Arkadius Elkind. Pour
le premier : « Les différences de destinées et de milieux ont été impuissantes à effacer le type
commun, indestructible ; et c'est précisément sur l'exemple des Juifs qu'on se rend le mieux
compte à quel point l'influence de l'hérédité dépasse celle de l'adaptation dans les destinées
d'une race140 ». Quant au second, il peut écrire : « Partout et toujours nous voyons l'allotype
du juif se détacher de l'ensemble du reste de la population, ce qui est une preuve
incontestable de la stabilité et de l’originalité du type anthropologique des Juifs. Personne ne
met plus en doute aujourd'hui l'exactitude de ce fait »141.
Et le mouvement eugéniste juif allait se développer de façon remarquable avec, fait
inconnu dans les autres communautés, races ou religions, la création de sociétés savantes telle
la Society for Jewish Statistics fondée à Londres en 1904, de revues et journaux comme le
Zeitschrift für Demographie und Statistik der Juden créé en 1905 par le sociologue juif Arthur
Ruppin, de structures comme le Bureau für Statistik der Juden créé en 1902 par Alfred
Nossig, toutes initiatives vouées spécifiquement à l’étude des populations juives par des
auteurs juifs. De multiples publications vont ainsi voir le jour. En 1910, le médecin
anthropologue autrichien Ignaz Zollschan publie son ouvrage sur Les fondements théoriques
de la question raciale juive. Il refuse de partager l'humanité en races supérieures et races
inférieures mais fonde lui aussi la judéité sur des critères strictement biologiques. Sioniste
convaincu, revendiquant de concert avec Vladimir Jabotinski la Palestine pour « une nation
139
. Op. cit., p. 381.
. Citation rapportée par A. Pichot, Op. cit., p. 385.
141
. Ibid, p. 385.
140
53
juive identifiée à la race et au sang », son étude parvenait à la conclusion que « sans le
sionisme », la question juive se trouverait confrontée à une alternative inévitable : « la
dissolution de la race ou la dégénérescence physique »142 car « la spécificité du peuple se
trouve dans celle de la race ». Quant au médecin et idéologue sioniste Max Nordau dans son
célèbre discours lors du deuxième congrès sioniste en 1901 il parla pour la première fois du
Judaïsme perdu de la musculature (Muskuljudentum) et exprimait la particulière importance
pour les Juifs d’être un « peuple-race fort ». « Dans aucune race ni aucun peuple, écrit-il, la
gymnastique ne remplit de rôle éducatif aussi important qu'elle doit le faire parmi nous, les
Juifs. Elle doit nous redresser tant sur le plan corporel que mental »143. Avant lui, en 1882,
Heinrich Graetz avait écrit un retentissant mémoire « La nouvelle jeunesse de la race juive »
qu’il s’agissait d’inventer et de promouvoir. « Il existe, écrit-il des peuples mortels qui ont
disparu de l'histoire et d'autres qui sont immortels […] La race juive, elle, a réussi à perdurer
et à survivre, et elle est sur le point de ranimer le feu de sa jeunesse biblique miraculeuse
[…]. Sa "résurrection" après l'exil à Babylone et le retour à Sion est le signe qu'elle possède
en elle le potentiel latent d'une nouvelle renaissance. L'existence de la race juive était
exceptionnelle dès le début, et par conséquent son histoire est également miraculeuse. C'est
en fait un « peuple-messie » qui, le jour venu, sauvera l'humanité tout entière »144.
En 1929, Isaac Kadmi-Cohen, dans son ouvrage Nomades. Essai sur l’âme juive, fonde
quant à lui la qualité de la race juive à la fois sur le sang et le nomadisme. « Que le
nomadisme soit, par lui seul, conservateur de la race, de la pureté ethnique, cela se conçoit.
Qui dit errance d'un groupe humain dit également isolement de ce groupe, et malgré ses
déplacements, à raison même de ses déplacements, la tribu demeure identique à elle-même
[…] Aussi le sang qui coule dans ses veines a-t-il conservé sa pureté première et la
succession des siècles ne fera que renforcer la valeur de la race : c'est, en définitive, la
prédominance du jus sanguinis (droit du sang) sur le jus soli (droit du sol). De ce
phénomène, les Sémites, et particulièrement les juifs, ont offert, offrent encore une preuve
historique et naturelle. Nulle part le respect du sang n'a été prescrit avec une intransigeance
aussi farouche […] L'histoire de ce peuple, telle qu'elle est consignée dans la Bible, insiste à
chaque instant sur la défense de s'allier avec des étrangers [...] C'est donc bien dans cet amour
exclusif, dans cette jalousie, pourrait-on dire, de la race qu'est concentré le sens profond du
Sémitisme, et qu'apparaît son caractère idéal »145. Pour cet auteur : « Ce culte de l’homme, en
passant par celui des ancêtres, mène à celui de la tribu, puis de la race […] De là sont nées
la Stabilité et la Solidarité juives, qui ne sont au fond que la même chose »146.
Par ailleurs, l’auteur revient longuement sur les prescriptions bibliques et talmudiques du
pur et de l’impur destinées à éviter « toute invasion du dehors » et, parallèlement, sur
l’anathème et l’exclusion radicale (le herem) qu’il convient d’appliquer à ceux qui, à l’instar
de Spinoza, se permettent de les enfreindre. Pour lui, les Juifs constituent non pas seulement
une race parmi les autres mais la Race qui est le Tout, voire qui est Dieu. « Le peuple hébreu
est en deçà et au-delà de la vie ; pour lui la mort n'existe pas, le présent non plus. Entre le
passé et le futur, il n'y a pas de cloison étanche imperméable, et les futurs juifs, à naître
dans l’avenir, ne feront pas autre chose en mourant que de rejoindre leur peuple. Les juifs
ne sont pas une partie d'un vaste Tout qu'ils réintègrent en mourant, mais ils sont un Tout à
eux seuls, défiant l'Espace, défiant le Temps, défiant la Vie, défiant la Mort. Dieu peut-il
être en dehors de ce Tout ? S’il existe, nécessairement il se confond avec ce Tout »147.
142
. Edouard Conte, La quête de la race, p. 202.
. Extrait de son ouvrage, Le judaïsme des muscles, rapporté par Schlomo Sand dans Comment le peuple juif
fut inventé, p. 358.
144
. Ibid., p. 118.
145
. Citation rapportée par A. Pichot, Op. cit., p. 417.
146
. Ibid, p. 418.
147
. Ibid, p. 420.
143
54
Victime du choc entre sa race et la race aryenne Kadmi-Cohen devait mourir à Auschwitz en
1944.
Quant à Arthur Ruppin, alors qu’il travaille comme démographe en 1930 à l'Agence juive
en Palestine et que s’étend rapidement l’influence du mouvement nazi, il publie la première
édition de son ouvrage la Sociologie des Juifs dont les deux premiers chapitres portent
respectivement les titres La composition raciale des Juifs sur la terre d'Israël et Histoire de
la race des Juifs hors de la terre d'Israël. En novembre 1933, quelque dix mois après
l’arrivée d’Hitler au pouvoir, il se rendit même à Iéna pour rencontrer Hans Günther,
théoricien de la race aryenne, qui se montra très amical et fut d’accord avec lui « sur le fait
que les Juifs n’étaient pas inférieurs mais différents »148. Par ailleurs, dans son ouvrage Les
Juifs dans le monde moderne et plus précisément dans le chapitre intitulé Amélioration
physique de la race, il reprend toutes les prescriptions eugénistes et hygiénistes de la Bible et
du Talmud et s'interroge lui aussi sur les « effets des mariages mixtes sur la race juive ». Il
conclut, en le regrettant, que « l'infiltration de sang non juif doit à la longue modifier les
qualités propres de la race ».
Tous ces hygiénistes juifs, depuis les années 1880 jusqu’à l’avènement du nazisme, ne sont
manifestement pas les inventeurs de la racialisation des Juifs. Ils seraient d’ailleurs gravement
outragés d’une telle imputation car ils se veulent de fidèles interprètes d’une doctrine et de
pratiques bimillénaires. Par delà leurs thèses pseudo-scientifiques sur la race, tous voient, en
effet, les principes hygiéniques et eugéniques de la Bible et du Talmud comme les éléments
ayant conservé l’entité raciale juive dans sa pureté et sa supériorité originelles, voire lui ayant
apporté, comme le dit Wolf, une « surhumanité biologique ».
Au début des années 1930, avec la montée du nazisme et l’exaltation de la race aryenne
vue électivement en opposition à la race juive, quelques biologistes juifs commencèrent à
s’inquiéter des conséquences sur leur communauté de l’exaltation de leur propre race. Ils
réduisirent alors leur engagement dans le mouvement eugéniste. Néanmoins, les milieux
sionistes, qui avaient une conception de la race très voisine de celle des nazis – pour Kurt
Blumenfeld, chef des sionistes allemands, il existait « une communauté d'idées entre le
nationalisme sioniste et le nationalisme nazi » – prolongèrent l’action des théoriciens
précédents. C’est dans ce contexte que les dirigeants sionistes, tout préoccupés de faire
émigrer les Juifs vers la Palestine, entreprirent, dès l'avènement du régime hitlérien, de
négocier avec ses dirigeants. Dans un mémorandum adressé au parti nazi le 21 juin 1933 par
la Fédération sioniste d'Allemagne, quelques mois après l'accession de Hitler au pouvoir,
mémorandum que rapporte Lucy Dawidowicz dans son ouvrage A Holocaust reader (p.155),
il est dit en effet ceci : « Dans la fondation du nouvel État juif qui a proclamé le principe de
la race, nous souhaitons adapter notre communauté à ces nouvelles structure [...] notre
reconnaissance de la nationalité juive nous permet d'établir des relations claires et sincères
avec le peuple allemand et ses réalités nationales et raciales. Précisément, parce que nous ne
voulons pas sous-estimer ces principes fondamentaux, parce que, nous aussi, nous sommes
contre les mariages mixtes et pour le maintien de la pureté du groupe juif [...] Les Juifs
conscients de leur identité, au nom desquels nous parlons, peuvent trouver place dans la
structure de l'État allemand, car ils sont libérés du ressentiment que les Juifs assimilés
doivent éprouver ; nous croyons en la possibilité de relations loyales entre les Juifs
conscients de leur communauté et l'État allemand ». Les auteurs du mémorandum ajoutaient :
« au cas où les Allemands accepteraient cette coopération, les sionistes s'efforceraient de
détourner les Juifs de l'étranger, du boycott anti-allemand ».
Au congrès de Nuremberg de septembre 1933 Rosenberg, un des principaux théoriciens
nazis, précisait la position du parti à propos des Juifs : « nous reconnaissons que la race juive
a ses lois propres et nous souhaitons que, dans le domaine qui lui est dévolu, elle développe
148
. Comment le peuple juif fut inventé, p. 367.
55
une culture correspondant à son âme raciale ; nous nous élevons contre la thèse du métissage
entre des races disparates. Les lois naturelles telles qu’elles se manifestent dans la vie des
plantes et des animaux, se vérifient dans l’espèce humaine : le mélange des races n’enfante
pas une nation mais un chaos ethnique ». Reinhardt Heydrich, chef des Services de Sécurité
S.S., écrit lui-même en 1935 dans Das Schwarze Korps, l’organe officiel de la S.S. : « Nous
devons séparer les Juifs en deux catégories : les sionistes et les partisans de l'assimilation.
Les sionistes professent une conception strictement raciale, et, par l'émigration en Palestine,
ils aident à bâtir leur propre État juif... nos bons vœux et notre bonne volonté officielle sont
avec eux ».
« Il y avait un intérêt commun inhabituel, une ironie de l'Histoire, écrit Arnon Goldfinger dans
Die Zeit. Les nazis voulaient que les juifs partent et les sionistes voulaient les attirer en Palestine.
L'événement fut même immortalisé de façon originale : une médaille fut éditée et distribuée à
Berlin et dans d'autres villes allemandes. Avec d'un côté une croix gammée et de l'autre une étoile
de David »149. Confirmant cette collusion assez étroite qui devait durer un certain temps entre
sionistes et nazis, Y. Leibowitz nous apprend de son côté que l'organisation sioniste des Juifs
allemands qui éditait un journal, la Jüdische Rundschau, eut une existence légale jusqu'en
1938 et que le Lehi, l’organisation juive extrémiste dirigée notamment par Abraham Stern et
Yitzhak Shamir, avait offert ses services à l’Allemagne nazie150. Theodor Herzl avait
d’ailleurs prévu ce phénomène de collusion. Dans son Journal intime il écrit : « Les
antisémites deviendront nos amis les plus loyaux ».
2 - L’ANTHROPOLOGIE RACIALE JUIVE DANS LE MONDE SCIENTIFIQUE JUIF
Avec le conflit de 1939-45, le mouvement eugénique juif étudiant et exaltant la race juive
devait subir un arrêt total mais, compte tenu de ses références à des éléments immuables du
judaïsme, il était logique qu’il y revienne très rapidement par la suite. Ainsi que le constate en
effet A. Pichot : « toutes les idées caractérisant cette hygiène raciale juive ont en effet
perduré ». Dès 1947 et la création de l’État juif de Palestine il est décidé (ce qui sera légitimé
secondairement par la loi) que les Juifs ne pourront pas épouser de non-Juifs tandis que dans
les années 1950, particulièrement après la découverte par Watson et Crick de la structure de
l’ADN support du patrimoine génétique, les premiers travaux concernant la génétique des
populations juives sont publiés dans les revues scientifiques. Ils sont d’abord le fait de
chercheurs assez isolés, obsédés par le maintien d’une entité juive supérieure et
particulièrement préoccupés par le retour des mariages mixtes, mais ils vont rapidement se
multiplier pour devenir de plus en plus importants avec les années 1970. « La biologie va être
mobilisée par le sionisme pour renforcer le concept de l’ « antique nation juive »151 écrit
Shlomo Sand. Ces travaux vont même exploser à partir des années 1980 grâce à un
financement généreux de la part des communautés juives. D’où une énorme bibliographie.
« Il faut savoir, écrit encore Sand, que la théorie juive du sang ne fut pas l'apanage des
quelques cercles d'élite isolés cités ici […] on retrouve son empreinte dans presque toutes
les publications ainsi que dans les discours prononcés lors de ses congrès et
conférences »152.
Par ailleurs, alors qu’il est devenu plus difficile d’utiliser les mots de race et de sang
depuis le conflit mondial, un nouveau domaine plus respectable par son appellation mais
149
. Le Monde du 23/06/2012. À noter que l’accord de transfert conclu en 1933 entre l’Agence juive et le IIIe
Reich fut approuvé par mouvement sioniste : il permettait aux Juifs d’émigrer en Palestine et d’y transférer leurs
avoirs à condition que ces fonds soient exclusivement consacrés à l’achat de produits allemands (Ecrits juifs, p.
184).
150
. Israël et judaïsme, p. 156.
151
. Comment le peuple juif fut inventé.
152
. Ibid., p. 368.
56
participant des mêmes préoccupations traditionnelles de pureté raciale, se fait jour : la
« recherche sur la génétique des populations juives » ou, plus trivialement, la « recherche du
gène juif ». Portée par l’idée ancestrale d’un peuple-race juif, une nouvelle discipline
scientifique vient de naître : la Génétique des Juifs dont l’influence va, malgré quelques
oppositions des milieux laïques, se révéler considérable dans la société juive, parallèlement à
son extension dans les équipes universitaires menant leurs recherches sur l’ADN juif. « Vers
la fin du XXe siècle, écrit Shlomo Sand, l'Israélien moyen savait qu'il appartenait à un
groupe génétique unifié dont l'origine ancienne était, plus ou moins, homogène »153.
Témoin de la conception raciale exceptionnelle des Juifs, un échantillon de ces travaux
considérables d’ordre scientifique est indiqué ci-dessous154, avec leur intitulé et leur auteur
principal :
• La Génétique des Juifs de Arthur Mourant et d’une équipe de chercheurs publiée en 1978
aux prestigieuses éditions d’Oxford.
• Un nouveau regard sur la génétique des Juifs de Bat-Sheva Bonné-Tamir, professeur à
l'école de médecine de l'université de Tel-Aviv en 1980. L’auteur y exalte particulièrement le
renouveau de la recherche sur les gènes juifs.
• Affinity of Several Jewish Communities de U. Ritte et ses six collaborateurs publié en
1993.
• Y Chromosomes of Jewish Priest de K. Shorecki, et de sept collaborateurs en 1997
dans la prestigieuse revue britannique Nature.
• Le Sionisme et la Biologie des Juifs de Raphal Falk en 1998.
• From Lineage to Sexual Mores : Examining "Jewish Eugenics" de Naom J. Zohar en
1998.
• Distinctive Genetic Signatures in the Libyan Jews de N. A. Rosenberg et ses neuf
collaborateurs en 2001.
• Founding Mothers of Jewish communities de M. Thomas et ses treize collaborateurs en
2002.
• Alcohol Dependence Symptoms and Alcohol Dehydrogenase 2 Polymorphism: Israeli
Ashkenazis, Sephardics, and Recent Russian Immigrants de D. Hasin et ses six
collaborateurs, étude portant sur les gènes protégeant les Juifs de l’alcoolisme.
• Multiple Origins of Ashkenazi Levites: Y Chromosone Evidence for both Near Eastern
and European Ancestries, de D. M. Behar et ses onze collaborateurs en 2003.
• Anglo-Jewish Scientists and the Science of Race de Todd M. Endelman, en 2004.
• Reconstruction of Patrilineages and Matrilineages of Samaritans and Others Israeli
Populations From Y-Chromosomes and Mitochondrial DNA Sequence Variation de P. Shen et
ses dix collaborateurs en 2004.
• Natural History of Ashkenazi Intelligence de G. Cochran et ses collaborateurs en 2006,
étude portant sur les gènes donnant aux Ashkénases une intelligence supérieure.
• Abraham’s Children : Race, Identity and the DNA of the Chosen People de John Entine,
New-York, Grand Central Publishing en 2007.
Sur son site Internet155 spécialement consacré aux "gènes juifs", Yaakov Kleiman rapporte
« qu’une étude récente et approfondie de génétique, et des séquences de l'ADN, a montré que
les différentes populations juives de la Diaspora avaient conservé leur patrimoine génétique
propre, malgré l'exil. Malgré la dissémination aux quatre coins du monde et malgré plus de
1000 ans d'exil, les juifs ont un patrimoine génétique commun. Ces recherches confirment
d'une part un ancêtre commun, et d'autre part une origine géographique commune. Les juifs
153
. Ibid., p. 381.
. Aux origines des théories raciales. De la Bible à Darwin, pp. 378, 379 et 380.
155
( http://www.aish.com/societywork/sciencenature/Jewish_Genes.asp )
154
57
de différentes communautés orientales telles que celles d'Iran, d'Irak, du Kurdistan et du
Yemen ainsi que de nombreux juifs européens ont un profil génétique très similaire ».
Par ailleurs, il est fait état sur ce même site d’une communication à l'Académie des
Sciences aux USA par M.F. Hammer en date du 9 mai 2000 selon laquelle : « En dépit de leur
long exil dans de nombreux pays, les communautés juives sont très proches au point de vue
génétique. Les résultats de ces travaux posent l'hypothèse d'un gène paternel unique pour les
différentes communautés d’Europe, d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient et suggèrent la
possibilité que les communautés juives descendent d'une ancienne population du MoyenOrient. Ces travaux ont aussi montré, vu la pérennité du profil génétique, que de nombreuses
communautés sont restées isolées et qu'il n'y a pas eu de mélange avec le patrimoine
génétique des non-juifs ».
A. Pichot remarque que l’eugénisme de source biblique et talmudique est également
présent dans les milieux de la sociobiologie des États-Unis. Avec de nombreuses références
postérieures à la seconde guerre mondiale et en reprenant largement les thèses des théoriciens
de la race juive dans sa dimension génétique, Kevin MacDonald écrit par exemple en 1994 : A
People that Shall Dwell Alone: Judaism as Evolutionnary Strategy. Comme l’indique le titre de
l’ouvrage il est question de la stratégie évolutive devant assurer la promotion à la fois
biologique et sociale du peuple juif.
En conclusion de ces données consacrées au monde scientifique juif dans sa perspective
de la promotion de sa propre entité raciale, on peut ajouter, d’une part que ce sont les
théoriciens juifs du surhomme juif qui précédèrent, voire inspirèrent, ceux de l’aryanisme
dans la fabrication du surhomme aryen, d’autre part que, dans la concurrence acharnée que
mena chacun de ces groupes pour affirmer sa supériorité, l’eugénisme intellectuel aryen ne fut
en définitive qu’un pâle reflet de l’eugénisme juif qui, quant à lui, était porté par une culture
bimillénaire. On constate en effet que les principaux théoriciens de l’aryanisme, Chamberlain,
Vacher de Lapouge, Rosenberg… ne furent guère que des idéologues maniant plus les
affirmations péremptoires concernant la spécificité et la supériorité aryennes que les
arguments scientifiques. Pour l’historien, il est patent qu’ : « il n'a rien existé de semblable
aux études sur les Juifs et il est peu probable qu’il y en ait d’autres par la suite […] Si l'on
disposait pour les Aryens de travaux comparables à ceux qui traitent de la spécificité
biomédicale des juifs, ou de leur pureté et supériorité raciales, les textes afférents auraient
depuis longtemps été commentés et recommentés dans tous les sens, et plus personne ne
parlerait de Marr ou de Ploetz »156.
Puisque toute catégorie raciale, avons-nous dit, se caractérise plus encore par le
comportement que par le physique, par la culture que par la biologie, ces énormes travaux
émanant principalement de biologistes juifs n’ont certes qu’un intérêt fort modeste du point de
vue scientifique, mais ils reflètent bien la pensée raciale intimement liée au judaïsme, le
racisme qui ne peut pas ne pas en résulter et la prégnance exceptionnelle de la race juive,
première race de l’histoire occidentale et sans doute mondiale où l’association de la biologie
et de la culture atteint un tel niveau.
3 – L’ANTHROPOLOGIE RACIALE JUIVE DANS LE MONDE DES LETTRES JUIF
Si le monde scientifique juif est profondément imprégné de la pensée raciale inhérente au
judaïsme à plus forte raison en est-il du monde des lettres. Par son ampleur, son
développement et sa continuité, il s’agit là d’un phénomène vraisemblablement unique dans
l’histoire universelle. À partir de divers ouvrages émanant d’auteurs juifs, seront examinées
successivement :
156
. Op. cit. de A. Pichot, pp. 436-437.
58
• l’altérité Juifs/non-Juifs,
• la conscience de race dans la judaïcité,
• les mystiques conjointes de la race et du sang, du pur et de l’impur,
• la phobie des mariages mixtes,
• l’essentialisation-racialisation de l’homme-juif et son expression privilégiée : le Juif.
L’altérité Juifs/non-Juifs, "être autre" (que le non-Juif) : un impératif absolu
Face aux Blancs il y a des Noirs, des Jaunes, des Métis…, face aux Français il y a des
Allemands, des Britanniques, des Espagnols…, face aux chrétiens il y a des Juifs, des
musulmans, des bouddhistes…, face aux Aryens nazis il y avait des Juifs, des Tsiganes, des
Métis… mais, pour la culture juive, l’humanité est constituée essentiellement de deux
catégories d’hommes et de deux seules, les Juifs et les non-Juifs. Dans cette vision dualiste du
monde des hommes, ceux qui ne sont pas Juifs sont des non-Juifs, non pas dans un apartheid
localisé à l’échelle de certains pays (où subsistent encore des non-Blancs), mais dans un
apartheid universel qui se joue des frontières terrestres. Pourvus d’une identité en négatif,
comme privés de quelque chose, incomplets, lacunaires, tels sont ces a-Juifs conditionnés à se
voir et à se désigner eux-mêmes comme non-Juifs face aux Juifs. Dans ce système-de-penséequi-oppose, voire qui hiérarchise, système où la propre valeur de l’un est fondée sur la nonvaleur de l’autre, il s’établit ainsi d’emblée, entre Juifs et non-Juifs, entre race et contrerace157, une étrangèreté, un écart, une distance, une différence, une hétérogénéité, une
dichotomie qui ont quelque chose de spécifique : la radicalité. Entre deux groupes de pensée
ou entre deux personnes, il y a bien altérité, mais ces deux groupes ne se définissent pas l’un
par rapport à l’autre : chaque groupe se voit reconnaître autonome et libre. Un dialogue peut
s’engager comme il s’engage entre un Blanc et un Noir. L’altérité véhiculée par le
manichéisme judaïque est d’une autre nature : déniant quelque chose dans l’autre, excluant
d’emblée tout mélange de sang entre les deux communautés, cette donnée essentielle qui
désigne une catégorie raciale très différenciée culturellement ne peut pas ne pas constituer une
faille singulière entre les deux groupes. Conditionnant les deux parties, et d’abord bien
entendu la partie juive, à une démarche radicale de distinction et d’opposition, elle exclut tout
dialogue véritable comme c’est le cas aussi entre un Blanc et un Non-Blanc. Le judaïsme qui,
au nom de ses mythes fondateurs de la Création, de l’Alliance et de l’Élection, établit des
obstacles spirituels et matériels entre les Juifs et les non-Juifs, représente par excellence
l’idéologie des limites, des frontières et des murailles. Jan Assmann parle quant à lui d’ « un
mur d’airain entre le peuple juif et les cultures environnantes158 ». Conception dualiste,
inédite et éminemment perverse que cette humanité scindée en deux entités opposées : il y a,
au nom de la Loi juive, ceux qui sont dedans et ceux qui sont dehors, ceux qui en sont et ceux
qui n’en sont pas. Il y a les frères et les non-frères !
À propos du regard réciproque que se portent notamment les Juifs et les non-Juifs, Claude
Liauzu a écrit : « L’autre, le sauvage, le barbare, l'étranger, l'oriental, le juif... est si
intimement lié à notre histoire que l'Occident s'est défini par rapport à lui, par opposition á
son origine, à sa "race", à sa religion, à ses mœurs …»159 . Si son assertion est parfaitement
juste en ce qui concerne les quatre premiers personnages, l’historien se trompe gravement
pour le Juif : le judaïsme a fait des siens une catégorie d’ordre racial et a défini le Juif par
opposition au gentil bien avant que ce dernier ne soit amené, par la force des choses, à se
définir par opposition au Juif. La vocation permanente assignée aux Juifs par le judaïsme
157
. Le groupe faisant fonction de contre-race est bien entendu déterminé par le groupe porteur de l’idée de race.
Ici, ce sont les non-Juifs, dans le nazisme et sa race aryenne ce furent principalement les Juifs, dans les régimes
d’apartheid des États-Unis et d’Afrique du Sud, ce furent les Noirs ou certains immigrants. C’est dire qu’il y a,
généralement sinon toujours, racialisation des protagonistes.
158
. Dans son ouvrage La Mémoire culturelle.
159
. Race et Civilisation, 4ème de couverture.
59
n’est-elle pas depuis les origines « d’être vis-à-vis du monde les éternels gardiens d’un idéal
qui leur ordonne de se tenir étrangers et à distance de la sphère des États-nations »160 ? Et
comme le montre l’histoire, de la période biblique à la période contemporaine, il est clair
qu’aucun autre peuple n’a eu le souci d’être "étranger de l’intérieur" dans toutes les nations
et de cultiver, tributaire qu’il est de ses textes fondateurs, une différence irréversible entre lui
et les autres, différence qui, avons-nous vu, désigne une race au sens le plus évolué du terme.
Il résulte de ces données que les non-Juifs, tous concernés par la culture juive, sont
engagés à se considérer comme appartenant à une catégorie d’hommes différente voire
antagoniste de celle des Juifs parce que située obligatoirement en regard d’elle et par
référence à elle. Issue du judaïsme, entretenue avec un soin jaloux dans la judaïcité, consacrée
par le temps, cette conception manichéenne représente un élément essentiel accompagnant la
notion de race juive, notion basée, non pas sur quelque différence de couleur de peau, non pas
sur une différence dans l’ordre de la pensée, mais sur une altérité irréductible d’ordre
héréditaire et culturel.
La conscience de race dans la judaïcité
« Vingt siècles de souffrance avaient modelé mon caractère, écrit Alain Finkielkraut161,
j’étais l’un de ces lieux de ce monde où s’exprimait l’âme juive. Jamais il ne me serait venu à
l’idée d’employer le terme exécré de "race" et pourtant, imprégné de la sensibilité de mon
peuple, pur instant d’un processus, maillon dans la chaîne ininterrompue des existences, je
faisais implicitement allégeance au déterminisme de la pensée raciale ».
Hannah Arendt elle-même, tout en étant issue d’une famille parfaitement insérée, cultivée
et non pratiquante, faisait la distinction entre son groupe : les Allemands et son peuple : les
Juifs. Elle, l’éminente universitaire allemande, peut écrire : « Je ne crois pas m’être jamais
considérée comme allemande, au sens d’appartenance à un peuple et non d’appartenance à
un État162 ». À l’instar de l’historien juif allemand Isak Markus Jost, sans doute Hannah
Arendt aurait-elle pu distinguer ses frères de sang et les frères de son pays. Car, pour un
individu tributaire de la culture juive, il va de soi que la judéité est tout autre que la francité,
l’islamité ou la négritude : en rejetant toute symbiose avec l’extérieur elle est exclusive. Ainsi
que l’écrit dans La question juive le philosophe Bruno Bauer : « l’essence bornée qui fait de
lui un Juif l’emporte forcément sur l’essence humaine qui devrait, comme homme, le
rattacher aux autres hommes ; et elle l’isole de ce qui n’est pas Juif ».
Cette essence spécifique attribuée aux Juifs par ces auteurs, ce « déterminisme de la pensée
raciale » dont parle Finkielkraut ou, en d’autres termes, cet inconscient de race présent chez
tant d’écrivains d’hier ou d’aujourd’hui163 représente manifestement une donnée-clé de
l’histoire juive et donc de l’histoire occidentale. Basée sur une Écriture sacrée de statut divin
avec ses deux éléments conjoints d’Alliance/ Élection et de filiation sanguine, consacrée par
une législation établie plusieurs siècles avant notre ère, reprise constamment jusqu’à nos jours
dans la littérature et les traditions, l’altérité/supériorité structurelle inamovible, au fondement
même de la capacité à exister pour le peuple juif, institue à l’évidence l’entité juive comme
une catégorie d’ordre racial particulièrement différenciée. On peut même constater que la
dimension proprement généalogique est non seulement revendiquée par de nombreux auteurs
160
. Citation de George Steiner rapportée par Avraham B. Yehoshua, Israël un examen moral, p. 41.
. Le Juif imaginaire, p. 48.
162
. La Tradition cachée, Bourgeois, 1987, p. 232.
163
. Citons par exemple celui de Bernard-Henri Lévy : « Bouffer du curé, du rabbin, de l'imam - jamais du "Juif"
ou de l'"Arabe". Etre solidaire, bien entendu, de caricaturistes qui se moquent du fanatisme et le dénoncent mais s'interdire, fût-ce au prétexte de la satire, la moindre complaisance avec les âmes glauques qui
tripatouillent dans les histoires de sang, d'ADN, de génie des peuples, de race. C'est une ligne de démarcation ».
(Le Monde du 21/07/08). En assimilant le groupe des Juifs et celui des Arabes, on voit aussi que cet auteur juif a,
lui aussi, un inconscient de race caractérisé à propos des siens.
161
60
juifs mais qu’elle est même considérée comme essentielle : « C’est l’hérédité qui définit
l’appartenance au peuple juif »164 écrit le Grand rabbin Sirat. De multiples auteurs vont ainsi
revenir sur cette donnée fondamentale du judaïsme. Jean-Christophe Attias165, après avoir
constaté que nombre de Juifs « n'observent plus le shabat, s'habillent comme tout le monde,
ne mangent pas d’une manière différente », que « les traits discriminants dont l'histoire les
avait affublés sont en train de disparaître », que « dans les textes juifs du XIXe siècle les Juifs
eux-mêmes se disent appartenir à la race juive », conclut lui aussi qu’« il ne reste plus que la
"race" comme élément distinctif entre un Juif et un non-Juif ». Car, poursuit-il : « Le Juif n'est
pas uniquement le dépositaire du message hébraïque originel, il est aussi, par le sang, par la
généalogie, descendant d'Abraham ». Michel Wieviorka166, de son côté, précise que « la
façon même dont les Juifs conçoivent le plus souvent la judéité (par la mère) est d’ordre
biologique ».
Shmuel Trigano s’exprime pareillement : « L’identité juive – outre la référence à
l’Alliance – se définit très fortement en fonction du principe généalogique. »167
Pour Moïse Hess (1812-1875), « les juifs ne sont pas un groupe religieux, mais une nation
à part, une race particulière, et le juif moderne qui le nie n'est pas seulement un apostat, un
renégat de sa religion, mais aussi un traître à son peuple, à sa tribu et à sa race »168.
Brandeis ancien juge à la Cour Suprême des États-Unis et l’un des chefs sionistes de ce pays
dans les années 1920 peut lui même écrire : « Prétendre, comme le font nombre d’Israélites,
que les Juifs sont les adeptes d’une religion et non les éléments d’une race est une erreur
historique et ethnologique »169.
En effet, comme nous l’avons explicité précédemment, on n’est pas juif par la géographie,
par la croyance ou par le fait de se reconnaître partie prenante d’une histoire, d’une tradition,
d’une certaine culture, comme on peut être chrétien ou musulman. On est Juif lorsqu’on vient
au monde de parents juifs ou, dans le langage moderne, par l’hérédité, la génétique, le sang.
La naissance, les origines sont le grand repère identitaire de l’homme juif : on est « Juif de
race » comme l’écrit J.C. Milner170. Même Lévi-Strauss qui « ne s’est jamais senti juif,
est évidemment juif, dit-il, puisque ses parents étaient juifs »171. La formule courante : « On ne
devient pas juif, on naît juif, on meurt juif et on transmet la judéité naturellement » résume
bien la situation spécifique faite aux Juifs par la culture judaïque. D’où il résulte – témoin des
caractéristiques biologiques qui font le Juif – que le terme de coreligionnaires n’est
pratiquement jamais utilisé dans le monde juif moderne. Divers auteurs parlent de
congénères, d’autres, tel le poète Ernst Moritz Arndt de frères de race 172, d’autres encore, tel
Stefan Zweig de frères de sang 173.
On peut noter ici que cette exceptionnelle conscience de race représente à la fois le ciment
des communautés juives et la pesanteur inhérente à la condition de Juif.
164
. La Tendresse de Dieu, Nil 1996, p. 128-129.
. Les Juifs ont-ils un avenir ?, p. 11, 64 et 77.
166
. L’espace du racisme, p. 230. M. Wievorka remarque lui aussi que la judéité est d’ordre « biologique ». Et il
ajoute en guise de commentaire que ce fait représente un « problème immense » ! Problème immense en vérité
puisque à la base même de la pensée raciale inhérente au judaïsme et du double racisme qui en résulte…
167
. Un exil sans retour ? Lettre à un Juif égaré, p. 232.
168
. Citation rapportée par Berlin Isaïah dans Trois essais sur la condition juive, p, 120.
169
. Citation rapportée par P. Prévost dans son ouvrage La France et l’origine de la tragédie palestinienne, p. 93.
170
. Dans son ouvrage, Les penchants criminels de l’Europe démocratique, p. 68, il écrit à propos des immigrés
maghrébins arrivant massivement en France dans les années 1960 : « Leur affection pour ceux qui allaient vers
eux, les conduisait bien souvent à ne pas pouvoir croire que certains de ces Français généreux fussent Juifs, je
veux dire : Juifs de race ».
171
. Citation rapportée par Jean Daniel, Nouvel Observateur N° 2349, p. 13.
172
. Donnée rapportée par Lionel Richard dans Nazisme et barbarie, p. 19.
173
. Donnée rapportée par Jean-Jacques Lafaye, Stefan Zweig, p. 61.
165
61
Ciment des communautés juives ! Alors que les chrétiens (ou les musulmans) de
différentes communautés s’entretuent sans état d’âme, elle permet au monde juif d’admettre
en son sein les opinions les plus extrêmes et les haines les plus aiguës. C’est cet élément qui,
en définitive, va apporter cohésion au groupe des Juifs, constituer un signe de ralliement des
individus en même temps qu’un engagement à la solidarité d’autant plus important pour eux
qu’interviennent l’hostilité des non-Juifs à leur endroit et leur propre mépris à l'endroit des
non-Juifs. Le commandement « tu ne tueras pas » un frère de race ne sera transgressé que par
un Juif devenu fou ou dans quelques rares épisodes tel celui rapporté par Flavius Josèphe
concernant le siège de Jérusalem par les Romains en 70 où les Zélotes juifs massacrèrent les
Juifs de Jérusalem. En sachant aussi selon la doctrine juive que « chaque Juif est tenu pour
responsable de toute injustice arrivée à un autre Juif174 », que « seule, la vie des Juifs, n’a pas
de prix » et en accordant crédit à la thèse de divers auteurs, ethnologues notamment, suivant
laquelle la solidarité se voit bien plus dans les communautés où existent des liens de sang que
dans les communautés nationales, culturelles, religieuses ou politiques, il est manifeste que le
monde juif transporte un sens de la race particulièrement développé avec ses conséquences
potentielles extrêmes.
Pesanteur de la condition de Juif ! Une contrainte culturelle permanente aussi impitoyable
que largement inconsciente n’est pas la moindre conséquence de la situation spécifiquement
juive dans laquelle tout Juif est jeté à sa naissance et de la séparation radicale que le judaïsme
a établie entre les siens et le reste de l’humanité.
Les mystiques conjointes de la race et du sang, du pur et de l’impur
Dans la tradition judaïque le sang n’est pas une banale métaphore, comme il peut l’être
dans la plupart des autres contextes. Tout autre que le sang chrétien ou musulman, français ou
allemand, est en effet le sang juif. Composante essentielle de la notion de race dans sa
signification biologique, il est intimement lié à l’être-juif. « Je suis né pour vivre dans un pays
éclatant et lumineux, dans la clarté du ciel bleu, écrit Léon Blum dans une lettre de jeunesse.
Cela me prouve à moi-même combien s’est conservé purement mon sang sémite. Vénérez-moi
en pensant que dans mes veines il court sans mélange et que je suis le descendant sans
macule d’un race impolluée »175. À la veille de la prise de pouvoir par les nazis, la religieuse
Edith Stein176 (1891-1942), convertie au catholicisme, n’hésitait pas « à parler d'une expiation
qui devait venir de la race juive parce qu'elle avait rejeté le Christ, leur Messie ». Et avant
de mourir à Auschwitz, elle pouvait dire encore au Père Hirschmann177 : « Vous ne savez pas ce
que cela signifie pour moi d'être fille du peuple élu, d'appartenir au Christ non seulement par
l'esprit mais aussi par le sang ». Raïssa Maritain, se faisant injurier dans Je suis partout parce
qu’elle était juive, peut aussi écrire « il m’est impossible d’admettre l’insulte qui s’adresse à
mon sang ! Cela est intolérable. De quelque race que l’on soit l’injure faite au sang est faite à
Dieu lui-même l’auteur de la vie »178. À leur exemple, bien des Juifs convertis au christianisme
se verront, se diront et seront vus Juifs de race (ou Juifs de sang) et chrétiens de croyance.
Simone Weil, quant à elle, sera souvent considérée comme la juive chrétienne.
Pour Martin Buber (1878-1965), l’éminent philosophe juif allemand qui après avoir émigré
en Palestine en 1938 occupa la chaire d’anthropologie et de sociologie à l’Université
hébraïque de Jérusalem, « Le sang est une force qui constitue nos racines et nous vivifie ; les
couches les plus profondes de notre être sont déterminées par lui, notre pensée, notre volonté
174
. La Haine se soi, sous la dir. de Benbassa et Attias, p. 33.
. Citation rapportée par Alfred Fabre-Luce dans son ouvrage Pour en finir avec l’antisémitisme, p. 10.
176
. Le philosophe et la Croix. Edith Stein, Hilda Gref, éd du Cerf 1955, p. 117.
177
. Citation rapportée par Sylvie Courtine-Denamy dans Le souci du monde, p. 239.
178
. Dans une lettre à des amis (Cahiers Jacques Maritain N° 7-8). Raïssa Maritain, née juive, s’était convertie au
catholicisme en 1906 en même temps que son mari le philosophe Jacques Maritain épousé en 1904.
175
62
lui doivent leur plus intime coloration »179. Dans le court chapitre (8 pages) d’où est extraite
cette citation, on peut d’ailleurs remarquer que le sang revient 14 fois dans des expressions
telles que « la confluence du sang », « la communauté de sang », « la patrie du sang », « le
sang, le plus profond et le plus puissant substrat de l’âme », « le sang, force créative de notre
vie », « le sang, quelque chose qui ne nous quitte à aucune heure de notre vie », « ceux de son
sang »…
Et dans son ouvrage Trois discours sur le judaïsme, il écrit encore : « C'est le sang que le
Juif ressent comme son héritage millénaire et qui le rend immortel. Cette connaissance du fait
que le sang produit la force nutritive de chaque individu est essentielle. Que les lois les plus
profondes de notre existence sont déterminées par le sang, que notre pensée intérieure et
notre volonté sont modelées par lui... Si quelqu'un est amené à choisir entre les influences de
l'environnement et la substance et la source de vigueur du sang, il se décidera pour le sang
s'il veut être un juif authentique ».
Les expressions extrêmement fréquentes dans la littérature de race juive, de peuple juif, de
sang juif traduisent l’importance exceptionnelle de cette hérédité de sang. Dans sa Lettre sur
l’Autonomie Vladimir Jabotinsky (1880-1940), savant lettré ayant traduit en hébreu nombre
de classiques de la littérature mondiale et principal théoricien de la conquête sioniste de la
Palestine, aborde lui aussi ce sujet : « Il est impossible à un homme de s’assimiler à un peuple
dont le sang est différent du sien. Pour être assimilé il faudrait qu’il change son corps et
devienne autre par son sang. Il ne peut pas y avoir d’assimilation. Nous n’autoriserons pas
de choses du genre des mariages mixtes parce que la préservation de notre intégrité nationale
est impossible autrement que par le maintien de la pureté de la race et pour ce faire nous
aurons ce territoire dont notre peuple constituera la population racialement pure180. » « Il est
clair, écrit-il par ailleurs, que ce n’est pas dans l’éducation de l’homme qu’il faut chercher
l’origine du sentiment national, mais dans quelque chose qui le précède. Dans quoi ? J’ai
longuement médité cette question, et y ai répondu : dans le sang » […] Il est physiquement
impossible qu'un Juif, né de plusieurs générations de parents de sang juif pur de tout
mélange, s'adapte à l'état d'esprit d'un Allemand ou d'un Français, tout comme il est
impossible pour un Nègre de cesser d'être nègre »181.
Parlant du peuple juif Franz Rosenzweig (1886-1926) écrit dans L’étoile de la rédemption :
« Béni soit celui qui a planté de la vie éternelle au milieu de nous […] Il n'existe qu'une seule
communauté qui connaisse une telle continuité de la vie éternelle, allant du grand-père au
petit-fils, une seule qui ne puisse exprimer le "Nous» de son unité sans entendre
simultanément dans son cœur le "sommes éternels" qui est son complément. Il faut qu'il
s'agisse d'une communauté de sang, car seul le sang donne à l'espérance en l'avenir une
garantie dans le présent [...] Parmi les peuples de la terre, le peuple juif est le peuple
unique [...] Nous seuls, nous avons fait confiance au sang »182.
Quant à Freud (1856-1939), il considère la judéité – le fait de se sentir juif tout en étant
incroyant – comme une valeur éternelle, transmise « par les nerfs et le sang183 ». Pour lui
aussi la race juive n’est point une vaine expression : à l’idée d’une correspondante selon
laquelle le Messie sera issu d’un couple mixte, outré il répond : « J’avoue que je n’ai pas
179
. Judaïsme, p. 12. Dans sa période nazie, Heidegger dira lui aussi que « pour tout peuple, le premier garant de
son authenticité et de sa grandeur est dans son sang et sa croissance corporelle » (Citation rapportée dans
Heidegger, L’introduction du nazisme dans la philosophie, de Emmanuel Faye, Albin Michel 2005).
180
. Citation rapportée dans L’Histoire cachée du sionisme, p. 38.
181
. Citation rapportée par Shlomo Sand, Op. cit., p. 361.
182
. Citation rapportée par Javier Teixidor, Le judéo-christianisme, p. 234.
183
. Henri Rey-Flaud, Et Moïse créa les Juifs… Le testament de Freud, Aubier 2006.
63
trouvé du tout sympathique votre fantasme […] Dieu doit le faire naître de la meilleure race
juive »184.
« Être haï, personnellement, pour une race, est un destin que mon sang juif m'a appris à
supporter avec le sourire depuis des années », écrit Stefan Zweig185 dans une lettre à Romain
Rolland dans les années 1910. Le romancier André Schwarz-Bart, lui, s’interroge : « Si Dieu
est en petits morceaux, qu’est-ce que ça peut bien signifier d’être juif ? Quelle est donc la
place du sang juif dans l’univers ? »186 tandis que le philosophe Hermann Cohen (1842-1918)
peut écrire : « Nous autres juifs, nous devons reconnaître que l'instinct racial n'est en
aucune façon une simple barbarie, mais une aspiration naturelle et légitime du point de
vue national »187 ?
Comment ne pas conclure alors avec Theodor Lessing que, dans le monde juif, « nul n’a
jamais pu se libérer de la contrainte de son sang » et que « nul impératif catégorique n’a
jamais pu couvrir la voix du sang »188.
Face à ces professions de foi exaltant la tribu, sacralisant l’ego, la race et le sang juifs,
vouant à l’ostracisme les mariages mixtes, prônant la primauté et la pureté du sang dans la
crainte de quelque altération, face à une telle approche émanant de personnalités éminentes
travaillant de toute leur âme à faire reconnaître le peuple juif comme une « communauté de
sang189 », comment mieux traduire la dimension raciale du judaïsme et le racisme auquel est
exposé électivement le monde juif depuis toujours ? Comment « ne pas souligner l’étroite
relation entre ces théories et les idéologies racistes modernes »190 ? Comment ne pas
éprouver aussi quelque vertige ou ressentir quelque froid dans le dos après le traitement que
les Juifs ont subi en Allemagne au nom du racisme nazi parfaitement exprimé dans cette
phrase, étrangement semblable aux précédentes, de Hitler dans Mein Kampf : « Le mélange
des sangs et l’abaissement du niveau des races qui en est la conséquence inéluctable sont les
seules causes de la mort des civilisations anciennes. Les hommes ne meurent pas parce qu’ils
perdent la guerre, mais parce qu’ils perdent cette force de résistance qui ne s’y maintient que
dans le sang pur. Tous ceux qui, en ce monde, ne sont pas de bonne race, ne sont que rebut. »
Car, « ce qui fait la race, écrit-il encore, ce n’est pas la langue, c’est le sang ».
Alors que la politique raciale des nazis dirigée avant tout contre les Juifs se mettait
progressivement en place dès le début de 1933, le président des anciens combattants juifs
d'Allemagne ne songeait encore nullement à contester sa différence raciale. Dans le Schild
du 12 avril 1934 il déclarait : « La solution du problème juif est possible à l'intérieur de
notre patrie à condition que la discrimination raciale ne soit pas une diffamation raciale
qui nous parait inacceptable et injuste en regard de notre passé »191.
La phobie des mariages mixtes
Conformément aux nombreux textes de la Torah fustigeant le mélange du sang juif et du
sang des non-Juifs – Garde-toi de t’allier avec l’habitant de ce pays ordonne Yahveh avant
184
. Citation rapportée par Georges Zimra, Freud, les Juifs, les Allemands, p. 130.
. Citation apportée par Jean-Jacques Lafaye, Stefan Zweig, p. 22.
186
. Dans Le Dernier des Justes.
187
. Citation rapportée dans Le mythe aryen de Léon Poliakov, p. 340.
188
. La Haine de soi, p. 72.
189
. Expression banale chez divers auteurs juifs, notamment chez Buber (Blutsgemeinschaft).
190
. Propos de Hannah Arendt concernant Disraeli qui écrivait à la fin du XIXe siècle que « "les vicissitudes de
l’histoire trouvent leur principale solution dans la race qui est un tout" ; que la race est "la clé de l’histoire"
sans considération de langue et de religion, car "seul, le sang, fait une race" ; qu’il n’y a qu’une seule
aristocratie, l’"aristocratie de la nature", à savoir "une race pure et parfaitement organisée" » (Sur
l’antisémitisme, p. 164).
191
. Citation rapportée Rita Thalmann - "20 janvier 1942, le protocole de Wannsee : de l’antisémitisme à la
solution finale" in 10 leçons sur la nazisme, p. 212, Éditions complexe.
185
64
l’entrée en Canaan – la pureté ethnique est un souci constant dans de nombreuses couches des
populations juives. Car, écrit Esther Benbassa : « l’exogamie est apostasie, adultère et
prostitution. Dissolution de soi dans l’autre »192. Vue comme une alliance contre-nature c’est
le péché irrémissible contre la donnée fondatrice du judaïsme : la Distinction/Séparation
d’avec les goyim. Tout à sa préoccupation de préserver ou de reconstituer son groupe à partir
des éléments restés purs, Joseph Sitruk, grand rabbin de France proclame de son côté en
1993 : « Je voudrais que les jeunes gens juifs n'épousent jamais que des jeunes filles juives ».
Impératif absolu pour les Juifs fidèles à la loi du judaïsme, c’est aussi bien entendu un souci
majeur chez les responsables des écoles juives193.
La hantise de la mixité, de l’hybridation et du métissage qui empêchent la transmission des
caractères biologiques de la race, la peur de la dégénérescence avec les représentations
toujours sous-jacentes de souillure ou de contamination, font manifestement partie intégrante
de la culture judaïque. Même les dirigeants laïques de l’État d’Israël ont toujours tremblé
devant le spectre des digressions généalogiques.
Face à la corruption et à l’altération du lignage que sont les mariages mixtes entre Juifs et
non-Juifs, Shmuel Trigano traduit fort bien l’anxiété du monde juif dans son ensemble. « La
question la plus inquiétante, écrit-il, est de savoir si nous n’allons pas assister à la
constitution de statuts inégaux dans la "citoyenneté" juive. Il va y avoir des Juifs ethniques,
non halakhiques, que l’on ne pourra pas épouser et qui pourront plus facilement se marier à
des non-Juifs qu’à des Juifs […] Certaines catégories de Juifs n’auront pas les mêmes droits
que nous. Ceux-ci seront inférieurs parce que ces gens n’auront pas la même pureté de
lignage ou un statut reconnu […] Sommes-nous prêts à voir se constituer des castes dans ce
qu’il est convenu d’appeler le "peuple juif" »194.
.En définitive, on peut dire que cette mystique de la pureté avec les interdits du métissage
et du partage des repas, représente un des critères majeurs qui permet, quels que soient les
temps et les lieux, de dire race et racisme. Comme l’écrit pertinemment Pierre-André
Taguieff : « La phobie du mélange des "races", des lignées ou des "couches", la mixophobie,
est au cœur du racisme »195. Toutes les lois racistes de l’histoire auront en effet ce point
commun : l’interdiction des relations sexuelles inter-raciales. Certes, depuis l’Antiquité, les
Juifs n’ont pas été les seuls à croire que les mélanges de populations de races différentes
affaiblissaient les peuples mais il reste que, parmi toutes les religions et tous les systèmes de
pensée, seul le judaïsme a fait de cette donnée un impératif absolu pour ses adeptes, impératif
qui est en même temps la condition même de sa survie.
L’essentialisation-racialistion de l’homme-juif et son expression verbale privilégiée :
le Juif
Avec les données bibliques fondatrices du judaïsme et du droit rabbinique, nous avons déjà
rencontré ou perçu dans les textes ce concept d’essence juive suivant lequel les Juifs, de par
leur nature, possèdent un destin intemporel et une identité immuable. Remarquons ici que ce
concept s’exprime électivement par l’expression le Juif dont la capacité signifiante est tout
autre que celle des expressions symétriques que sont a priori le Français, le chrétien ou le
musulman. Car, comme le remarque fort pertinemment Sigmund Freud, « il y a dans l'"êtrejuif" quelque chose qui fait question ». Si cette expression désigne parfois tel individu dans sa
singularité, elle s’applique le plus souvent au Juif de partout et de nulle part, au Juif éternel, à
tous les Juifs et à tout Juif. C’est ainsi que l’on constate, non seulement que le concept en
question est consubstantiel au judaïsme (et, de ce fait, d’une extrême banalité chez les auteurs
192
. Le Juif et l’Autre, p. 92.
. Le Monde de l’Éducation, janvier 2008.
194
. Un exil sans retour, p. 246.
195
. Le racisme, p. 23.
193
65
juifs, religieux ou athées et chez les non-juifs qu’ils soient philosémites196 ou neutres), mais
qu’il est aussi consubstantiel à l’antisémitisme : on le retrouve plus ou moins explicitement
dans nombre d’écrits grecs et romains hostiles aux Juifs et dans tous les pamphlets anti-Juifs,
notamment en Allemagne et en France, depuis plusieurs siècles197.
Citons donc ici quelques personnalités éminentes du monde juif contemporain et auteurs de
textes particulièrement significatifs de ce phénomène exceptionnel, sinon unique, qu’est
l’essentialisation-racialisation de l’homme juif dans la culture judaïque avec le narcissisme
assez impressionnant qui l’accompagne :
• Moïse Hess :
« La race juive est une race pure qui a reproduit l'ensemble de ses caractères, malgré les
diverses influences climatiques. Le type juif est resté le même à travers les siècle ». Et
l’auteur, considéré par ses biographes comme doué d’une intelligence exceptionnelle, de
poursuivre : « Il ne sert à rien aux Juifs et aux Juives de renier leur origine en se faisant
baptiser et en se mêlant à la masse des peuples indogermaniques et mongols. Les caractères
juifs sont indélébiles »198.
• Martin Buber :
« Israël est le seul peuple à avoir connu un Dieu qui se soit choisi un peuple d'hommes, afin
qu'il prépare le monde créé à être pour lui un royaume, en y réalisant la justice » C’est aussi
le seul peuple qui « accepta de se charger de la vérité qui est destinée à être réalisée par
toute l’humanité, par toute la race humaine. C’est cela l’esprit d’Israël »199.
• André Amar :
« Le peuple juif n’est pas un peuple quelconque parmi les autres, il est une catégorie
ontologique. Cela signifie qu’il est à soi seul un mode d’être irréductible à toute autre entité,
politique, nationale, sociale, ou culturelle. L’homme juif touche à l’universel humain, non
point par similitude, mais par sa spécificité même »200.
• Benny Lévy :
« Dans l’être juif se décide une forme de l’humain, essentiellement distincte de l’humain du
monde présent sans origine» Et aux Juifs tentés de s’éloigner du judaïsme il lance ce défi :
« Vous aurez beau devenir sociologue, révolutionnaire, Juif réformé, vous ne changerez rien
à ce fait foncier, fondamental, initialement et destinalement : vous êtes nés du début jusqu’à
la fin […] les jeux sont faits, les Juifs sont faits. Un Juif est fait – comme un rat – quand il
essaye de fuir – sa condition juive »201.
• Gilles Zenou :
« Le juif sait qu’il est une figure irréductible de l’altérité et que son refus d’être "normal"
constitue sa spécificité » ; « ce qui le constitue comme juif c’est son irréductible altérité »202.
• André Neher :
« L’homme juif n’est pas un homme tout simplement (…) quelque chose complique la
simplicité de sa condition humaine » ;
196
. J.P. Sartre, par exemple, l’utilise près de 200 fois dans son essai de 185 pages Réflexions sur la question
juive.
197
. On aura ainsi de multiples expressions telles que : « le Juif ennemi du genre humain », « le Juif homme
d’argent », « le Juif bourreau du Christ », « le Juif homme de pouvoir », « le Juif comploteur », « le Juif
dominateur », « le Juif apatride », « le Juif révolutionnaire »…
198
. Citation extraite de Rome et Jérusalem et rapportée par Shlomo Sand dans Comment fut inventé le peuple
juif, p. 116.
199
. Judaïsme, p. 150 et 158.
200
. Citation rapportée par Maxime Rodinson, Information juive (Paris), N° 251, mai 1975, p. 1-2.
201
. Être juif, p. 39 et 34.
202
. Regards sur la condition juive, p. 291 et 397.
66
« Le Juif est le "passeur"... C’est sur la barque de chaque Juif répétant le geste d’Abraham
que les hommes passent à l’autre rive de l’humanité » ;
« Cet homme qui accepte d’être l’homme particulier, l’homme "autre", l’homme "pas
comme les autres", c’est Israël, dont Dieu a besoin pour d’autres tâches que celles de
l’humanité anonyme » ;
Le Juif : « Quelque chose d'autre qu'un homme au sens terrestre, technique, banal du
terme » ; c’est « le sourcier de la Lumière perdue » ;
« Le Juif est l’homme qui n’est pas né le jour de sa naissance. Il n’est pas né non plus
comme le musulman, il y a 1 355 ans, ou, comme le chrétien, il y a 1 989 ans. L’homme juif
est né avec Adam, le premier homme en lequel était déposé le germe du Juif, conjointement
avec l’humanité tout entière »203.
• Maurice Blanchot :
« On est juif avant de l’être, et en même temps cette antériorité qui précède l’être ne
l’enracine pas dans une nature mais dans une altérité déjà constituée »204.
• Michel Sibony parlant des Juifs :
« leur transmission les précède, les dépasse, ils courent après, elle leur échappe, puis elle
court après eux »205.
• Jacob Talmon :
« une enveloppe légère de conscience de soi sépare le Juif du reste du monde »206.
• André Chouraqui :
« Dès mon plus jeune âge, lorsque mes yeux commencèrent à s’ouvrir sur le monde, je
voyais bien que nous étions d’ailleurs […] Être juif, géographiquement et
chronologiquement, c’était être d’ailleurs »207.
• Elie Wiesel :
« Il y a un État (Israël) différent de tous les autres. Il est juif, et pour cela il est plus
humain que n’importe quel autre »208.
• Emmanuel Levinas :
« Dieu n'a pas créé sans s'occuper du sens de la création. L'être a un sens. Le sens de
l'être, le sens de la création, c'est la réalisation de la Torah209 ». Et le philosophe de
constater par ailleurs que « le recours de l’antisémitisme hitlérien au mythe racial a rappelé
au Juif l’irrémissibilité de son être »210.
Freud, lui aussi, est venu conforter cette essentialisation de l’homme juif émanant du
judaïsme. Se demandant, dans la préface écrite pour la traduction en hébreu de son ouvrage
Totem et Tabou, ce qu’il restait de juif en lui il répond : « Beaucoup de choses et
probablement l'essence même ». Il écrit par ailleurs : « Selon de bonnes informations, [les
juifs] se conduisaient déjà comme aujourd'hui à l'époque hellénistique ; le juif était donc déjà
achevé en ce temps-là »211.
Dès le XVIIe siècle Spinoza212 après s’être dit scandalisé devant l’attitude des chrétiens
donnant, eux aussi, foi au Peuple élu, avait écrit à l’adresse des Juifs ses semblables : « La
203
. L’identité juive, p. 8, 21, 23, 31, 95, 37.
. Citation rapportée par Gilles Zenou dans Regards sur la condition juive, p. 256.
205
. Daniel Sibony, L’énigme antisémite, p. 23.
206
. Citation rapportée par Avraham B. Yehoshua, Israël, un examen moral, p. 16.
207
. Mon testament. Le feu de l’Alliance, p. 16. On peut remarquer qu’ « être d’ailleurs » est une expression très
banale chez les auteurs juifs.
208
. Citation rapportée par Rony Braumann dans la post-face de L’Industrie de l’holocauste de Finkelstein.
209
. Quatre lectures talmudiques, Minuit 1968 p. 90.
210
. Être juif, Cahiers d’études lévinassiennes, N° 1, p. 103.
211
. Citation rapportée par Guillaume Erner, Expliquer l’antisémitisme, p. 65.
212
. Citation rapportée par Léon Poliakov.
204
67
joie qu’on éprouve à se croire supérieur, si elle n’est pas tout enfantine, ne peut naître que de
l’envie et du mauvais cœur ». D’ailleurs, à la question qu’on lui posait : « qu’est-ce qui reste
de juif lorsqu’on ne croit ni à l’Élection, ni à l’Alliance, ni à Dieu », sa réponse était :
« Rien ». Depuis lors, plusieurs auteurs juifs particulièrement courageux sont revenus sur cette
donnée essentielle dont le monde juif est particulièrement tributaire. Ainsi Maxime
Rodinson213 qui constate que : « Les périodiques et les livres juifs sont encombrés d’une
floraison de proclamations délirantes de supériorité. On n’a que l’embarras du choix pour en
donner des exemples ». La philosophe Hannah Arendt214 a bien saisi, elle aussi, le fait que le
judaïsme, auquel elle reste malgré tout attachée, amène les Juifs à se « comporter d'une
manière ou d'une autre comme s'ils étaient "élus", à « se considérer par nature comme
meilleurs ou plus intelligents ou plus rebelles, voire comme le sel de la terre ». Et,
particulièrement lucide et courageuse, elle ajoute même que « cette opinion n’est qu’une
variante de la superstition raciale ».
Cette exaltation de l’homme juif, de l’âme juive, de l’essence juive, de la substance juive,
du peuple juif 215… pour un destin unique, exaltation inspirée à des auteurs juifs
contemporains par le judaïsme, cette inébranlable conviction pour nombre d’entre eux de faire
partie, en référence à des textes sacrés, d’une humanité « différente et plus humaine que
l’autre », cette désignation de son propre groupe comme ayant pour destin, seul et à lui seul,
d’apporter la Justice sur la terre, cet impératif « Sois Juif ! » adressé à celui qui doute, cette
affectation narcissique qui s’enorgueillit « de penser et de sentir juif » avec, parallèlement,
l’incapacité foncière de toute remise en cause de l’héritage idéologique, cette conscience
d’une innocence totale216 jointe à la culpabilisation des opposants et au mépris des goyim (ce
quelconque dont parlent quelques auteurs), cette hébraïsation de tous les secteurs de l’activité
humaine où les Juifs sont présents, cette célébration d’un groupe humain par ses propres
membres comme s’ils n’étaient pas eux aussi le fruit d’une hybridation culturelle, cette
criminalisation de toute critique du judaïsme et du sionisme, cette absolutisation de ses
propres valeurs… ce phénomène a quelque chose d’absolument unique. Témoin par
excellence d’une culture racisante caractérisée, la dichotomie juif/goy ne semble vraiment
trouver que de pâles équivalents historiques avec les dichotomies blanc/noir217 et aryen/juif
qui furent respectivement celle de divers auteurs européens de la fin du XIXe siècle/début du
XXe et celle des nazis.
Pour des malheurs sans cesse renouvelés, terrible conditionnement que celui-là ! Seuls des
esprits particulièrement libres parmi les hommes nés juifs, et à qui on a inculqué qu’ils étaient
irréductiblement juifs, tenteront de s’en arracher avec des succès divers. L’un d’entre eux,
revisitant son passé, peut écrire : « Je voulais découvrir à la face du monde une foule de
trésors (juifs) méconnus : le même orgueil, qui m’y a poussé, m’y a fait rapidement renoncer.
Depuis, je souris avec amertume quand je vois, de temps en temps, quelqu’un s’agiter pour
célébrer une philosophie juive qui serait ignorée, injustement traitée ; quelle est cette
213
. Peuple juif ou problème juif, p. 280.
. Ecrits juifs, p 301.
215
. Bien d’autres expressions banales dans la littérature pourraient être notées telles : l’esprit juif, le cœur juif, le
destin juif, la mission juive, la nature juive, la morale juive, l’art juif, l’écriture juive, l’éthique juive, la musique
juive, voire le génocide juif…
216
. Dans un article paru en novembre 2001, le Judaïsme sans mea culpa, Barbara Spinelli écrit : « S’il y a
quelque chose dont on ressent l’absence, dans le judaïsme, c’est justement ceci : un mea culpa, envers les
populations et les individus qui ont dû payer le prix du sang et de l’exil pour permettre à Israël d’exister »
(citation rapportée par A. Finkielkraut dans Au nom de l’Autre, p. 24).
217
. Le Roman du spahi en est un exemple. Pour Pierre Loti son auteur, les Noirs, la race par excellence, se
distinguent certes par une peau noire, mais aussi par un sang noir, une chair noire, une âme noire, un cœur noir,
une sueur noire, une musique noire, une manière noire de se comporter…! (expressions rapportés par Tzvetan
Todorov, Nous et les autres, p. 424).
214
68
philosophie ? Et surtout, qu’en reste-t-il aujourd’hui ? Comment formuler cette morale ? Et
surtout, comment la distinguer aujourd’hui du christianisme et de l’humanisme laïque, qui
imprègnent toute notre vie quotidienne, toutes nos démarches intellectuelles ? »218
Même si certains prophètes ont pu enseigner que Yahvé n'était pas seulement le dieu de la
tribu des Hébreux mais celui de tous les hommes de la terre – ce qui pouvait suggérer leur
égalité foncière et représenter une avancée vers l'humanité universelle – on peut dire que le
judaïsme considère avant tout et depuis toujours qu’il y a deux catégories distinctes
d’hommes : les Juifs et les non-Juifs. Et si l'histoire montre que l’option universaliste a
toujours quelque peu subsisté au sein de la tradition judaïque à côté de l’option
communautariste, on peut dire cependant qu’elle n’a été notable qu’à la suite des Lumières du
XVIIIe siècle et plus particulièrement à fin du XIXe siècle et au début du XXe avec le
développement des thèses socialistes et communistes, largement tributaires elles-mêmes des
cultures chrétienne et gréco-latine… Encore peut-on remarquer que cette option universaliste
fut essentiellement le fait de Juifs européens très éloignés pour la plupart de la culture juive
traditionnelle et notamment de la religion juive, de Juifs largement déjudaïsés n’ayant souvent
de juif que cet adjectif arbitraire imposé de l’intérieur du groupe et souvent honni d’euxmêmes.
Avec cette distinction entre Juifs et non-Juifs établie sur un critère qui s'est voulu précis, le
judaïsme établit en fait, avec l’appui inconscient des chrétiens qui ont hérité de ses mythes
fondamentaux, une opposition foncière entre les deux catégories. Même entre personnes d’un
même milieu social, professionnel ou culturel où la moindre inimitié est inexistante et la
moindre mésentente exclue, subsiste d’emblée une frontière imposée par la loi raciale
communautaire et qui exclut d’emblée le rapprochement des sexes. Subjective certes mais
profondément culturelle et autrement plus contraignante qu’une frontière naturelle, elle voue
le non-Juif à être définitivement l’Autre pour le Juif, le Juif à être l’Autre du non-Juif, tandis
que l’un et l’autre sont conditionnés à être tantôt acteurs et tantôt victimes de racisme.
Comme l’écrivent pertinemment E. Benbassa et J.C. Attias219 « Le judaïsme s’est dans une
certaine mesure défini comme une "contre-religion", il se construit et se pense face à un
ennemi extérieur ».
Remarquons ici que les expressions du racisme des deux sociétés antagonistes seront
différentes en fonction de leur situation minoritaire ou majoritaire, de faiblesse ou de force.
Comme le montre l’histoire, la société la plus faible sera volontiers marginalisée, diabolisée et
persécutée.
En résumé
En présence de ces données on peut affirmer, sans crainte de se tromper, qu’aucun groupe
humain ne s’est différencié à la fois biologiquement et culturellement comme l’a fait le peuple
juif. Il faut ajouter que le phénomène d’essentialisation-racialisation de l’homme juif,
phénomène magistralement explicité dans la littérature juive contemporaine comme nous
venons de le voir et qui permet à lui seul de dire racisme comme toute conception attribuant
aux Juifs des défauts liés à leur nature, ne saurait aller sans succès spectaculaires mais non
sans drames achevés. Le paradis et l’enfer... Car ce phénomène spécifique du judaïsme, où les
deux humanités juive et non-juive sont, non pas seulement incitées, mais obligatoirement
amenées à se voir foncièrement différentes, est le fondement d’une altérité gravement
pathogène. Si un Juif conscient de son ascendance juive se sent juif, rien ne peut faire que
les non-Juifs, philosémites, antisémites ou neutres n’incluent dans leur esprit, consciemment
ou non, en pensant le mot juif, quelque idée de race, réalité incontournable à la base du
racisme. Ludwig Börne, Juif allemand converti au christianisme en 1818, fit un jour cette
218
219
. Albert Memmi, La libération du Juif, p. 180.
. Le Juif et l’Autre, p. 86.
69
remarque particulièrement éclairante : « Les uns me reprochent encore d’être juif, les autres
me le pardonnent, les troisièmes m’en savent gré, mais tous y pensent »220.
D’ordre racial, et non d’ordre philosophique ou religieux, cette altérité, particulièrement
prégnante car relevant plus encore de la culture que de la nature, est au fondement même de la
particularité et de l’autonomie juives. Excluant tout dialogue authentique qui seul apporte la
paix et la justice entre les hommes, comment pourrait-elle ne pas être à la source d’un racisme
réciproque. C’est dire que la vision de cette longue période de quelque deux mille ans qui
court depuis l’Antiquité ne doit plus être celle d’une agression à sens unique : non-Juifs
contre Juifs mais celle d’un choc en boucle de deux groupes antagonistes. Il s’agit en somme
d’un racisme en miroir : racisme des Juifs à l’égard des non-Juifs, racisme des non-Juifs à
l’égard des Juifs (antisémitisme) deux racismes d’expression généralement différente mais
intimement liés par le même penser racial judaïque avec ses mystiques conjuguées d’altérité,
de pureté, de violence.
Les pages qui suivent seront consacrées essentiellement aux différentes formes
d’antisémitisme avec comme perspective de mettre en évidence, non pas leurs multiples
éléments étiologiques contingents – c’est l’œuvre des historiens – mais leur cause
invariante largement méconnue dans ses conséquences : la composante raciale de la judéité
qui, seule et elle seule, permet de qualifier d’antisémites les manifestations d’hostilité envers
les Juifs et de comprendre la pérennité du phénomène.
220
. Citation rapportée par Henri Arvon, Les Juifs et l’idéologie, p. 106.
70
2ème Partie
LES ANTISÉMITISMES
ET LEUR CAUSE COMMUNE INHÉRENTE AU JUDAÏSME :
LA COMPOSANTE RACIALE DE L’IDENTITÉ JUIVE
71
INTRODUCTION À CETTE SECONDE PARTIE
Comme nous l’avons déjà évoqué toutes les formes d’antisémitisme peuvent être vues
comme relevant de deux sortes de causes :
• une cause commune structurellement liée au judaïsme : la composante raciale de
l’identité juive qui informe les individus et les conditionne dans leurs jugements et attitudes à
l’égard des Juifs,
• des causes conjoncturelles, fonction des hommes, des temps et des lieux et, par
définition, toujours nouvelles.
C’est dire qu’il convient certes, de ne pas négliger les travaux des historiens et des
analystes rapportant les causes conjoncturelles du phénomène antisémite mais, parallèlement,
de comprendre que l’altérité Juifs/non-Juifs qui ressort de l’anthropologie inhérente à la
culture juive possède, seule et à elle seule, cette capacité de transformer toute hostilité banale
à l’égard d’un Juif ou de quelques Juifs en une hostilité envers toute la communauté lignagère
des Juifs.
Pour les non-Juifs en effet, rencontrer le judaïsme, soit par leur héritage biblique s’ils sont
chrétiens ou musulmans, soit par leur expérience concrète des communautés juives, soit par
l’information et l’étude, c’est être amené quasi automatiquement à voir les Juifs, non pas
comme les adeptes d’un mode de pensée autre que le sien ou des personnes d’un aspect
corporel différent comme on en rencontre chaque jour dans la vie en société, mais comme
faisant obligatoirement partie d’une catégorie d’hommes radicalement distincte de la leur dans
sa forme la plus achevée et la plus séparante : celle qui, au nom de l’Institution judaïque,
fonde la commune identité juive sur le sang reçu à la naissance et le mariage endogame. De
même que le Juif voit l’autre dans le Goy, le non-Juif est amené, consciemment ou
inconsciemment, à voir l’autre dans le Juif, à penser race en présence d’un Juif et à adopter
automatiquement la pensée exclusiviste et manichéenne du judaïsme, bref à avoir des Juifs
une perception racisante tandis que de leur côté les Juifs, vecteurs involontaires de cet élément
pervers du judaïsme et vulnérables lorsqu’ils sont minoritaires, vont être les otages et les
victimes premières de leur propre culture.
Ainsi que nous allons le découvrir dans les pages suivantes, en rapportant diverses formes
emblématiques d’antisémitisme latent et caractérisé, les deux sortes de causes du phénomène
sont, bien entendu, intimement conjuguées dans les faits, mais nous mettrons ici
particulièrement en exergue la donnée jusqu’ici largement méconnue221 : l’omniprésence de la
racialisation des Juifs dans l’esprit des non-Juifs, ce facteur qui est, à la fois, intimement lié au
judaïsme et à la base de tout antisémitisme.
221
. On peut noter que quelques auteurs juifs ont quelque peu approché le phénomène en question. « N’était-il
pas naturel ou juste, écrivent Benbassa et Attias, que le judaïsme devint lui-même à terme la victime d’un
exclusivisme qu’il avait promu ? Comme si, par l’effet de quelque étrange malédiction ou pour sanction de ses
trop nombreux péchés, Israël était pour ainsi dire condamné à produire les armes perverses dont ses
persécuteurs useraient contre lui. Comme si l’ennemi était là déjà, à l’intérieur » (Le Juif et l’Autre, p. 44 et
113). Hannah Arendt, elle aussi, s'en prit à la prétention affichée du peuple juif à vouloir "être Autre"
car elle y voyait (non sans raison) la cause de tous ses maux (Écrits juifs, note p. 301). Quant à Mgr
Lustiger il a pu écrire lui-même : « La persécution des élus de Dieu n’est pas un crime semblable à tous les
crimes que sont capables de commettre les hommes : il s’agit de crimes directement liés à l’Élection, et, donc, à
la condition juive ». (Le mystère d’Israël, Nouvel Observateur N° 1984 - extrait de La Promesse, Éditions Parole
et Silence, 2002).
72
CHAPITRE III – LES ANTISÉMITISMES LATENTS
L’antisémitisme latent, antisémitisme que l’on a pu qualifier aussi de mineur, de doux, de
subtil, de larvé, d’inconscient, d’informel, d’instinctif, d’infraracisme antijuif…, se traduit
volontiers par un malaise que l’écrivain juif Robert Misrahi a décrit ainsi : « Et d’abord ces
silences. Je prononce le mot "Juif" dans un cercle d’amis, ou dans une assemblée
quelconque, cercle de travail, groupe d'étudiants, gens rassemblés, interlocuteurs. Je
vois, à l'instant même, se cristalliser un malaise. Il est tissé dans le silence, il est le
refus de l'antisémitisme, certes, mais il n'est pas la continuation spontanée du moment
précédent. Le mot a tout changé et d'abord dans les regards ou la couleur de la peau :
très imperceptiblement, quelques vaisseaux sanguins sont plus roses sur les visages qui
m'écoutent. Mais rien n'a été dit, rien ne sera dit. Mes interlocuteurs me savent juif, ils
me sont liés par telles ou telles formes de relations positives, aucun d'entre eux n'est un
ennemi. Et pourtant, le malaise est là, présent, latent, implicite. Je n'aurais pas dû
rompre cette belle harmonie, je n'aurais pas dû parler des juifs : c'est gênant de créer
de la gêne »222.
L’auteur fait une parfaite description de la gêne qu’il a ressentie personnellement dans les
réunions qu’il évoque mais il méconnaît à l’évidence un aspect fondamental de la situation en
cause, totalement indépendante du temps et de l’espace. Ici, c’est chacune des parties juive et
non-juive, même si elles ont de profondes ressemblances d’ordre naturel et culturel, qui
perçoit dans l’Autre un différend indélébile, quelque part une altérité radicale ne pouvant
guère générer – à moins que l’humour ne s’en mêle – que des rapprochements superficiels et
jamais parfaitement sereins. N’est-il pas banal en effet de constater que les distances entre
deux personnes de couleur différente sont souvent infiniment moins grandes que celles qui
existent entre un Juif et un non-Juif, séparés par une barrière invisible d’ordre culturel :
l’interdit communautaire du rapprochement des sexes, ce témoin par excellence d’une
étrangèreté radicale ? Il est clair que Robert Misrashi n’a pas perçu le fait que cette altérité
relevait exclusivement du judaïsme avec sa conception dualiste de l’humanité : avant de se
savoir regardé comme Juif n’a-t-il pas lui-même pensé spontanément que ceux qu’il avait en
face de lui n’étaient pas des semblables mais des gens différents, des non-Juifs ? Sans doute
n’a-t-il pas perçu non plus le discours intérieur embarrassé de chacun de ces non-Juifs
impliqué malgré lui dans la situation qui est sienne : « Puisque tu ne veux pas et ne peux pas
partager mon repas, ni accepter que ton fils épouse ma fille et que mon sang se mêle au tien,
puisque tu me considères comme un étranger et d’une catégorie d’hommes fondamentalement
autre que la tienne, comment veux-tu ne pas être étranger aussi pour moi ? » À l’équivalence,
centrale dans le judaïsme entre goy et étranger répond naturellement l’équivalence entre juif
et étranger, à l’altérité première du non-Juif pour le Juif répond celle, réactionnelle, du Juif
pour le non-Juif.
Pour juger du processus de contamination des non-Juifs par cet élément de la culture
juive, le mieux est sans doute de considérer avec attention, non pas l’attitude du
commun des mortels plus ou moins indifférents au sort particulier des Juifs mais celle
des individus d’exception qui, avec courage et abnégation, se sont voulus les défenseurs
des Juifs persécutés. Ce sont par excellence les témoins à la fois de l’identité raciale des
Juifs que le judaïsme a instituée et infuse autour de lui et de la banalité du phénomène
antisémite.223
222
. Un Juif laïque en France, p. 99-100.
. À moins d’admettre avec Jabotinsky que « l’antisémitisme est une perversion de la nature humaine (des
goyim) (Citation de Alain Frachon, Le Monde, 25 mai 2012, p.17) ou bien avec Daniel Goldhagen que
223
73
Dans la période contemporaine, parmi les écrivains qui, à un moment donné de leur vie, se
sont illustrés en France dans cette défense, on peut citer particulièrement l’Abbé Grégoire,
Emile Zola, Anatole Leroy-Beaulieu, Jean Jaurès, Romain Rolland, Paul Claudel, André
Gide, Charles Péguy, Jacques Maritain, Georges Bernanos, Jean-Paul Sartre…
Dans un premier temps nous citerons simplement quelques courts textes de plusieurs
d’entre eux, dans un second temps nous verrons plus longuement ceux, particulièrement
représentatifs, des deux philosophes éminents que sont le chrétien Jacques Maritain avant le
cataclysme nazi et l’athée, Jean-Paul Sartre, dans les années qui ont suivi. Comme nous allons
le découvrir, d’une part la pensée de tous ces hommes à l’égard des Juifs est toujours
tributaire de la pensée raciale attachée à judaïcité – tous pourraient souscrire à cette phrase du
commun des goyim : « ils ne sont pas comme tout le monde » – d’autre part cette pensée va en
conduire certains à dépasser clairement les limites de l’antisémitisme inconscient…
. Abbé Grégoire (1750-1831)
Dans son ouvrage Essai sur la régénération physique, morale et politique des juifs – titre
qui suggère d’emblée quelque malheureuse dégénérescence – il dresse un catalogue des tares
biologiques des Juifs : un « visage blafard », un « nez crochu », un « menton proéminent »,
des « muscles constricteurs de la bouche fortement prononcés »…
. Émile Zola (1840-1902)
Racontant dans son roman L'argent comment un banquier chrétien s'est trouvé ruiné par un
financier juif il écrit : « Il y avait là, en un groupe tumultueux, toute une juiverie malpropre,
de grasses faces luisantes, des profils desséchés d'oiseaux voraces, une extraordinaire
réunion de nez typiques »224. La métaphore culturelle est claire : le Juif est indissociable de
ses caractères physiques héréditaires conditionnant eux-mêmes une avidité pour l’argent.
. Anatole Leroy-Beaulieu (1842-1912)
« Il y a, chez nombre d’entre eux (les Juifs) une sorte d’abâtardissement et de
dégénérescence de la race » et « à la dégénérescence physique correspond, trop souvent, la
dégradation morale »225.
. Jean-Jaurès (1859-1914)
« Nous savons bien que la race juive, concentrée, passionnée, subtile, toujours dévorée par
une sorte de fièvre du gain quand ce n'est pas par la fièvre du prophétisme, manie avec une
particulière habileté le mécanisme capitaliste, mécanisme de rapine, de mensonge, de
corruption et d'extorsion » 226.
. Romain Rolland (1866-1944)
En réponse à une lettre de Léon Mayer et André-Cohen Solal, particulièrement émus en
tant que Juifs par l’explosion d’antisémitisme ayant suivi une pièce de Bernstein, il écrit :
« L’antisémitisme actuel n’est pas, comme vous le pensez, l’explosion des instincts brutaux
d’un peuple et de sauvagerie cachée. C’est un mouvement fatal, et, pour une part légitime,
que provoque – que provoquera peu à peu dans toute l’Europe – le danger que les juifs font
courir à nos races d’Occident »227.
« l’antisémitisme exterminateur est inscrit dans les gènes des Allemands » (propos rapportés par Ulrich Wickert
dans Comment peut-on être allemand, p. 209). Des avis qui, bien entendu, sont dépourvus de sens.
224
. Argent, Gallimard, Folio, p. 56.
225
. Citation rapportée par Enzo Traverso, Op. cit., p. 132.
226
. dans son discours au Tivoli en 1898.
227
. dans son Journal inédit 1911 (citation rapportée par Chantal Meyer-Plantureux dans Les enfants de Shylock ,
Images du juif au théâtre de 1880 à nos jours).
74
. André Gide (1869-1951)
« Elle (la question juive) subsiste toujours, aussi grave, aussi urgente et si tous les Juifs de
la terre, par un subit effet du Saint-Esprit et soudain touchés par la Grâce, se convertissaient
d'un seul coup, ils n'en resteraient pas moins juifs pour cela. La question n'est pas
confessionnelle, mais raciale. Il n'y a rien à faire à cela »228.
. Charles Péguy (1873-1914)
Il parle, quant à lui, de « l’inquiétude incurable, antique, éternelle accompagnant la race
juive» : « être ailleurs, le grand vice de cette race, la grande vertu secrète, la grande vocation
d’Israël »229.
. Georges Bernanos (1888-1948)
Après avoir parlé des Juifs dans La Grande Peur des bien-pensants comme de « ces
bonshommes étranges qui parlent avec leurs mains comme des singes » et qui « traînent
nonchalamment sur les colonnes de chiffres et les cotes un regard de biche en amour »,
propos évoquant à l’évidence un racisme caractérisé, Bernanos va se défendre ainsi :
« Il y a une question juive. Ce n’est pas moi qui le dis, les faits le prouvent. Qu’après deux
millénaires le sentiment raciste et nationaliste juif soit si évident pour tout le monde que
personne n’ait paru trouver extraordinaire qu’en 1918 les alliés victorieux aient songé à leur
restituer une patrie, cela ne démontre-t-il pas que la prise de Jérusalem par Titus n’a pas
résolu le problème ? Ceux qui parlent ainsi se font traiter d’antisémites. Ce mot me fait de
plus en plus horreur, Hitler l’a déshonoré à jamais. Tous les mots, d’ailleurs, qui
commencent par "anti" sont malfaisants et stupides ». Et plus loin : « Je ne suis pas
antisémite - ce qui d’ailleurs ne signifie rien, car les Arabes aussi sont des sémites. Je ne suis
nullement antijuif (…) Je ne suis pas antijuif mais je rougirais d’écrire, contre ma pensée,
qu’il n’y a pas de problème juif, ou que le problème juif n’est qu’un problème religieux. Il y a
une race juive »230.
Mais, examinons plus longuement la position des deux philosophes si différents l’un de
l’autre : Jacques le et Jean-Paul Sartre.
• Jacques Maritain (1882-1973)
Ce philosophe, devenu à la fois un cardinal de l’Église romaine pour son rôle intellectuel
au service de la foi chrétienne et un défenseur résolu des Juifs par différents écrits231, offre un
exemple particulièrement intéressant. Le texte qui suit est en effet emblématique du monde
chrétien en général qui, depuis deux mille ans, est porté à la fois à reconnaître l’apport majeur
du judaïsme au christianisme, à développer un anti-judaïsme doctrinal par le dogme
spécifique de la Rédemption au nom duquel l’Église a mis directement en cause pendant
longtemps le peuple juif dans la mort de Jésus, enfin à pratiquer la charité envers tous les
hommes tout en nourrissant, de par sa connaissance positive du judaïsme, une pensée raciale à
l’égard Juifs : « c’est, l’Écriture, écrit-il, qui nous parle de race élue et nous oblige à voir
dans la question juive une question raciale transcendante »232.
« La question juive, précise-t-il, qui n’est pas une simple question confessionnelle, présente
deux aspects : un aspect politique et social, et un aspect spirituel ou théologique ».
228
. dans l’article Les Juifs, Céline et Maritain, Nouvelle Revue française 1er avril 1938 N° 295.
. Dans Notre jeunesse en 1910.
230
. Encore la question juive dans Le Chemin de la Croix-des-Âmes, pp 421-424.
231
. Citons L’Impossible antisémitisme de 1937, Les Juifs parmi les nations de 1938, La persécution raciste en
France de 1942.
232
. Dans une lettre-réponse à André Gide à propos de son article Les Juifs, Céline et Maritain (Nouvelle Revue
française, N°295, 1er avril 1938 ; L’Impossible antisémitisme p.166). Rappelons que la race juive est pour
Maritain une race moins biologique qu’éthico-historique.
229
75
« Au premier point de vue, la dispersion de la nation juive parmi les peuples chrétiens
pose un problème particulièrement délicat. Sans doute bien des Juifs, ils l'ont montré au
prix de leur sang pendant la guerre, sont vraiment assimilés à la patrie de leur choix ; la
masse du peuple juif reste néanmoins séparée, réservée, en vertu même de ce décret
providentiel qui fait de lui, tout le long de l'histoire, le témoin du Golgotha. Dans la mesure
où il en est ainsi, on doit attendre des Juifs tout autre chose qu'un attachement réel au bien
commun de la civilisation occidentale et chrétienne. Il faut ajouter qu'un Peuple
essentiellement messianique comme le peuple juif, dès l'instant qu'il refuse le vrai Messie
jouera fatalement dans le monde un rôle de subversion, je ne dis pas en raison d'un plan
préconçu, je dis en raison d'une nécessité métaphysique qui fait de l'Espérance messianique
et de la Justice absolue, lorsqu'elles descendent du plan surnaturel dans le plan naturel et
qu'elles sont appliquées à faux, le plus actif ferment de révolution […] Je n’insiste pas sur le
rôle énorme joué par les financiers juifs et par les sionistes dans l’évolution politique du
monde pendant la guerre et dans l’élaboration de ce que l’on appelle la paix. De là, la
nécessité évidente d'une lutte de salut public contre les sociétés secrètes judéo-maçonniques
et contre la finance cosmopolite, de là même la nécessité d'un certain nombre de mesures
générales de préservation. Les mesures dont je parle sont, par nature, des mesures
d'autorité gouvernementale et si, de fait, pour les obtenir, il est nécessaire de recourir à
l'opinion publique, nous avons le devoir, nous autres écrivains catholiques, d'éclairer celleci et de lui apprendre à raisonner de ces choses sans haine, en gardant la discipline
intellectuelle qui convient […]
J'arrive maintenant au second aspect de la question juive, à l'aspect spirituel ou
théologique, qui concerne la vocation du peuple juif, et que je me permets de souligner,
parce qu'il est trop oublié. Si antisémite qu'il puisse être à d'autres points de vue, un
écrivain catholique, cela me paraît évident, doit à sa foi de se garder de toute haine et de
tout mépris à l'égard de la race juive et de la religion d'Israël considérées en elles-mêmes.
[…] Si dégénérés que soient les Juifs charnels, la race des prophètes, de la Vierge et des
apôtres, la race de Jésus est le tronc sur lequel nous sommes entés […] Plus la question
juive devient politiquement aiguë, plus il est nécessaire que la manière dont nous traitons de
cette question soit proportionnée au drame divin qu'elle évoque ; il est incompréhensible
que des écrivains catholiques parlent sur le même ton que Voltaire de la race juive, de
l'Ancien Testament, d'Abraham et de Moïse […] C'est ainsi que l'Église, pressée par sa
charité, et malgré cette sorte d'horreur sacrée qu'elle garde pour la perfidie de la
Synagogue, et qui l'empêche de plier les genoux lorsqu'elle prie pour les Juifs le Vendredi
saint, c'est ainsi que l'Église continue et répète parmi nous la grande clameur : "Pater,
dimitte illis" de Jésus crucifié »233.
Indépendamment de ses banales critiques concernant des groupes de Juifs pratiquant des
solidarités jugées agressives (groupes financiers dans la circonstance), indépendamment de
son opposition doctrinale au judaïsme relevant de la simple divergence d’opinion religieuse, il
est manifeste que Maritain, a été non seulement affecté comme tout le monde par le "virus" de
la race porté par l’Institution juive mais qu’il a franchi un certain pas vers le racisme antijuif.
Ceci ne l’empêchera pas, presque seul parmi les philosophes et avec une vigueur
exceptionnelle, de s’élever avec force dès 1937 contre la persécution des Juifs allemands et
plus tard contre celle des Juifs européens. Pour lui, l'assimilation des Juifs « solution
d'entretien, bonne et souhaitable dans la mesure où elle est possible », comporte, tout
comme le sionisme dont la volonté explicite est de faire des Juifs « un peuple comme un
autre », le risque de l'installation. « Fût-ce par les plus vils instruments leur Dieu les frappe
alors. Jamais juifs n'avaient été plus assimilés que les juifs allemands ; d'autant plus
233
. À propos de la question juive, La Vie spirituelle, II, n°4, juillet 1921.
76
attachés à la culture allemande qu'elle était en partie leur œuvre ; germanisés jusqu'aux
moelles, ce qui ne les rendait ni plus discrets ni plus humbles ; et non seulement assimilés,
mais installés, mais voulant plaire, mais bien réconciliés avec le prince de ce monde »234.
Il reste que ce philosophe catholique, et à ce titre profondément tributaire des mythes
judéo-chrétiens, aura, dès 1938, approché d’assez près la cause structurelle des
antisémitismes. Par delà les multiples facteurs contingents décrits par les historiens et que luimême détaille, il peut écrire : « les "racines profondes" de l’antisémitisme résident dans la
vocation même d’Israël : les Juifs seront toujours surnaturellement étrangers au monde ».
N’est-ce pas une excellente traduction de cette altérité Juifs/non-Juifs consubstantielle au
judaïsme dont nous parlons ici et qui constitue la base même de l’"éternel" antisémitisme ?
• Jean-Paul Sartre (1905-1980)
C’est avec une immense générosité et une notable ardeur que J.P. Sartre s’est lancé dans la
défense des Juifs, non seulement à diverses reprises sur le terrain mais particulièrement avec
son ouvrage Réflexions sur la question juive. Si le philosophe athée, à l’instar du philosophe
chrétien Maritain, a bien saisi l’existence d’un « problème racial juif »235– l’expression « race
juive » revient à chaque instant dans son texte – les carences, les défauts d’interprétation, les
maladresses dont il fait preuve sont le témoin exemplaire à la fois du caractère pathogène de
la racialisation des Juifs inhérente au judaïsme et de sa méconnaissance du processus
antisémite. Les quelques paragraphes qui suivent sont particulièrement caractéristiques à cet
égard :
« Je ne nierai pas qu’il y ait une race juive »236
Ce « Je ne nierai pas » de Sartre n’est-il pas la marque d’une juste mais éphémère
intuition : il y a bien une dimension biologique dans l’identité des Juifs à la base de leur
malheur ? Tout à la fois Sartre semble regretter et avouer l’existence d’une race juive et
expliciter dans son texte l’incontournable conception raciale des Juifs dont, lui aussi, est
spontanément tributaire :
« Quand je vivais à Berlin, dans les commencements du régime nazi, écrit-il, j’avais deux
amis français dont l’un était juif et l’autre non. Le Juif présentait un type "sémite" accentué ;
il avait un nez courbe, les oreilles décollées, les lèvres épaisses… » ;
« Si le Juif a décidé que sa race n'existe point, c'est à lui d'en faire la preuve […] Mais
il ne peut pas choisir de ne pas être Juif » ;
« Si le Juif est fasciné par les chrétiens, ce n'est pas pour leurs vertus, qu'il prise
peu, c'est parce qu'ils représentent l'anonymat, l'humanité sans race » ;
« Par caractères ethniques nous entendons ici les données biologiques héréditaires que
nous avons acceptées comme incontestables ; ce sont certaines conformations physiques
héritées qu’on rencontre plus fréquemment chez les Juifs que chez les non-Juifs » ;
Et à propos de l’antisémitisme de certains Juifs, il écrit : « Il faut voir dans l’antisémitisme
du Juif un effort pour se désolidariser des défauts qu’on reconnaît à sa "race" en s’en faisant
le témoin objectif et le juge »237.
« Le Juif est un homme que les autres hommes tiennent pour Juif : voilà la vérité simple
dont il faut partir écrit-il […] c’est l’antisémite qui fait le Juif » ; « on a contraint les Juifs de
se penser Juifs », « ce qui fait le Juif, c’est sa situation concrète » ; « c’est l’idée que l’on se
fait du Juif qui semble déterminer l’Histoire, non la "donnée historique" qui fait naître
234
. Texte rapporté par P. Vidal-Naquet dans Sartre et les Juifs, p. 45.
. Réflexions sur la question juive, p. 163.
236
. Ibid., p. 73.
237
. Ibid., pp. 73, 74, 108, 109, 123, 129.
235
77
l’idée238». Ailleurs, il écrit aussi : « Le Juif a pour obligation de se choisir lui-même à partir de
la situation qui lui est faite »239.
Certes, comme tout individu conscient, le Juif subit le regard de l’Autre – de l’antisémite
dans la circonstance – mais il est clair que le Juif est d’abord le fruit du judaïsme, de la Torah
et de la Loi, seul système de pensée qui ait fondé, par ses mythes, deux humanités
irréductibles et qui s’est constitué en civilisation particulière. Le Juif « qui reste audehors »240 et qui a reçu en dépôt « l’orgueil de la différence »241, se voit d’abord différent du
non-Juif avant que celui-ci, à son contact et involontairement, le perçoive différent. Avant de
devenir le Juif du non-Juif et la cible de l’antisémite, le Juif est d’abord la représentation du
Juif conscient de sa judéité, de sa différence indélébile, de son altérité qui n’est pas de l’ordre
de la pensée mais d’ordre racial. Contrairement à Sartre pour qui le Juif n’existe pas en tant
que Juif, l’appartenance juive du Juif ne naît nullement en premier lieu du regard d’autrui sur
lui, mais de son regard sur lui-même auquel il a été généralement amené dès le jeune âge par
son environnement culturel. Se penser, se voir et se savoir Juif, n’est-il pas d’abord une
prescription essentielle du judaïsme avant d’être une contrainte venue de l’extérieur ? Avant
d’être remarqué comme différent, n’a-t-il pas été marqué d’un sceau qui s’est voulu
ineffaçable : le non-mélange avec l’Autre, le non-Juif impur ?
De cette méconnaissance de la responsabilité du judaïsme dans le problème racial juif
découlent bien entendu nombre des autres erreurs de Sartre. Relevons quelques unes d’entre
elles à partir des éléments de son texte :
« On peut déceler chez le démocrate le plus libéral une nuance d’antisémitisme »242
Le philosophe fait une observation parfaitement juste – tous les démocrates nourrissent
bien quelque antisémitisme latent, larvé, inconscient – mais ce qu’il ne perçoit pas, c’est que
ces démocrates, dans leur perspective humaniste, saisissent, consciemment ou non, d’une part
qu’il y a, entre les deux pôles du monde que sont les Juifs et les non-Juifs, une dichotomie
inacceptable parce que basée sur la filiation sanguine et la prohibition institutionnelle de
l’exogamie, d’autre part que cette séparation provient exclusivement de la culture juive. Face
à cette donnée regrettable, ce sera toujours pour eux un honneur que de la récuser au plus
profond d’eux-mêmes et de dénoncer en même temps, dans l’Institution juive, la loi du
groupe génératrice d’un particularisme spécifique qui n’est pas de l’ordre de la pensée
philosophique ou religieuse et dont le destin inexorable est de conditionner au racisme les
deux populations en présence.
« On ne comprend rien à l'antisémitisme, écrit-il par ailleurs, si l'on ne se rappelle que le
Juif, objet de tant d'exécration, est parfaitement innocent, je dirai même inoffensif »243.
S’il est bien juste que l’individu juif dans sa singularité est en général physiquement
inoffensif comme tout individu appartenant à un groupe humain qui se veut civilisé, Sartre a
manifestement méconnu le fait que le judaïsme a développé dans ses textes sacrés une
mystique singulière de violence de groupe. Et n’a-t-il pas inventé précisément le concept de
guerre sainte244 que l’islam adoptera et cultivera plus tard ? Comme nous le verrons plus
avant, cette violence s’est exprimée de façon variable en fonction de l’environnement :
violence essentiellement d’ordre moral et psychologique dans les situations minoritaires,
238
. Ibid., pp. 83-84, 175, 18.
. Qu’est-ce que la littérature, Gallimard, 1948, coll. "Idées", p. 98.
240
. Theodor Lessing, La haine de soi, le refus d’être juif, p. 44.
241
. Expression d’Alain Finkielkraut dans son ouvrage Le Juif imaginaire, p. 120.
242
. Réflexions sur la question juive. p. 68
243
. Ibid., pp. 140, 54.
244
. Parmi les textes sacrés des trois religions monothéistes seul l’Évangile aura été exempt de cette mystique : le
Dieu qui l’inspire n’est manifestement pas le Dieu jaloux de la Bible hébraïque (Yahvé) ou du Coran (Allah)
mais le Dieu-Père. (cf. Le déni de la violence monothéiste de J. P. Castel).
239
78
violence de tous ordres et d’un haut niveau dans les situations majoritaires, telle celle de l’État
juif de Palestine.
« Sa vie (celle du Juif) n'est qu'une longue fuite devant les autres et devant lui-même. On
lui a aliéné jusqu'à son propre corps, on a coupé en deux sa vie affective, on l'a réduit à
poursuivre, dans un monde qui le rejette, le rêve impossible d'une fraternité universelle. A
qui la faute ? Ce sont nos yeux qui lui renvoient l'image inacceptable qu'il veut se
dissimuler. Ce sont nos paroles et nos gestes – toutes nos paroles et tous nos gestes, notre
antisémitisme, mais tout aussi bien notre libéralisme condescendant – qui l'ont
empoisonné jusqu'aux moelles »245.
Certes, il y a toujours des non-Juifs impliqués et responsables dans le malheur des Juifs,
mais il faut bien considérer qu’il n’y a pas d’antisémitisme où les non-Juifs n’aient pas été
contaminés peu ou prou par la donnée d’ordre racial portée par l’identité juive.
« Pour l'antisémite, ce qui fait le Juif, c'est la présence en lui de la "juiverie", principe juif
analogue au phlogistique ou à la vertu dormitive de l'opium » […] Ce principe on s'en doute
est magique : pour une part, c'est une essence, une forme substantielle et le Juif quoi qu'il
fasse ne peut la modifier, pas plus que le feu ne peut s'empêcher de brûler »246.
Sartre, avec son « principe qui fait le Juif », tout à la fois adopte inconsciemment les mots
et la pensée directrice du parfait antisémite (l’expression le Juif au sens générique revient
près de 200 fois dans son essai de 185 pages) et se fait le fidèle rapporteur de la tare native du
judaïsme : l’essentialisation de l’homme juif. C’est dire qu’il se fait littéralement piéger par
ses contradictions en fonction même de sa bonne volonté.
Le contre-feu que Sartre, par sa sympathie à l’égard des Juifs, a voulu établir avec ses
Réflexions sur la question juive, a assurément apporté quelque réconfort à nombre d’entre eux
au lendemain du judéocide hitlérien247. Il n’a sans doute pas été totalement inutile pour faire
réfléchir les Français et notamment les chrétiens de cette époque sur l’influence néfaste de la
culture chrétienne en la matière, mais il a aussi contribué à obscurcir près des générations
suivantes le regrettable phénomène de société qu’il voulait résoudre ou réduire. Après avoir
un instant saisi la dramatique portée de l’altérité Juifs/non-Juifs véhiculée depuis toujours par
le judaïsme, en écrivant « il faudrait décrire cette humanité scindée en deux »248, Sartre oublie
immédiatement cet élément majeur. Indépendamment des multiples et virulentes critiques
suscitées dans les milieux juifs249, on peut dire que son ouvrage témoigne avant tout d’une
méconnaissance du judaïsme : d’une part le Juif n’est point une création de l’antisémite,
d’autre part la cause invariante des antisémitismes – contrairement aux causes
conjoncturelles – n’est pas plus à rechercher dans les faits et gestes des persécuteurs que
dans ceux des persécutés mais bien dans la culture juive qui a contaminé Juifs et non-Juifs
avec la composante raciale de la judaïté.
En résumé, si on rapproche la vision que ces philosémites ont des Juifs de celle des
antisémites, s’il est bien difficile de ne pas trouver chez eux des traces de racisme antijuif plus
ou moins notable, il paraît évident que les uns et les autres voient les Juifs, non pas comme
245
. Ibid., p. 164.
. Ibid., pp 46-47.
247
. Claude Lanzmann affirmait qu’il avait marché autrement après avoir lu les Réflexions ; Pierre Vidal-Naquet
quant à lui s’était senti vengé (Sartre et les Juifs, p. 51).
248
. Réflexions sur la question juive, p. 162.
249
. Susan Rubin Suleiman, par exemple, « relisant "Les Réflexions sur la question juive" après beaucoup
d’années s’est sentie de plus en plus indignée et offensée » (citation rapportée par Pierre Vidal-Naquet dans
Sartre et les Juifs, p. 51).
246
79
des croyants ou des adeptes d’un système de pensée mais à travers quelque donnée de race250.
Force est de constater que cette représentation – une lignée, une généalogie, une communauté
de sang centrée et fermée sur elle-même par la naissance et l’endogamie – est entièrement
dépendante de la culture juive. On peut même ajouter que cette vision avec son pouvoir
contaminant est imposée d’autorité aux non-Juifs, qu’ils soient judéophiles251, judéophobes ou
indifférents…! Nourrissant un sentiment d’étrangèreté et une conception biologisante des
Juifs, ayant à leur égard un conscient ou un subconscient d’ordre racial, les non-Juifs
pourraient-ils être libres de penser et d’agir de façon habituelle comme si le Juif qu’ils ont en
face d’eux n’était pas juif, de ne pas être en somme des antisémites en puissance ?
C’est là le problème spécifique du judaïsme, inventant dans la Torah la pensée raciale et
distinguant deux mondes irréductibles dans un apartheid à l’échelle de la terre. Au contact de
la société juive culturellement conditionnée au racisme, la société voisine qui est vue et qui se
voit comme antagoniste ne peut pas ne pas participer de cette même orientation. Et lorsque
l’altérité relève d’une idéologie structurée et non plus de la nature, il ne saurait y avoir le
dialogue véritable qui seul permet la résolution des conflits sans cesse renaissants.
Cet antisémitisme latent, potentiel ou larvé des défenseurs des Juifs, qui témoigne à lui seul
de l’extrême banalité (pour ne pas dire de l’universalité) de sa présence chez les non-Juifs
tous plus ou moins tributaires de la pensée raciale inhérente au judaïsme et qui se traduit de
bien des manières plus ou moins conscientes252, ne saurait rester à ce stade dans nombre de
cas. Que vienne s’ajouter dans l’esprit des non-Juifs quelque grief, motivé ou non, envers des
Juifs – grief qui se décline sous la forme d’une de ces multiples causes contingentes décrites
par les historiens (celle relevant par exemple de la conjoncture économique sur lesquelles
l’historien Fernand Braudel253 insiste particulièrement) – un racisme caractérisé en actes va
automatiquement se développer à l’encontre des Juifs. L’histoire de plusieurs sociétés est
particulièrement révélatrice à cet égard, c’est ce que nous allons voir dans le chapitre suivant.
250
. Certes, on pourrait remarquer que d’ardents philosémites de la période nazie (tels François Mauriac, Paul
Claudel, le Père jésuite Bonsirven, le Père Merklen, rédacteur en chef du journal La Croix…) n’utilisent guère le
terme de "race" à propos des Juifs mais que tous sans exception voient "les Juifs" comme les représentants d’une
catégorie d’hommes différente de la leur, ce qui bien entendu est un équivalent.
251
. Certains auteurs juifs, tel Robert Misrahi (dans on ouvrage Un Juif laïque en France, p. 102 et suivantes), ont
en effet bien perçu que les philosémites étaient aussi suspects d’antisémitisme, sinon plus que les antisémites
caractérisés.
252
. Cas typiques de ce phénomène d’antisémitisme latent : celui du Premier ministre français Raymond Barre
qui, sollicité ex abrupto de commenter un attentat devant une synagogue, avait distingué parmi les victimes « des
Juifs qui allaient au culte » et des « Français innocents » ou bien celui de l’épiscopat français ne réagissant pas
au premier statut des Juifs du 3 octobre 1940 et ne protestant que très discrètement lors du second, promulgué
le 2 juin 1941.
253
. Dans son ouvrage La Méditerranée et plus particulièrement dans la partie intitulée « Une civilisation contre
toutes les autres : le destin des juifs ».
80
CHAPITRE IV – LES ANTISÉMITISMES EN ACTES,
CARACTÉRISÉS OU EXPLICITES DE DIVERSES SOCIÉTÉS
Deux formes d’antisémitisme caractérisé, éventuellement associées, peuvent être décrites :
d’une part, une forme purement réactionnelle, d’autre part une forme idéologique.
L’antisémitisme réactionnel
Face au comportement d’un Juif ou d’un groupe de Juifs jugé, à tort ou à raison, agressif
par les non-Juifs, l’idée omniprésente chez tous les individus de la racialisation des Juifs a,
comme nous l’avons vu, le pouvoir spécifique de transformer une hostilité banale en un
antisémitisme manifeste. C’est l’antisémitisme réactionnel. Visant en bloc une communauté
d’ordre racial, tel est en effet le propre du processus raciste, processus éminemment
regrettable mais banalement humain.
Cette forme d’antisémitisme constitue en somme un contre-racisme de réplique.
Plusieurs sociétés que l’histoire a particulièrement retenues, et sur lesquelles nous allons
revenir, ont développé à l’égard des Juifs cette forme d’antisémitisme. Ce sont :
• la société perse avant l’ère chrétienne,
• les sociétés grecque et romaine de l’Antiquité,
• les sociétés arabo-musulmanes.
L’antisémitisme idéologique
Face à la société juive et à ses lois de pureté raciale émanant de la Bible, deux sociétés
occidentales ont développé leur propre idéologie raciste avec leur traduction habituelle : le
rôle primordial de l’héritage sanguin et la prohibition des unions mixtes. Ce sont :
• la société chrétienne espagnole des XVe/XVIe siècles avec ses "Statuts de pureté du
sang" (estatutos de limpieza de sangre) ;
• la société germanique des XIXe-XXe siècles, d’abord avec le mythe aryen et son
surhomme fabriqué en regard et en opposition au surhomme juif, puis avec ses "Lois pour la
protection du sang et de l’honneur allemands".
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L'ANTISÉMITISME RÉACTIONNEL CHEZ LES PERSES AVANT L'ÈRE CHRÉTIENNE
Un texte du Livre d'Esther (3, 8-10) rapporte un épisode qui n'a pas été absolument
confirmé par les historiens mais, en tant qu'écrit juif destiné à des Juifs et relu chaque année à
la synagogue en donnant lieu à une cérémonie particulière, il est particulièrement significatif.
Ce texte daté du IIIe siècle av. J.-C. est celui-ci :
« Alors Aman déclara au roi Xerxès : "Il y a un peuple éparpillé et divisé au milieu des
populations dans toutes les provinces de votre royaume. Leurs lois diffèrent de celles de
tout peuple : quant aux lois du roi ils ne les observent pas ; il n'est pas opportun que le roi
les ménage. Si cela plaît au roi, qu'on ordonne par écrit de les faire périr. Je pèserai dix
mille talents d'argent ; je les remettrai aux intendants, ils les verseront au trésor royal !"
Alors le roi enleva de sa main son anneau; il le remit à Aman, fils d'Ammedatha, l 'Aguaguite,
ennemi des Juifs ».
Ainsi que nous le voyons, les principes qui régissent la haine des Juifs sont exposés
clairement : ce groupe particulier observe ses propres lois et non celles du royaume. Cette
différence fondamentale et irréductible que perçoivent les Perses au contact des Juifs
témoigne à l'évidence et d’une catégorie d'ordre racial antagoniste et d’un racisme réactionnel
caractérisé devant conduire, dans la circonstance, à rien de moins qu'à l'élimination des Juifs.
L’ANTISÉMITISME RÉACTIONNEL DU MONDE ANTIQUE GRÉCO-ROMAIN
Avant d’examiner les rapports particuliers que les Grecs et les Romains entretiennent avec
les Juifs, il n’est pas sans intérêt de voir la manière dont ils se comportent avec les étrangers
en général.
Les Grecs, qui sont en Palestine et en Égypte depuis la conquête d’Alexandre au IVe siècle
av. J.-C., considèrent qu’il y a des Grecs et des non-Grecs, des Civilisés et des Barbares mais
on peut remarquer tout d’abord que cette distinction n’est généralement pas fondée sur une
donnée d’ordre naturel : les premiers sont des Civilisés parce qu’ils ont la chance de vivre
dans la Cité sous un régime démocratique et peuvent devenir des hommes achevés, les autres
sont des Barbares parce qu’ils ne parlent pas le grec, ont une langue incompréhensible et
vivent sous un régime de servitude. Ce sont les coutumes particulières adaptées à telle ou telle
région, notamment au climat, qui déterminent la division de l’espèce humaine en peuples
différents et non quelque donnée d’ordre racial, telle que la couleur de la peau ou l’origine
familiale. Par ailleurs, aucun interdit ne fait obstacle aux mariages avec des étrangers. Certes,
certains de ces peuples sont regardés avec condescendance ou notable mépris, voire comme
appartenant à une race proche de l’animalité – il y a des degrés dans la barbarie –, certes le
jugement de Platon qualifiant « les Athéniens de Grecs authentiques, sans alliage de sang
barbare » peut évoquer quelque mystique de pureté, mais « il reste, écrit Jacqueline de
Romilly254, que le plus souvent les Grecs n'ont vu là, en fin de compte, qu'une opposition de
cultures ». Pour les Grecs, les étrangers, les Barbares sont volontiers source de curiosité et
occasion de satisfaire leur soif de connaissance. Ils adoptent même assez souvent leurs mœurs
et leurs dieux.
D’après le philosophe Jacques Ricot255, ce sont les sophistes de l'Antiquité grecque qui ont
ébranlé le préjugé ancestral selon lequel l'être du Barbare et celui du Civilisé étaient
déterminés par la nature. L’un d’entre eux, Antiphon, peut écrire : « Par nature, nous sommes
tous et en tout de naissance identique [...] Aucun de nous n'a été distingué à l'origine comme
Barbare ou comme Grec : tous, nous respirons l'air par la bouche et par les narines ». Pour
Isocrate (434-338 avant J.C.) : « on appelle Grecs, plutôt ceux qui participent á notre
éducation que ceux qui ont la même origine que nous ; on est Hellènes non par la naissance
254
255
. La Grèce antique contre la violence, de Fallois 2000, p. 9.
. Étude sur l’humain et l’inhumain, p. 50.
82
mais par la culture ». « Ainsi le terrain est-il ensemencé, poursuit J. Ricot, pour que germe
avec les stoïciens l'idée d'une unité du genre humain […] et que la cosmopolis, c'est-à-dire la
société universelle du genre humain, se substitue au cadre devenu exigu de la polis (la cité) ».
C'est dans ce contexte que résonne la célèbre formule de Ménandre, formule d’humanité
universelle traduite par Térence : « Je suis homme et rien de ce qui est humain ne m'est
étranger », ou encore celle de Sénèque : « Ma patrie, c'est le monde ». La différence entre
Grecs et Barbares, entre maîtres et esclaves s’évanouit : tous les hommes sont appelés à la
vertu, tous représentent une parcelle du divin.
Quant aux Noirs employés comme domestiques c’est-à-dire comme esclaves dans les cités
grecques, « si un jugement péjoratif est porté sur eux, il semble raisonnable de penser que
c’est leur statut social, non la couleur de leur peau, qui est en cause » écrit Delacampagne256.
Et à l’appui de ses propos l’auteur signale257 le célèbre texte de la Métaphysique d’Aristote
considéré comme l’un des premiers grands textes antiracistes où le philosophe établit
magistralement que la différence entre Blancs et Noirs ne constitue pas une différence
spécifique à l’intérieur de l’humanité. Des procédures existent qui permettent de passer en
effet de l’une à l’autre condition. Certains philosophes grecs rangés dans la catégorie des
cyniques revendiqueront même « l’égalité entre les hommes sans distinction ni de race, ni de
sexe, ni de statut social ». Ce n’est guère en effet qu’avec le judaïsme et le christianisme que
le Noir sera ostracisé. Descendant de Cham, fils de Noé selon la Bible, il est porteur d’une
malédiction éternelle, d’autant plus que la couleur noire de la peau symbolise les ténèbres et
le mal.
En somme, on peut considérer tout d’abord que l’altérité par nature des populations
étrangères par rapport aux citoyens, premier critère établissant vraiment le racisme culturel,
n’existe guère chez les Grecs. Deux autres données sont également capitales de ce point de
vue : d’une part l’ethnos grec est largement ouvert aux étrangers, d’autre part les esclaves
affranchis peuvent atteindre le stade supérieur de métèques avant de se fondre en quelques
générations dans le reste de la population. Leur situation, pour inférieure qu’elle soit, n’est pas
irréversible, une porte de sortie existe toujours.
Pour les Romains, il en est sensiblement de même. Les citoyens qui proclament leur
attachement à la République puis à l’Empereur, les esclaves, les nationaux des territoires
conquis, forment des catégories fort diverses de par leur habitus mais, là encore, aucune étude
ne permet de conclure que l’aspect extérieur des individus, la couleur de la peau notamment,
engendre quelque différenciation ou discrimination radicale et inamovible. Les hiérarchies
entre les hommes sont appréciées essentiellement en termes de croyances, de traditions, mais
non en termes de races. À Rome les esclaves affranchis deviennent même d’emblée des
citoyens à part entière, tandis que dès le Ve siècle av. J.-C. la Lex Canuleia autorise les
mariages entre patriciens et plébéiens. Aucune théorie racisante n’est vraiment élaborée pour
justifier la division de l’humanité en divers groupes. Autre critère d’importance : les unions
inter-raciales, notamment avec les Noirs, sont fort répandues sans que cette coutume suscite
de réprobation.
Rapports particuliers des Grecs et des Romains avec les Juifs
Donnée capitale : alors qu’on est Grec par la culture on est Hébreu par le sang et la
différence avec l’étranger, culturelle chez les Grecs, est ontologique chez les Hébreux.
Comment imaginer contraste plus saisissant : alors que « les choses sont harmonisées par
l’accord des contraires » (selon Héraclite) et que l’altérité Grecs/non-Grecs est relative et
réversible, l’altérité Juifs/non-Juifs, fondée sur des textes sacrés, est radicale et irréversible.
256
257
. L’invention du racisme, p. 197.
. Ibid., p. 313.
83
Et cet intérêt pour les étrangers va conduire véritablement les Grecs à inventer l’histoire :
près de trois cents historiens vont retracer non seulement l’histoire de la Grèce mais celle de
tous les peuples du monde connu, y compris celle de leurs ennemis historiques comme les
Perses qu’ils décrivent avec beaucoup de respect. Et ils vont admirer les Égyptiens258.
Possédant le seul et vrai Dieu, détenteur d’une vérité unique qu’ils conservent jalousement
pour eux en ne faisant guère de prosélytisme, les Hébreux, au contraire, non seulement se
désintéressent des étrangers mais les méprisent souverainement voire leur vouent une haine
inextinguible comme c’est le cas notamment envers les Égyptiens.
Par ailleurs, si quelques appréciations favorables aux Juifs peuvent être relevées chez les
intellectuels grecs – Théophraste les considère comme un « peuple de philosophes », tel autre
a des paroles élogieuses à propos de leur dieu, tel autre encore estime particulièrement
certains sages juifs – on peut remarquer néanmoins que sont formulés avant tout des griefs à
leur égard. Ces reproches concernent tout d’abord la divinité. Certes, les philosophes ne
croient guère à l’existence des divinités populaires de l’Olympe mais ils s’indignent avec
force de la volonté des Juifs d’imposer à toutes les nations leur dieu particulier, unique,
suprême et éternel en prétendant de plus que Moïse a inspiré les plus grands d’entre eux,
Platon, Aristote…, à la source de la sagesse hellénique. Pourquoi les Juifs rejettent-ils avec
mépris les dieux de la cité, renversent-ils autels et statues alors qu’ils refusent aux autres
l’accès de leurs propres sanctuaires ?
Mais ce qui prime avant tout pour les Grecs ce sont les lois des Juifs qui les différencient
des autres hommes et qui les maintiennent toujours à l’écart. Vivant entre eux, asociaux,
xénophobes, ils refusent de manger avec les autres, de prendre part à leurs jeux et à leurs
exercices, de servir sous leurs étendards. Et pourquoi cette pratique barbare de la
circoncision ? Enfin, donnée jugée particulièrement offensante et méprisante, ils refusent de
se marier avec des non-Juifs.
Hécatée d'Abdère attribue à Moïse l'invention d'un « mode de vie contraire à l'humanité et
à l'hospitalité ». Pour Posidonios, dans le siècle précédent l’ère chrétienne, le peuple juif est «
le seul qui refuse d'avoir des rapports avec les autres peuples et les traite tous comme des
ennemis ». Quant au philosophe Philostrate, qui écrit vers l’an 250, il résume assez bien les
griefs qui leur sont faits par ses compatriotes. Après avoir constaté que « ce peuple s’est
depuis longtemps insurgé contre l’humanité en général » il considère que les Juifs sont « des
hommes qui ont imaginé une vie insociable, qui ne partagent avec leurs semblables ni la
table, ni les libations, ni les prières, ni les sacrifices, qui sont plus éloignés d’eux que la
Bactriane ou que l’Inde plus reculée encore »259.
Quant aux Romains, qui arrivent en Palestine en 63 av. J.-C., ils vont être relativement
bienveillants à l’égard des Juifs pendant un certain temps. D’une part ils se souviennent
d’avoir reçu d’eux une aide précieuse lors de la conquête d’Alexandrie, d’autre part ils ont un
paganisme très tolérant à l’égard des autres religions. Le reproche d’athéisme que les païens
vont faire aux Juifs ne sera guère utilisé que pour conforter leur opposition à ces derniers se
montrant réfractaires à partager leur vie. Ainsi, dans la première période de coexistence, les
Romains assurent aux Juifs le libre exercice de leur culte – le judaïsme est religio licita – et
leur accordent même des privilèges très particuliers voire exceptionnels, notamment
l’exemption du culte de l’Empereur et un adoucissement du service militaire. Mais, quelques
années seulement après la conquête de Pompée, un antagonisme sérieux devait apparaître à
l’occasion de l’abolition du Sanhédrin. Car désormais c’est Rome qui entend gouverner seul
et être le maître absolu dans ses provinces. Par l’intermédiaire d’un proconsul résidant à
Damas et d’un gouverneur local chargés de résoudre les problèmes quotidiens se posant au
258
259
. cf Le déni de la violence monothéiste de J. P. Castel.
. Ibid., p. 176. Les Grecs qualifiaient les Juifs de mixoxènes (qui haïssent les étrangers).
84
pays devenu la province romaine de Judée, il s’agit avant tout que l’impôt soit payé et les lois
romaines respectées. C’est à ce sujet que les oppositions vont particulièrement se manifester
et croître sans cesse en intensité.
Par ailleurs, en Égypte et plus particulièrement à Alexandrie qu’ils occupent depuis l’an 30
av. J.-C., les Romains, qui se veulent des arbitres au sein des populations conquises, assistent
à des conflits permanents entre les Juifs représentant 40 % de la population et les autochtones
hellénisés. Exaspérés de la permanence des conflits, les Romains en viennent à accuser les
Juifs d’être anti-patriotes, d’être déloyaux envers l’Empereur, de ne pas vivre comme tout le
monde et, plus particulièrement, de refuser les mariages avec les autres. Tandis que sont
édictés des ordres impériaux réprimant la propagande juive, toutes ces critiques vont être
développées par les lettrés, Cicéron, Horace, Juvénal, Suétone, Tacite… très attachés aux
traditions de Rome.
Ainsi se dessine une opposition caractérisée entre les valeurs de l’hellénisme et celles du
judaïsme. Cicéron se félicite que le Sénat ait prohibé l’exportation de l’or que les Juifs ont
l’habitude d’envoyer tous les ans au temple de Jérusalem pour subvenir aux besoins du culte :
« Résister à une superstition bizarre c’est de la part de Flaccus, écrit-il, une marque
d’énergie ; rejeter dans l’intérêt de la République cette multitude de Juifs si souvent
turbulents dans nos assemblées, c’est la marque d’une singulière force d’âme »260. Les
Juifs sont accusés par Juvénal « d’être élevés dans le mépris des lois romaines, de n’observer
que la loi judaïque, de n’exister que pour causer des maux aux autres peuples »261. Sénèque
les traite de race criminelle. Pour Tacite, c’est l’agressivité des Juifs envers les autres
communautés qu’il convient de dénoncer particulièrement : « Ils ont entre eux, écrit-il, un
attachement obstiné et une commisération active qui contrastent avec la haine implacable
qu’ils portent au reste des hommes. Jamais ils ne mangent, jamais ils ne couchent avec des
étrangers, et cette race, quoique très portée à la débauche, s’abstient de tout commerce avec
les femmes étrangères »262. Et bientôt critiques, médisances et éventuellement calomnies,
favorisées par le mystère qui entoure le culte des Juifs et leur mode de vie à l’écart des autres,
vont être relayées avec une nouvelle vigueur par les auteurs chrétiens à l’égard de ces
misanthropes insociables qui se veulent foncièrement autres.
De cet antagonisme vont résulter des crises violentes. Elles n’ont pas comporté les mauvais
traitements que les siècles suivants devaient connaître mais elles furent néanmoins meurtrières
à certaines périodes. Sous l’empereur Tibère, c’est l’expulsion des Juifs de la ville de Rome
et, en 38 de notre ère, on assiste sous Caligula, qui nourrit une véritable haine des Juifs du fait
de leur comportement asocial, à un véritable pogrom avec pillages des synagogues et
massacres de familles entières. Après la défaite militaire et la destruction du Temple en 70, les
Juifs vont progressivement et de plein gré, et non par la force pour l’historien Shlomo Sand263,
quitter la Palestine pour rejoindre les communautés déjà présentes dans les pays voisins.
En résumé
Le monde gréco-romain, avec ses hommes politiques et ses intellectuels particulièrement
sensibles au comportement des Juifs dans les domaines essentiels de la vie en société, a
manifestement exercé à leur encontre des violences d’ordre raciste au sens moderne du terme.
Cependant, contrairement au monde juif, il est manifeste qu’il n’a pas créé de concepts,
formulé de théories, élaboré de règles, établi de lois fondant le statut de l’Étranger radical, de
l’Autre structurel, statut témoignant à lui seul d’une société culturellement racisante avec la
division irréductible de l’humanité en groupes. Certes, dans l’Athènes du IIIe siècle, la cité
260
. Textes d’auteurs grecs et romains relatifs au judaïsme p. 238.
. Ibid, p. 293.
262
. Ibid, p. 307.
263
. Op. cit., p. 183 et 187.
261
85
pouvait développer aussi un orgueil de race (selon l’expression de l’anthropologue Robert
Lowie) – les citoyens ne pouvaient épouser que des citoyennes dans une endogamie
patrilinéaire – mais cette pratique ne reposait sur aucune donnée écrite.
Face au comportement jugé agressif des Juifs refusant de partager la table, de se marier
avec les non-Juifs, de participer à la vie de la Cité et se voulant d’une catégorie
fondamentalement différente, on peut considérer que l’antisémitisme des Grecs et des
Romains, qui est apparu sensiblement au début du IIIe siècle avant notre ère, ne fut guère
d’ordre idéologique mais essentiellement d’ordre réactionnel.
L’ANTISÉMITISME RÉACTIONNEL DES SOCIÉTÉS ARABO-MUSULMANES
L’anti-judaïsme traditionnel arabo-musulman
Si l’islam a des points communs d’ordre doctrinal avec le judaïsme dont il a hérité : d’abord
la donnée essentielle de la conception de Dieu avec un strict monothéisme, ensuite un certain
nombre de dispositions importantes telles que l’absence de hiérarchie sacerdotale ou certaines
pratiques rituelles concernant l’alimentation, le jeûne, la circoncision…, il reste que
l’antagonisme entre les deux religions s’est révélé très tôt lorsque les Juifs de Médine, la ville
initiale du Prophète, refusèrent d’embrasser l’islam. Très rapidement la rupture fut
consommée entre elles : La Mecque remplaçant désormais Jérusalem l’hostilité des
musulmans devait se manifester au grand jour, d’autant plus que les Juifs étaient largement
minoritaires. Le Coran est explicite : « Nous les avons maudits et nous avons endurci leur
cœur. Ils altèrent le sens des paroles révélées ; ils oublient une partie de ce qui leur a été
rappelé. Tu ne cesseras pas de découvrir leur trahison – sauf chez un petit nombre d’entre
eux » (sourate V, 13).
Même si une sourate engage à « oublier les fautes des Juifs et à pardonner » les multiples
textes, affirmant la supériorité absolue de l’islam sur les autres religions et appelant au jihad
contre les infidèles, visent d’abord les Juifs vus comme « usurpateurs et falsificateurs des
Écritures » :
« Combattez ceux qui ne croient pas en Dieu ; ceux qui ne considèrent pas illicite ce que
Allah et son prophète ont déclaré illicite ; ceux qui, parmi les gens du Livre ne pratiquent pas
la vraie Religion. Combattez-les jusqu'à ce qu'ils paient directement le tribut (la jizya) après
s’être humiliés » (IX, 29).
« Combattez-les jusqu'à ce qu'il n'y ait plus de luttes doctrinales et qu'il n'y ait pas d'autre
religion que celle d’Allah. S'ils cessent, Allah le verra » (VIII, 39).
« Vous formez la meilleure communauté suscitée parmi les hommes ; vous ordonnez ce qui
est convenable, vous interdisez ce qui est blâmable » (III, 110).
Dans les régions où l’islam est parvenu à étendre sa domination, accompagnant les
dispositions d’esprit favorisées par de nombreux versets du Coran, brimades et humiliations,
ont été particulièrement notables à l’égard des Juifs : discriminations concernant le vêtement
et les maisons, interdictions d’occuper des postes de pouvoir, d’exercer sa religion en public
ou de construire des synagogues, de posséder des armes et de monter à cheval, d’épouser une
musulmane (un musulman peut néanmoins s’unir à une juive), obligation de se déchausser au
passage devant un mosquée, impossibilité de témoigner contre un musulman… Parfois les
Juifs sont considérés comme des "impurs" auxquels sont interdits les mosquées, les bains
publics, certaines rues des villes. En outre les conversions forcées, les réductions en
esclavage, voire les persécutions de communautés juives obligeant les Juifs à s’exiler ont pu
également se voir à certaines périodes. Ce fut notamment le cas au XIIe-XIIIe siècle sous la
dynastie des Almohades qui passèrent par les armes tous ceux qui refusèrent de faire
allégeance à Allah. À l’époque moderne Albert Memmi264 rapporte un massacre à Casablanca
264
. Juifs et Arabes, Gallimard, coll. "Idées", p. 62.
86
en 1907, un autre à Fez en 1912, un autre à Constantine en 1936 qui fit 24 morts et des
dizaines de blessés, un autre à Tripoli en 1945.
Néanmoins, malgré leur situation d’infidèles, les Juifs comme les chrétiens restent en
principe des dhimmis (protégés) des autorités musulmanes. On peut remarquer par ailleurs que
les dispositions contraignantes dont nous avons parlé n’ont guère été appliquées dans certains
pays et que bien des Juifs, notamment dans l’Espagne des Xe et XIe siècles – on a même pu
parler alors d’un "âge d’or" – purent occuper des postes élevés dans l’administration
musulmane. D’autres, chassés de ce pays au XVe siècle par les rois catholiques ou bien au
XVIIe siècle lors des violents pogroms d’Europe centrale, ont souvent trouvé refuge dans les
pays musulmans où ils bénéficiaient de libertés, notamment celle du culte, qu’ils ne
connaissaient pas par ailleurs. D’ailleurs le Coran reconnaît la qualité de "peuple élu" aux
descendants de Moïse, aussi appelés "fils de Dieu". C’est ainsi que le différend théologique
entre les deux communautés ne prit jamais l’ampleur de celui opposant depuis toujours les
chrétiens aux Juifs accusés de déicides.
À ces données tantôt favorables tantôt défavorables aux Juifs, il faut en ajouter une autre
assez particulière : le fait que l’islam qui se veut le vrai destinataire du message biblique,
message écrit depuis le début des temps par Dieu mais révélé et dicté directement à Mahomet,
n’a jamais reconnu sa dette envers ceux qui l’ont précédé. Et cette dette est importante en
vérité puisque le contenu de bien des sourates du Coran et nombre d’histoires et de légendes
sont largement reprises de la Bible et du Talmud. La vindicte envers le judaïsme qui a précédé
l’islam, la malédiction d’Allah envers les Juifs qui ont mérité sa colère jusqu’à la fin des
temps, le refus de reconnaître un quelconque héritage juif vont constituer, en définitive, pour
le monde musulman un terrible handicap. Quoi de plus stérilisant en effet que d’avoir à
maudire ce dont on est redevable, avec le funeste engrenage qui s’ensuit !
Il reste en définitive que Juifs et musulmans ont vécu ensemble sur les mêmes terres dans
une relative tolérance pendant quelque mille quatre cents ans et que les violences furent
essentiellement d’ordre religieux et non d’ordre raciste. La race arabe est si intimement liée à
l’islam – les deux mots sont souvent associés comme nous le faisons ici – qu’elle ne
transporte guère qu’une notion atténuée de race compte tenu par ailleurs que l’islam est ouvert
à tous les hommes. C’est au XIXe siècle, avec les travaux sur les races et leur hiérarchisation,
la colonisation par les Européens de nombreux pays musulmans265 et le démantèlement de
l’Empire ottoman à la suite de la guerre de 1914-1918, que va vraiment apparaître le racisme
arabo-musulman réactionnel.
De l’anti-judaïsme traditionnel au racisme anti-Juifs caractérisé
La colonisation sioniste de la Palestine à partir du XXe siècle et surtout la création de l’État
juif, avec ses violences de tous ordres et ses humiliations extrêmes266 dans une guerre
continue avec ses divers paroxysmes (paroxysmes de 1947-1948, de 1956, de 1967, de 1973,
de 1982, de 2006, de 2008-2009), vont faire basculer l’antijudaïsme traditionnel vers un
racisme réactionnel caractérisé à l’égard des Juifs, Les inscriptions « Mort aux Juifs »
fleurissent lors de l'Intifada 2000. Le slogan « One Jew, one bullet » retentit à la conférence
de Durban en 2001, tandis que les sourates sacrées du Coran, hostiles aux infidèles et
longtemps mises sous le boisseau, sont réactivées dans nombre de mosquées. Le célèbre faux
fabriqué en France contre les Juifs au début du XXe siècle par un russe émigré, Les Protocoles
des Sages de Sion, est réédité dans de nombreux pays ; les thèses niant le judéocide par les
265
. Le décret Crémieux de 1870 peut être vu comme inaugurant cette nouvelle période : les Juifs considérés
jusqu’alors comme des indigènes deviennent français, les Arabes, non !
266
. Car, comme l’écrit fort justement Jean Daniel, « l’humiliation est l’un des pires maux de l’humanité. Plus
que les oppressions, les occupations et les aliénations, c’est elle qui blesse le plus profondément l’âme d’un
individu ou d’une collectivité. C’est elle qui est à l’origine des révoltes contrôlées mais aussi des révolutions
fanatiques » (Nouvel Observateur 1-7 avril 2010).
87
nazis, développées en Europe il y a quelques années, sont reprises par des intellectuels
arabes ; des injures caractérisées sont adressées aux Juifs dans leur ensemble, des caricatures
tournent en dérision le massacre des Juifs européens par les nazis…
Fait notable, l’antisémitisme arabo-musulman, face à l’État juif honni au plus haut point,
n’est pas seulement le fait des politiques, des religieux et des intellectuels produisant une
vaste littérature antisémite et de nombreux films, mais celui de l’ensemble du corps social à
un degré progressivement croissant. Le qualificatif de juif est même étendu aux autres
populations collaboratrices de cet État. « Beaucoup d’Irakiens se défient tellement des
Américains, écrit Thomas Friedman267, qu’ils leur ont trouvé un surnom : les "Juifs" ; le
grand ennemi de l’Islam s’appelle désormais JIA pour Jews, Israël and America ». D’ailleurs
« New York n’est-elle pas à la fois la première ville juive et déjà la deuxième ville israélienne
du monde ? »
La spirale infernale est d’autant plus inexorable que le terrorisme arabe ou musulman,
répond à la fois à la haine marquée que nourrissent les Juifs extrémistes envers tous les
musulmans268, aux multiples actions criminelles de l’État juif et, précédemment, à celles des
organisations juives de l’Irgoun, du Lehi, du groupe Stern ou du Palmach, toutes résolues
avec des stratégies diverses, à chasser l’"occupant" palestinien. On peut dire que ce terrorisme
arabe est avant tout le fruit du désespoir et de la faiblesse de ses auteurs en face d’une
agression-répression scientifiquement organisée avec la complicité et la puissante aide de
nombreux pays occidentaux269.
Particulièrement grave aussi le fait qu’une partie notable du monde islamique (le Dar el
Islam, soit environ 1 milliard de personnes depuis le Maroc à l’Ouest jusqu’à l’Indonésie à
l’Est) qui, pendant longtemps vivait sa foi sans se référer ni au judaïsme ni au christianisme,
est puissamment entravé dans son développement économique, social et humain par nombre
d’éléments inhérents à sa religion. La conjonction du politique et du religieux, la prééminence
de la communauté sur l’individu, le statut souvent inférieur de la femme, la difficulté voire
l’impossibilité pour certaines communautés musulmanes d’interpréter les textes du Coran
dictés par Allah lui-même270, le poids de l’hérédité dans la religion, l’absence d’autorité
supérieure susceptible de favoriser une évolution doctrinale, le profond antagonisme entre les
communautés sunnite et chiite, la mystique de la violence développée dans le Coran…
constituent à l’évidence des handicaps considérables avec comme conséquences la crispation
identitaire et le fondamentalisme attaché à la lecture littérale des textes sacrés.
Sur fond de racialisation des Juifs inspirant aussi nombre de caricatures et de métaphores
bestialisantes (le Juif-araignée, rat, vampire, assis sur le monde…) ayant une connotation
spécifiquement raciste, et à partir de la réactivation de son anti-judaïsme doctrinal, le monde
musulman a manifestement basculé, et pour une durée qui ne peut être que longue, vers le
racisme antijuif. On peut même remarquer que ce racisme représente maintenant une
composante majeure de l’islamisme dans sa conception moderne de courant religieux
extrémiste et obscurantiste avec son développement fulgurant.
267
. International Herald Tribune, 25 octobre 2004.
. Cette haine concerne en effet « tous ceux qui se réclament de l’islam dans toutes ses variantes : Jordaniens,
Pakistanais, Egyptiens, Maghrébins, Iraniens, etc. » (Elisabeth Roudinesco, Retour sur la question juive, p. 10).
269
. Notamment dans le domaine nucléaire et jusqu’à nos jours avec la fourniture récente, par l’Allemagne, d’un
sixième sous-marin porteur d’ogives de type "Dolphin"), donnée ayant inspiré un long poème à Günther Grass
(Le Monde du 10 avril 2012).
270
. Selon la tradition sunnite toutefois « le texte est divin mais son interprétation est l’œuvre des hommes : il
convient de le soumettre à l’itjihad, l’effort de réflexion individuelle », mais il reste en pratique que le champ
d’interprétation possible de certains textes est pratiquement inexistant.
268
88
En résumé
L’antisémitisme que nourrit le monde arabo-musulman depuis le milieu du XXe siècle est
manifestement un des plus étendus que l’histoire ait connus. Néanmoins, il faut bien voir que
ce racisme est, comme celui des Grecs et des Romains, essentiellement d’ordre réactionnel.
En effet, même les pays musulmans du Moyen-Orient les plus directement confrontés au
monde juif n'ont pas établi de pratiques ou institué de lois raciales à l'encontre des Juifs
comme ont pu le faire les chrétiens et les nazis avec l’interdiction des mariages mixtes271. Que
ce soit dans le passé avec des moments alternés de paix et de conflit ou dans le présent alors
que les Juifs représentent pour eux une force omnipotente et hostile depuis l’avènement du
sionisme, on peut dire que les sociétés musulmanes n’ont guère développé de racisme
idéologique et que leur antisémitisme, bien que parfois extrême, relève essentiellement de la
loi ancestrale du Talion, loi de vengeance et de riposte pour les griefs qu’elles nourrissent
envers les Juifs et leurs alliés en raison du conflit palestinien.
271
. Remarquons, fait capital, que contrairement au judaïsme, il n'y a ni notion de sang, ni notion de race
transmettant par voie masculine ou féminine l’identité même de la personne. L’islam n’a jamais fait de
différence entre les races comme en témoigne son prosélytisme constant près des infidèles. De ce fait, il est resté
indemne de racisme premier. Comme le rapporte Hesna Cailliau « les Arabes n’hésitèrent pas, dès la première
expansion, à mêler leur sang aux nouveaux convertis, créant ainsi une culture arabo-berbère au Maghreb,
arabo-égyptienne dans la vallée du Nil, arabo-iranienne dans l’ancien Empire sassanide. Ce processus
d’acculturation et de métissage s’est poursuivi jusqu’à nos jours » (L’esprit des religions, p. 231).
89
L’ANTISÉMITISME IDÉOLOGIQUE ET RÉACTIONNEL
DE LA SOCIÉTÉ CHRÉTIENNE ESPAGNOLE DES XVe/XVIe SIÈCLES
Comme chacun sait, malgré les liens religieux étroits existant entre judaïsme et
christianisme, l’opposition doctrinale entre les deux systèmes de pensée est foncièrement
irréductible. Le christianisme a repris intégralement les mythes fondateurs du judaïsme (la
Création par Yahvé le dieu juif, le Paradis terrestre, le Péché originel, la Terre promise, le
Peuple élu, le Messianisme272), mais il se veut en même temps, par ses mythes spécifiques (la
Trinité, l’Incarnation, la Rédemption sacrificielle, la Résurrection…), le continuateur et
l’achèvement du judaïsme. Si, comme le montre l’histoire, l’antagonisme religieux est parfois
à lui seul la source de graves conflits, il faut noter qu’ici s’ajoute une donnée majeure
incontournable attachée au judaïsme : la composante raciale de la judéité avec son pouvoir
d’engendrer, selon une logique implacable, une hostilité d’ordre raciste. Dans un banal réflexe
mimé-tique, les chrétiens vont renvoyer la balle à l’adversaire et reprendre notamment à son
encontre le statut biblique du pur et de l’impur. Face à l’impureté des chrétiens pour les Juifs
émerge maintenant dans les esprits une contre-idée folle : l’impureté des Juifs pour les
chrétiens… Car tel est le monde des hommes où une catégorie raciale particulièrement
différenciée comme celle des Juifs engendre presque automatiquement une contre-race, une
agression une contre-agression, une société racisante une autre société racisante. Après une
phase de quelque deux siècles où l’opposition des chrétiens et des Juifs fut purement
religieuse et pacifique, l’agressivité prosélyte des premiers en position dominante allait
monter gravement en puissance : l’opposition purement doctrinale devait, non seulement se
structurer régulièrement au cours des siècles sous l’influence des théologiens chrétiens mais
s’associer à un racisme anti-Juifs caractérisé explosant dans l’Espagne du XVe siècle.
DE L’ANTIJUDAÏSME À L’ANTISÉMITISME :
"LES STATUTS DE PURETÉ DU SANG"
C’est dès le début du IVe siècle que le concile d’Elvira (300-306) institue les premières
mesures discriminatoires de type raciste envers les Juifs. En réplique à la loi rabbinique il
interdit aux chrétiens, clercs et fidèles, sous peine d’être exclus de la communion, de manger
avec des Juifs (canon 50) et, sous peine d’une excommunication de 5 ans, de se marier avec
eux (Canon 16). Par ailleurs, interdiction est faite aux Juifs d’avoir des épouses chrétiennes ou
d’acquérir des esclaves chrétiens. Quant aux enfants nés de ces unions ils doivent être
baptisés.
Tour à tour, manifestations d’une certaine tolérance ou contraintes aggravées vont se
succéder. Alors que plusieurs rois d’Espagne et de France, Sisebut, Chilpéric, Dagobert
ordonnent, sur le conseil de certains évêques et hommes sages, que tous les Juifs refusant la
régénération du baptême sacré soient expulsés hors des territoires du royaume, ailleurs
certains évêques, tels Grégoire le Grand et Isidore de Séville, refusent qu’appel soit fait au
bras séculier. Pour ces derniers, seules la persuasion et la discussion autour de l’Ancien
Testament sont dignes de la doctrine chrétienne.
Plusieurs siècles plus tard, Saint Bernard exprime lui aussi une tolérance très relative.
S’adressant en 1146 au clergé et au peuple de Rhénanie il déclare : « Vous ne devez ni
persécuter, ni mettre à mort les Juifs… Ils sont des monuments vivants qui nous rendent
pour ainsi dire présente la passion du Sauveur. C’est pour cette raison que nous les
voyons répandus dans tous les pays du monde, car la punition du crime qu’ils ont
commis est une preuve irrécusable de la rédemption du genre humain ».
Pendant un certain temps les choses ne devaient pas beaucoup évoluer. C’est la première
croisade et l’appel aux armes lancé contre les musulmans par le pape Urbain II lors du
272
. Notons toutefois que pour le Juif le messie apportant la Rédemption est toujours attendu, pour le chrétien
cette rédemption a déjà eu lieu avec Jésus-Christ.
90
Concile de Clermont qui déclenchent en 1096 les persécutions contre les Juifs européens. Des
hommes armés échappant à tout contrôle massacrent les Juifs à Worms, Cologne, Trèves,
Ratisbonne mais aussi à Prague, à Metz, à Rouen. Car pour ces tout nouveaux croisés, les
Juifs sont, non seulement des infidèles comme les Sarrasins, mais ils ont commis le crime
suprême, celui d’avoir tué Jésus le Sauveur.
Au XIIIe siècle, saint Thomas lui-même dans sa Summa theologica, n’appelle guère qu’à
quelque modération : « Suivant le droit, il est licite, écrit-il, de tenir les Juifs, à cause de leurs
crimes, en servitude perpétuelle et, pour les princes, de regarder les biens des Juifs comme
appartenant à l’État mais il convient de faire preuve d’une certaine modération et ne pas les
priver des choses nécessaires à la vie ». En 1215 le pape au 4e concile de Latran met en
œuvre des mesures discriminatoires caractérisées envers les Juifs : ils doivent porter des
vêtements spécifiques tandis que certaines charges leur sont interdites. La persécution va faire
beaucoup de victimes : les Juifs sont expulsés d’Angleterre, de France, d’Italie, plus tard
d’Ukraine et de bien d’autres régions chrétiennes.
Parallèlement à l’expansion du christianisme et à la prise de conscience progressive de la
résistance des Juifs à la conversion, les diatribes et l’animosité antijuives des chrétiens
s’aggravent sans cesse. Ce refus de plus en plus avéré, incompréhensible et insupportable au
regard du temps écoulé, cette obstination des Juifs à persévérer dans l’erreur malgré l’apport
de la théologie chrétienne et le zèle des pasteurs, cette incapacité à adopter la vraie religion,
ne peuvent être que le reflet d’une tare héréditaire, d’un vice majeur de la nature, le fruit d’un
châtiment divin consécutif à l’acte déicide de l’an 33. D’ailleurs, ces « docteurs de
l’incrédule » ne portent-ils pas une odeur spécifique (foetor judaïcus)273 et une face distinctive
comportant notamment un nez crochu274 ? Et puis, en condamnant Jésus à mort, les Juifs
n’ont-ils pas pris la responsabilité de voir son sang « retomber sur eux et sur leurs enfants » ?
Le défaut de leur nature s’avérant irréductible, le temps de la patience, de la persuasion et de
la conversion est désormais terminé. À la fin du XIVe siècle-début du XVe commencent alors
la grande intolérance et les persécutions envers les Juifs d’Espagne. En 1391, une vague de
pogroms a lieu dans les royaumes de Castille et d’Aragon tandis qu’une législation
contraignante se met progressivement en place. En 1412, le statut de Valladolid mis au point
par saint Vincent Ferrier interdit aux Juifs « de vendre ou d’offrir des produits alimentaires
aux chrétiens, de faire labourer par ceux-ci leurs champs, de faire précéder leurs noms du
titre de Don, de changer de domicile, de couper leurs cheveux et de raser leur barbe ». Et
c’est au milieu du XVe siècle qu’est promulgué à Tolède le premier Statut de pureté du sang
(estatuto de limpieza de sangre) qui, suivant la démarche de ses auteurs, va se servir du
judaïsme lui-même et copier sa loi du sang pour punir collectivement les Juifs. Le sang pur
des chrétiens va désormais s’opposer au sang impur des Juifs. Plus tard les nazis, en suivant
ce même réflexe commun aux hominidés, renverront eux aussi les armes à l’adversaire : ils
retourneront contre les Juifs la même loi juive. Dès l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933, le
législateur écrit dans le préambule des lois de Nuremberg en préparation : « Le modèle qui
s’est tenu devant mes yeux tout au long de la rédaction de ces décrets est celui des lois
d'Esdras et de Néhémie, les premières lois jamais édictées pour la protection de la pureté
raciale »275.
Désormais, c’est le sang qui va être le plus sûr garant de ce qui est bon et de ce qui est
mauvais en matière religieuse. L’impureté des Juifs risque de contaminer les chrétiens et de
273
. Témoin d’une pensée raciale caractérisée, dictée par quelque grief envers des Juifs, il s’agit là d’une
calomnie païenne remontant à l’Antiquité.
274
. C’est à partir du XIII° siècle écrit Robert I. Moore (dans La persécution p. 55) qu’apparaissent des dessins
concernant le physique des Juifs. Ce type d’expression traduit évidemment une hostilité d’ordre spécifiquement
raciste.
275
. Ilan Halevi dans Question juive, p. 43.
91
mettre en péril leurs femmes, leurs enfants, leurs biens, leur salut. L'exclusion, l'expulsion,
voire le massacre, apparaissent comme des actes d’intérêt public. Il y a le bon sang chrétien et
le mauvais sang juif : pureté de la foi et pureté du sang vont de pair.
La pureté de la race étant maintenant élevée aussi au rang d’un idéal chrétien, les interdits
relatifs au métissage vont créer un système de séparation inamovible tandis que les Juifs sont
de plus en plus l’objet de contraintes. Ayant à choisir entre la conversion au christianisme et
la comparution devant le tribunal de l’Inquisition, tribunal installé en 1478 pour veiller au
respect de l’orthodoxie chrétienne et punir toute forme d’hérésie, une forte proportion de Juifs
se convertit alors276. Mais ces nouveaux chrétiens (appelés ainsi non pas tant pour s’être
convertis à la foi du Christ que parce qu’ils sont les descendants de Juifs), ces conversos,
souvent désignés par le terme péjoratif de marranes, même profondément sincères, vont
souvent rester des suspects capables de salir les chrétiens. À la mixophobie juive répond la
mixophobie chrétienne. Dans son Histoire générale d'Espagne (1587), Louis Turquet de
Mayerne, relatant la conversion d’une partie des Juifs après l'édit de 1492, écrit :
«Dont advint un autre inconvénient, c'est qu'avec le temps les nobles familles
s'allians par mariages avec ceste race se sont entièrement contaminées, et polluées
de sang, et de créance » 277.
Le fait d’avoir du sang juif va ainsi constituer pendant longtemps une défectuosité
héréditaire dans la société espagnole tandis qu’à l’hostilité religieuse s’associe la haine
d’ordre racial. Dès lors, toute personne soupçonnée de judaïser en secret est aussitôt dénoncée
au tribunal. D’assez nombreux conversos n’ont à subir de la part des juges que des peines
mineures telles que vexations et brimades mais d’autres, aussi nombreux, finissent leur vie sur
le bûcher de l’Inquisition.
Néanmoins, comme le montre l’expérience du terrain, cela ne suffit pas à extirper le mal :
il faut en finir avec les Juifs indésirables et les expulser. Le 31 mars 1492, sous l’influence du
Grand inquisiteur, Thomas de Torquemada, l’Édit d’expulsion de Grenade est promulgué par
les Rois Catholiques Ferdinand d’Aragon et Isabelle de Castille. Rejetant le statut de hors-laloi avec tout ce qu’implique un tel statut, plus de cent cinquante mille Juifs séfarades trouvent
alors refuge en Europe, en Afrique du Nord et dans l’Empire ottoman (à Constantinople et
Salonique notamment) ; ils y sont rejoints quelques années plus tard (en 1497) par les Juifs
chassés du Portugal par le roi Manuel Ier.
Au début, ces lois et pratiques de profonde hostilité antijuive n’allèrent pas sans quelque
franche opposition dans l’Église. Le roi Jean II de Castille, les papes Nicolas V et Paul III,
ainsi que nombre de représentants du clergé et de la classe politique, protestent énergiquement
au nom de la doctrine chrétienne selon laquelle non est distinctio Judaei et Graeci mais,
progressivement, cette opposition s’estompe. Malgré la poursuite de la controverse aux siècles
suivants au nom des principes évangéliques, les progrès du estatuto de limpieza de sangre
sont malgré tout notables. Le sang, et non la croyance toujours incertaine, reste le critère
décisif.
Après les Rois, ce sont les gouvernements locaux d’Espagne et les Institutions et Ordres
religieux qui adoptent à leur tour des statuts de pureté raciale. En 1486, c’est l’Ordre de saint
Jérôme, en 1488 les collèges de San Bartolomé (Salamanque) et de Santa Cruz (Valladolid),
en 1519 celui de San Ildefonso, en 1496 le monastère dominicain d'Avila ; à partir de 1531
les autres établissements dominicains, en 1525 ceux des franciscains, en 1515 et 1530 les
chapitres des cathédrale de Séville et de Cordoue. En 1547, l’archevêque de Tolède élargit
leur application à tous les corps ecclésiastiques relevant de sa juridiction. L’Inquisition
s’aligne au milieu du XVIe siècle tandis que les jésuites attendent 1593.
276
. « Entre 1391 et 1492 tout porte à croire que cinquante pour cent au moins se convertirent au
christianisme » (Y. H. Yerushalmi, Sefardica, p. 264).
277
. Citation rapportée par Claude Liauzu, Race et Civilisation, p. 207.
92
Quant aux papes Alexandre VI, Clément VII et Paul IV ils ratifient respectivement les
statuts en 1495, 1525 et 1555.
Suivant ces statuts, toute personne désirant un poste rémunéré en Espagne doit désormais
démontrer, au terme d’une enquête généalogique, qu’elle n’a aucun Juif dans sa famille
depuis au moins quatre générations. Des certificats de pureté raciale sont ainsi demandés
pour admettre les novices dans les ordres religieux, pour rejoindre les rangs des missionnaires,
pour être admis à l’Académie militaire, pour rentrer à l’Université, voire pour devenir simple
conquistador dans les Amériques.
De multiples problèmes sont bien entendu posés par les Statuts. La conversion peut-elle
totalement pallier le défaut de la nature pour l’admission au sein de l’Église ? La pureté de la
foi ne va-t-elle pas de pair avec la pureté du sang ?… À l’instar de la grande interrogation
juive : « La conversion au judaïsme suffit-elle pour faire partie du Peuple élu ? », la grande
question du christianisme devient celle-ci : « Le baptême chrétien peut-il vraiment supprimer
les tares naturelles du peuple déicide ? » Tour à tour, en fonction des mentalités, des
contextes et des interprétations de l’Évangile, une réponse favorable ou non est donnée par les
instances religieuses chrétiennes.
Tandis que les nouveaux chrétiens conservent une marque sociale infamante – parfois euxmêmes considéreront qu’être de sang juif est un malheur et une tare – la pureté du sang et de
la lignée reprise de la société juive devient, pour la société chrétienne ibérique portée depuis
de nombreux siècles à être particulièrement unie, une véritable obsession nationale. « Pouco
sangue Judeo he bastante a destruyr o mundo » (« un peu de sang juif suffit à détruire le
monde ») s’écrie le portugais Vicente da Costa Mattos. La dimension biologique est encore
plus évidente chez Fray Francisco de Torrejoncillo. Dans sa Centinela contra judios
(Sentinelle contre les Juifs) il propose en 1673 de caractériser ainsi le Juif : « Pour
enseigner la haine des Chrétiens, du Christ et de sa Loi divine, il n'est pas nécessaire
d'avoir un père et une mère juifs. Un seul suffit. Si le père n'est pas juif, il suffit que la
mère le soit. Et celle-ci n'a pas besoin de l'être entièrement, l'être à demi suffit ; bien
plus, un quart suffit, ou même un huitième. Notre Sainte Inquisition a découvert des
gens qui, séparés de leurs ancêtres juifs par vingt et une générations, continuaient de
judaïser ». Et il poursuit : « Dans les palais, les nourrices choisies pour allaiter les fils
de rois et de princes doivent être de vieilles chrétiennes [cristianas viejas], car il n'est
pas convenable qu'ils sucent un vil lait juif. Venant de personnes infectées [personas
infectas], ce lait ne peut qu'engendrer des inclinations perverses ».
Fray Prudencio de Sandoval, dans sa biographie de l'empereur Charles Quint, revient
lui aussi sur cette malédiction que les Juifs ont attirée sur eux lors du drame du Calvaire,
malédiction qui estompe le grand précepte de la charité chrétienne envers tous les
hommes : « Je ne critique pas la compassion chrétienne qui embrasse tous les hommes,
car alors je commettrais un péché mortel ; je sais qu'Unique est le Seigneur de tous et
qu’il n'y a pas de distinction entre le juif et le gentil... Cependant, qui peut nier que chez
les descendants des Juifs persiste et se perpétue le mauvais penchant de leur ancienne
ingratitude et de leur aveuglement? »278
La phobie de la pollution raciale par le sang infecté (sangre infecta) sera si prégnante en
Espagne que l’obligation légale de prouver la non-contamination juive de son ascendance ne
prendra guère fin qu’en 1865 sous le règne de Joseph Bonaparte, soit trois siècles et demi
après l’expulsion des Juifs, et que la société espagnole allait être profondément et
durablement marquée par cette expérience. Ainsi que l’écrit Yerushalmi279, « la limpieza,
allait exercer une profonde influence sur l’histoire et la civilisation espagnoles et portugaises,
278
. Les trois citations successives d’auteurs espagnols sont rapportées par Yosef Hayim Yerushalmi dans Esprit
mars-avril 1993.
279
. Ibid., p. 19.
93
modeler certains aspects de la littérature et colorer ce sens de l’"honneur" si particulier à la
péninsule ibérique ».
En fait, par l’intermédiaire des Ordres de chevalerie et des diverses congrégations
religieuses, ce sont toutes les nations chrétiennes européennes, notamment française,
allemande et britannique, qui, à leur tour, vont être affectées durablement par cette notion de
race et ajouter, à leur traditionnel anti-judaïsme doctrinal, un racisme anti-Juifs caractérisé.
En France, Joachim du Bellay conseille vivement au roi de conserver la pureté de son
aristocratie :
« Et ne permettra point que d'un sang moins hardy
Le sang plus généreux devienne abastardy… »280
Cette obsession du sang pur n’atteindra jamais en France et en Grande Bretagne le niveau
de l’Espagne, mais ces pays vont néanmoins procéder à des expulsions massives. Après
l’expulsion en 1394 ordonnée par Charles VI et le Parlement de Paris, expulsion complétant
elle-même celles de 1182 par Philippe Auguste et de 1306 par Philippe le Bel, il n’y a
pratiquement plus de Juifs en France. Ils n’y reviendront guère qu’à la fin du XVIIe siècle,
lors de la conquête de l’Alsace et de Metz par Louis XIV.
Après avoir considéré les chrétiens comme des intouchables, les Juifs deviennent
désormais les intouchables des chrétiens dont l’innocence ne peut qu’être souillée par un
contact impur. Si on excepte le temps de son fondateur, Ignace de Loyola, qui ne tint pas
compte du tabou de la limpieza, la Compagnie de Jésus est à cet égard particulièrement
éloquente. Les Juifs convertis étant toujours quelque peu des impurs, des maculados dont le
sang porte une tache (macula), il ne convient pas qu’ils puissent accéder aux charges et
honneurs publics des chrétiens, et notamment à la prêtrise. Trois dates principales vont
jalonner l’histoire de la Compagnie à ce sujet : en 1593, la Convention de l’Ordre, au
lendemain de la mort d’Ignace de Loyola, n'admet en son sein « aucun chrétien d'ascendance
juive » ; en 1608, un décret stipule que les novices doivent faire la preuve qu'ils n'ont pas de
sang juif depuis cinq générations ; en 1923 enfin, un amendement au décret précédent précise
qu’il suffit que les novices n’aient pas de sang juif depuis quatre générations. C’est ainsi que
le R.P. Koch, dans l'ouvrage Jesuiten-Lexikon, peut écrire avec satisfaction en 1934 (un an
après le triomphe du parti nazi en Allemagne) : « De tous les ordres, c'est la Compagnie de
Jésus qui, par sa règle, est le mieux protégée contre toute influence juive »281.
Les Statuts de pureté du sang devaient rester en vigueur plusieurs siècles : en Espagne
jusqu’en 1860 ; au Portugal jusqu’en 1873.
Notons que les musulmans (les Maures) furent aussi visés par l’arrêt d’expulsion des rois
d’Espagne mais les vexations et rétorsions qu’ils subirent ne sauraient être comparées à celles
qui furent appliquées aux Juifs. Alors que les chrétiens, comme tous les non-Juifs, sont
séparés des Juifs par la barrière infranchissable de l’élément racial qu’impose le judaïsme,
chrétiens et musulmans ne sont séparés que par une donnée, prégnante certes mais néanmoins
relative, celle d’une croyance. Du Dieu le veut des croisés massacrant les musulmans de
Jérusalem, au Allah est le plus grand des conquérants arabes à l’assaut de l’Europe, il s’agit
toujours de guerres d’ordre religieux et non de combats d’ordre racial.
En résumé
S’il est avéré que les chrétiens espagnols, à partir de leur opposition purement doctrinale
au judaïsme, ont développé avec une particulière ampleur une forme caractérisée
d’antisémitisme idéologique – « une masse considérable de documents fournie par la
péninsule ibérique apportent un éclairage lumineux sur l’antisémitisme racial » écrit Yosef
280
281
. Citation rapportée par Claude Liauzu, Race et Civilisation, p. 207.
. Données rapportées par Hannah Arendt, Sur l’antisémitisme, p. 224.
94
Yerushalmi282 – il est non moins patent qu’il n’ont pas eu à inventer la composante raciale de
la judéité, cet élément étiologique présent dans le judaïsme et sur lequel ils se sont appuyés
pour persécuter les Juifs.
C’est dire par ailleurs que ce racisme antijuif caractérisé qui a concerné une partie notable
de la société chrétienne européenne est particulièrement emblématique de la fragilité des
hommes face au problème incontournable des races. Alors que le christianisme est ouvert à
tous les hommes, et que sa doctrine est fondamentalement étrangère aux notions de race et de
sang avec notamment la proclamation universaliste de saint Paul rapportée précédemment, les
chrétiens se sont servis, à l’encontre des Juifs, des lois bibliques de pureté du sang établies par
Esdras et Néhémie pour verser dans un antisémitisme majeur. Et le processus idéologique,
associant doctrine traditionnelle du christianisme selon laquelle les Juifs furent responsables
de la mort du Christ et l’altérité Juifs/non-Juifs inhérente au judaïsme, devait bien entendu
persister à conditionner le vaste monde chrétien, y compris sa partie la plus instruite283 et
jouer un rôle notable dans le génocide juif du XXe siècle284.
282
. Yosef Yerushalmi, Sefardica, p. 263.
. Parmi les multiples auteurs chrétiens particulièrement emblématiques du processus antisémite citons aussi
l’écrivain Léon Bloy dans son ouvrage Le mendiant ingrat. À une jeune Scandinave catholique désirant se
marier avec Juif converti au catholicisme, il écrit : « Je ne vous félicite pas de votre choix... Dès l'origine, la race
juive a été séparée des autres races humaines, si profondément séparée et mise en réserve pour les desseins
ultérieurs que le mélange avec les Juifs a toujours été regardé, chez tous les peuples, comme une sorte de
sacrilège. Si vous désirez devenir la femme d'un Juif, même converti, vous vous exposez à quelque
malédiction effrayante ».
284
. Yosef Yerushalmi, dans les Archives des Sciences sociales des Religions, oct-déc. 2000, rapporte que Cecil
Roth et Benzion Netanyahu, avaient adopté le point de vue selon lequel les Statuts auraient constitué « les
prémisses des Lois de Nuremberg ». En fait, il n’est pas sûr que les nazis, comme les autres Européens des XIXe
et XXe siècles, Français notamment, connaissaient vraiment les "estatutos de limpieza de sangre". Ce que l’on
peut affirmer par contre c’est qu’ils étaient tous – comme le furent précédemment les Espagnols – tributaires de
la donnée inhérente au judaïsme qui ajoute à tout grief envers les Juifs son caractère racial.
283
95
L’ANTISÉMITISME IDÉOLOGIQUE ET RÉACTIONNEL
DU MONDE NATIONAL-SOCIALISTE
Si les manifestations de l’antisémitisme nazi sont inédites par leur forme et leur ampleur,
on peut noter par contre que l’idéologie qui leur est sous-jacente, idéologie qui se développe
exclusivement dans une société européenne, est la résultante non pas de quelque innovation,
invention ou rupture par rapport au passé comme ont pu le penser quelques auteurs285, mais de
plusieurs filiations actives. Ce sont notamment :
• la filiation juive qui transmet les notions de racialisation des Juifs et d’étrangèreté
Juifs/non-Juifs à la base de tout antisémitisme (filiation sur laquelle nous ne reviendrons pas
ici),
• la filiation chrétienne, protestante et catholique,
• la filiation intellectuelle qui depuis les Lumières du XVIIIe siècle, et avec les biologistes,
écrivains et philosophes européens du XIXe, véhicule non seulement la notion de hiérarchie
entre les races mais la notion de race aryenne qui, comme nous l’avons vu longuement avec
l’historien A. Pichot286, s’est édifiée en regard de l’importante anthropologie raciale juive
développée en Allemagne à partir du milieu du XIXe siècle.
Les Juifs en Allemagne avant le nazisme et la tradition antisémite
Jusqu’à l’avènement du nazisme, on peut dire tout d’abord que le sort des Juifs (qui sont
en Allemagne depuis les premiers siècles de l’ère chrétienne) semble avoir été nettement
meilleur que celui de leurs congénères des autres pays de l'Europe. L’Allemagne n’a pas
connu de pogroms comme la Russie, d’affaire Dreyfus comme la France. Certes, les Juifs
sont vus comme des étrangers : la plupart se marient au sein de leur groupe, vivent en
étroite communauté et les Lumières depuis le XVIIIe siècle sont particulièrement sévères
avec le judaïsme qui élève des barrières au rapprochement des hommes. Leur statut reste
assez souvent discriminatoire mais, d’une part les rigueurs de ce statut vont s’atténuer avec
le temps dans certaines régions, d’autre part le pouvoir impérial, en plaidant volontiers leur
cause auprès des évêques et des princes qui manifestent de l’hostilité à leur égard, leur est
plutôt favorable. Après avoir été chassés d’une principauté ou d'une ville, ils trouvent
généralement refuge dans un État voisin à la faveur de la division politique du pays. C’est
ainsi que, bannis massivement de Vienne en 1670, ils iront par exemple s’établir dans la
principauté de Brandebourg et qu’ils ne seront jamais expulsés totalement d'Allemagne
comme l’ont été les Juifs en France, en Angleterre, en Espagne et dans bien d’autres pays
d’Europe.
Du fait de cette situation exceptionnelle, la communauté juive d'Allemagne pourra ainsi
malgré les ligues, groupes et mouvements antisémites, non seulement se développer sans
discontinuité pendant des siècles, intégrer nombre de Juifs fuyant les pogroms, notamment
ceux de Russie et de Pologne à la fin du XIXe siècle, nouer des liens très étroits avec les
milieux non-juifs – une très forte proportion de Juifs d’origine européenne portent des noms
allemands – mais participer grandement à la vie du pays en contribuant dans nombre de
domaines à son rayonnement intellectuel et à sa puissance industrielle et commerciale. En
1914, plusieurs associations de Juifs allemands appellent leurs membres « au-delà de ce
qu’impose le simple devoir de patriote »287, à consacrer toutes leurs forces au service de
l’Allemagne. Plusieurs Juifs, ayant acquis fortune dans le commerce, deviennent les
conseillers financiers de certains princes. Après avoir été l’un des organisateurs de l’économie
de guerre allemande, Walter Rathenau, un grand industriel juif, devient l’un des artisans du
285
. Tel Élie Botbol écrivant qu’avec Hitler la judéité est vue pour la première fois dans l’histoire comme un
caractère racial. (Quel avenir pour le judaïsme, p. 65). L’auteur méconnaît manifestement la composante raciale
de l’identité juive.
286
. Dans son ouvrage "Aux origines des théories raciales. De la Bible à Darwin".
287
. Sur 100 000 Juifs mobilisés on compta en effet 12 000 morts.
96
relèvement de l’Allemagne comme ministre des Affaires étrangères de la République de
Weimar.
Malgré l’attachement de nombre de Juifs à la patrie allemande, persiste néanmoins dans la
population une puissante tradition antisémite288. À propos de cette tradition, particulièrement
active depuis le XIXe siècle avec l’avènement dans les esprits de la race aryenne et la montée
du nationalisme, Lionel Richard289 peut en effet écrire : « l’antisémitisme qui imprègne le
tissu social de l’Allemagne impériale a été incorporé par tous les partis représentés au
Parlement à l’exception du parti social démocrate » et que « de nombreuses associations,
aussi bien étudiantes que professionnelles, sportives ou politiques, ont inscrit dans leurs statuts un paragraphe interdisant aux Juifs la possibilité d'en être membres ».
LA FILIATION CHRÉTIENNE DE L’ANTISÉMITISME IDÉOLOGIQUE NAZI
Dans son hostilité caractérisée envers les Juifs, on peut dire que Luther a suivi l’exemple
des catholiques des siècles précédents. Certes, dans un premier temps, espérant les attirer vers
le christianisme, il se montre très bienveillant à leur égard, relance l’étude de l’Ancien
Testament et réprouve fermement les persécutions de l’Église catholique qui ne font que
repousser les Juifs dans leur communauté. Mais dès qu’il se rend compte que les Juifs sont
tout à fait rebelles à la conversion et rejettent l’enseignement de la religion réformée, il leur
déclare lui aussi une guerre sans merci. En 1543, quelques années avant sa mort il publie un
pamphlet, Les Juifs et leurs mensonges, dans lequel il exprime sa haine des Juifs et fustige
leur « race maudite ». Comme le remarque fort justement Franklin Sherman, éditeur de
l'édition américaine de l’ouvrage, les écrits de Luther contre les Juifs ne sont pas « simplement
un ensemble de jugements théologiques sérieux, pondérés et posés : ils sont pleins de rage et
de haine contre "un groupe humain identifiable" ». En effet, comme tous les non-Juifs au
contact du judaïsme, Luther considère que les Juifs ne sont pas seulement les adeptes d’une
doctrine religieuse opposée à celle du christianisme mais les membres d’une catégorie qui, de
par leur naissance et leur comportement, se veulent radicalement différents des non-Juifs, une
catégorie d’ordre racial au sens moderne du terme. Luther injurie, apostrophe les Juifs avec
une grande violence et accumule envers eux nombre de griefs, notamment celui de vanter leur
race comme si il y avait entre les hommes « une différence en ce qui concerne la naissance, la
chair ou le sang ». Il répète même les calomnies traditionnelles du Moyen Âge : le meurtre
rituel290, l’empoisonnement des puits, la sorcellerie, la profanation de l’hostie… Les Juifs
méritent une punition sévère : que leurs maisons et leurs synagogues soient brûlées, leur
Talmud et leur livres de prière confisqués. Et si cela ne suffit pas, qu’ils soient expulsés
comme ils l’ont été par les rois d’Espagne et éventuellement exterminés291.
Tout imprégnés de nationalisme et présentant le peuple allemand comme un peuple
supérieur, les écrits tardifs de Luther vont avoir une influence considérable sur la postérité
allemande, d’abord dans l’invention au XIXe siècle de la race aryenne en race antagoniste de
celle des Juifs puis, ensuite, dans l’idéologie nazie. Hitler ne retiendra nullement
l’antijudaïsme doctrinal de Luther mais intégrera par contre deux éléments fondamentaux de
288
. Comme en témoigne notamment l’assassinat de Walter Rathenau en 1922 par un pré-nazi.
. dans Nazisme et barbarie, p. 30 et 29. Notons que l’attachement et la fidélité de nombre de Juifs à
l’Allemagne, qui rendaient absolument inconcevable toute persécution à leur égard et à plus raison un génocide,
constituèrent véritablement un piège diabolique. Et puis ces nazis n’avaient-ils pas reçu le baptême chrétien et
suivi à l’école, comme tous les enfants allemands et autrichiens, des leçons d’instruction religieuse protestante
ou catholique ?
290
. Fait singulier, un historien juif contemporain, Ariel Toaff, italien et fils d’un ancien Grand-rabbin de Rome, a
relancé récemment la polémique dans un ouvrage Pâques de sang où il laisse entendre que de petits groupes de
Juifs se seraient livrés entre le XIIe et le XVe siècle en Italie du Nord à des meurtres rituels. En Europe on a
estimé que quelque 150 procès au cours du haut Moyen-Âge se sont fondés sur une accusation de meurtre
d’enfants ! ( Robert I. Moore, dans La persécution, p. 46).
291
. Lucie Kaennel : Luther était-il antisémite ?, Genève, Labor et Fides, 1997.
289
97
sa pensée éminemment générateurs de racisme par leur conjugaison : d’une part, les ordres de
la création (la famille, le peuple, la nation, la race…), d’autre part, l’Allemagne comme
nouveau peuple élu. Le philosophe allemand Karl Jaspers pourra écrire, non sans raison mais
sans s’apercevoir toutefois que la racialisation des Juifs a été héritée du judaïsme par Luther :
« Vous avez déjà là l'ensemble du programme nazi »292.
En cette fin de XIXe siècle, une autre donnée, qui n’est pas sans importance par les
réactions qui s’ensuivent, est l’anti-catholicisme de Juifs de grande notoriété. Paul Colonge293
signale que certains d’entre eux n’hésitent pas, notamment en Allemagne au sein du
Kulturkampf prussien, à attaquer violemment le contenu de la foi catholique en ne voyant
qu’idolâtrie et superstition dans les miracles et les pèlerinages. Une violente campagne
catholique antijuive en résulte. Certains croyants s’en désolidarisent, en soulignant
l’incompatibilité entre la haine des Juifs et l’esprit de charité évangélique, mais des pétitions
sont lancées à travers toute l’Allemagne pour réclamer la limitation de l’immigration juive car
« les caractéristiques raciales juives » menacent le bien-être, la culture et la religion du
peuple allemand. Des tracts circulent en masse dans plusieurs régions, 250 000 signatures sont
ainsi remises au chancelier Bismarck294 mais ce dernier, comme l’Empereur, « désapprouve
totalement la lutte contre les juifs, qu’elle se développe sur une base confessionnelle ou
surtout sur la base raciale ». Cela ne l’empêche cependant pas « d’être d’avis de neutraliser
les juifs par croisement. Car, dit-il cela ne saurait pas marcher autrement ». Et, après avoir
cité l’exemple de quelques familles de la noblesse allemande mêlées de sang juif, Bismarck
constate, non sans quelque humour vulgaire, que « cela ne donne pas toujours une mauvaise
race » surtout « quand on unit un étalon de bon élevage allemand à une pouliche juive »295.
LA FILIATION INTELLECTUELLE DE L’ANTISÉMITISME IDÉOLOGIQUE NAZI
La raciologie générale et l’inégalité des races dans l’Europe du XIXe siècle
Dans sa lettre aux instituteurs de France en 1882, quelque cent ans après la promulgation
de la Déclaration française des droits de l'homme et du citoyen, Jules Ferry écrit : « Les races
supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. Je répète qu'il y a pour elles un droit
parce qu’il y a un devoir de civiliser les races inférieures ». C'est aussi l’avis de Renan : «
La conquête d'un pays de race inférieure par une race supérieure qui s'y établit pour le
gouverner n'a rien de choquant [...] Autant les conquêtes entre races doivent être
blâmées, autant la régénération des races inférieures ou abâtardies par les races
supérieures est dans l'ordre providentiel de l'humanité. » En effet, écrit-il encore : « La
nature a fait une race d'ouvriers, c'est la race chinoise, d'une dextérité de main
merveilleuse sans presque aucun sentiment d’honneur […] ; une race de travailleurs de la
terre, c’est le nègre […] ; une race de maîtres et de soldats, c’est la race européenne »296.
En Grande Bretagne, Rudyard Kipling écrit son poème Le fardeau de l’homme blanc selon
lequel il est de la responsabilité de cet homme d’apporter les bienfaits de la civilisation à ceux
qui en sont dépourvus et de prendre en charge, au besoin par la force militaire, « les peuples
nouvellement conquis et réfractaires, mi-diables, mi-enfants ».
En Allemagne, c’est Ernst Haeckel (1834-1919), savant biologiste et philosophe qui, en
1868, à peine neuf ans après L’Origine des espèces, va à la fois populariser la théorie de
l’évolution dans son Histoire de la création et établir une hiérarchie des races que nombre
d’auteurs vont retenir. En bas de l’échelle il y a les Noirs relativement proches des singes, en
292
. Cité par Franklin Sherman dans Foi transformée : les rencontres avec les Juifs et le judaïsme, édité par John
C. Merkle, Collegeville, Minnesota, Liturgical Press, 2003, 63-64.
293
. L’antisémitisme sous Bismarck in De l’antijudaïsme antique à l’antisémitisme moderne, p. 162.
294
. Ibid., p. 170.
295
. Ibid., p. 157 (propos de Bismark dans une conversation avec Moritz Busch, journaliste à son service).
296
. Œuvres complètes I, p. 390.
98
haut les Indo-Germains, c’est-à-dire les Allemands, les Anglo-saxons et les Scandinaves, dont
l’avancement, dans le domaine de l’industrie et des arts, témoigne de la forme humaine la plus
évoluée.
On peut remarquer ici que cette conception de l’inégalité des races, soutenue ainsi au XIXe
siècle par des Européens de culture chrétienne ou non et qui va largement justifier l’entreprise
coloniale, était animée d’un tout autre esprit que celui qui inspirait les nazis à l’égard des
hommes inférieurs, même si les exactions commises à cette occasion furent parfois notables.
Tous auraient vraisemblablement souscrit à ce qu’écrit Ernest Renan à ce propos : « Certes,
nous repoussons comme une erreur de fait fondamentale l'égalité des individus humains et
l'égalité des races : les parties élevées de l'humanité doivent dominer les parties basses […]
Mais les nations européennes telles que les a faites l'histoire sont les pairs d'un grand sénat
où chaque membre est inviolable […] La société humaine est un édifice á plusieurs étages où
doit régner la douceur, la bonté (l'homme y est tenu même envers les animaux) »297.
En opposition à la race juive et au surhomme juif l’invention de la race aryenne et du
surhomme aryen.
Comme nous l’avons noté précédemment avec l’historien André Pichot298, l’anthropologie
raciale aryenne s’est développée dans la seconde partie du XIXe siècle en regard de
l’anthropologie raciale juive qui s’est constituée plus précocement. Un texte de Disraeli écrit
en 1852 traduit très bien cette dernière : « La race juive relie les populations modernes avec les
premiers âges du monde […] Les Juifs sont la preuve vivante la plus frappante de la fausseté de
cette pernicieuse doctrine des temps modernes, l'égalité naturelle des hommes, un principe qui,
s'il était possible de le réaliser, détériorerait les grandes races, et détruirait tous les génies du
monde. [...] La tendance innée de la race juive, qui est justement fière de son sang, est opposée
à la doctrine de l'égalité des hommes »299. L’historien résume cette anthropologie juive de la
manière suivante : « Les textes de Wolf, Jacobs, Reichler, Fishberg, etc., sont parfaitement
clairs : la race juive est le produit des prescriptions hygiéniques et eugéniques de la Bible et
du Talmud, et c'est de l'observance de ces prescriptions qu'elle tient sa pureté et sa
supériorité (et même, pour Wolf, sa surhumanité dans l'évolution biologique) »300.
Croyant eux aussi à l’inégalité des races et à l’influence profondément délétère des unions
mixtes sur la pureté d’une race, les auteurs non-Juifs, écrivains et biologistes, vont ainsi, à la
fois s’inspirer largement du discours juif sur les Juifs et édifier leur modèle en totale
opposition-rivalité. La race aryenne, construction largement artificielle et vue comme
regroupant les peuples germaniques et scandinaves en tant que descendants de populations
dites indo-européennes, devient maintenant la race par excellence, la race majeure, face à
l’anti-race juive.
Dans son discours d'ouverture au Collège de France en 1862 Ernest Renan, par exemple,
est tout à fait explicite : « Maîtresse de la planète » la race aryenne le deviendra « grâce à
la recherche réfléchie, indépendante, sévère, courageuse, philosophique en un mot de la
vérité, qui semble avoir été le partage de cette race ». À la raison et à la science des Aryens,
s’oppose « l'épouvantable simplicité de l'esprit sémitique, rétrécissant le cerveau humain, le
fermant à toute idée délicate »301.
Gobineau (1816-1882), lui, se fait particulièrement nostalgique d’une pureté originelle et
contempteur du métissage dans lequel il voit lui aussi dégénérescence, mésalliance et, en fin
297
. Œuvres complètes I, p. 455.
. Dans ses ouvrages : « Aux origines des théories raciales. De la Bible à Darwin » et « La société pure – De
Darwin à Hitler ».
299
. Aux origines des théories raciales. De la Bible à Darwin », p. 395.
300
. La société pure – De Darwin à Hitler, p. 400.
301
. Œuvres complètes II, p.333.
298
99
de compte, chute des civilisations. Dans son Essai sur l’inégalité des races humaines (1853) il
écrit : « Point de civilisation véritable chez les nations européennes quand les rameaux
aryens n’y ont pas dominé ».
Bien d’autres auteurs vont relayer les précédents dans ce discours sur les races
opposant électivement l’Aryen et le Sémite. En Grande-Bretagne, Houston S. Chamberlain
(1855-1927), fasciné par l’Allemagne dont il prend la nationalité avant de devenir le gendre
de Richard Wagner, exalte lui aussi franchement la race aryenne et le sang germanique avant
qu’ils ne soient souillés par les Juifs, potentiellement coupables du crime de « lèse-sang ».
« Se délivrer du joug sémitique », « cultiver une discipline de la race », débarrasser le
christianisme de « ses oripeaux étrangers pour créer une religion adaptée à l’essence de
notre type germanique », telles sont les orientations et pratiques qui doivent contribuer au
rétablissement de la pureté originelle et à l’avènement d’une « race noble ». Pour lui, comme
pour les auteurs précédents, il paraît évident que « les Aryens surpassent tous les hommes
corporellement et psychiquement et qu’en bonne justice ils sont les maîtres du monde »302. Et,
en témoin du processus volontariste de différenciation qui, à lui seul, peut fonder un groupe
d’ordre racial, il écrit dans son ouvrage, Fondements du XIXe siècle, paru en 1899 : « Même
s’il était prouvé qu’il n’y eut jamais de race aryenne dans le passé, nous voulons qu’il y en ait
une dans l’avenir ».
En France, Édouard Drumont (1844-1917) ne cesse d’opposer lui aussi Sémites et Aryens.
Au début de La France juive, il écrit : « Demandons à un examen attentif et sérieux les traits
essentiels qui différencient le Juif des autres hommes et commençons notre travail par la
comparaison ethnographique, physiologique et psychologique du Sémite et de l’Aryen, ces
deux personnifications de races distinctes irrémédiablement hostiles l’une à l’autre, dont
l’antagonisme a rempli le monde dans le passé et le troublera encore davantage dans
l’avenir »303. Pour Vacher de Lapouge (1854-1936) également, qui publie en 1889 L’Aryen,
son rôle social, seule la race blanche, aryenne, dolichocéphale, est vraiment porteuse de
grandeur et créatrice de culture. Il lui oppose la race brachycéphale et médiocre, dont les Juifs
représentent la pire espèce. Et pour lui aussi le métissage, qu’il constate particulièrement au
Brésil où les races sont nombreuses, conduit à la dégénérescence. Les mesures de ségrégation
qu’il réclame alors sont très semblables à ce qu’allaient être en 1935 les lois de Nuremberg.
Dès le milieu du XIXe siècle l’orientaliste Paul de Lagarde, dans un ouvrage de 1874,
accuse les Juifs « d’avoir perverti l’âme de la Nation et de donner à l’Allemagne un esprit
mercantile ». Le fédéraliste Konstantin Frantz, à la même époque, leur reproche « de
demeurer étrangers à l’âme du peuple au milieu duquel ils vivent tout en prenant la tête des
pays qui les accueillent ». Theodor Fritsch publie son Catéchisme antisémite où il défend « la
vision raciale de la question juive ». L’historien de renom Heinrich von Treitschke, quant à
lui, dénonce « l’ampleur de l’invasion par les Juifs et exige leur assimilation ou leur
émigration »304, car germanité et judéité lui semblent absolument inconciliables. Pour lui,
conformément au judaïsme, les Juifs restent juifs même si leur langue et leur culture sont
entièrement allemandes. De par leur nature, ils sont dangereux pour la race germanique dotée
jusqu’ici de qualités (bravoure, loyauté, beauté…) inhérentes à la Germanie des origines.
Hiérarchie des races, pureté raciale, phobie du métissage, tels sont les thèmes revenant sans
cesse dans le discours de ces théoriciens. Après la dichotomie Juifs/non-Juifs inhérente au
judaïsme, il y a maintenant, dans un même schéma manichéen, la dichotomie Aryens/nonAryens. Néanmoins, contrairement à la non-judéité qui est simple (les goyim ne forment en
302
. Citation rapportés par A. Pichot, Aux origines des théories raciales, p. 468.
. La France juive, essai d’histoire contemporaine, C. Marpion et E. Flammarion, Paris, 1885, t. I, p.3.
304
. Les diverses citations de ce paragraphe émanent de l’ouvrage : « De l’antijudaïsme antique à l’antisémitisme
contemporain », p. 154.
303
100
effet pour le monde juif qu’une masse de personnes indifférenciées), il y a plusieurs niveaux à
la non-aryanité. En ordre croissant de gravité carentielle on trouve ainsi les Slaves, les Noirs,
les Tsiganes, les Juifs. Ces derniers représentant les archétypes de cette non-aryanité, la
séparation radicale qui va prévaloir dans les esprits va être tout naturellement celle des Aryens
et des Juifs. Dans son grand discours idéologique et programmatique du 13 août 1920 à
Munich intitulé : « Pourquoi sommes-nous antisémites », Hitler va reprendre longuement ce
thème de la convergence-rivalité des deux catégories. Et ce sera quinze ans plus tard les lois
de Nuremberg « pour la protection du sang et de l’honneur allemand » qui comporteront,
comme toutes les lois raciales, l’interdiction des mariages mixtes, voire celle des relations
sexuelles entre Juifs et Aryens, et qui ne seront que le prélude aux persécutions, cruautés et
crimes terrifiants que l’on sait.
Fait particulièrement notable, les notions de Peuple élu, de Messie, de Salut, de pureté du
sang issues du judaïsme seront elles-mêmes reprises et appliquées aux Germano-aryens. « Il
ne peut pas y avoir deux peuples élus », dit-il encore à son interlocuteur. « Nous sommes le
peuple de Dieu. Ces quelques mots décident de tout »305. Il promet la Rédemption du peuple
allemand, un nouveau règne (Reich) et la délivrance du Mal représenté par le Juif en tant
qu’incarnation de Satan306 sur terre. Et lors du baptême des enfants de S.S., qui se faisait au
nom de la mission divine confiée au peuple allemand élu de Dieu et à son représentant dans la
personne du Führer, l’officiant lisait le texte suivant : « Nous croyons au Dieu de l'univers.
Nous croyons en la mission de notre sang qui jaillit éternellement jeune de la terre
allemande. Nous croyons au peuple porteur de la race et au Führer que Dieu nous a
envoyé »307.
Jusqu’à ces derniers moments dans son bunker de Berlin, Hitler reviendra sur la rivalité
entre les Aryens et les Juifs : « Ne vous êtes-vous pas aperçu que le juif est en toutes choses le
contraire de l’Allemand et qu’il lui est cependant apparenté au point qu’on pourrait les
prendre pour deux frères »308 dit-il à Hermann Rauschning.
L’héritage philosophique allemand
La pensée de divers philosophes va largement influencer l’idéologie hitlérienne.
Eugen Dühring (1833-1921 publie en 1880 Judenfrage als Racen, Sitten und
Kulturfrage (La question juive : une question de race, de mœurs et de culture. Pour lui, les
Juifs, assimilés à des bactéries, contaminent le peuple au milieu duquel ils vivent.
C’est avant tout le pouvoir des Juifs que dénonce Fichte : « Au sein de tous les pays
d’Europe s’étend un État puissant animé de sentiments hostiles, qui est continuellement
en guerre avec tous les autres et qui, dans certaines circonstances, opprime terriblement
les citoyens ; je veux parler des Juifs […] Si cet État est à ce point redoutable, c’est
parce qu’il est fondé sur la haine du genre humain »309.
305
. Ibid., p. 269.
. Jean dans son Evangile (8, 42-44) fait dire en effet au Christ s'adressant aux Juifs : « Si Dieu était votre
père, vous m'aimeriez... Vous avez, vous, le diable pour père et ce sont les convoitises de votre père que
vous voulez accomplir. Celui-là était homicide dès le commencement... » L'expression « synagogue de
Satan » qui a souvent été utilisée à propos des Juifs est tirée d'Apocalypse 2,9 du même apôtre.
307
. Rapporté par René Major dans Au commencement, la vie la mort. p. 151.
308
. Hermann Rauschning, "Hitler m’a dit", Hachette, p. 265. Le poète Heinrich Heine (1797-1856), quant à lui,
avait imaginé dans une vision qui se voulait prophétique une Jérusalem nouvelle sur les bords du Rhin issue de
l’union des Allemands et des Juifs !
309
. Citation rapportée par Gilles Zenou dans Regards sur la condition juive, p. 82. À noter que l’expression :
« Les Juifs : ennemis du genre humain » que nombre d’auteurs depuis l’Antiquité ont utilisée (à la suite de
Tacite écrivant au livre V de ses Histoires que les Juifs sont l’ « odium generis humani ») , traduit généralement
dans leur esprit le comportement des Juifs dicté par le judaïsme à l’égard des populations de voisinage : « ne pas
assimiler, ne pas s’assimiler », comportement jugé au mieux comme signe d’indifférence et de dédain, au pire
comme signe de mépris et d’hostilité.
306
101
Pour Hegel aussi, le peuple juif, se définit avant tout par la haine des autres et par
l’oppression qu’il exerce sur eux : « Lorsqu’il fut accordé à ses descendants (ceux
d’Abraham) de réduire l’écart entre leur être réel et leur être idéal, ils régnèrent sans
ménagement, exerçant la tyrannie la plus révoltante »310. La notion de « peuple élu »
appliquée aux Juifs sera particulièrement visée et critiquée par Nietzsche dans plusieurs de ses
ouvrages311. Marx, quant à lui, dénonce le pouvoir économique des Juifs : « L’argent est le
dieu jaloux d’Israël devant qui nul autre dieu ne doit subsister », mais il dénonce plus
particulièrement encore le fait que le judaïsme constitue un « élément antisocial » par les
différences qu’il établit entre les Juifs et les autres. Il en conclura que « dans sa dernière
signification, l'émancipation juive consiste à émanciper l'humanité du judaïsme ». À la même
époque Bruno Bauer, dans un article intitulé comme l’ouvrage de Marx, La question juive,
écrit sensiblement la même chose : « L'émancipation des juifs n'est possible que lorsqu'ils
seront émancipés non pas comme juifs, c'est-à-dire comme des êtres qui doivent toujours
rester étrangers aux chrétiens, mais lorsqu'ils deviendront des hommes qui ne seront plus
séparés de leurs semblables par une barrière considérée à tort comme essentielle »312.
À ces griefs assez semblables en fait à ceux des Grecs et des Romains de jadis et
pouvant se résumer en cette barrière irréductible établie par le judaïsme entre Juifs et
non-Juifs, Hitler dans Mein Kampf va ajouter et faire siens, non pas les griefs d’ordre
religieux – c’est un domaine qui ne le concerne guère – mais tous les autres qui ont été
formulés précédemment contre les Juifs s’inspirant d’ailleurs largement de Luther. Et puis,
pour avoir vécu personnellement divers événements du siècle en cours, il ajoutera avec
une insistance particulière plusieurs reproches caractérisés : les responsabilités de la
juiverie internationale et des Juifs allemands dans la défaite de l’Allemagne lors de la guerre
1914-1918, le fait que le Congrès juif américain a déclaré une guerre financière à l’Allemagne
dès son arrivée au pouvoir en 1933, enfin le rôle primordial des Juifs dans la révolution
bolchevique de 1917 avec les massacres perpétrés313. De tout cela, et de sa vision selon
laquelle la race juive représente l’anti-race aryenne, il tirera la conclusion « qu’il fallait, à
titre de représailles et de prévention, les exterminer »314.
La rivalité de deux races et le choc de deux cultures
Pour la première fois dans l’histoire, se trouvent face à face deux idéologies structurées
ayant généré chacune une catégorie raciale particulièrement différenciée culturellement dont
les membres sont réunis non seulement par des liens du sang réels ou symboliques, mais par
des lois écrites, lois de la Bible pour la première, lois de Nuremberg pour la seconde,
interdisant toute union interraciale. D’un côté un peuple-race choisi par Dieu sur le mont Sinaï
310
. Ibid, p. 87.
. Ce qui n’empêche pas Nietzsche de penser que « les juifs constituent la race la plus forte, la plus résistante
et la plus pure qui existe actuellement en Europe » et d’appeler de ses vœux leur assimilation pour qu’ils
contribuent à « la production d’une race européenne mêlée et aussi forte que possible » (citations rapportées par
Y. Yovel, Les juifs selon Hegel et Nietzsche, pp. 279 et 231).
312
. rapporté par Arvon Henri dans Les Juifs et l’idéologie, p. 91.
313
. Avec la révolution russe de 1917, l’influence des Juifs fut mise particulièrement en cause dans la plupart des
pays européens. En Angleterre, l’historienne Nesta Webster parle de « conspiration juive », le Times de Londres
de « péril juif », Winston Churchill voit dans l’élément juif « la force qui se cache derrière chacun des
mouvements subversifs du XIXe siècle », en Italie, en France, en Allemagne… les milieux chrétiens et leur presse
dénoncent avec force la présence juive derrière le judéo-bolchevisme. (Enzo Traverso, La violence nazie, p.
113).
314
. La directive, diffusée parmi les soldats de la Wehrmacht à Minsk le 19 octobre 1941 pendant l'avancée
allemande en Union soviétique, et martelée pendant toute la guerre dans les pays occupés pour appeler les
volontaires au combat, appelait à une lutte sans merci au nom de la sauvegarde de la culture européenne : « En
tant que porteurs du bolchevisme et guides spirituels (geistigen Führer) de l'idée communiste, les juifs sont
notre ennemi mortel. Il faut les anéantir. (Sie sind zu vernichten) » (citation rapportée par Enzo Traverso, La
violence nazie, p. 114).
311
102
pour un destin qui se veut sans égal, de l’autre un peuple-race dont la prétention est celle de se
substituer au premier et de dominer le monde. Pour un choc inévitable, voire un combat sans
merci… Car les races différenciées par la culture, bien plus encore que les races qui le sont
par la nature, sont impitoyables car elles se veulent supérieures. « Il y a un droit international
mais il n’y aura jamais un droit interracial » écrit excellemment Bernanos. Les nations
peuvent fusionner mais les races ne le peuvent pas car « tout ce qui ne leur ressemble pas est
une menace à leur intégrité, à leur pureté. C'est dans cet esprit que les Juifs ne se
contentaient pas de vaincre les non-Juifs, ils exterminaient les vaincus »315. « C'est pour la
même raison que la nouvelle race élue, la race allemande, extermine les Juifs, ou les fait
exterminer par les nations réduites au rôle de servantes et appelées ainsi à collaborer à la
préservation du sang sacré, du sang des maîtres »316. Et ce sera à la fois une amputation
massive de la race juive et l’extinction totale de la race aryenne. Car, comme l’écrit encore
Bernanos en 1938 avec les mêmes mots qu’Hitler, « il n'y a pas de place dans le monde pour
deux peuples élus »317.
Plusieurs auteurs de la fin du XIXe siècle avaient bien vu le rôle majeur et potentiellement
dramatique que joue l’instinct de la différence d’ordre racial quand il est exacerbé au sein
d’un groupe : « la haine intime et inexpiable » engendre généralement « un programme
impitoyable d’anéantissement » envers le groupe antagoniste le plus faible. Ernest Renan,
dans une lettre à M. Strauss en 1871 écrit ainsi : « La division trop accusée de l'humanité en
races, outre qu'elle repose sur une erreur scientifique, très peu de pays possédant une race
vraiment pure, ne peut mener qu'à des guerres d'extermination »318. Quant à James
Darmesteter, professeur au collège de France entre 1885 et 1894, il écrit de même à propos
des groupes raciaux très différenciés : « La guerre est entre eux inévitable et éternelle, si la
cause est toujours présente et plonge de tout leur passé dans tout leur avenir. Ce sont alors
deux organismes, deux instincts, deux âmes inconciliables qui sont aux prises : ce ne sont plus
deux hommes, mais deux vertébrés d'ordre différent. L'extermination rapide ou lente peut
seule mettre un terme à la lutte »319.
Nietzsche, lui aussi, a bien compris le problème en question : « La nation dit :" Soyons
nobles" ! », « La race dit : "Soyons durs !" »320.
315
. Bernanos fait évidemment référence ici aux massacres systématiques et sans prisonniers perpétrés par Josué
dans les villes cananéennes.
316
. Essais et écrits de combat II – Gallimard 1995, Le Chemin de la Croix-des-Âmes, p. 221. Où l’on voit que
Bernanos, malgré qu’il constate fort pertinemment qu’au nom de la "race" les Juifs ont tué des non-Juifs et les
non-Juifs ont tué des Juifs de façon massive, ne semble pas avoir pris conscience de l’extrême capacité polluante
de la notion de « race élue », cette notion inventée par le judaïsme pour les siens, relayée largement par le
christianisme et réappropriée par les Germano-aryens. On peut ajouter que cette méconnaissance concerne en fait
tous les théologiens chrétiens et que, seuls, quelques penseurs juifs non religieux comme Hannah Arendt et
quelques philosophes ont pris la mesure de la malignité de la notion en cause.
317
. Les Grands Cimetières sous la lune, p. 568.
318
. rapporté par Maurice Olender dans son ouvrage Race sans histoire, p. 35.
319
. Ibid, p. 35.
320
. Rapporté par G. Bernanos, Essais et écrits de combat II, Le Chemin de la Croix-des-Âmes p. 225.
103
CHAPITRE V – L’ANTISÉMITISME DANS LE MONDE JUIF
LA HAINE DE SOI :
UNE FORME D’ANTISÉMITISME PAR DÉTESTATION DE SA PROPRE IDENTITÉ
Dans un ouvrage paru en 1930 Der jüdische Selbsthass ("La Haine de soi juive"), alors
qu’en Allemagne les Juifs étaient particulièrement anxieux devant la progression des thèses
national-socialistes, c’est Theodor Lessing qui forgea ce concept qui allait avoir un long
avenir. Dans ce qui représente une autocritique, il explique ainsi que nombre de Juifs
modernes qui, comme lui et beaucoup d’autres en Allemagne et en Autriche à cette époque, se
sont éloignés du judaïsme et cherchent à s’assimiler dans leur société d’accueil, se sentent
volontiers coupables à deux titres différents. Coupables d’une part pour avoir trahi le
judaïsme et leurs ancêtres juifs, coupables d’autre part pour ne pas avoir effacé leur « être
juif » aux yeux des non-Juifs. Lessing prétend qu’ « il n’existe pas un seul homme de sang juif
où l’on ne décèlerait pas au moins les débuts d’une haine juive de soi »321. Pour nombre
d’auteurs succédant à Lessing, c’est en effet « un trait de caractère typiquement juif ».
Disons que la "haine de soi"– forme du malaise ou du mal-être juif – revient à la fois à se
sentir lié au judaïsme alors qu’on n’aime guère son contenu religieux ou ses traditions et à
détester ce que l’on retrouve de juif en soi… Dès 1903, Otto Weininger avait assez bien décrit
ce phénomène dans son ouvrage Sexe et Caractère : « Quiconque déteste le caractère juif
le déteste tout d'abord en lui-même. Le fait de le pourchasser chez d'autres n'est que la
tentative de rejeter ce qui est juif ; il s'efforce de s'en séparer en le localisant entièrement
chez autrui. La haine est un phénomène de projection tout comme l'amour. L'homme ne
déteste que ce par quoi il se sent rappelé désagréablement à lui-même »322.
L’écriture va être bien entendu un moyen privilégié pour exprimer non seulement cette
détestation du Juif en soi mais à l’égard d’autres Juifs. Citant Theodor Herzl et Max Nordau,
qui furent à leur époque assez représentatifs de cette orientation, Jacques Le Rider peut ainsi
écrire : « On trouve chez eux des passages accusateurs de tous les vices du juif
contemporain qui sont terribles et qui débouchent sur l'idée que le sionisme sera la
thérapie, la guérison de toute cette pathologie culturelle à la fois séculaire et
contemporaine »323. Rencontrant une vive opposition à son projet d’État juif de la part
de l'élite juive des villes européennes et des banques à son projet d’État juif, Theodor
Herzl, par exemple, n'hésite pas à mobiliser contre les Juifs la langue du parfait
antisémite. « Le Youpin (Mauschel) est antisioniste. Nous le connaissons depuis longtemps et rien que de le regarder, sans l'approcher, et encore moins, le ciel nous
pardonne, le toucher suffirait à nous rendre malade [...] Mais, au fait, qui est le
Youpin ? Un individu, mes chers amis, un personnage qui surgit régulièrement, le
redoutable compagnon du Juif, dont il est si inséparable qu'on les a toujours pris
l'un pour l'autre [...] Le Youpin est une défiguration hideuse de la nature humaine,
quelque chose d'inqualifiable, de bas et de répugnant [...] Le Youpin est la
malédiction des Juifs. De nos jours, il ne suffit plus de s'éloigner de la religion pour
se débarrasser du Youpin. C'est la race qui est en question » 324.
Myriam Aissimov325, à propos de la romancière éminente que fut Irène Némirovsky, peut
de même écrire : « Décrivant l'ascension sociale des Juifs, elle fait siens toutes sortes de
préjugés antisémites, et leur attribue les stéréotypes préjudiciables de l'époque. Sous sa
plume surgissent des portraits de Juifs, dépeints dans les termes les plus cruels et péjoratifs,
321
. La haine de soi, le refus d’être juif, p. 41.
. Citation rapportée par Henri Arvon dans Les Juifs et l’idéologie, p. 108-109.
323
. dans son article Décomposition de la "haine de soi juive", Revue Penser/Rêver, printemps 2005, p. 73.
324
. rapporté par E. Roudinesco, Op. cit., p. 105.
325
. dans la préface qu’elle écrit pour l’ouvrage d’Irène Némirovsky, Suite française , page 14.
322
104
qu'elle contemple avec une sorte d'horreur fascinée, bien qu'elle reconnaisse partager avec
eux une communauté de destin. Ce en quoi les tragiques événements lui donneront raison.
Quelle relation de haine à soi-même découvre-t-on sous sa plume ! Dans un balancement
vertigineux, elle adopte d'abord l'idée selon laquelle les Juifs appartiendraient à la « race
juive» de valeur inférieure, dont les signes distinctifs seraient aisément reconnaissables, bien
qu'il soit impossible de parler de races humaines dans le sens où l'on employait le mot dans les
années trente, et où il serait généralisé dans l'Allemagne nazie. Voici, dans son œuvre,
quelques traits spécifiques prêtés aux Juifs, quelques choix lexicaux utilisés pour les
caractériser, en faire un groupe d'individus possédant en commun des caractéristiques :
cheveux crépus, nez courbé, main molle, doigts et ongles crochus, teint bistre, jaune ou
olivâtre, yeux rapprochés noirs et huileux, corps chétif, bouclettes épaisses et noires, joues
livides, dents irrégulières, narines mobiles, à quoi il faut ajouter l'âpreté au gain, la
pugnacité, l'hystérie, l'habileté atavique de « vendre et acheter de la camelote, trafiquer des
devises faire le commis voyageur, le courtier en fausses dentelles ou en munitions de
contrebande... » Et Irène Némirovski d’ajouter : « C'est cela les miens ; c'est cela ma
famille»326.
Ce syndrome mental caractérisé va comporter des manifestations variables à l’infini
quant à leur forme et leur gravité. Pour certains c’est le changement de patronyme,
pour d’autres c’est la conversion au christianisme, pour d’autres encore, c’est
l’adhésion à une idéologie de rencontre avec des conséquences parfois dramatiques.
De nombreux Juifs adhèrent ainsi en 1917 au bolchevisme puis au communisme ; après
1918, Arthur Trebitsch se fait le champion du nationalisme allemand et en vient à considérer
que les Germains forment une race de seigneurs par opposition à la race des Juifs ; Maurice
Sachs, après avoir épousé et renié successivement diverses causes dont le catholicisme,
adhère au nazisme et rejoint les rangs de la Gestapo en 1940. Pour tels autres encore, c’est la
désorientation majeure, la recherche de quelque refuge, la désespérance, voire le suicide.
Paul Rée, ami de Nietzche, se jette du haut d’un glacier en 1901, Otto Weininger, l’année
même de la parution de son ouvrage, se tire une balle dans la tête.
L’adhésion de certains Juifs à l’hyper-orthodoxie judaïque ou au sionisme militant a pu
constituer aussi, semble-t-il, une réponse à quelque syndrome de la haine de soi.
L’auto-dévalorisation-accusation représente certes un phénomène humain universel. Quel
est l’individu du commun des mortels qui, dans sa singularité, ne connaît en effet au cours de
sa vie ce type d’expérience d’une durée variable plus ou moins pénible pour lui ? De
multiples personnes, en tant qu’appartenant à des catégories de populations malheureuses,
défavorisées, maltraitées… n’ont-elles pas souffert également de cette épreuve mentale qui
peut, comme chacun sait, conduire à la désespérance, voire à l’auto-destruction ?
Les multiples agressions subies par les Juifs pendant tant des siècles et dans tant de pays
représentent bien entendu un élément étiologique de ce syndrome mais il est clair qu’il ne
s’agit là que d’un facteur accessoire à côté de l’identité que le judaïsme impose aux siens,
cette identité irréversible relevant de la simple transmission sanguine que nous avons
largement explicitée précédemment.
Parmi les nombreux hommes de lettres ayant traduit leur souffrance d’être Juifs de par leur
naissance, citons par exemple Heinrich Heine (1797-1856). À propos de l’achèvement d’un
nouvel hôpital dans sa ville de Hambourg il écrit ainsi ce poème327 :
« Un hôpital pour des juifs malades et nécessiteux,
Pour ces pauvres mortels trois fois malheureux,
Affligés de trois grands maux :
326
327
. Ibid. p. 14.
. rapporté par Yosef Yerushalmi dans Le Moïse de Freud, p. 77.
105
La pauvreté, la maladie et le judaïsme
Des trois, le dernier est le plus terrible,
Ce mal de famille millénaire,
Le fléau ramené de la vallée du Nil,
La croyance malsaine de l'ancienne Egypte
Mal incurable et profond! Rien n'y peut,
Ni douche ni bain de vapeur,
Ni appareils de chirurgie, ni tous les médicaments
Que cet hôpital offre à ses hôtes souffrants.
Le temps, dieu éternel, extirpera-t-il un jour
Ce secret qui se transmet du père
À l’enfant ? Le petit-fils pourra-t-il une fois
Guérir, être raisonnable et heureux ?
Je l’ignore… »
L’ANTISÉMITISME CHEZ LES JUIFS
Un phénomène d’accusation visant les Juifs faisant preuve de quelque dissidence à l’égard
de la culture juive a toujours existé dans la judaïcité. Quand la transgression est le fait d'un
groupe, c'est même tout ce groupe qu'il faut mettre à mort selon la Bible, surtout s’il y a
introduction de pratiques provenant des goyim. C’est la scène biblique du Veau d’or :
l’élimination par la violence non seulement des individus coupables mais aussi des innocents.
« Tu ôteras le mal du milieu de toi » (Deutéronome 13, 6). De même qu’il existe un herem
extérieur visant les non-Juifs habitant la terre promise, il y a en effet un anathème concernant
les Juifs non conformes de l’intérieur. « Si tu entends dire que dans l'une des villes que Yahvé,
ton dieu, te donne pour y habiter, des hommes, des fils de rien issus de ton sein, égarent les
habitants de leur ville en disant : "Allons servir d'autres dieux! ", des dieux que vous n'avez
pas connus, tu consulteras, tu enquêteras, tu questionneras avec soin, et si c'est vrai, s'il est
bien établi qu'une telle abomination a été commise en ton sein, alors tu devras passer au fil
de l'épée les habitants de cette ville, tu la voueras à l'anathème, elle et tout ce qu'elle contient
: même son bétail, tu le passeras au fil de l'épée. Toutes ses dépouilles, tu les rassembleras au
milieu de sa place et tu brûleras par le feu la ville avec toutes ses dépouilles, le tout pour
Yahvé, ton dieu ; elle sera une ruine pour toujours, elle ne sera jamais rebâtie » (Deut. 13,
13-17).
Notons que cet antisémitisme des Juifs s’est particulièrement développé avec la création
de l’État d’Israël et les moyens modernes de communication. Les expressions-accusations
lancées à des Juifs souvent courageux : "Juifs antisémites", "Juifs dissidents", "Juifs honteux",
"Juifs coupables", "Juifs de négation", "Juifs pornographiques", "Juifs perdus", "Juifs
traîtres", "Juifs renégats"… résument assez bien la charge pesant sur les victimes et les
violences auxquelles elles donnent lieu. Ainsi qu'en témoigne l'histoire quotidienne, nombre
de Juifs328 réprouvent, détestent ou haïssent foncièrement nombre de personnes de leur race
s’opposant à l’entreprise sioniste. Traitée de « sale Juive » et accusée d’ « incitation à la
haine raciale », Michèle Manceaux329 ne nous dit-elle pas que « les menaces téléphoniques,
les injures par courrier ne proviennent pas d’antisémites venimeux mais d’excellents Juifs qui
328
. Citons notamment l’article de S. Plaut La Pathologie de l’antisémitisme dans lequel l’auteur dénonce « une
épidémie qui se répand comme la peste » chez les Juifs d’Europe, des États-Unis, d’Israël (http://lessakele.overblog.fr/article-la-pathologie-de-l-antisemitisme-juif-s-plaut-45183081.html )
329
. Histoire d’un adjectif, p. 18.
106
se désignent comme tels » ? Et l’on sait qu’il peut s’agir d’une haine à mort : c’est Yigal le
Juif qui tue Rabin le Juif.
Parmi les nombreux Juifs qualifiés par leurs congénères ou se qualifiant eux-mêmes
d’antisémites330, c’est peut être Simone Weil qui a le mieux perçu le caractère pathogène et
malsain de l’identité raciale que le judaïsme impose d’autorité aux Juifs dès la naissance.
Gustave Thibon, dans la préface qu’il a écrite pour l’ouvrage de la philosophe La pesanteur et
la grâce, rapporte que Simone Weil évoquait comme une évidence les « racines juives de
l’antisémitisme » : « Combien de fois m’en a-t-elle parlé ! » écrit-il. Il précise même qu’ « elle
aimait à répéter qu’Hitler chassait sur le même terrain que les Juifs ». Désignée comme juive
par le gouvernement de Vichy qui, dès octobre 1940, publie un Statut des Juifs et établit une
législation raciale sur le modèle des nazis, Simone Weil est exclue de l’enseignement public.
Élevée dans un milieu complètement assimilé, totalement étrangère au monde juif – elle
n’apprit qu’en classe de première qu’il existait des Juifs et des Gentils – sa profession de foi à
l’adresse des autorités ne laissait place à aucune ambiguïté, tant sur ce qu’elle était que sur ce
qu’elle voulait être : une personne libre et non la simple héritière de quelque sang. Quand elle
se dit « antisémite »331 il paraît évident que ce mot n’a pas pour elle son sens le plus habituel
d’hostilité envers des personnes, les Juifs. C’est contre les éléments pervers du système de
pensée judaïque, qui fait de la race juive une « idole » et du peuple élu « une idolâtrie sociale,
la pire idolâtrie »332, qu’elle se révolte de tout son être, système qui catégorise et identifie une
personne sur sa généalogie et non sur ce qu’elle est. Et il est probable que ce même état
d’esprit se retrouve chez nombre de Juifs qui quittent le judaïsme.
Dans cette acception très particulière du mot, acception qui n’a guère été retenue par les
auteurs, il est probable également que, à l’exemple de Jacques Maritain dont j’ai rapporté
précédemment les propos suivant lesquels « être antisémite se justifiait à certains points de
vue », ou bien de Georges Bernanos pour qui « l’antisémitisme, dégagé des hyperboles
ridicules, apparaîtra ce qu'il est réellement : non pas une vue de l'esprit, mais une grande
pensée politique »333, nombre de chrétiens, voire de non-chrétiens, aient utilisé ce mot dans la
même acception que Simone Weil : une critique sévère d’un mode de pensée conditionnant
fortement les hommes au racisme et non une hostilité quelconque envers des personnes.
330
. Alain Finkielkraut dans son ouvrage Le Juif imaginaire (p. 82) considère que les Juifs assimilés, notamment
en Allemagne et en France, se précipitèrent dans l’antisémitisme. Pour Robert Misrahi dans La condition
réflexive de l’homme juif (p. 73-78) le juif antisémite qui a "la haine de soi" est porteur d’une double honte celle
"qu’éprouve un homme d’être juif d’abord, d’être antisémite ensuite" !
331
. S. Pétrement, La Vie de Simone Weil, t. II, p. 291.
332
. Dans sa Lettre à un religieux, Gallimard, 1951, p. 15.
333
. La grande peur des biens-pensants, p. 133.
107
CONCLUSION DES ANTISÉMITISMES :
les Juifs victimes premières de la culture juive,
victimes secondes des hommes334.
Si le christianisme et l’islam par exemple ont développé, chacun à l’encontre de l’autre,
des violences notables, voire des actes de guerres caractérisés lors des Croisades ou de
l’avancée de l’islam en Occident, ces antagonismes pour cruels qu’ils furent n’étaient pas des
guerres de races mais des guerres de religions typiques, des combats de la Vérité contre
l’Erreur. Car les chrétiens et les musulmans ne sont que des croyants... Lorsqu’un mode de
pensée différencie les hommes à partir de données à la fois d’ordre biologique et sacré, la
problématique est toute différente. Prônant, dans la hantise du mélange, le culte de la
séparation, de la différence et de l’altérité, le judaïsme constitue manifestement, dans la
sphère occidentale et peut-être dans le monde, l’exemple quasiment unique d’une culture à
composante raciale au maximum de la différenciation. C’est dire que le phénomène raciste en
résultant ne peut pas ne pas revêtir une prégnance exceptionnelle. Il n’est pas seulement
« aussi ancien » que le judaïsme comme le constatent divers auteurs335 : par sa cause
invariante il lui est consubstantiel.
Puisque les non-Juifs de tant de sociétés (païenne, chrétienne, musulmane, laïque,
libérale…) et si tant de Juifs, comme nous l’avons vu au chapitre précédent, partagent la
conviction que le groupe des Juifs représente avant tout une lignée d’ordre généalogique, ou
en d’autres termes que la judéité comporte en premier lieu une composante raciale, comment
ne pas voir en définitive que ni les uns ni les autres n’ont inventé cette donnée qui les
conditionne au racisme et qu’ils sont d’abord des héritiers du judaïsme ?
À propos du rôle majeur de cet élément essentiel dans les antisémitismes, on peut aussi
remarquer que l’antijudaïsme chrétien (c’est-à-dire l’opposition purement doctrinale qui, en
conduisant banalement à l’antisémitisme, a été responsable de tant d’exactions et de crimes
pendant près deux millénaires) a régressé de façon spectaculaire depuis le cataclysme nazi
dans les grandes religions chrétiennes (catholicisme romain, églises de la Réforme et
orthodoxie) où les sujets doctrinaux, marginalisés dans les esprits, ne sont plus guère abordés.
On peut même ajouter que l’opposition religieuse au judaïsme, qui s’est réfugiée de façon
quasi exclusive dans les minorités traditionalistes et intégristes – l’heure présente est plutôt à
l’œcuménisme et à la tolérance – semble désormais tout à fait insignifiante et que l’hostilité
des chrétiens et des Occidentaux en général envers les Juifs est essentiellement d’ordre racial
à l’époque moderne, représentant en somme de l’antisémitisme presque pur.
Quant à l’antijudaïsme dans l’islam qui était resté d’un niveau fort réduit jusqu’au milieu
du XXe siècle – l’islam n’est guère porté à la spéculation et au discours proprement
théologiques – il s’est largement réactivé à l’occasion des conflits pérennes du Moyen-Orient
qui continuent à humilier de façon continue et au plus profond le monde musulman. Et cet
antijudaïsme engendre à son tour un antisémitisme réactionnel caractérisé qui ne saurait
s’éteindre à vue humaine.
334
. Si la culture juive ne contaminait pas Juifs et non-Juifs par son virus de la race il n’y aurait pas de racisme
juif et antijuif, mais cette donnée ne doit évidemment pas faire méconnaître ou minimiser la cause seconde de
tout acte antisémite : la responsabilité des hommes.
335
. tel par exemple Th. Reinach, dans l’article Juif de la Grande Encyclopédie ou bien le Dr Weizmann, premier
président d’Israël, qui écrit « Nous emportons l’antisémitisme dans nos besaces partout où nous allons »
(citation rapportée par Albert Memmi dans La libération du Juif, p. 232).
108
3ème Partie
LES INSTITUTIONS RACISANTES SPÉCIFIQUES DU JUDAÏSME :
FACTEURS MAJEURS D’ANTISÉMITISME RÉACTIONNEL
109
« On ne peut pas faire l’économie d’une réflexion
sur le racisme dans la pensée et la tradition juive »336
Henri Korn
INTRODUCTION à cette troisième partie
Comme nous l’avons explicité précédemment, toute racialisation d’une population, comme
celle que le judaïsme entraîne pour ses membres, engendre automatiquement deux sociétés
antagonistes tandis que, dans un processus en cercle vicieux, le racisme appelle le contreracisme. C’est dire que parler de l’antisémitisme sans évoquer le racisme dans le monde juif
relève d’une méconnaissance caractérisée chez nombre d’auteurs. Ainsi que l’écrit Maxime
Rodinson « supposer que les Juifs puissent être inaccessibles aux tendances qu’on s’accorde
aujourd’hui à condamner sous le mot de "racisme", c’est leur accorder une supériorité
essentielle, donc encore une vision de type raciste »337. Ce ne sont guère en effet que les
exactions perpétrées depuis quelque 60 ans par l’État d’Israël qui ont permis à certains d’entre
eux, particulièrement libres, de parler du racisme chez les Juifs, voire de poursuivre une
démarche critique en mettant directement en cause le type d’identité que le judaïsme confère
aux siens. Il est patent que la plus grande partie du monde juif, encore largement tributaire de
ses mythes religieux fondateurs, est restée aveugle sur ce racisme et que le monde non-juif
quant à lui, notamment le monde chrétien, se souvenant sans doute de ses responsabilités
passées et bridé par la peur d’être accusé d’antisémitisme, est resté étrangement muet338.
Le chapitre qui va suivre sera donc consacré aux structures racisantes du judaïsme. Non
pas pour relativiser la gravité du racisme anti-Juifs, non pas pour juger des personnes et
établir des responsabilités dans quelque optique comparative suivant la pratique habituelle des
défenseurs ou des contempteurs des Juifs, mais pour mettre en évidence les éléments
pathogènes spécifiques du judaïsme-culture qui, en enfermant ses membres dans une essence
de Juifs, les conditionnent, plus que les adeptes de tout autre système de pensée philosophique
ou religieuse, au racisme envers les non-Juifs et les exposent parallèlement au racisme de ces
derniers.
À cette méconnaissance des auteurs quant au rôle néfaste de certaines données du
judaïsme, deux raisons apparaissent primordiales. La première tient en ce que le discours
ambiant, en rapportant principalement les souffrances des Juifs, donne à penser que le racisme
n’existe pas chez eux. En effet, à la thèse perverse d’une culpabilité habituelle des Juifs dans
les malheurs des sociétés occidentales a souvent succédé celle, non moins perverse, de leur
innocence totale. S’il est logique que l’histoire contemporaine soit profondément marquée par
le génocide des Juifs européens par les nazis, génocide inédit à bien des titres, il reste que
nombre d’auteurs se sont laissé subjuguer par le discours dominant, dans lequel la mémoire
récente prévaut volontiers sur l’histoire et la recherche. Comme si le racisme n’épargnait dans
le monde que la seule société juive et que l’histoire se résumait à Auschwitz.
La seconde raison permettant d’expliquer la méconnaissance du phénomène réside dans le
fait que les auteurs des multiples travaux consacrés au racisme en général ne retiennent
souvent comme critères du processus que les manifestations violentes et spectaculaires
d’ordre physique, les coups, les assassinats, les affrontements…, en négligeant les multiples
336
. Histoire d’un adjectif, p. 199.
. Peuple juif ou problème juif, p. 281.
338
. Signalons ici que, dans la Presse catholique, seul "Témoignage chrétien" approuva sans réserve la condamnation par les Nations Unies en 1975 du sionisme « comme une forme de racisme et de discrimination raciale »
et dénonça cette idéologie « comme un nationalisme chauvin, belliqueux et méprisant pour l’étranger » (donnée
rapportée par l’historien D. Pelletier et le sociologue J. L Schlegel dans La Gauche du Christ, p. 566).
337
110
violences d’un autre ordre, violences psychologiques, juridiques, morales, diplomatiques,
économiques, verbales… , violences silencieuses, discrètes, voire subreptices et occultes mais
qui n’en sont pas moins des violences non seulement effectives mais généralement bien plus
efficaces que les premières quant au but poursuivi. Or, si le judaïsme sioniste dans l’État
d’Israël, avec sa ségrégation institutionnelle et son entreprise coloniale d’un type inédit et
sophistiqué, a généré depuis le milieu du XXe siècle une explosion de violences de tous ordres
rapportées quotidiennement par les observateurs libres, on peut considérer que le racisme des
Juifs – en exceptant toutefois le massacre des Cananéens par Josué, le massacre des Perses
rapporté dans le Livre d’Esther (9, 5 et 16) et celui des chrétiens à Mamilla au VIIe siècle339 –
n’a guère comporté pendant les dix-huit siècles précédents que des violences autres que
physiques, les populations juives étant partout en position de faiblesse.
Les deux institutions racisantes spécifiques du judaïsme
L’altérité structurelle établie entre les Juifs et les non-Juifs à la base même du judaïsme va
entraîner un certain nombre de situations propres à la judaïcité. En fonction de
l’environnement humain des communautés juives, cette mystique de Séparation va générer en
effet deux types d’institutions à la fois consubstantielles au judaïsme et absolument vitales
pour lui. Ce sont :
• d’une part le Ghetto culturel. D’une manière générale, le ghetto juif est dicté par la
situation minoritaire des Juifs dans leur environnement humain. Il se présente sous deux
formes. Dans sa forme territoriale, spontanée ou imposée, il est contingent ; dans sa forme
culturelle par contre, forme qui seule nous intéresse ici, il est permanent.
• d’autre part l’Apartheid juif israélien. C’est l’Institution fondamentale de l’État d’Israël
créé par l’ONU en 1947 en Palestine où, pour la première fois dans l’histoire, des Juifs, ayant
acquis un pouvoir politique par la force du Livre et de l’Épée, du Verbe et des Armes, sont en
situation de dominance absolue. D’ordre à la fois territorial et culturel, elle réalise une sorte
de réplique inverse du ghetto.
L’expression racisante des deux institutions est fort différente. Subtile, discrète et maniant
habilement les violences d’ordre psychologique est celle des ghettos juifs existant à travers le
monde. Spectaculaire, multiforme et utilisant toutes les formes de violence est celle de
l’Apartheid israélien.
339
. Les chrétiens furent les grandes victimes de la conquête de la Palestine par les Perses dont les Juifs étaient
des alliés de circonstance. À propos du principal combat, près de Mamilla en 614, Maxime Rodinson (dans son
ouvrage Mahomet, p. 52 et s.) précise que les généraux juifs de cette armée participèrent activement avec les
Perses au massacre de toute la population chrétienne, massacre « qui fit une impression d’horreur sur les
contemporains ». Sur ce même épisode, l’archéologue israélien Romy Reich écrit de son côté que la rumeur de
l’époque fait état de plusieurs dizaines de milliers de morts parmi les prisonniers chrétiens.
111
CHAPITRE VI – LE GHETTO CULTUREL VOLONTAIRE
INHÉRENT À LA SOCIÉTÉ JUIVE
LE FONDEMENT DU GHETTO : LA SÉPARATION/SÉGRÉGATION JUIFS/NON-JUIFS
Comme chacun sait, le terme de ghetto dans son sens initial s’applique essentiellement à
un lieu, généralement à un quartier d’une ville, où résident essentiellement des Juifs.
Avec la différenciation entre Juifs et chrétiens amorcée dès le premier siècle de l’ère
chrétienne puis rapidement progressive, ce phénomène de société fut d’abord le résultat d’un
libre choix. Comme l’écrit Paul Colange340, « originellement ce sont les Juifs eux-mêmes qui
se sont regroupés dans le même quartier d'une ville pour des raisons culturelles et pour se
protéger, notamment à l'époque des Croisades ». Mais le ghetto ce fut aussi bien entendu
pour eux, jugés souvent indésirables, la résultante de contraintes imposées par la majorité
chrétienne. Le premier ghetto que rapporte l’histoire est ainsi celui de Venise où furent
regroupés à la fin du XVe siècle à l’écart de la ville (dans une fonderie, geto en italien), les
nombreux Juifs expulsés d’Espagne par les rois catholiques. En 1555 le pape, par sa bulle
Cum nimis absurdum, préconise cette institution dans un souci de préservation des sociétés
chrétiennes et, par la suite, ce même phénomène autoritaire imposé aux Juifs devait se
poursuivre longtemps dans divers pays, pays européens notamment.
C’est dire que cette dernière représentation du ghetto où des populations en situation de
faiblesse numérique, méprisées et volontiers traitées en parias sont contraintes de se regrouper
en un lieu est fort partielle en ce qui concerne les populations juives. D’une part, le ghetto
juif, conformément à la tradition, est spontané, volontaire et permanent quel que soit
l’environnement, d’autre part, il est essentiellement d’ordre culturel et accessoirement
territorial. Car, comme nous l’avons déjà explicité précédemment, s’ajoute ici une
exceptionnelle et impérative propension du groupe à être séparé des autres de par sa Loi
fondamentale, à vivre par lui-même et pour lui-même, à marquer son territoire matériel ou
spirituel et à parfaire son auto-ségrégation dans un huis clos aussi hermétique que
possible aux non-Juifs : « Partout où les autorités ne l’enfermaient pas dans les murs des
ghettos, écrit Max Nordau, il (le Juif) s’en créait un lui-même […] c’était le domicile sûr qui
avait pour lui la signification spirituelle et morale d’une patrie »341.
Le sociologue Max Weber (1864-1920) a bien vu cette donnée spécifique au judaïsme : il
qualifie le peuple juif de « "peuple-hôte" vivant dans un environnement étranger dont il est
séparé rituellement, formellement ou effectivement » et évoque « son ghetto volontaire qui a
précédé de loin la réclusion qui lui a été imposée »342. Comme l’écrit Albert Memmi,
« Être juif, c’est être séparé des autres »343.
C’est dire que le ghetto juif avant d’être une prison subie est d’abord un bastion édifié
volontairement et permettant, avec un mode de vie solidaire et démocratique aussi parfait que
possible entre Juifs, à la fois de se protéger du monde extérieur, de se ressourcer dans la
tranquillité, de préparer les actions à entreprendre au bénéfice du groupe et d’en sortir pour
s’adonner à une activité indispensable à la survie et conquérir le maximum de pouvoirs dans
le monde des goyim.
Le ghetto culturel juif de l’époque moderne représente ainsi un vaste réseau
d’organisations communautaires concernant la plupart des activités humaines : organisations
culturelles, philanthropiques, professionnelles, commerciales, cultuelles, financières,
sportives… créées par des Juifs au service exclusif des Juifs. En témoin d’une
340
. De l’antijudaïsme antique à l’antisémitisme contemporain, p. 148.
. Citation au Premier Congrès sioniste du 29 août 1897 rapportée par Sylvie Courtine-Denamy, Le souci du
monde, p. 52.
342
. Sociologie des religions p. 482-484.
343
. Portrait d’un Juif, p. 62.
341
112
solidarité exceptionnelle, solidarité comme seuls peuvent en engendrer liens du sang et
mystique religieuse, ce phénomène de solidarité lignagère, cette autonomie de la culture et de
la vie juives, semblent bien être sans rival à travers le monde344.
Notons que la ghettoïsation spontanée n’est pas un phénomène stable pour les individus : il
se modifie sans cesse ou s’interrompt dans des circonstances diverses. Ce peut être, cas
particulièrement fréquent, une expérience de nomadisme avec reconstitution en un autre lieu
d’un nouveau ghetto apparaissant plus favorable, une implosion sous l’effet de rivalités
internes entre Juifs, une dispersion par quelque force extérieure dominante puisque tous les
lieux secrets ou/et inaccessibles à l’autre population ont comme destin commun d’exciter la
curiosité, la suspicion, voire le viol. Parfois, fait assez banal en Europe avec le mouvement
juif des Lumières (la Haskalah) au cours du XIXe siècle et au début du XXe, le ghetto se
fissure, le mur entre la communauté juive et le reste du monde s’effrite, les échanges culturels
s’accroissent entre les deux parties pour aboutir à l’assimilation complète d’un certain nombre
de Juifs dans la population non-juive. C’est ainsi que nombre d’intellectuels Juifs, surtout
allemands, s’ouvrirent alors à l’universalisme, soit en se convertissant au catholicisme ou au
protestantisme, soit en étant largement présents dans les mouvements socialistes et
communistes. En définitive, c’est le mouvement sioniste, au début du XXe siècle, qui allait
interrompre brutalement cette évolution avec une nouvelle entreprise de ghettoïsation à la fois
spirituelle et territoriale. Et ce fut, non plus à l’échelle traditionnelle du quartier d’une ville
mais de toute une région, l’institution de l’État juif, ce véritable pays des barrières345 en même
temps que « le plus grand exil intérieur de la judéité »346.
Fonction du contexte et notamment de l’hostilité rencontrée, phases de re-judaïsation et de
dé-judaïsation, de ghettoïsation et d’assimilation, d’assimilation et de dissimilation (suivant
le mot de Franz Rosenzweig), phases d’espoir et de malaise, vont ainsi se succéder sans
cesse dans une insatisfaction constante, voire un fiasco renouvelé. Car, comme le constate
Shmuel Trigano : « il n’y a de salut ni à l’intérieur, ni à l’extérieur de ce pauvre domaine. À
l’intérieur c’est la décrépitude et la moisissure, comme partout où ne pénètre ni l’air ni le
soleil ; à l’extérieur la menace ne varie pas d’un degré et peut à tout moment faire écrouler
les vieilles pierres de cette forteresse illusoire »347.
Depuis le milieu du XXe siècle, et plus précisément depuis le drame du nazisme et la
création de l’État juif, cette période de quelque soixante ans se caractérise principalement par
une phase très active de ghettoïsation, de communautarisme avec un retour marqué de la
religiosité comme le montrent les divers pays où vivent des Juifs : « Je rencontre, écrit Esther
Benbassa348, de plus en plus de Juifs qui me semblent vivre dans une sorte d'aquarium. Ils
écoutent les radios juives, ils lisent la presse juive, ils vivent avec des Juifs, ils vont voir des
films juifs. L'auto-enfermement de certains orthodoxes, on le comprend. Le mode de vie, les
344
. Ce qui n’empêche pas bien entendu, dans certaines circonstances, que le lien du sang soit minimisé face à des
liens et intérêts jugés supérieurs pour le groupe. Il est clair, par exemple, que Juifs français et allemands ont
défendu en 1914-1918 leur propre État national – ils « priaient avec leurs frères de sang mais allaient combattre
avec les frères de leur pays » écrit Shlomo Sand (Op. cit. p. 103) – et que ces mêmes Juifs de l’Europe de
l’Ouest n’ont guère manifesté de solidarité particulière à l’égard des Juifs de l’Europe de l’Est (les Ostjuden) ou
des "Orientaux".
345
. « Une barrière de protection sur la frontière, une barrière autour de nos colonies pour assurer leur sécurité,
une autre pour boucler les localités palestiniennes, une autre sur le Jourdain : ce pays n’est plus que barrières
emprisonnant deux peuples terrorisés » (Avraham Burg, ancien président de la Knesset, Le Monde du
18/08/2005). Quant à la Ville sainte « elle se découvre à un regard froid comme une foire industrielle de la
clôture. Le visiteur y trouvera ce qui se fait de mieux en fait de palissade, muret, fossé, herse, porte métallique,
vitre blindée, cage, tranchée, barrière, chicanes de ciment, casemate, portique (avec ou sans dispositifs
électroniques, type senseur, caméra, micro, au choix » (Régis Debray, Un candide en Terre sainte, p. 399).
346
. Shmuel Trigano, La Nouvelle question juive, Gallimard 1979, p. 120.
347
. Ibid, p. 116.
348
. Les Juifs ont-ils un avenir ?, p. 222.
113
règles diététiques imposent une certaine mise à distance. Là n'est pas le plus inquiétant, ni le
plus étonnant. Je parle des autres ». Un médecin d’une cité française explique de même que
« de la crèche jusqu’à la maison de retraite, du matin au soir, un Juif peut désormais vivre
pratiquement en circuit fermé »349. Quant à Albert Memmi il écrit : « Le Juif qui s’accepte au
milieu des autres (des non-Juifs), adopte toujours plus ou moins une psychologie d’assiégé ;
avec cette attention toujours en éveil, cette rumination constante, cette armure intérieure et
cette riposte toujours prête […] il tend à reconstruire un petit univers complet, mental et
matériel, à l’intérieur de l’univers des autres. Il reçoit des journaux juifs de toutes les
judaïcités, se constitue une bibliothèque essentiellement juive, accroche aux murs des œuvres
juives, ne fréquente pratiquement que des Juifs, introduit des mots d’hébreu dans sa
conversation, se laisse souvent pousser la barbe, garde la kippa sur la tête, décide en bref de
vivre dorénavant une vie exclusivement juive »350.
Nicolas Weil, lui, parle de la « rue juive » comme d’« une sorte de nébuleuse religieuse,
proche de la droite israélienne (sympathisants du Likoud France), formée d'habitués des
magasins et des restaurants cashers, d'auditeurs de Radio J, de lecteurs de nouveaux
journaux populaires, comme l'hebdomadaire Actu J, de pratiquants de kravmaga, l'art
martial de l'armée israélienne »351. Quant à Jean Daniel il évoque « toutes les manifestations
communautaires des Juifs regroupés en tribus » dans lesquelles « il a peine à ne pas déceler
des aspects communautaristes qui l’agressent »352.
D’une manière générale on peut dire qu’un Juif conscient du statut particulier que lui
imprime sa naissance est en deçà d’une frontière qu’il n’est jamais facile de franchir. Même
s'il récuse la foi et la culture juives, le Juif ordinaire n’en est pas moins marqué profondément
dans son esprit comme dans sa chair et engagé à vivre en marge de la société non-juive. Quant
aux Haredim, ces Juifs hyperorthodoxes qui foncent à travers la foule des goyim sans jamais
en toucher, en effleurer, voire en regarder un de peur de se souiller et de violer une des 613
mitzvot, il est clair pour eux que les non-Juifs, conformément à toute une tradition du
judaïsme, sont d’une autre nature qu’eux, à moins qu’ils ne soient que des non-êtres. « Toute
judaïcité, même opulente, même riche et sûre d’elle-même est la conscience d’un ghetto »
écrit Albert Memmi353. Seuls les sujets maniant humour et grande indépendance d'esprit sont
vraiment capables de dominer cette conception raciale qui leur a été inculquée dès la prime
jeunesse et que l’on continue d’autorité à leur imposer, parfois contre leur volonté expresse.
Bien des individus, telle la philosophe Simone Weil (1909-1943) qui, en esprit libre,
« refusait l’hérédité de race »354 et de ce point de vue « ne voulait rien avoir de commun avec
eux (les Juifs) »355, se révolteront sous cette chape de plomb qui leur est insupportable : « être
catégorisée sur une donnée raciale, le sang hérité, et non sur ses libres choix ». Disposition
impérieuse mais aussi hautement contaminante pour les esprits : comme tant d’hommes et de
femmes ayant récusé formellement le judaïsme de leurs ancêtres, n’est-elle pas encore de nos
jours considérée comme juive par tous ses biographes tel M.-M. Davy qui considère que « le
caractère de Simone Weil est essentiellement juif » et que « les caractères d’une race se
reconnaissent en elle »356. On connaît pourtant sa pensée et de son action : « J’ignore, écritelle en 1940 dans une profession de foi à l’adresse du gouvernement de Vichy qui l’excluait
de l’enseignement public, la définition du mot juif ; ce point n’a jamais été au programme de
349
. Le Monde du 15/04/2004.
. La libération du Juif, p. 111.
351
. Propos de J. Macé-Scaron dans La tentation communautaire, p. 73.
352
. La prison juive, p. 47.
353
. La libération du Juif, p.111.
354
. Gilles Zenou, Regards sur la condition juive, p. 163.
355
. Sylvie Courtine-Denamy, Trois femmes dans de sombres temps, p. 57.
356
. Simone Weil, p. 26.
350
114
mes études… Ce mot désigne-t-il une religion ? Je ne suis jamais entrée dans une synagogue
et n’ai jamais vu une cérémonie religieuse juive… La tradition chrétienne, française,
hellénique est la mienne ; la tradition hébraïque m’est étrangère. Ce mot désigne-t-il une
race ? Je n’ai alors aucune raison de supposer que j’ai un lien quelconque avec le peuple qui
habitait la Palestine il y a deux mille ans »357.
Rejetant à la fois l’assimilation des Juifs parmi les non-Juifs, assimilation qui est vue
comme un déshonneur, une trahison, voire comme une forme d’antisémitisme358 et
l’assimilation des non-Juifs dans les communautés de Juifs au nom de l’Alliance et de la Loi
lévitique de pureté du sang, le judaïsme-culture conditionne manifestement les siens, à aller
de ghetto en ghetto. Et dans le discours banal qu’il inspire : « ne pas trahir sa race », « être
les membres d’une race particulière n’ayant rien de commun avec les autres habitants du
pays »359, « se voir étrangers parmi les non-Juifs et voir ceux-ci comme des étrangers »,
comme dans les interrogations récurrentes qu’il comporte : « Comment suis-je juif ? », « Qui
est juif ou qui ne l’est pas ? », « Est-il juif ou non ? »360, « Combien sommes-nous de Juifs »,
« Quelle est la proportion des différentes catégories de Juifs ? », on voit que ces contraintes
d’ordre culturel sont spécifiques du judaïsme et, plus précisément de sa mystique de
Séparation, d’Apartheid entre Juifs et non-Juifs où le Sang est la valeur suprême. En fin de
compte peut-on être surpris du malaise permanent, de l’inquiétude, de l’effroi des
responsables communautaires face aux mariages mixtes, du profond désarroi361, voire de
l’angoisse existentielle des Juifs antisionistes face à l’existence même de l’État juif avec ses
exactions caractérisées362 et son environnement unanimement hostile ? Jean Daniel363 quant à
lui ne parle-t-il pas du « destin carcéral » des Juifs ?
Cependant, à côté de ses pesanteurs extrêmes où le rejet de l’exogamie faisant des Juifs un
corps étranger dans toute société n’est pas la moindre, le phénomène du ghetto ne va pas sans
permettre à nombre d’entre eux, s’investissant avec ardeur et détermination dans de multiples
domaines, d’atteindre des niveaux d’excellence. Le monde non-juif alentour en sera assez
souvent bénéficiaire mais parallèlement il en sera aussi victime car s’y élaborent volontiers
d’habiles violences qui relèvent à la fois de la mystique ancestrale, de la solidarité
exceptionnelle d’ordre racial des communautés juives et d’un souci de protection qui ne
s’apaise au mieux que par la domination364. Ici, la réflexion prévaut sur la force physique, la
matière grise sur le muscle, la parole sur le coup de poing. Bernanos a bien vu les
caractéristiques de ce racisme spécifique chez les Juifs lorsqu’il le qualifie de religieux,
d’intellectuel, de subtil.365
357
. S. Pétrement, La vie de Simone Weil, t. II, p. 289.
. Alain Finkielkraut peut écrire dans Le Juif imaginaire : « Aujourd’hui […] les Juifs, dans leur majorité,
abandonnent la stratégie de l’effacement, car elle leur paraît à la fois illusoire et condamnable : ils réprouvent
l’assimilation et savent discerner en elle, sous son aspect secourable et ses allures de dame patronnesse, le
visage moderne de l’antisémitisme » (p. 76) ; « l’assimilation fut cet engrenage fatal qui les précipita dans
l’antisémitisme » (p. 82) ; « tout cet antisémitisme juif pour rien : pour le génocide » (p. 86).
359
. Citation de Max Nordau au 1er Congrès sioniste mondial de 1897 rapportée par Sylvie Courtine-Denamy, Le
souci du monde, p. 52.
360
. Dès le XVIIIe siècle le philosophe allemand Jean-Gottlieb von Herder (1744-1803) pouvait écrire : « Viendra
un jour où il sera barbare de se demander qui est juif et qui ne l’est pas ». Remarquons que ce type de question,
se pose quotidiennement dans l’État d’Israël (le problème a été illustré particulièrement sur les ondes à
l’occasion du transport et de l’accueil des Falashas d’Éthiopie en 1991).
361
. désarroi qu’exprime par exemple M.A. Matard-Bonucci dans l’ouvrage collectif ANTISÉmythes, p. 29.
362
. tel Albert Memmi qui écrit : « Je me dis quelquefois avec rage que cet entêtement obsessionnel de rêveurs
éveillés (les promoteurs du sionisme) aura fait d’eux des malfaiteurs de notre histoire. Comme s’ils avaient le
besoin morbide de prolonger le malheur » (La libération du Juif, p. 253).
363
. La prison juive, p. 11.
364
. Situation qui inspira en 1967 à Charles de Gaulle son fameux raccourci : « le peuple juif : peuple d’élite, sûr
de lui-même et dominateur ».
365
. dans Le Chemin de la Croix-des-Âmes, Gallimard, p. 421.
358
115
À propos des Juifs ayant, dans les États démocratiques modernes, intégré la culture des
Gentils, Edgar Morin remarque que : « la rencontre, la double ouverture entre juif et gentil, la
double conscience qui permet le regard critique ou sceptique sur ce monde occidental dont on
fait partie sans en faire vraiment partie […] s’est avérée historiquement féconde »366. Il
invente et applique à ces Juifs le qualificatif de "judéo-gentils et constate par ailleurs que « Le
double Je conduit souvent au double jeu, et le double jeu à un double Je ». Mais, une question
d’importance se pose : comment cette double allégeance, cette double appartenance et ce
« double jeu », pourraient-il ne pas comporter quelques conséquences infiniment
regrettables ?
La ghettoïsation du milieu scolaire est particulièrement remarquable
Le domaine scolaire est bien entendu particulièrement concerné. En 2000, le Fonds social
juif unifié (FSJU) comptait en France 250 établissements scolaires (jardins d’enfants, écoles
primaires, collèges, lycées, un IUT)367. Ces établissements pour enfants et jeunes gens où
l’enseignement repose sur les quatre piliers que sont : « apprendre à être juif, connaître
l’hébreu, aimer Israël, s’ouvrir à la vie sociale », réalisent en effet un pôle communautaire
inédit. Indépendamment du motif de sécurité qui, dans certains quartiers de grandes villes,
guide parfois le choix des parents, les effectifs de ces établissements sont soumis à une
exceptionnelle croissance (63 % entre 1990 et 2005) : en 2001, ils regroupaient plus de 25 000
élèves, en 2002, 26 % des enfants et adolescents juifs étaient scolarisés dans une école juive et
en 2007368, l’école juive comptait 30 000 élèves soit environ 29 % des élèves juifs de France.
Par ailleurs, 50% des établissements étaient rattachés à l’orthodoxie.
À noter que 85 % de ces établissements, étant sous contrat d’association avec l’État,
reçoivent théoriquement des enfants non-Juifs, mais en fait, au mépris de l'esprit de la loi, ils
n'en admettent qu'une proportion infinitésimale après les avoir triés sur le volet. En effet,
« presque partout les secrétariats réclament pour l’inscription des élèves la ketouba, c’est-àdire le document certifiant le mariage religieux des parents prouvant leur confession comme
celle de leurs enfants ». À l’institut Andre-et-Rina Neher qui forme des professeurs
d’établissements juifs, cette entorse à la loi se justifie de la manière suivante par un
responsable : « Ça ne rime à rien d’accueillir des élèves athées ou catholiques pour leur
imposer les commandements de la Torah. C’est aussi un moyen de prévenir chez nos enfants
les mariages mixtes… Pour le judaïsme c’est une question de survie ».
Face à ces pratiques illégales le manque de courage des responsables politiques est assez
habituel. Au ministère, un inspecteur général sous couvert d'anonymat explique ainsi que :
« L’éducation nationale montre de fortes réticences à se pencher sur les écoles juives : c'est
politiquement délicat. Le recrutement de leurs élèves sur critères religieux représente une
discrimination interdite par le contrat d’association, un sacré marqueur de communautarisme,
mais qui voudrait lever un lièvre pareil ? »
Dans le même rapport certaines remarques sont particulièrement significatives de l’esprit
régnant dans ces établissements : « Quand on demande aux élèves de dessiner leur drapeau,
dit par exemple une directrice parisienne, ils gribouillent spontanément le drapeau
israélien ».
Conditionnés dès la petite enfance à être Juifs par les rituels multiples du judaïsme
(circoncision, Bar ou Bat Mitsvah, confirmation, mariage…) et à vivre en exil et sur la
défensive dans le pays de leur naissance où tout ce qui n’est pas juif est dangereux et impur,
366
. Le Monde moderne et la question juive, Seuil 2006, p. 187. À noter qu’avec cette expression de judéo-gentil
Edgar Morin eut à supporter les foudres de sa communauté : il fut poursuivi devant les tribunaux pour ses
critiques d’Israël et condamné, avant d’être relaxé par la Cour de Cassation.
367
. Élie Maréchal, Le Figaro du 18/11/2000.
368
. Le Monde de l’Éducation, janvier 2008.
116
tiraillés par leur double appartenance, française et juive ou bien française et israélienne369,
marqués dans leur chair si ce sont des garçons, portés à rêver d’un ailleurs, ces enfants
ghettoïsés mentalement et préparés malgré tout à dominer, ne sont-ils pas d’abord les victimes
du judaïsme avant d’être éventuellement celles des goyim ?
LES VIOLENCES D’ORDRE PSYCHOLOGIQUE DE LA SOCIÉTÉ JUIVE GHETTOÏSÉE
Les difficultés d’appréhender ce type de violences silencieuses
S’il est relativement facile aux historiens de rapporter avec quelque objectivité des
violences d’ordre physique, violences d’emblée évidentes, bien localisées dans le temps et
l’espace et condamnables d’emblée par la morale commune, il est évident qu’il n’en est pas
de même pour les autres violences qui, elles, relèvent de la Parole, des motivations de leurs
acteurs avec leurs ressources intellectuelles et morales variées et qui, de plus, sont
multiformes. Par ailleurs, ces dernières violences se déterminent et se mettent souvent en
œuvre dans la discrétion, voire dans le secret qu’observent des unités fermées sur ellesmêmes, inaccessibles aux non-initiés, dont le judaïsme avec son communautarisme
particulièrement développé offre un exemple caractéristique. D’où les méprises, les soupçons,
les erreurs d’appréciation…
À ces difficultés il faut encore ajouter le fait que ces violences, en s’exerçant comme ici de
façon permanente, entraînent une lassitude des observateurs face à la tâche qui est la leur :
tâche de tous les jours, à reprendre sans cesse, jamais achevée. Le phénomène est
particulièrement patent à propos de l’interminable conflit palestinien où les observateurs se
succèdent de génération en génération tandis que s’éloigne la connaissance des sources de ce
conflit, connaissance pourtant indispensable à sa compréhension.
C’est donc toujours une entreprise difficile, aléatoire et parfois impossible que de juger de
façon parfaitement juste et équitable des violences de cet ordre exercées sur une population.
Tantôt ces violences sont surestimées en donnant lieu à des calomnies370, tantôt elles sont
sous-estimées, voire totalement méconnues du grand nombre.
Un exemple particulièrement caractéristique de cette difficulté est l’existence, dans tous les
pays où les Juifs sont présents, de leur représentation, supérieure à celle que voudrait leur
nombre, dans les professions élevées de l’échelle sociale. Tantôt cette sur-représentation est
jugée comme le fruit d’une solidarité oppressive : c’est peut-être oublier le fait que, plus que
la culture chrétienne ou musulmane, la culture judaïque porte les Juifs à étudier et donc à
dominer logiquement dans les domaines concernés ; tantôt cette sur-représentation des Juifs
n’est pas rapportée à sa cause : l’entente occulte, spontanée ou concertée de certains d’entre
eux au nom de la solidarité intra ou inter-communautaire, entente pouvant réaliser une
violence caractérisée.
C’est dire que les Juifs ont été tout au long de l’histoire en matière de violences autres que
physiques, à la fois les victimes de calomnies et de fantasmes et les auteurs, parfois en toute
bonne conscience, de violences morales graves à l’encontre des non-Juifs. Les deux
phénomènes existent, il convient de ne méconnaître ni l’un ni l’autre. Ni le premier
phénomène, comme si les hommes que l’on sait pourtant vulnérables aux idéologies de
rencontre n’étaient pas portés naturellement à être racistes, ni le second phénomène, comme si
les jugements critiques portés sur les Juifs ou sur le judaïsme tout au long des siècles par
nombre de personnalités éminentes : philosophes, historiens, théologiens des diverses
369
. Comme on le sait, tout Juif, quelle que soit sa nationalité, peut être Israélien s’il le désire.
. Remarquons que la Franc-maçonnerie, à propos des soupçons qu’elle suscite parfois, a quelque analogie avec
le judaïsme. Toutefois, différence notable : ses cercles spécifiques, tout au moins dans certaines obédiences,
cultivent certes la discrétion mais non le secret, ne sont qu’entrouverts mais non fermés au commun des mortels
contrairement au judaïsme qui engendre une société close. Et son idéal de tolérance et de fraternité, « l’étranger
est mon frère », se veut dépassement, loin de la dichotomie de l’humanité propre au judaïsme.
370
117
confessions chrétiennes, penseurs des temps modernes Juifs et non-Juifs, n’étaient que
grossières affabulations. Les calomnies furent nombreuses mais nombreuses aussi les
accusations dont le fondement pouvait être juste même si leur forme peut apparaître
aujourd’hui parfois discutable. On sait que le vocabulaire employé est très tributaire du temps
et que l’inflation des termes propre à une époque peut faire que des accusations non
dépourvues de fondement soient considérées à tort comme fausses, suspectes ou
insignifiantes.
Solidarité et violences d’ordre psychologique
Remarquons que dans les États de droit, et plus encore dans les sociétés intellectuellement
avancées et minoritaires, ce sont évidemment les violences autres que physiques qui vont être
d’emblée privilégiées par les communautés principalement désireuses, dans leur volonté de
puissance, de promouvoir leur influence dans quelque domaine de la vie en société.
Dans le judaïsme – comme dans toute tradition religieuse sûre d’elle-même – le facteur de
rassemblement et de solidarité est d’abord représenté par les mythes fondateurs spécifiques,
mais à ces données vient s’ajouter ici un élément d’une particulière prégnance et qui porte
particulièrement au communautarisme et à l’exaltation du peuple en tant qu’entité unique :
l’élément racial.
De multiples domaines sont évidemment concernés par ces violences destinées, comme les
violences physiques mais par d’autres moyens, à inférioriser, voire à détruire un adversaire.
Fruit de la rhétorique et de la dialectique à la recherche du « Verbe qui subjugue ou qui
"tue" », du projet à élaborer, de l’intrigue à nouer ou du scénario à mettre en œuvre, ces
violences vont s’exercer notamment dans les secteurs de l’information et de la propagande
avec la diffusion de fausses nouvelles, de la politique et de la diplomatie avec des alliances de
circonstance et l’utilisation de sophismes, de la finance et du commerce avec des ententes
condamnables, de l’espionnage (cette « institution centrale » d’Israël comme disait
Yeshayahou Leibowitz), de la corruption, de la guerre… etc.
Voyons donc, à partir de données rapportées par les historiens, quelques exemples
illustrant ce type de violences par solidarités communautaires suscitées par le judaïsme chez
certains des siens et accompagnées parfois d’un racisme anti-Juifs de riposte. Nous verrons
aussi, plus avant, celles qui sont relatives à la colonisation-accaparement de la Palestine dans
le cadre du sionisme.
Redisons qu’il ne s’agit pas ici de juger et à plus forte raison de condamner des personnes,
mais d’expliquer le rôle de la culture juive dont elles sont tributaires, culture qui les informe
et les conduit à des comportements répréhensibles suivant la morale commune.
Le premier exemple retenu se situe au moment de la guerre de 1870 entre la France et
l’Allemagne. Pour soutenir leur effort de guerre respectif, les deux gouvernements font alors
des emprunts auprès des banques. Fait particulier, l’emprunt de guerre français a un succès
considérable auprès des banquiers allemands, Juifs pour la plupart371, tandis que l’emprunt de
la Confédération d’Allemagne du Nord est boudé par la Bourse de Berlin, également aux
mains des Juifs372. Cet épisode, témoin de « la redoutable puissance financière » des Juifs
dont parle quelques années plus tard Theodor Herzl373, vit des Juifs agir contre les intérêts
manifestes de leur pays et donna assurément du grain à moudre aux penseurs antisémites
allemands de la fin du XIXe siècle.
Le second exemple de violences se situe à l’occasion de la guerre de 1914-1918
371
. Selon l’historien Gérald Messadié, dans Histoire Générale de l’antisémitisme, p. 353 : « En 1807 les juifs
possédaient 30 des 52 banques de Berlin et en 1862, 550 des 662 banques de Prusse ».
372
. L’antisémitisme à l’époque bismarckienne et l’attitude des catholiques allemands in De l’antijudaïsme
antique à l’antisémitisme contemporain, pp. 166 et 177.
373
. L’État juif in Sionismes. Textes fondamentaux, p. 51.
118
Ces violences, qui ont quelque analogie avec celles rapportées lors de la guerre de 1870,
sont dirigées contre les intérêts de l’Allemagne par des Juifs allemands ou d’origine
allemande.
En 1916, l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie sont sur le point de gagner la guerre tant leurs
forces sont supérieures à celles de la France dont le territoire est largement envahi et à celles
de la Grande Bretagne particulièrement affectée par le blocus entraîné par les sous-marins
allemands. La situation financière des deux pays est catastrophique, leurs réserves monétaires
ne sont plus que de quelques semaines et la situation militaire apparaît très défavorable. À
tout moment le front peut être rompu en faveur de l’Allemagne, d’autant plus que celle-ci est
libérée sur le front de l’Est. La Russie, où débute la révolution bolchevique, s’est effondrée
militairement.
À ce moment là, l’Allemagne propose à la Grande Bretagne une paix négociée. Les
dirigeants de celle-ci hésitent sur la réponse à donner : « les uns comme Lloyd George sont
partisans d’emprunter largement pour continuer la guerre, les autres, comme Sir Edward
Grey, veulent qu’on profite des propositions de paix que le Président des États-Unis ne
manquera pas de lancer après les élections de novembre 1916 pour arriver à une paix de
compromis, seule façon, à leur avis, de sauver la Livre et d’échapper aux conditions
humiliantes que le pays, arrivé au bord de la faillite, serait peut-être obligé d’accepter par la
suite. En novembre 1916, les partis sont tranchés : ce sont les jusqu’au-boutistes qui
l’emportent »374.
C’est alors que les Juifs sionistes américains, britanniques, voire allemands, dont nombre
avaient pourtant trouvé asile en Allemagne en 1905 après avoir été victimes de persécutions
en Russie, usèrent de toute leur influence près du cabinet de guerre britannique. « Vous
pouvez encore gagner la guerre si les États-Unis deviennent votre allié. Si vous nous
promettez la Palestine après la victoire sur l’Allemagne, l’Autriche et la Turquie, nous vous
garantissons de les faire entrer dans la guerre à vos côtés »375. Tel fut le marché proposé à la
Grande Bretagne en octobre 1916.
Il faut noter par ailleurs que les masses juives américaines, notamment les banquiers dont
un grand nombre, tel Kuhn Loeb, étaient d’origine allemande, avaient pris initialement le parti
de l’Allemagne, persuadées qu’elles étaient de la victoire de celle-ci devenue en quelques
dizaines d’années, notamment par son industrie, une des plus grandes puissances du monde.
De plus, les Juifs américains, comme les Juifs allemands, contrôlaient une partie notable de la
Presse et des moyens de communication de leur pays.
« Dès le début de la guerre, écrit l’historien P. Prévost376, les Alliés se sont souciés bien
entendu d’emprunter aux grandes banques américaines, en partie juives. La mission qui fut
envoyée aux États-Unis dans ce but, était composée du côté français d’Octave Homberg et
d’Émile Mallet, Régent de la banque de France. Très habilement les Anglais désignèrent Sir
Edward Holden, président d’une banque privée, et Lord Reading, né Rufus Daniel Isaacs.
Mais cela ne suffit pas pour amadouer les banquiers israélites. Les alliés eurent beaucoup de
mal à placer leurs emprunts ».
Le puissant soutien financier apporté à l’Allemagne depuis le début de la guerre était
d’autant plus notable que, parallèlement, les banquiers en question refusaient de financer la
Grande Bretagne et la France en tant qu’alliés de la Russie tsariste qui persécutait les Juifs.
La Grande Bretagne avec Llyod George, son Premier ministre, décide de refuser les
propositions de paix de l’Allemagne et de continuer la guerre en lançant de nouveaux
emprunts. C’est dans cette perspective que Lord Balfour ministre des Affaires étrangères, à la
374
. Philippe Prévost, La France et l’origine de la tragédie palestinienne. p. 102. C’est de cet ouvrage que sont
tirées la plupart des données sur ce sujet.
375
. Benjamin H. Freedman, The Hidden Tyranny.
376
. Op. cit., 101.
119
recherche d’un financement, se rend au printemps 1917 aux États-Unis. Il y fait d’emblée
l’expérience de la toute puissance des Juifs et spécialement des Sionistes, particulièrement
présents dans l’entourage du président Wilson. L’ambassadeur anglais Spring-Rice, trop lié
aux républicains, doit d’ailleurs être remplacé par Lord Reading, de religion juive et sioniste
convaincu.
Et les États-Unis entrent en guerre le 6 avril 1917.
« Il faut remarquer, précise l’historien, que l’entrée en guerre des États-Unis suivit de peu
l’abolition de la monarchie en Russie le 16 mars. Cette coïncidence n’était pas due au
hasard. Hostiles jusqu’alors à toute alliance avec les pays de l’Entente et profondément
germanophiles, les masses juives américaines et leurs dirigeants leur devinrent soudain
favorables. De ce point de vue, le changement d’attitude de la banque Khun Loeb et Cie parle
mieux que de longs discours »377.
Et, avec l’aide de la puissance industrielle et militaire des États-Unis, la Grande Bretagne,
la France et leurs alliés remportèrent la victoire finale tandis que l’Allemagne, l’AutricheHongrie et la Turquie étaient vaincues et qu’elles devaient subir, par la suite, la loi de
vainqueurs particulièrement exigeants.
En définitive, c’est à la conférence de la paix, en 1919, à laquelle étaient présents 117 Juifs
dont Benjamin H. Freedman (Juif converti au christianisme, témoin direct de l’action du
mouvement sioniste près du président Wilson) que la déclaration Balfour est produite devant
l’ensemble des nations présentes et notamment devant les Allemands qui réalisent pour la
première fois la machination dont ils ont été victimes et à laquelle, non sans quelque raison,
ils attribuent leur défaite. Ils parleront de nouveau de la trahison des Juifs allemands, ce qui ne
sera pas sans influencer Hitler et les siens lesquels, en négligeant le patriotisme du grand
nombre, leur appliqueront systématiquement le concept d’ « ennemis de l’intérieur » qu’avait
formulé quelque temps auparavant le philosophe Heidegger378.
Par ailleurs, avec les promesses inconsidérées de la Grande Bretagne par l’intermédiaire de
Lord Balfour, de donner à la fois aux Juifs sionistes un « foyer national » et aux Arabes
« l’indépendance en Palestine »379, le conflit du Moyen-Orient allait s’aggraver
inexorablement avec les années. La Palestine passe alors sous domination de la Grande
Bretagne en vertu du Mandat de la Société des Nations. Une nouvelle période s’ouvre : aux
violences morales vont venir s’ajouter, de la part des colons et des Britanniques, des violences
physiques caractérisées.
Le troisième exemple de violences morales retenu se situe en avril 1947
La Palestine est alors administrée par la Grande Bretagne. À cette date s’y déroulent les
travaux des membres d’une Commission d'enquête internationale (l’UNSCOP) créée par
l’ONU à la recherche d’une solution pour la Palestine que les Juifs sionistes ont entrepris
(depuis quelque cinquante ans) de conquérir et où se déroulent quotidiennement des heurts
sanglants avec les habitants se voyant refoulés progressivement et dépouillés de leurs terres.
377
. Op. cit., p. 103.
. « L’ennemi est celui qui fait planer une menace essentielle contre l’existence du peuple et de ses membres.
L’ennemi n’est pas nécessairement l’ennemi de l’extérieur, et l’ennemi extérieur n’est pas nécessairement le
plus dangereux. Il peut même sembler qu’il n’y ait pas d’ennemi du tout. L’exigence radicale est alors de
trouver l’ennemi, de le mettre en lumière… » (L’essence de la vérité, éd. Klostermann, p. 90-91). Quant à Staline
il déclare en 1952 que « tout juif est un ennemi potentiel à la solde des États-Unis ».
379
. Alors que le judaïsme français officiel est alors violemment opposé au sionisme (et qu’il devait le rester
jusqu’après la guerre de 1940-1945), on peut noter que les chefs de l'Organisation sioniste internationale arrivant
à Paris peu après l’armistice de novembre 1918, pour la Conférence de la Paix débutant le 29 février 1919, furent
reçus par la Ligue locale des Amis du Sionisme. L’Organisation sioniste dirigée par Nahum Sokolow installa ses
bureaux et fonda immédiatement une revue, La Palestine nouvelle, qui, du 15 décembre 1918 au 15 août 1919,
fut l'organe officiel à Paris de l'Organisation sioniste au cours des débats de la Conférence de la Paix. (André
Spire, Souvenirs à bâtons rompus, Albin Michel 1962, propos rapportés par P. Prévost).
378
120
Cet exemple concerne l'affaire de l'Exodus, du nom d’un vieux bateau affrété par une
armée clandestine juive, la Haganah. La perspective de cette organisation est de contraindre
les Britanniques à admettre en Palestine les 4 500 Juifs passagers de ce bateau, toutes
personnes déplacées d’Europe centrale ou rescapées des camps nazis.
Les Britanniques, qui ont payé depuis quelques années un lourd tribut aux actions
terroristes sionistes, notamment dans les rangs de leur armée et ont pris la juste mesure des
organisations criminelles en cause, s’opposent au débarquement des passagers et les
transfèrent à bord de bateaux britanniques qui, après une escale en France, les conduisent en
définitive à Hambourg, alors sous l’autorité britannique d’occupation de l’Allemagne.
C’est alors, pendant ces semaines émaillées de péripéties diverses, que l'Agence juive et les
multiples réseaux sionistes lancent à travers toute l'Europe, l’Amérique du Nord et de
l’Amérique du Sud, par la Presse et la radio, une propagande anti-britannique à la fois d’une
ampleur jusque là inédite et d’une violence extrême. Cette propagande à base d’informations
relatives notamment au comportement brutal des Britanniques à l’égard des passagers,
informations que l'on sait aujourd'hui en grande partie mensongères, est destinée à s’attirer la
sympathie de l’opinion internationale dans une perspective unique : la conquête programmée
de la Palestine sur laquelle ils ont jeté leur dévolu.
À propos de l'exploitation de l’Exodus par l'intelligentsia juive, exploitation qui a
représenté un entraînement efficace pour la propagande internationale qui devait présider
bientôt à la création de l’État d’Israël, Christopher Sykes a pu écrire : « Exodus 1947 fut
parmi les plus importants succès du sionisme avant la naissance de l'État d'Israël. Il devint le
sujet d'une saga, avec un livre et un film, ayant autant de ressemblance avec les événements
en cours que l'Iliade d'Homère avec le siège de Troie »380.
Un dernier exemple des violences d’ordre psychologique nous est fourni par la
création à l’arraché de l’État d’Israël
Décidée par l’ONU en novembre 1947, elle fut le résultat, de la part des organisations
juives acquises à la cause sioniste, de forces verbales considérables et de multiples
manœuvres diplomatiques aussi habiles que contraires à la morale commune. Les éléments
historiques désormais bien connus ne seront pas repris ici381. Disons néanmoins que cette
forfaiture légale, où une population est dépossédée de sa terre au profit d’une autre, a été la
résultante, de la part des organisations sionistes, de violences d’ordre moral et psychologique
inédites et caractérisées. Citons notamment :
• les pressions exercées par les unités sionistes sur les gouvernements non acquis à leur
cause ;
• les menaces de boycott envers certains pays s’ils ne votaient pas en faveur d’un État juif ;
• la corruption de certains représentants de ces nations ;
• l’utilisation de personnalités chrétiennes éminentes mais inconscientes de la dangerosité de
la cause sioniste à laquelle ils apportent leur caution382 ;
• le mensonge répandu dans toute l’opinion internationale avec le slogan : "la Palestine : une
terre sans peuple pour un peuple sans terre"383 ;
380
. Propos rapportés dans Le péché originel d’Israël, p. 33.
. La littérature sur ce sujet est évidemment considérable. On peut en trouver un résumé ainsi qu’une
bibliographie dans mon ouvrage Le sionisme en Palestine/Israël, fruit amer du judaïsme, Éd. Bénévent 2004.
382
. Le cardinal Spelmann de New-York fut une de celles-là. Sur la suggestion de sionistes américains il
parcourut l’Amérique du Sud pour convaincre les dirigeants des différents pays catholiques de voter en faveur de
la création d’un État juif en Palestine. Par la suite, devant les exactions répétées d’Israël, il devait regretter
amèrement sa démarche.
383
. Philippe Prévost (Op. cit. p. 213) écrit à ce sujet : « Parmi tous les Arabes, les Palestiniens, grâce aux
nombreux écoles et collèges fondés par les religieux et par les religieuses français, étaient avec les Libanais «
les plus évolués de l'Empire ottoman. Artisans et commerçants dans les villes - Jérusalem, Jaffa, Ramlé, Haïfa,
Gaza, Nazareth, Naplouse - ils avaient même créé de petites industries : huileries, savonneries, verreries. La
381
121
• l’exploitation de la mise en valeur de la terre de Palestine par les colons juifs comme
argument en faveur d’un État juif ;
• l’utilisation du génocide juif pour promouvoir ce même État ;
• l’exploitation de la culpabilité des Occidentaux dans l’extermination des Juifs ;
• le mépris souverain pour les populations non-juives…
LA DOMINATION PAR LE LANGAGE
L’esprit de domination peut se traduire de mille manières et utiliser bien des armes. Parmi
celles-ci il en est une particulièrement subtile : l’arme sémantique. Deux mots : "Shoah" et
"Holocauste", sont particulièrement caractéristiques à cet égard.
La "Shoah" et "l’Holocauste" ou le "génocide des Juifs d’Europe "
Selon la définition des dictionnaires, le génocide est l’extermination systématiquement
organisée de communautés civiles choisies selon les critères de nationalité, de race, de
religion ou d'idéologie.384 Le XXe siècle en a fourni un certain nombre d’exemples qui sont
généralement rapportés dans la littérature journalistique de la manière suivante qui ne manque
pas d’être instructive. Sont ainsi énumérés successivement :
• le massacre des Arméniens (environ un million et demi) par les Turcs en 1915-1916 ;
• l’anéantissement de la population de Nankin par les occupants japonais en 1937-1938 ;
• la "Shoah" ou "l’Holocauste" concernant les Juifs européens (quelque cinq à six millions)
victimes des nazis en 1941-1945 ;
• le massacre de plusieurs millions d’Indiens musulmans et hindous au moment de la
sécession de l’Inde en 1947-1948 ;
• le massacre de la population cambodgienne par les Khmers rouges en 1975-1978 ;
On rapporte aussi les massacres à caractère génocidaire tels que :
• l’extermination par la famine d’environ dix millions de paysans ukrainiens par le régime
soviétique en 1932-1933 ;
• le massacre de quelque vingt millions de Chinois lors de la révolution culturelle des années
60 ;
• l’élimination au Goulag des opposants au régime communiste d’URSS de 1917 à 1989
(« entre douze et peut-être vingt millions »385) ;
• les massacres plus récents du Rwanda, de Bosnie, du Darfour ;
………..
Comme on le remarque d'emblée, les tueries massives d’hommes sont qualifiées
généralement de "massacres", d’"exterminations", de "destructions", de "génocides", mots
courants auxquels est ajouté quelque qualificatif qui, en précisant le lieu, la date, le
contexte… donc les limites des actes perpétrés, en réduit plus ou moins la portée. Avec le
temps, ils sont inexorablement voués à s’estomper dans la mémoire collective tandis que le
génocide des Juifs, en se voyant attribuer deux noms, noms tout à la fois spécifiques, dotés
d'une majuscule et dépourvus de tout élément complémentaire, reçoit un éclairage inédit pour
un avenir qui se veut unique.
"Shoah"
Désigner l'extermination par les nazis d’une fraction notable de la communauté juive
d'Europe par le terme de "shoah", terme qui en hébreux signifie catastrophe, relève a priori
paysannerie était relativement florissante le long de la côte méditerranéenne, dans la plaine d'Esdraelon et dans
la vallée du Jourdain, pauvre en Judée ; elle cultivait les orangers, extrêmement denses autour de Gaza, les
oliviers, les figuiers, la vigne, le blé ». En 1914, la Palestine était donc à l'orée du décollage économique ».
384
. Dans sa convention de 1948, l’ONU, quant à elle, définit le génocide comme « la destruction, en tout ou en
partie, d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux ».
385
. Anne Applebaum, Goulag, une histoire, Grasset, 2005.
122
d'une initiative tout à fait respectable pour perpétuer la mémoire d'un génocide particulier à
plus d'un titre dans la longue chronique des inhumanités du monde. Cependant, un
phénomène particulier allait se manifester à la suite de cette initiative. Par sa création
exceptionnelle en tant que mot emblématique, par sa promotion non moins exceptionnelle
assurée par les multiples communautés juives dispersées à travers le monde, la "Shoah" dotée
d’une majuscule allait en quelques années, avec le support des journaux et des moyens
audiovisuels modernes,386 devenir non seulement un élément linguistique universellement
connu mais désigner dans l'esprit d'un grand nombre d'individus, non pas un génocide parmi
d'autres ou un génocide-type mais, comme l'ont voulu ses promoteurs, le génocide princeps,
l'Unique, l'Indépassable, l'Absolu, celui qui éclipse ou écrase à jamais tous les autres. Et le
phénomène s'est poursuivi et amplifié. Avec le temps, à une utilisation qui pouvait être
légitime a succédé une exploitation par les plus hautes instances du judaïsme pour qui il ne
s'agit plus seulement de conserver pieusement une mémoire mais de retirer le maximum de
dividendes, notamment pour l'entreprise sioniste israélienne. Ainsi sont nées, de la part d’« un
leadership aussi furieux qu'ignare » (selon l'expression de Raul Hilberg, auteur de ce qu’il
nomme avec une sobre précision La destruction des Juifs d'Europe), cette Shoah-business des
Américains servant « à tous les usages possibles, politiques ou commerciaux »387, cette
Shoah-religion au service d’un colonialisme expulseur et d’un apartheid caractérisé, cette
instrumentalisation de la Shoah stigmatisée depuis quelques années par quelques auteurs juifs
particulièrement lucides et courageux388.
Shmuel Trigano389 précise même qu’ « il existe une sphère institutionnelle de la Shoah »
faite « d’institutions, chaires universitaires, musées, revues, fonds de recherche, etc » et
que « les entreprises qui se consacrent à sa commémoration bénéficient de moyens très
importants ». Et ce même auteur de s’interroger : « Les Juifs ne trouveraient-ils aujourd’hui
d’énergie que pour la sacralisation de leur souffrance victimaire, dont ils semblent ne pas
pouvoir (ni vouloir) sortir puisqu’ils la tabouisent dans l’éternité ? »
S’il convient de ne pas oublier ce que fut la catastrophe ainsi désignée, paroxysme de
siècles de persécutions, il reste, selon les mots de Esther Benbassa390, que « l’unicité mise en
avant aujourd’hui, l’idée que le génocide juif serait, devrait être absolument unique, ne revêt
aucun sens ».
"Holocauste"
Les dictionnaires nous disent qu'un holocauste est, au sens propre, un sacrifice religieux où
la victime est offerte à Dieu par quelque sacrificateur et détruite ensuite par le feu.
Au sens figuré, on a pu désigner par ce terme une destruction massive d'hommes. Churchill
a parlé de l'"holocauste arménien" par les Turcs en 1915 ; un auteur de science-fiction a
entrevu et décrit un "holocauste nucléaire"...
Dans le discours courant émanant du monde juif, le génocide des Juifs européens est donc
vu, non pas comme un "holocauste" ou l'"holocauste des Juifs européens", mais comme
l'"Holocauste".
Il ne fait pas de doute tout d'abord que les promoteurs de ce terme ont voulu dépasser le
sens figuré et réinvestir le sens propre. Alors qu'il n'y a eu ni volonté de se sacrifier de la part
des Juifs, ni volonté d'offrir un sacrifice à Dieu de la part des nazis, il est manifeste que le mot
se propose de réintroduire une notion religieuse et plus précisément sacrificielle, d'attribuer
386
. D’abord le film de Claude Lanzmann « Shoah » en 1985.
. Batya Gour, Dans la tourmente, Nouvel Observateur, N° 1986 du 28/11/02.
388
. Citons notamment Esther Benbassa dans son article de Libération du 11/09/00 : La Shoah comme religion ;
Edgar Morin, Nair Sami et Danièle Sallenave dans leur article de Le Monde Horizons Débats du 4 juin 2002 :
Israël-Palestine : le cancer.
389
. Un exil sans retour, p. 305.
390
Les Juifs ont-ils un avenir, p. 99.
387
123
aux victimes un destin spécifiquement divin, de sacraliser un fait historique en lui donnant
une dimension trans-historique, de l’élever en somme au rang de « phénomène
métaphysique »391 dans lequel les Juifs sont des victimes transcendantales. Le judéocide
perpétré par les nazis n'a-t-il pas été vu par certains Juifs comme une révélation à l'envers
(selon l'expression d'Ernst Nolte), voire comme une religion par Y. Leibowitz ? D’ailleurs,
pour Gilad Atzman392, cette religion holocaustique n’a-t-elle pas ses prêtres (Simon
Wiesenthal, Elie Weisel, Deborah Lipstadt...), ses prophètes (Shimon Peres, Benjamin
Nethanyahu et ceux qui mettent en garde contre le judéocide iranien…), ses commandements
et ses dogmes ("plus jamais ça" ; "les six millions"…) ? N’a-t-elle pas non plus ses rituels
(journées commémoratives, pèlerinages à Auschwitz....), ses autels et ses temples (Yad
Vashem, Musée de l’Holocauste et, même depuis peu, l’Onu !), voire ses "antéchrists" (les
Négationnistes) ?
Mais il y a plus que cette présentation de l'histoire : l’"Holocauste" (comme le mot
précédent de "Shoah") veut désigner, s’approprier à tout jamais une singularité absolue et
faire du martyre juif le paradigme de la souffrance humaine. Utilisé pour la première fois sans
aucun complément, devenu porteur d’une majuscule alors qu’il ne comportait jusqu’ici
qu’une minuscule, introduit subrepticement dans certains dictionnaires bien que non adopté
par les historiens, devenu le titre d’un film américain de grande diffusion, "Holocauste" se
propose, non seulement de rajouter quelque chose au génocide en question, mais de
monopoliser à jamais l'Horreur subie par les Juifs en éclipsant toutes les horreurs du passé
subies par les autres (notamment l'extermination des Tziganes ou la Traite des Noirs), voire
en éclipsant par avance toutes les horreurs du futur.
Comment être surpris que L'Industrie planétaire de l'Holocauste, avec son réseau
économique massif et ses infrastructures financières aux ramifications mondiales vienne, sous
la plume de Finkelstein, stigmatiser – notamment aux États-Unis et en France – un lobby
activiste ? Et comment les exactions de ce lobby pourraient-elles ne pas engendrer une
hostilité envers les Juifs ? L’éditorialiste de Jewish Chronicle de juillet 2000 a pu écrire à ce
sujet : « L'industrie de l'Holocauste est la grande pourvoyeuse de l'antisémitisme, par
l'extorsion féroce qu'elle mène et par sa manière de falsifier l'Histoire ».
Rapprochons de ces considérations la célébration des "Justes parmi les nations",
instituée en Israël en 1953 et reprise depuis lors en Europe. Initiative a priori fort louable et
intention généreuse que cet honneur rendu à des personnes ayant risqué leur vie pour en
soustraire des Juifs aux griffes nazies ! Pourtant, attribuer aux seuls protecteurs des Juifs le
mot "Justes" dans une expression issue de la Bible a encore quelque chose de regrettable car
cette expression, avec sa charge religieuse et sacrée, ne peut être que sans rivale et sans
équivalence. Tout qualificatif susceptible d’être attribué aux multiples personnes ayant risqué
volontairement leur vie pour protéger des opposants et résistants au nazisme n’en saurait être
qu’un pâle reflet.
Notons que les conséquences néfastes dans les esprits des termes utilisés n’ont pas échappé
à plusieurs auteurs juifs. Henri Meschonnic393 écrit : Pour en finir avec le mot "Shoah",
Jacques Sebag 394 écrit de son côté : Pour en finir avec le mot "Holocauste".
En résumé
Si pendant les deux millénaires précédant la création de l’État d’Israël les Juifs ont souffert
gravement et à de multiples reprises de la part des non-Juifs et notamment des chrétiens, sans
391
. Expression de Maxime Rodinson dans Peuple juif ou problème juif, p. 7.
. Dans son article : De la Reine Esther à l’Aipac.
393
. Le Monde du 21 février 2005.
394
. Le Monde du 27 janvier 2005.
392
124
parler bien entendu des nazis, avec les massacres, les expulsions, les conversions forcées,
souffrances sans commune mesure avec celles dont ils ont pu être responsables, s’il est
souvent difficile, au cours de cette longue période, de déterminer la source des violences dans
le cercle vicieux qui, en la matière, s’établit généralement entre les protagonistes, il reste que
le judaïsme-culture – en fournissant aux Juifs et aux non-Juifs un terrible ingrédient : la vision
d’une altérité radicale d’ordre racial qui sous-tend le ghetto volontaire du monde juif – est
directement responsable chez les siens d’un racisme s’exprimant le plus souvent par des
violences autres que d’ordre physique et banalement responsable d’antisémitisme réactionnel.
125
CHAPITRE VII – L’APARTHEID INSTITUTIONNEL SIONISTE
EN ISRAËL ET DANS LES TERRITOIRES COLONISÉS
Si le terme apartheid (terme afrikaner signifiant séparation) a été créé pour désigner le
régime qui a sévi en Afrique du Sud entre 1948 et 1991, il est clair qu’il peut s’appliquer à
d’autres régimes, particulièrement à celui qu’ont connu les États du Sud des États-Unis de
1907 à 1969 et à celui institué en Palestine en 1948 par l’État sioniste395, ce dernier
comportant quant à lui, non plus la Séparation entre Blancs et Noirs mais la Séparation entre
Juifs et non-Juifs.
Reposant sur une donnée raciale et réalisant toujours une atteinte caractérisée à la dignité
des personnes avec les contraintes et les violences qui l’accompagnent obligatoirement, ce
régime a été reconnu par le droit pénal international comme un crime contre l’humanité. Pour
la "Convention sur l'Élimination et la Répression du crime d'Apartheid", il se définit
précisément comme « une politique et un système de ségrégation et de discrimination
raciale » ayant pour but ou conséquence « d'établir et de maintenir la domination d'un groupe
d'êtres humains sur un autre et de l’opprimer »396.
ISRAËL :
UN ÉTAT STRUCTURELLEMENT SÉGRÉGATIONNISTE ET VIOLENT
L’époque moderne, avec l’État juif de Palestine, nous apporte des données
particulièrement caractéristiques et concrètes sur les violences de tous ordres de type raciste
suscitées par les éléments pernicieux du judaïsme passés dans l’idéologie sioniste. De
multiples expressions conjuguant la métaphore du « métal dur » témoignent avec éloquence
de cette violence propre à la société ségrégationniste d’Israël : Rabin, Premier ministre, lance
en 1975 la politique de « la main de fer » (Hayad Barzel), Raphaël Eitan, son successeur
comme chef des armées, impose le « bras d’airain » (Zrdaa Barzel), l’opération de purge des
camps de Sabra et Chatila est appelée le « cerveau d’acier » (Moah Barzel). C’est le « poing
de fer » (Egrouf Barzel) que Rabin utilise de nouveau comme base de sa politique de
répression et de représailles collectives face au soulèvement palestinien de 1987-1988 en
Cisjordanie et à Gaza. L’opération de décembre 2008-janvier 2009 dénommée « plomb
durci », menée par terre, par air et par mer fait quelque 1 400 de morts et une dizaine de
milliers de blessés dans la prison à ciel ouvert qu’est la bande de Gaza. Dès 1923, l’homme
éminent que fut Jabotinsky, fondateur du sionisme révisionniste, utilisait déjà cette même
métaphore dans son ouvrage The Iron Wall (Le Mur d’acier) et décrivait l’esprit du processus
de conquête qu’il convenait de mettre en œuvre pour la pleine possession de la Palestine :
« Nous ne pouvons offrir aucune compensation contre la Palestine, ni aux Palestiniens, ni aux
Arabes. Par conséquent un accord volontaire est inconcevable. Toute colonisation, même la
plus réduite, doit se poursuivre au mépris de la volonté de la population indigène. Et donc,
elle ne peut se poursuivre et se développer qu’à l’abri du bouclier de la force, ce qui veut dire
un mur d’acier que la population locale ne pourra jamais briser. Telle est notre politique
arabe. La formuler de toute autre façon serait de l’hypocrisie »397. On sait que ce programme
fut suivi à la lettre et que les sionistes n’ont pas hésité notamment à inventer et à recourir au
395
. Même pour Henry Siegman, ancien directeur du Congrès juif mondial, « Israël pratique une forme
d’apartheid, ou de racisme, qui n’est pas très différente de celle qu’a connue l’Afrique du Sud. Israël » (Nouvel
Observateur 14-20 janvier 2010).
396
. Karine Mac Allister, Applicabilité du crime d’Apartheid à Israël, The Interational Solidarity Movement,
13/09/2008. Pour l’ONU dans sa Convention du 3 novembre 1973 le "crime d’apartheid" désigne les actes
commis en vue « d’instituer ou d’entretenir la domination d’un groupe racial d’êtres humains sur n’importe
quel autre groupe racial d’êtres humains et d’opprimer systématiquement celui-ci ».
397
. Citation rapportée par Ralph Schoenman, L’Histoire cachée du sionisme, Ed. Selio 1988, p. 35.
126
terrorisme dans leur « lutte de libération » de la Palestine398. Car le « Tu ne tueras pas » ne
s’applique pas dans la circonstance. Comme l’écrit le philosophe Michel Onfray399, « le
décalogue vaut comme une invite locale, sectaire et communautaire. Sous-entendu : " toi, juif,
tu ne tueras pas de juifs". Le commandement joue un rôle architectonique pour que vive et
survive la communauté. En revanche, tuer les autres, les non-juifs, les goyim – le mot signale
deux mondes irréductibles – le forfait n’est pas vraiment tuer, du moins ça ne relève pas des
dix commandements ». De nombreux rabbins, tel Yisrael Hess, aumônier du campus de
l’Université de Bar-Ilan dans un article Le commandement de Génocide dans la Torah du
Journal des étudiants, confirment bien que le fait de tuer un non-Juif ne transgresse pas le
« Tu ne tueras point » biblique. Car, ici, la guerre n’est pas seulement justifiée mais sacralisée
par la culture. Elle est sainte. C’est « le phénomène religieux par excellence », écrit le pasteur
et philosophe Olivier Abel. On s’y prépare par le jeûne, la prière, la continence et les rites
répétés de purification (Nb, 31, 19). Yahvé Sabaoth, le Dieu des armées d’Israël, est un guerrier
(Ex. 15, 23) : « il bénit la guerre et ceux qui la font ; il sanctifie le combat, le mène, le conduit
en inspirant son peuple ; il justifie les crimes, les meurtres, les assassinats, légitime la destruction des innocents […] Aux ennemis il promet la destruction totale, la guerre sainte selon
l'expression terrifiante et hypermoderne du livre de Josué »400. « Dieu est avec nous » proclame
le Deutéronome (20, 4) dans les combats sanglants contre les ennemis. Et en temps de guerre «
il n’y a pas de civils innocents chez l’adversaire »401. Yahvé, le Dieu jaloux de la Bible, cruel
pour les peuples autres que celui qu’il s’est choisi, est en effet tout autre que le Dieu-Père
décrit dans l’Évangile.
Dans la qualification de toutes les violences et indépendamment de leur niveau d’intensité,
il convient par ailleurs de tenir compte de la vision que les agresseurs ont des agressés, c’està-dire de la prime raison qui sous-tend l’action violente et qui conditionne grandement
l’avenir, c’est-à-dire notamment la réconciliation éventuelle ou la non-réconciliation des
antagonistes. Or la vision dictée par le sionisme est celle-ci : la Terre de Palestine appartient
aux Juifs, et à eux seuls, en tant que constituants de l’entité juive et en vertu du mythe
ancestral de l’Élection, mythe que « tous les écoliers israéliens, à partir de la Bible étudié
comme un manuel d’histoire, intègrent comme une vérité historique »402. C’est dire que si les
Palestiniens étaient chrétiens, bouddhistes, athées ou autres, la vision des Juifs sionistes à leur
égard ne serait pas différente : tous auraient à souffrir et à expier de ne pas être nés Juifs
comme d’autres ont eu à souffrir et à expier de n’être pas Aryens. Car, ainsi que l’écrit
Bernanos, « les races n'ont pas de cœur, Elles se vantent d'être pures et, en effet, elles ne
sauraient faillir, puisqu'elles sont à elles-mêmes leur propre fin »403.
Si l’« État juif avec canons, drapeaux et médailles », que Stefan Zweig404 voyait en rêve
avant de se suicider, est un concentré de haine raciale et de violence, si, comme l’écrit Y.
Leibovitz405 « la violence est l’essence de l’État d’Israël », ce que confirmeront nombre de
Juifs courageux, ce phénomène est dans la logique des choses : seule, parmi toutes les grandes
traditions spirituelles, la religion judaïque a inventé et promu deux races humaines
398
. Remarquons, par exemple, que trois Premiers Ministres d’Israël furent des responsables au plus haut niveau
de ce terrorisme : Menahem Begin en tant que commandant de l'Irgoun, Itzhak Shamir, en tant que chef des
opérations du groupe Stem, Itzahk Rabin en tant qu’officier de la Haganah.
399
. Traité d’athéologie, p. 198.
400
. Ibid., p. 216.
401
. Pour le conseil rabbinique Yesha lors de l’invasion du Liban en juillet 2006, « tous les débats issus de la
moralité chrétienne affaiblissent l’esprit de l’armée et de la nation et entraînent un coût en sang de nos soldats
et de nos civils ».
402
. information rapportée par Shlomo Sand, Le Point du 06/09/2012.
403
. Le Chemin de la Croix-des-Âmes, p. 224.
404
. Lettre à Martin Buber rapportée par Sylvie Courtine-Denamy dans Le souci du monde, p 127.
405
. La mauvaise conscience d’Israël, p. 119.
127
fondamentalement étrangères l’une à l’autre et deux seules : les Élus et les Autres, les
Hébreux et le reste du monde, les Juifs et les non-Juifs.
Nous n’avons pas à revenir ici sur l’ensemble des violences de l’apartheid israélien depuis
sa création, que ces violences soient d’ordre physique avec les guerres et les crimes de guerre,
les spoliations, les expulsions406, l’épuration raciale, la torture407, les enlèvements, les
meurtres d’État délibérés, les assassinats clandestins et ciblés, les emprisonnements
préventifs, les contraintes humiliantes408, les punitions collectives… ou bien quelles soient
d’ordre moral ou psychologique tels le mensonge sur l’histoire409, l’information falsifiée,
l’espionnage savant, la corruption des Palestiniens pauvres ou peu instruits. Ne parlons pas
non plus des violences de la colonisation ayant précédé la création de l’État d’Israël… Toutes
ces violences, exercées généralement avec l’aval des rabbins, sont décrites dans de
multiples études, articles, revues, ouvrages qu’il est facile de consulter… Nous examinerons
seulement ici des violences d’ordre purement juridique et sémantique.
L’ARSENAL JURIDIQUE AU SERVICE
DE LA SÉGRÉGATION ET DE LA COLONISATION
Si les Nations Unies, malgré leurs multiples résolutions, se sont abstenues depuis 1948 par
une faiblesse insigne d’appliquer la moindre sanction pratique envers cet État qu’elles ont
créé d’autorité, elles ont néanmoins dénoncé à de nombreuses reprises les lois porteuses de
discriminations raciales caractérisées et générant deux entités distinctes de citoyens : les Juifs,
citoyens à part entière, les non-Juifs, citoyens de seconde zone au statut subalterne. Parmi la
quarantaine de lois ségrégationnistes ayant été recensées, lois qui concernent les terres, la
planification, la citoyenneté, les budgets, le statut économique et social, l’éducation, l’identité,
citons notamment :
• la loi du Retour de 1950 qui accorde systématiquement aux Juifs du monde entier la
citoyenneté israélienne alors que les réfugiés arabes n'ont pas le droit de revenir en Israël sur
leurs propres terres410 ;
• les lois qui interdisent la participation aux élections de tout parti arabe n'ayant pas
reconnu le caractère juif de l'État ;
• la loi interdisant les mariages entre Juifs et non-Juifs ;
• la loi suivant laquelle les citoyens arabes d'Israël ayant épousé des non-israéliens se
voient refuser la réunification familiale ;
406
. Expulsion ou ce qui en tient lieu : l’interdiction de retourner chez eux après un séjour à l’étranger. Selon le
quotidien israélien Haaretz, il suffit qu’un Palestinien de Gaza ou de Cisjordanie quitte quelques années son
domicile pour qu’Israël lui retire définitivement son "droit de séjour" ! Entre 1967 et 1994, 100.000 résidents de
Gaza et 140.000 résidents de Cisjordanie, ayant quitté le territoire ont eu l’interdiction de revenir, beaucoup
d’entre eux étaient des étudiants ou de jeunes professionnels travaillant à l’étranger pour soutenir leur famille.
407
. À propos de la torture pratiquée en Israël, Georges Steiner parle « de sauvagerie et de corruption car
n'oublions pas, poursuit-il, que chaque fois qu'un juif humilie, torture ou expulse de son foyer un autre être
humain, il accorde à Hitler une victoire posthume » (De la Bible à Kafka, p. 33).
408
. Cécile Winter peut écrire : « Le camp de détention d’Offer n’est pas un camp d’extermination, mais il
ressemble beaucoup aux camps de concentration allemands des années trente, avec ses barbelés, ses miradors,
ses masses de détenus apeurés, dénués de droits et parqués dans des conditions véritablement inhumaines »
(Circonstances, 3 Portées du mot "juif", p. 118).
409
. Plusieurs nouveaux historiens ont en effet démontré, par exemple, que la version israélienne selon laquelle
les Palestiniens se sont enfuis en 1948 à l’appel de leurs dirigeants était dépourvue de fondement et qu’il s’est
agit généralement d’expulsions selon un plan largement préparé à l’avance. Ainsi, « Des hommes libres, les
Arabes, partirent en exil comme de misérables réfugiés, les Juifs s’emparèrent des maisons des exilés pour
commencer leur nouvelle vie d’hommes libres » (Tom Ségev, Le septième million, p. 218).
410
. Dès la fin de la guerre en 1948 une instruction lapidaire de l’état-major israélien, à propos des réfugiés
massés au-delà de la ligne de cessez-le-feu, est celle-ci : « Tirez sur les infiltrés », le terme d’ « infiltré » étant
appliqué à tout Palestinien tentant, fût-ce pacifiquement, de rentrer chez lui. (Ilan Halevi, Question juive, p. 278).
128
• les lois d'urgence qui permettent la confiscation de terres appartenant aux Arabes ;
• les lois qui interdisent aux Arabes d'acheter des terres à des Juifs ;
• la loi selon laquelle les propriétés d'État ne peuvent être cédées qu’à des colons411 ;
• la loi sur l'éducation qui fixe parmi ses objectifs la promotion de l'idéologie sioniste ;
• la loi qui interdit aux non-Juifs d'habiter certaines villes ou d’occuper certains emplois ;
• la loi qui permet aux seuls Juifs de garder leur ancienne citoyenneté après être devenus
citoyens israéliens.
--------------À ces lois viennent s’ajouter de multiples interdictions ou dispositions prises par les
autorités à l’encontre des non-Juifs. Tout un dispositif juridique sophistiqué, bien décrit
notamment dans les rapports d'Amnesty International, est ainsi utilisé depuis 1948 au service
des expulsions, des expropriations de terres, des destructions, par le feu ou les bulldozers, de
centaines et de centaines de maisons palestiniennes, de l'arrachement de milliers et de milliers
d’oliviers, de l'accaparement systématique de l'eau au bénéfice des seuls Juifs, de la
destruction des archives et des cadastres. La Palestine des Arabes, rongée colline après
colline, mètre carré après mètre carré, se rétrécit ainsi chaque jour du fait d’une colonisation
d’une ingéniosité inédite412 et repoussant toujours plus loin la frontière. Au début du XXIe
siècle 3.400.000 Palestiniens avaient été privés de leur terre413. Edward W. Saïd (professeur
de littérature à l'Université de Columbia aux États-Unis), à l'occasion d'un voyage en
Cisjordanie, pouvait écrire : « Presque toutes les voies et tous les petits villages où nous
sommes passés ont été le théâtre d'une tragédie quotidienne : terre confisquée, champs
saccagés, arbres et plantes déracinés, moissons arrachées, maisons détruites, exactions
contre lesquelles les propriétaires sont totalement impuissants ». « Dans aucun autre pays du
monde les juristes et les religieux n’auront apporté leur concours à une entreprise d’une telle
perversité » écrit de son côté Eli Lobel 414 : « quand le paysan arabe croyait avoir paré à une
attaque tendant à l’arracher à sa terre, il était frappé par une nouvelle loi exhumée de
l’arsenal juridique ou spécialement créée à cet effet. Et quand cela était nécessaire, la force
suppléait ou remplaçait la loi ».
Parfaitement adapté au but poursuivi, réfléchi, précis, implacable, méthodique,
perfectionné chaque jour depuis plus de soixante ans par les juristes israéliens pour disloquer
la société des Palestiniens, effacer leur mémoire et les réduire à l'impuissance, cet arsenal
juridique, fruit d’un racisme institutionnel caractérisé, constitue sans doute un summum des
actions perverses suscitées par le sionisme. Notons que le zèle de ces gens de Loi qui
approuvent et justifient sans cesse une conception politique et discriminatoire du droit et qui,
dans l’ombre, apportent un concours sophistiqué à l’entreprise sioniste a troublé bien des
observateurs415. À propos de cette entreprise inédite sur le plan des principes et des méthodes,
« acculée à une politique d’agressions préventives à l’extérieur et de lois discriminatoires à
l’intérieur, tout en développant une mentalité raciste et chauvine »416 et contrainte, de par sa
411
. Les terres d'État sont placées dans la catégorie terre nationale. Cela signifie juive et non israélienne.
Aujourd'hui, environ 93 % de la terre qu'on appelle l'État d'Israël est administrée par le Fonds national juif et
réservée à des Juifs.
412
. Comme le remarque Michel Warschawski, « les 3,5 millions d’Arabes vivant en Cisjordanie et à Gaza sont
considérés par Israël comme des "présents-absents". Ils ne comptent pas : ce sont les trous du fromage qui
communiquent entre eux par des ponts et des tunnels tandis que la même méthode est utilisée pour faire
communiquer les colonies israéliennes ». Deux entités sans communication entre elles sont ainsi séparées sur le
même territoire faute, pour l’instant, d’une élimination incomplète des Palestiniens.
413
. Donnée rapportée par Edgar Morin, Le monde moderne et la question juive, p. 156.
414
. Préface à l’ouvrage Les Arabes en Israël de Sabri Geries, p. 13-14.
415
. À ce propos on ne peut pas ne pas évoquer les juristes allemands, parfois de grande qualité tel le catholique
Carl Schmitt, qui apportèrent leur concours à l’entreprise nazie. Mais ce concours ne fut néanmoins qu’un pâle
reflet de celui apporté à l’entreprise sioniste par les juristes juifs.
416
. Maxime Rodinson, Préface à La conception matérialiste de la question juive de A. Léon, p. XLII.
129
logique interne, à aller toujours plus loin dans la neutralisation, l’humiliation, l’exclusion et
l’asservissement de l’autre, Edmond Amran El Maleh, écrivain juif marocain, a pu écrire : « Il
est étonnant que personne n'ait osé entreprendre, au-delà des critiques du régime israélien,
une analyse philosophique des bases racistes du sionisme. Raciste parce que prônant la
patrie par le sang, l'exclusion des non-juifs et, dans la foulée, l'expansionnisme territorial, la
terreur et la violation des lois internationales ».
À diverses reprises Hannah Arendt abordera elle aussi ce sujet législatif. Dans son ouvrage
sur le procès Eichmann elle fait en effet un étroit parallèle entre les lois de Nuremberg et
celles de l’État juif et y revient dans une lettre adressée à son mari417. Relatant un dîner avec
Golda Meir, ministre israélienne des Affaires étrangères, elle écrit : « Nous nous sommes
disputées jusqu’à une heure du matin […] Avant tout sur la question de la Constitution, des
mariages mixtes ou plus exactement de ces lois de Nuremberg qui existent actuellement et qui
sont en partie vraiment monstrueuses ». Face à la législation ségrégationniste mise en place
dans l’État d’Israël, Haïm Cohen, ancien juge à la Cour Suprême, évoque lui aussi sans
hésitation les lois nazies : « L'amère ironie du sort, écrit-il, a voulu que les mêmes thèses
biologiques et racistes propagées par les nazis et qui ont inspiré les infamantes lois de
Nuremberg, servent de base à la définition de la judaïcité au sein de l'État d'Israël »418.
Toutes ces données expliquent fort bien qu'en Israël, État colonialiste qui s’est donné
comme but ultime et inédit de remplacer tous les non-Juifs par des Juifs et qui, depuis ses
origines, foule aux pieds le droit international, si les non-Juifs sont susceptibles d'avoir des
droits en tant qu'individus isolés, ils ne sauraient en avoir comme membres d'une
communauté. Cette communauté est d’ailleurs toujours ignorée par les livres d'histoire à
l'usage des enfants israéliens. Le Livre du Jubilé, publié en 1998 pour commémorer
l’anniversaire de la création de l’État d’Israël et destiné à toutes les écoles du pays, en est un
témoin exemplaire : entre l’antiquité biblique et la colonisation sioniste, l’histoire, notamment
celle de l’islam et du peuple palestinien, est entièrement occultée419. Seul compte en effet le
passé juif, car les non-Juifs ne seront jamais que des guérim résidant en terre d'Israël,
étrangers que l'on tolère dans la condescendance, à moins qu’on les considère comme des
indésirables ou des ennemis potentiels destinés à être expulsés hors de Palestine.
LES VIOLENCES D’ORDRE SÉMANTIQUE :
UNE ENTREPRISE SOPHISTIQUÉE DESTINÉE À SUBJUGUER420
"C’est le Verbe qui mène le monde"... pour le meilleur et pour le pire. Si le barbare a pu
être vu comme celui qui substitue la violence au langage, le langage peut aussi constituer une
violence caractérisée et les mots devenir des armes redoutables de domination.
Du fait de leur héritage culturel et religieux les portant à l’étude du Livre et, partant, à celle
des livres421 les Juifs sionistes jouissent d’une franche supériorité sur l’ensemble de leurs
adversaires et partenaires : la supériorité du Mot, une arme qui, à l’ère de la mondialisation de
417
. Lettre rapportée par Alain Gresh dans Israël, Palestine, p. 67.
. Fundamental Laws of the State of Israël, Joseph Badi, New-York 1960, p. 15.
419
. D. Vidal et J. Algazy, Le péché originel d’Israël, p. 7 ; Raz-Krakotzkin Amnon, Exil et souveraineté, p. 90.
420
. Signalons ici l’ouvrage sioniste The Israel Project’s 2009 GLOBAL LANGUAGE DICTIONARY destiné à rester
secret mais qui est tombé néanmoins dans l’espace du Web et qui, en 116 pages, élabore 25 règles pour une
communication efficace avec, d’une part les mots qu’il convient d’utiliser et ceux qui doivent être bannis,
d’autre part les arguments à développer suivant les circonstances et les interlocuteurs. À noter que l’ouvrage,
véritable chef-d’œuvre d’hypocrisie, s’adresse particulièrement aux Américains des États-Unis qui, de par leur
culture chrétienne, sont à la fois les plus grands soutiens de l’idéologie sioniste et parmi les moins aptes à résister
à l’entreprise en question de domination et de subversion par le langage.
421
. Charles Péguy, en visant avant tout la parole de Dieu, disait à ce propos « le juif est un homme qui lit depuis
toujours, le protestant est un homme qui lit depuis Calvin, le catholique est un homme qui lit depuis Ferry »
(Œuvres en prose complètes, tome 3, op. cit., p. 1297).
418
130
l’information, surpasse à l’évidence tous les moyens militaires422. Dans l’histoire de
l’humanité, c'est une entreprise inédite que cette perversion du discours médiatique par la
dialectique savante et les mots-pièges générés par l'idéologie sioniste dans la guerre de
conquête entreprise depuis plus d’un siècle. Particulièrement exploités par les Sionistes au
service de leur entreprise d’élimination palestinienne, citons particulièrement :
• l’hébraïsation de la terre de Palestine
• l’expression verbale du mépris
• le langage au service de la colonisation
• les violences verbales de l’internationale sioniste
a) L’hébraïsation de la terre de Palestine
De retour d’un voyage en Israël et Palestine en mars 2002, témoin, avec plusieurs de ses
collègues du Parlement international des écrivains, d’une colonisation à la fois inédite et
spectaculaire, Christian Salmon423 peut écrire : « Ici on défait les lieux. Forêts, Collines,
Routes. La main de l'homme se retourne contre le paysage. Elle arrache, pille, déracine ; elle
déplace, dépeuple […] Il ne s'agit pas ici d'habiter, mais de déloger. De détruire. C'est la
première guerre menée avec des bulldozers. Un effort de dé-territorialisation sans précédent
dans l'Histoire. C'est une guerre totale, dans le sens où elle n'est pas faite seulement aux
populations civiles, mais au territoire lui-même. C'est une guerre agoraphobique. Qui ne vise
pas au partage, mais à la dissolution du territoire ».
La prise de possession de la terre par les colonisateurs est ici en effet d’un genre nouveau.
Entreprise spécifique, encore inconnue de l’histoire, il s’agit de purifier cette terre de toute
présence non-juive. La désappellation de tous les lieux et l’attribution de nouveaux mots pour
leur conférer une nouvelle existence en occultant la longue période d’"Exil" font partie de la
stratégie mise en œuvre. Attias et Benbassa424 signalent ainsi que dans « une région du désert
du Néguev dénuée de toute tradition historique, on a donné entre 1949 et 1950 des noms
hébraïques à quelque 533 lieux et sites géographiques » et « qu'on a aussi traduit de l'arabe
les noms de structures topographiques, de plantes, d'animaux, en un mot de tout ce qui était
intimement lié à la terre et au paysage […] Comme si la conquête physique ne pouvait pas
suffire. Le nom transforme le lieu en texte ». Car il s'agit de désarabiser la terre, toute la terre,
et de l’hébraïser. Cette hébraïsation, poursuivent les mêmes auteurs425, qui assure la déterritorialisation et la prise de possession de la terre par le primat de la langue et du mot, est
en même temps un rachat, une rédemption.
Le général Moshe Dayan426, devant les étudiants de l’institut israélien de Technologie, en
rappelant ses souvenirs du début de la conquête, apporte lui aussi son éloquent témoignage :
« Nous sommes arrivés dans un pays peuplé d’Arabes et avions à construire un État hébreu,
juif. À la place des villages arabes, nous avons établi des villages juifs […] Nahahal a
remplacé Mahahul, Gevat a remplacé Jobta, Sarid a pris la place de Hamifas et Kafr
Yehoushu’a celle de Tel Shamam. Il n'y a pas une seule implantation de colons qui n'ait été
faite sur les lieux d'un ex-village arabe ».
Ici, il ne s’agit pas seulement, à l’instar de quelque terreur totalitaire, de détruire des
formes extérieures et des monuments historiques mais d’effacer plus avant, « avec méthode et
persévérance », en usant de nouveaux mots, toute trace de ce qui existait précédemment. Dans
cette perspective, les expositions, les sites archéologiques, les musées du patrimoine vont
jouer un rôle majeur dans le modelage des esprits. En aucun autre pays n’existe autant de
musées par rapport au nombre d’habitants. La population palestinienne honnie n’y est pas
422
. « Car le mot, c'est le Verbe, et le Verbe, c'est Dieu » disait Victor Hugo !
. Le monde diplomatique, mai 2002.
424
. Israël imaginaire, p. 234.
425
. Ibid., p. 233.
426
. Haaretz du 4 avril 1969, rapporté par Ralph Schoenman, p. 57.
423
131
représentée de façon négative suivant la méthode généralement suivie par les groupes
dominants n’ayant pas l’intelligence de pousser plus loin leur réflexion et leur calcul, elle est
rendue invisible.
À cette destruction systématique des preuves matérielles de la culture spécifique d'un
peuple de façon à ce qu'aucune trace n’en subsiste, destruction menée par les Sionistes en
Palestine avec une détermination et une efficacité qui semblent inégalées dans l'histoire,
plusieurs auteurs ont appliqué les termes de « génocide culturel », de « génocide moral », de
« mémoricide », de « sociocide »…
b) L’expression verbale du mépris : témoin privilégié du racisme
Boris Cyrulnik427 a parfaitement décrit le phénomène suivant lequel le mépris se trouve
toujours associé au processus raciste qui permet d’agresser une population, de la réduire en
servitude, voire de la supprimer : « Le processus qui permet d’exterminer un peuple sans
éprouver de sentiment de crime, écrit-il, est toujours le même. En voici la recette : d’abord il
faut le désocialiser afin de le rendre vulnérable… Puis il convient de parler de ce groupe
humain en employant des métaphores animales : "des rats qui polluent notre société", des
"vipères qui mordent le sein qui les a nourries"… Quand on arrive enfin à la démarche
administrative… il devient possible de mettre à mort ce peuple sans éprouver de culpabilité
car ce n’est tout de même pas un crime que d’éliminer des rats ».
Pierre-André Taguieff428 constate de même que les métaphores « bestialisantes » :
« vermine », « rats », « virus », « bacilles », « coucous », « ténias » sont largement utilisées
dans la littérature judéophobe. Dès le XIXe siècle, la métaphore de la « bactérie » est
d’ailleurs inventée par le philosophe allemand Dühring pour qualifier le Juif. Et, on sait que
cette figure sera largement reprise par les nazis, notamment par Himmler, pour qui les Juifs
devront être éliminés à tout prix dans la peur de voir la société allemande profondément
infectée. « Nous ne voulons pas, dans le processus d’élimination d’un bacille, être
contaminés, tomber malades et mourir ». Mais, en Palestine/Israël, non pour un génocide
mais néanmoins pour un ethnocide caractérisé429, les Palestiniens ne sont-ils pas aussi
animalisés sous la forme de « cafards » (pour Eitan, ex-chef d'état-major israélien), de « bêtes
féroces » (pour Menahem Beghin, ex-Premier ministre), de « serpents » (pour le grand rabbin
Yossef, responsable du parti religieux Shass), de « crocodiles » (pour Ehoud Barak, exPremier ministre), de « vers de terre » (pour Yehiel Hazan430, député du Likoud) ? D’ailleurs,
pour le chercheur Benny Morris parlant des Palestiniens : « Il faut les enfermer dans quelque
chose comme une cage […] Il y a là-bas une bête sauvage à enfermer d’une manière ou d’une
autre »431.
À propos du racisme inhérent au sionisme, Hannah Arendt pouvait écrire dès le mois de
mai 1948 : « Le sentiment traditionnel du sionisme est que tous les non-juifs sont
antisémites... L’hostilité générale des non-juifs est considérée par les sionistes comme un fait
427
. Les Anges exterminateurs, Nouvel 0bservateur, 13/01/2005.
. Op. cit., p. 15.
429
. Ce mot créé au milieu du XXe siècle, à partir du grec ethnos (« peuple », « nation »…) s’applique non pas à
la destruction des corps (c’est le génocide) mais à celle de la civilisation d’un groupe ethnique par un autre
groupe plus puissant (Dictionnaire Petit Robert) : le groupe dominateur impose au groupe dominé son propre
modèle de civilisation qu’il considère comme supérieur. En pratique générale, c’est l’assimilation forcée (en
Europe, on a parlé par exemple des turcophones « bulgarisés »). En fait, la définition du dictionnaire ne convient
nullement à l’État sioniste dont l’ethnocide est inédit. Ici, le peuple dominé n’est pas apte, au nom de la donnée
raciale, à accéder au niveau du groupe dominateur. Il s’agit de le contraindre à abandonner son territoire
ancestral et, éventuellement, de le « transférer » d’autorité dans un autre pays.
430
. Lors de la séance de la Knesset, 13 décembre 2004. Face à tous ces propos d’hommes politiques israéliens il
est facile d’imaginer les réactions des communautés juives si un responsable politique des 190 pays membres de
l’ONU en avait tenu de semblables sur les Juifs !
431
. citations rapportées par Shlomo Sand dans Les mots et la terre. Les intellectuels en Israël, p. 153.
428
132
inaltérable et éternel de l’histoire juive... Cette attitude est pur racisme chauvin ; il est
évident que cette division entre les juifs et tous les autres peuples – tenus pour ennemis – ne
diffère pas des autres théories de la race des seigneurs »432.
Jules Isaac, dans Genèse de l’antisémitisme a popularisé, au sujet de l’hostilité chrétienne
envers les Juifs, une expression accusatrice : « l’enseignement du mépris ». On voit que cette
dialectique, largement reprise depuis lors et si symptomatique de la haine raciale
perpétuellement résurgente chez les hommes, est utilisée par les descendants directs de ceux
qui en furent les singulières victimes.
Constatons en définitive que l’État d’Israël où s’entend à l’envi un discours ethnocidaire
caractérisé et au sujet duquel le philosophe juif, Ernst Ludwig Pinner, peut écrire
« Aujourd’hui on exalte la race et on s’en sert comme d’une bannière au nom de laquelle tout
se justifie »433, n’est pas, comme le sont les États démocratiques, une construction au service
des habitants qui y vivent dans leur diversité culturelle ou raciale. Il est cet État où « les
libertés publiques, les moyens de les mettre en œuvre et les droits de l’homme les plus
fondamentaux sont déniés par la loi à ceux qui ne répondent pas à certains critères raciaux et
religieux »434. Dérogation fondamentale au principe de toute démocratie : en appartenant
exclusivement aux Juifs du monde entier, Juifs d’Israël et d’ailleurs, il s’est voulu une
raciocratie435.
c) Le langage au service de la colonisation
Ainsi que nous l’avons vu l'idéologie sioniste ne s’est pas donné pour objectif de coloniser
un territoire comme ont pu le faire les Européens au XIXe siècle, mais de le récupérer en
vertu du don divin fait à leurs ancêtres et d’en repousser les habitants non-Juifs vus comme
des habitants illégitimes. En Palestine/Terre promise, les Juifs sionistes prennent possession
d'un héritage qui était tombé, il y a bientôt deux mille ans, entre des mains étrangères.
C’est ainsi qu’il n’y a pas en Palestine historique :
• de territoires occupés mais des « territoires » en voie de rédemption436 ;
• une Cisjordanie colonisée mais une « Judée-Samarie » en voie de libération ;
• de territoires palestiniens mais des « territoires où résident des Arabes ».
Le terme de Palestine est banni de façon absolue par les Sionistes qui ne peuvent imaginer
une entité indépendante de ce nom.
Il n’y a pas non plus pour eux :
• d'expulsion, de nettoyage racial ou de déportation mais de « transfert » ;
• de torture, mais de « pressions physiques » ;
• de liquidation physique, mais d’« opération ponctuelle visant à déjouer un attentat » ;
d’« autodéfense active » ou de « neutralisation » ;
• d'assassinat politique ou de meurtre extrajudiciaire, mais d’« élimination ciblée » ;
• d’irruption dans un pays étranger comme le Liban, c’est-à-dire de pénétration par la force
des armes et de destructions massives, mais d’« incursion » qui se veut momentanée ;
432
. Article Sauver la patrie juive dans la revue Commentaire p. 401.
. Citation rapportée par Klaus J. Hermann dans son article Perspectives historiques sur le sionisme et
l’antisémitisme, in Sionisme et Racisme p. 252.
434
. Ralph Schoenman dans L'Histoire cachée du sionisme.
435
. Shlomo Sand dans Comment le peuple juif fut inventé, en parlant de la "race juive" et du "sang juif" promus
notamment par les rabbins et les sionistes, utilise le terme équivalent mais plus passable d’ethnocratie.
436
. Un argument juridique est volontiers mis en avant par les Sionistes pour justifier l’expression de
« territoires » et récuser celle de « territoires occupés ». Sont dits « territoires occupés » des territoires où
existait précédemment un État indépendant. Or, la Palestine n’était qu’un territoire «administré » par la Grande
Bretagne !
433
133
• de Résistance des Arabes mais de « terrorisme » ;
• de colonies, mais d’« implantations » et d’« installations ». De plus, pour mieux inciter les
Juifs à s’en voir les nouveaux et légitimes propriétaires, ces « installations » sont établies en
« zones résidentielles ».
Dans la même perspective idéologique divers mots et expressions possèdent une
interprétation spécifique. Parmi elles citons : « Jérusalem », « guerre », « tuer », « offres
généreuses », « mesures de sécurité », « mesures économiques ».
« Jérusalem »
Cette capitale réunifiée et éternelle dont l’État d’Israël s’est doté au mépris de l’ONU ne
désigne pas, comme il le laisse croire, la ville que son armée a occupée en 1967 mais une
métropole quelque quatorze fois plus vaste, sa superficie étant passée de 73 à plus de 1 000
kilomètres carrés par l'accaparement progressif des terres des Palestiniens.
« guerre »
Ce terme ne désigne pas les opérations militaires de l'armée israélienne mais les hostilités
déclenchées et planifiées par les Palestiniens sous un prétexte fallacieux. Les interventions de
l'armée israélienne à l'aide de l'artillerie, des chars, des hélicoptères et des missiles ne sont,
par principe, que de nature défensive. D’ailleurs, le terme de Tsahal ne signifie-t-il pas
« armée de défense »? Revêtue d’une majuscule, personnalisée, dotée pour les Juifs d’une
connotation affectueuse, Tsahal devient ainsi une armée singulière, sympathique et qui n’est
comparable à aucune autre. Nombre de journalistes occidentaux vont ainsi, plus ou moins
inconsciemment, contribuer, eux aussi, à la faire connaître comme telle, alors qu’elle est
considérée, par quelques refuzniks courageux, comme « très lâche », compte tenu de
l’extrême disparité des forces en présence et des opérations criminelles engagées.
« tuer »
Les Israéliens qui agissent avec « retenue » peuvent être tués, mais ils ne tuent pas. Tout au
plus font-ils quelques « dégâts collatéraux » dont il suffit de s’excuser. Il n’y a que les
Palestiniens qui tuent.
De plus, en matière d'information, certaines règles doivent être appliquées lorsqu’il y a des
morts :
• quand un Juif meurt dans un affrontement, il convient de détailler sa biographie : âge, nom
et prénom, profession, situation familiale, pays d’origine s’il s’agit d’un émigré, croyance s’il
est pratiquant... ; d’inclure des photographies suggestives prises sur le lieu du drame avec le
corps, le sang... et, si la victime est un enfant, de parler de son école, de ses parents, de ses
amis, d’obtenir des témoignages...
• quand des Palestiniens (ou des Arabes israéliens) sont tués, il s’agit d'éviter toute
personnification pour qu’ils restent sans nom ni visage (ce ne sont pas tout à fait des individus
qui meurent mais des éléments palestiniens (les nazis, quant à eux, parlaient de stücke à
propos des déportés). D’autre part, est utilisé prioritairement le terme abattus, terme appliqué
généralement à quelque bête menaçante. Exemple : « Au cours d’affrontements, un soldat
israélien a été tué, trois Palestiniens ont été abattus ».
• quand un colon armé est tué, c’est un civil qui est tué ; les Palestiniens tués ne sont pas des
civils mais des anonymes.
« offres généreuses » faites aux Palestiniens.
Pour juger de cette expression, il faut se rappeler ici les données suivantes :
• le Plan de partage de 1947 a octroyé aux Palestiniens 47 % de la Palestine historique (alors
que les Arabes étaient au nombre de 1 315 000 et les Juifs au nombre de 668 000) ;
• les Accords d’Oslo de 1993 (signés par l’"Autorité palestinienne") prévoyaient un État arabe
représentant 22 % de la Palestine historique ;
134
• l’« offre généreuse » faite en 1999 (par le Premier ministre israélien Barak), proposait un
État arabe représentant 80 % des 22 % prévus à Oslo (soit 17 % de la Palestine historique) ;
• le « plan de paix » fait en 2000 (par le Premier ministre israélien Sharon) proposait 42 % des
80 % des 22 % prévus à Oslo (soit 7,5 % de la Palestine historique).
« mesures de sécurité et mesures économiques »
Ces deux expressions couvrent l’ensemble des initiatives du gouvernement israélien :
élimination des opposants, bouclages, sanctions collectives, bombardements de quartiers
résidentiels, couvre-feux, confiscation des terres, dynamitage des maisons, destructions des
arbres et des récoltes, interruption de l’approvisionnement en eau... etc.
Dans les médias tributaires de l’idéologie sioniste il y a aussi des mots et des expressions
qui s’appliquent exclusivement à l’une ou à l’autre des parties en présence :
• s’appliquent aux Palestiniens les mots : "terrorisme", " terroriste", "agresseur", "meurtre",
"escalade", "attaque", "attaque à la bombe", "provocation"….
• s’appliquent aux Juifs israéliens les mots :"civils", "victimes"," assassinés", "agressés",
"assiégés", "état de légitime défense"…
Signalons enfin les slogans-pièges d’aujourd’hui, « Israël : État juif et démocratique »,
« Israël : la seule démocratie du Moyen-Orient », qui subjuguent nombre de dirigeants des
nations.
Manier le Verbe, pour les militants de l’idéologie sioniste et pour les réseaux qui lui sont
acquis à travers le monde, ce n'est pas seulement, comme nous venons le voir jouer
astucieusement avec des mots-masques pour camoufler des exactions, subjuguer les politiques
par la corruption et par une habile dialectique, élever la manipulation des concepts et la
désinformation au niveau d’un art, exploiter des mythes religieux pour légitimer la
domination absolue sur un territoire, pratiquer l’utilitarisme jusqu’à l’indécence (notamment à
propos du génocide nazi) ou exploiter la Justice pour justifier une cause injuste… C'est aussi,
face aux opposants Juifs et non-Juifs utiliser l'intimidation et les menaces, face aux
populations opprimées user de ruse et de corruption, face à l'opinion publique manier le
mensonge et le déni.
Le langage mystifiant du sionisme n’a pas son équivalent historique : seule une forme très
élémentaire – sous forme de quelques mots ou expressions communs à tous – a pu être
suscitée et mise en œuvre par les totalitarismes du XXe siècle437. Le résultat de cette
dialectique est spectaculaire : n’a-t-elle pas réussi dans le monde occidental et musulman, à
faire croire possible et à faire espérer au plus grand nombre l’avènement d’un État palestinien
libre, indépendant, souverain à côté d’un État juif ?
Devant cette vague déferlante particulièrement violente et subtile, qui submerge tout le
discours sur le conflit israélo-palestinien depuis tant d’années, Maxime Rodinson parle, quant
à lui, de « l’exaspération d’un homme catalogué comme juif de par son ascendance (et qui ne
songe nullement à le nier) devant cette vague de terrorisme qui charrie les sophismes, les
paralogismes, les mensonges les plus évidents en quantité démesurée, qui veut imposer à tous
une image idéale et intouchable du Juif en soi avec des excès de narcissisme ethnocentrique
dont on a du mal à trouver des exemples plus forcés, qui débouche sur l’apologie des
pratiques les plus condamnables. Cette vague étalée sur des millions de colonnes et de pages
imprimées, qui répand sans arrêt des visions fausses des événements et des structures du
passé et du présent, persuadant des millions d’ignorants ou d’incompétents. Cet effort
quotidien – non seulement par les textes écrits, mais par les menaces, les manœuvres
souterraines et autres – pour contraindre Juifs (y compris ceux qui le sont surtout au sens
437
. Citons dans le nazisme : « traitement spécial » pour « exécution à la mitrailleuse », « solution finale » pour
« extermination par le gaz » ; dans le communisme : « camps de rééducation » pour « camps de concentration ».
135
hitlérien du mot) et non-Juifs à adopter, à soutenir cette idéologie, à s’enthousiasmer pour
elle. Cette double inconscience ainsi répandue et imposée chez des milliers d’intellectuels et
autres, des plus exigeants sur d’autres plans et qui pardonnent ou masquent chez des Juifs
tant d’attitudes, de comportements violemment condamnés chez les autres »438.
d) Les violences verbales de l’internationale sioniste
À partir du postulat traditionnel dans le sionisme selon lequel les Juifs n’ont qu’une patrie,
la Palestine, bien des maladresses, des fautes, des erreurs, des propos agressifs à l’encontre de
leur pays de résidence ou des non-Juifs vont être exercées très naturellement, par les Juifs
tributaires de l’idéologie sioniste. Citons quelques exemples de paroles et de comportements :
• les propos de Marek Halter439 attribuant la création de l'État d'Israël au combat des Juifs
contre les Britanniques et comparant Ben Gourion (ex-terroriste devenu Premier ministre) à
Gandhi en tant que décolonisateur :
« Israël, comme tous les pays en lutte pour leur indépendance, ne doit sa création qu'au
combat et à la mobilisation de sa propre population contre le pouvoir colonial. Une lutte
souvent violente et dont la victoire a sonné le glas de l'Empire britannique. La lecture de la
correspondance entre Ben Gourion et Gandhi, accomplissant tous deux en même temps ce
difficile travail de décolonisation, éclaire définitivement cet enjeu politique ».
• les propos de Jean Kahn, président du Consistoire central israélite, lors de l'Intifada
d'octobre 2000 :
« Cela fait deux mille ans que les juifs sont des boucs émissaires. Il faut dire la vérité et ne
pas oublier qu'Arafat, en fermant les écoles, est le responsable de la mort des enfants ».
• les propos de Roger Cukiermann, président du CRIF, confiés au quotidien Ha’aretz (du 26
septembre 2001) :
« Lorsque Sharon est venu en France je lui ai dit qu’il devait absolument mettre en place
un ministère de la propagande comme Goebbels ».
• les propos de Jacques Kupfer, président du Likoud France et, secondairement, du Likoud
mondial :
« Les droits d'Israël sont écrits dans la Bible et non dans les déclarations de l'ONU
[…] Les Palestiniens sont des hordes de barbares et des squatters arabes en Eretz Israël […]
Peut-être faut-il se rendre à la seule évidence : on ne peut plus vivre avec eux si tant est qu’ils
aient le droit de vivre. Leur transfert apparaît comme la seule solution praticable capable de
nous apporter la sécurité et plus tard la paix. L’histoire offre toujours les opportunités pour
réaliser les rêves d’une nation. Encore faut-il savoir les saisir et ne pas rater les occasions
comme nous l’avons fait en 1948 ou en 1967 »440.
Quant aux propos traduisant une double allégeance, propos dénoncés notamment par
Alfred Fabre-Luce dans les années 1970 et plus récemment par Michèle Manceaux441, ils sont
banals :
438
. Op. cit., p. 292.
. Le judaïsme raconté à mes filleuls.
440
. Citations rapportées dans Le Monde du 27/9/1996, dans Le Monde diplomatique de décembre 2002 et par
Danielle Sallenave dans dieu.com, Gallimard 2004, p. 92. Notons que le « transfert » (c’est-à-dire la déportation)
a toujours été vu par les sionistes, y compris par les travaillistes, comme « un programme logique et juste, moral
et humain ».
441
. Fabre-Luce, dans Pour en finir avec l’antisémitisme, s’interroge : « Sont-ils encore citoyens ceux qui paient
un impôt à un État étranger ? ». Quant à Michèle Manceaux, elle se plait à rappeler et à affirmer haut et fort
contrairement aux sionistes que : « Le pays d’un Français juif, ce n’est pas Israël, c’est la France » (Histoire
d’un adjectif et Le Figaro du 19/02/03).
439
136
• les paroles du grand rabbin de France Joseph Sitruc adressées au Premier ministre israélien
Itzhac Shamir : « Chaque juif en France est un représentant d'Israël. Soyez assuré que
chaque juif de France est un défenseur de ce que vous défendez »442;
• l’appel de ce même grand rabbin au boycott d’élections françaises le jour de Pessah443;
• l’exhortation du responsable du CRIF, faite aux « Juifs de France » de « s'identifier » aux
Juifs israéliens lors de la seconde Intifada ;
• la désignation « notre ambassadeur », pour parler de l’ambassadeur israélien en France ;
• l’appellation « les Français » pour parler des non-Juifs ;
• l’évolution banale de certains suivant laquelle « on se définit d’abord comme Français juif,
puis successivement comme Juif français, comme Juif de France, enfin comme Juif en
France »444 ;
• les propos de jeunes Juifs français faisant leur service militaire en Israël : « Ici, on a
vraiment le sentiment d’appartenir à une nation »445 ;
• les déclarations de Juifs français en arrivant en Israël dans le cadre de l’alyah : « enfin nous
arrivons dans notre patrie » ;
• le "Cher Ariel " de Théo Klein446, dans sa lettre ouverte au général Sharon où un criminel de
guerre devient, par la loi de la judéité, un frère de race affectionné et, par la magie de mots
très raisonnables, un personnage respectable ayant seulement besoin de quelques conseils de
circonstance. D’ailleurs, Théo Klein ne dit-il pas que, si l’occasion lui était donnée de
rencontrer le général, il l’apostropherait ainsi : « Arik, ne raisonne pas comme un goy » 447 ?
Signalons aussi :
• le fait que nombre d’intellectuels juifs modernes piégés par l’idéologie sioniste se font les
champions inconditionnels du nationalisme israélien et donc les complices de ses exactions,
alors que nombre de leurs prédécesseurs d’avant 1945, à l’exemple de Marc Bloch, étaient de
grands patriotes ;
• l’existence d’organisations juives d’extrême droite d’idéologie raciste448 et, sur Internet, une
multitude de sites résolument racistes prônant la pureté du groupe juif, la guerre contre les
Palestiniens auxquels sont attribués des qualificatifs abjects, sites où s’expriment
parallèlement la haine des Juifs non-inconditionnels d’Israël et des non-Juifs, en même temps
que celle de la France et de ses dirigeants.
À propos des terribles dérives directement inspirées par cette idéologie prégnante qu’est le
sionisme remarquons que, si les conquêtes par les armes ont pu imposer tout au long de
l’histoire une deuxième patrie à nombre d’hommes, la contrainte morale faite aux Juifs
d’adhérer à une patrie juive, contrainte imposée de l’intérieur même de leur communauté
spirituelle, est autrement plus grave et profonde que la contrainte précédente. Inédite, elle
442
. Le Monde, 12 juillet 1990.
. Actualité juive, N° 356 du 28 octobre 1993.
444
. Alfred Grosser, Ouest France du 03/03/2005.
445
. Tsahal, la foi au bout du fusil. Le Figaro du 27/04/98.
446
. Lettre ouverte à Ariel Sharon, Le Monde du 16/02/2005.
447
. Journal de l’été 2002, Études, déc. 2002. Où l’on mesure, par cette phrase d’un personnage estimé du
judaïsme, homme libéral et pondéré parmi les siens, le mépris envers les non-Juifs véhiculé par le judaïsme dans
l’inconscient sociologique de ses membres !
448
. Parmi ces organisations présentes dans nombre de pays dont la France citons la Ligue de défense juive (LDJ)
(milice armée clandestine liée au mouvement Kach interdit en Israël qui sévit particulièrement en France et dans
divers pays européens ) et le Betar particulièrement actif. Fondé par Jabotinsky avec l’aide des fascistes italiens,
l’hymne du Betar que rapporte Dominique Vidal (Le mal-être juif, p. 13), commence par ces mots :
Betar,
De la fosse, pourriture et poussière,
Naîtra une race,
Par le sang et la sueur,
Fière, généreuse, dure…
443
137
s’accompagne obligatoirement de la révolte du petit nombre et de la soumission du grand
nombre et, dans les deux cas, d’un malaise qui ne peut s’effacer. Et ce malaise ou ce malêtre449, avant d’amener certains Juifs à collaborer avec l’entreprise sioniste, fait
manifestement de nombre de Juifs les victimes premières du judaïsme sioniste.
Sacralisées par les textes bibliques, justifiées par la quasi-totalité des rabbins, menées
depuis les premières vagues de colons avec un esprit de système inégalé dans l’obsession
perpétuelle de se débarrasser des Arabes, toutes ces violences dénoncées depuis 1948 à de
multiples reprises par les organismes internationaux de défense des droits de l’homme ont une
perspective très précise : neutraliser la population autochtone et subjuguer les nations pour les
mettre devant une situation passant pour irréversible.
ISRAËL : UNE SOCIÉTÉ A MAJORITÉ RACISTE
Selon un sondage450 concernant l’interdiction des mariages mixtes en Israël, critère
essentiel qui permet d’attribuer le qualificatif de raciste à une doctrine, une organisation ou
une société véhiculant parallèlement quelque mystique de pureté du sang, 62 % des interrogés
s’opposent à ces mariages. Comme il est logique, plus les personnes se disent religieuses, plus
elles s’opposent à ces unions : cette opposition est de 35 % chez les laïcs, de 68 % chez les
traditionalistes, de 95 % chez les religieux.
Par référence à de nombreux textes de la Bible (notamment au Deutéronome 7:3, au livre
d’Esdras 9:2,12 ; 10:44 et au livre de Néhémie 13:25), la religion est effectivement le
principal support de la mixophobie. Rappelons qu’en Israël, ce sont les autorités rabbiniques
qui ont le monopole de statuer sur les mariages et les divorces juifs, l’héritage et l’identité
juridique. Pour être reconnu comme Juif il faut aussi être circoncis par un rabbin (ce qui
donne accès aux divers droits de citoyen, allocations familiales par exemple).
Les mariages mixtes représentant « la pire catastrophe pour le judaïsme » sont réprouvés
depuis toujours par les dirigeants sionistes, tremblant devant le spectre de l’assimilation.
Comme le disait Golda Meir Premier Ministre d’Israël, « épouser un non-Juif, n’est-ce pas
rejoindre les six millions de Juifs exterminés » ? Ces mariages qui se veulent contre-nature
sont interdits de fait en Israël depuis 1947 par la loi sur la juridiction des tribunaux
rabbiniques.
Quant aux musulmans et chrétiens qui vivaient en Palestine avant la création de l’État
d’Israël en 1947, ils sont considérés par l’article 3 de la Loi sur la nationalité de 1952 comme
« n’ayant jamais eu de nationalité ». Pour acquérir la citoyenneté israélienne, ils doivent
prouver qu’ils vivaient en Palestine avant la création de l’État d’Israël, ce qui est fort difficile
compte tenu des vastes destructions systématiques opérées par l’armée et les milices sionistes.
Il ne leur reste plus alors que la voie de la naturalisation qui exige une excellente
connaissance de la langue hébraïque et qui reste à la libre appréciation du ministre de
l’Intérieur. De toutes façons, n’étant pas Juifs, ils ne seront jamais que des Israéliens de
seconde zone, apatrides dans le pays de leurs ancêtres.
Les partis politiques nationalistes et racistes
Ce sont principalement le Shass, le Moledet, le Hérout, le Tekouma, le Mafdal, Israel
Beitenou… Qualifiés de transféristes, ils comportent tous l'expulsion de tous les non-Juifs de
la Palestine historique pour « achever la guerre de 1948 ».
À côté de ces partis politiques, divers mouvements ont également pour but la mainmise
juive sur toute la Palestine. Ils sont représentés particulièrement par le Manigout Yéhoudit au
sein du Likoud, le mouvement Kach qui, bien qu’interdit en 1994, n’en poursuit pas moins
son activité au grand jour et le Goush Emounim (le Bloc de la foi) dont le programme est
449
450
. Signalons que Dominique Vidal a consacré un ouvrage Le mal-être juif à ce sujet précis.
. rapporté en 2003 par La Voix de la communauté juive de France.
138
d’implanter des colonies, non plus des colonies stratégiques pour tenir le pays mais des
colonies de peuplement, pour que la Palestine tout entière redevienne le terre des Juifs.
Pour la plupart de ces partis ou mouvements ultra-orthodoxes et ultra-nationalistes
dominés généralement par des rabbins, l’obtention, au besoin par la guerre, de tous les
territoires occupés est un impératif religieux et sacré dans la perspective du Grand Israël
dépourvu de non-Juifs. Dans un discours conforme « au commandement péremptoire et cruel
ordonnant au peuple juif d’éliminer tous les autres habitants de la terre d’Israël »451, comme
l’écrit Avraham B. Yehoshua, ils visent explicitement l'expulsion de tous les Arabes de la
Palestine pour que la Terre sainte soit débarrassée de toute « souillure étrangère ». On peut
ajouter que, parmi eux, certains groupes organisés en milices, puissamment armés et
fanatiques, ne se laissent arrêter, ni par les risques d'affrontements avec les Arabes qu'ils se
plaisent à agresser, ni par la loi (la loi humaine est sans valeur à leurs yeux par rapport à la loi
divine qui exige la possession par les Juifs de toute la Palestine), ni par les décisions
éventuelles du gouvernement israélien. Responsables de bien des exactions, leurs membres
bénéficient toujours d'une grande indulgence de la part des tribunaux. Leur immunité est
pratiquement de règle.
Le racisme sioniste concerne en fait toutes les classes de la société israélienne
La rue juive israélienne est particulièrement révélatrice du racisme ambiant. Dans son livre
À tombeau ouvert 452, Michel Warschawski, évoquant les affiches et les autocollants posés sur
les voitures et les murs de Jérusalem, en permet une appréciation assez fidèle. Parmi les
multiples slogans qu’il rapporte citons par exemple ceux-ci : « Transfert = Paix + Sécurité » ;
« Expulser l’ennemi arabe » ; « Vaincre les Arabes - Casser les Arabes » ; « Pas d’Arabes,
pas d’attentats » ; « C’est eux ou nous – Transfert » ; « Mort aux Arabes »; « Shoah pour les
Arabes »… D’ailleurs, selon un sondage Gallup de la fin 2008, 44% des Juifs israéliens sont
pour l’expulsion massive des Palestiniens hors de la Palestine.
Si « la société israélienne est actuellement l’une des plus racistes du monde occidental »
selon Schlomo Sand453, certaines couches sont particulièrement marquées. Outre celle des
rabbins dont nous avons déjà parlé, outre celle des responsables de l’éducation
particulièrement soucieux de maintenir la séparation entre les enfants Juifs et non-Juifs, citons
aussi la toute puissante police qui considère depuis toujours les villes et les villages arabes
d’Israël comme un cinquième front destinés à rester sous haute surveillance et être réprimé à
la moindre exaction. Lors des pogroms de Nazareth, de Tel-Aviv, de Jaffa... perpétrés lors de
l’Intifada 2000 sur des Arabes par des nervis Juifs, le chroniqueur juridique israélien Moshé
Hanegbi pouvait déclarer « que ces pogroms ont renforcé le sentiment que la police est une
police raciste engagée seulement dans la défense des Juifs : elle n’a tiré pour tuer que sur les
émeutiers arabes ».
L’institution spécifiquement israélienne d’une corporation colonisatrice, le Kibboutz, qui
fut regardée initialement comme un modèle de socialisme, est également fort révélatrice.
Établie le plus souvent sur des terres anciennement palestiniennes, elle n’a jamais admis de
non-Juifs, même avant d’avoir été dominée il y a plusieurs dizaines d’années par l’élément
religieux. Israel Shahak considère même que « le kibboutz est l’organisation israélienne qui
pratique le plus haut degré d'exclusion raciste »454.
Le domaine de l'instruction est bien entendu particulièrement impliqué en Israël par la
politique de ségrégation : en dehors de quelques exceptions il n’y a pas d’écoles où des
enfants juifs étudient avec des enfants palestiniens. On peut ajouter que l'enseignement
451
. Pour une normalité juive, p. 62.
. p. 38.
453
. L’Express du 22/01/2013. L’historien est interrogé par Catherine Gouëset.
454
. Citation rapportée par Ralph Schoenman, dans L’Histoire cachée du sionisme.
452
139
traditionnel joue auprès des enfants juifs un rôle décisif quant à leur vision des non-Juifs,
individus volontiers identifiés aux Philistins de la Torah dont l’élimination fait partie du
plan divin.
Moshe Zimmermann, chef du département d'études germaniques à l'Université hébraïque
de Jérusalem, évoque quant à lui le « judéo-nazisme populaire » sévissant parmi les Juifs
d'Israël et de certains pays anglo-saxons : « Il y a un secteur entier de la population juive que
je définis, sans hésitation, comme une copie des nazis allemands. Regardez les enfants des
colons juifs d'Hébron, ils ressemblent exactement à la jeunesse hitlérienne. Depuis leur
enfance, on les imprègne de l'idée que tout Arabe est mauvais, et que tous les non-Juifs sont
contre nous. On en fait des paranoïaques : ils se considèrent comme une race supérieure,
exactement comme les jeunesses hitlériennes ».
Les intellectuels israéliens sont également largement concernés. Un auteur juif israélien
peut ainsi écrire à leur propos : « Les institutions académiques israéliennes sont toutes
impliquées dans la politique raciste et colonialiste de leur État, dans la mesure où elles
fournissent le soutien pratique et idéologique indispensable à la poursuite de l’occupation.
C’est ainsi par exemple qu’elles offrent des services de conseil à l’establishment militaire et
sécuritaire et financent la recherche utilisée pour justifier le nettoyage ethnique, les meurtres
extra-judiciaires, la ségrégation raciale et les expropriations. Il n’y a pas un corps
universitaire israélien qui ait protesté publiquement contre les enseignants-chercheurs
israéliens qui produisent des travaux racistes sous prétexte de couvrir les cursus des
étudiant ».
Les Organisations israéliennes pour les droits de l'homme, elles-mêmes, n'ont pas échappé
à ce pouvoir de corruption qui infiltre profondément la société sioniste : la plupart d’entre
elles restent indifférentes face aux lois édictées par l’État qui fondent un apartheid
institutionnel, impitoyable et humiliant. Certes, dans leurs colonies d’Afrique, d’Asie, du
Pacifique, d’Amérique du Sud, les Européens dans leur ensemble, Français, Britanniques,
Néerlandais, Espagnols, Allemands… ont manifestement affirmé eux-aussi leur supériorité et
attribué un statut infiniment inférieur aux populations colonisées. Néanmoins, si une certaine
composante raciste peut leur être attribuée, la comparaison avec l’État juif de Palestine ne
saurait être juste. En vertu de la mission civilisatrice qu’ils s’étaient souvent donnée, ils ont
été amenés à accepter nombre d’accommodements en faveur des indigènes qui avaient adopté
leur culture et plus particulièrement la religion chrétienne. C’est ainsi que la barrière de la
race fut souvent franchie et les mariages entre colons et indigènes relativement banalisés,
critère qui reste le plus adéquat pour distinguer un régime résolument raciste d’un régime
dont les membres, tout en nourrissant quelque sentiment de supériorité à potentialité
racisante, ne voient pas cette différence comme irréductible. Le mélange des populations fut
même souvent approuvé voire largement célébré au nom de l’universalisme laïque ou
chrétien. Ce fut notamment les cas dans les États non ségrégationnistes du Nord des ÉtatsUnis, au Brésil et dans les colonies des Européens. Dans ces territoires, la discrimination ne
fut jamais inscrite dans un texte législatif. Seuls trois pays formulèrent des interdits
concernant les mariages mixtes et instituèrent une ségrégation officielle : les États du Sud des
États-Unis pour les Noirs soumis depuis la fin du XIXe siècle aux lois Jim Crow, l’Afrique du
Sud pour les Noirs et les Métis sous le régime de l’Apartheid, enfin l’Allemagne nazie pour
les deux catégories raciales européennes particulièrement différenciées culturellement : les
Juifs et les Tsiganes. Après qu’aient été abattus le régime nazi en 1945, le régime
ségrégationniste des États-Unis à la fin des années 1960 et l’Apartheid en Afrique du Sud en
1991, c’est dire qu’il n’y a plus aujourd’hui qu’Israël, État juif pour les Juifs, où la
ségrégation, conformément au judaïsme le plus traditionnel, est inscrite dans les lois.
140
Sionisme et nazisme : de quelques convergences
Par delà leurs différences notons que ces deux idéologies s’expriment par un certain
nombre de données communes particulièrement caractéristiques du racisme dont elles sont
porteuses. Parmi elles citons notamment :
• les lois raciales prohibant l’exogamie,
• l’obsession de la pureté généalogique (certificats de judéité d’un côté, d’aryanité de l’autre
nécessaires dans la vie courante),
• le lien intime entre l’identité et le culte des origines,
• les travaux d’ordre scientifique et bibliographiques effectués depuis le XIXe siècle sur la
génétique des populations,
• les travaux archéologiques destinés à justifier la politique de récupération et d’expansion
territoriale (le Grand Israël d’un côté, la Grande Allemagne de l’autre),
• la mystique du Sang et du Sol (Blut und Boden)455,
• l’attribution de la qualité de peuple élu pour un destin sans égal.
……
Face à ces convergences, divers auteurs ont suggéré depuis quelques dizaines d’années
qu’il pouvait s’agir d’un racisme de contamination de la société sioniste, soit par la pensée des
doctrinaires européens du XIXe siècle, soit plutôt par celle des nazis, pensée qui aurait agi à la
fois comme repoussoir et comme modèle… Si cette hypothèse de contamination n’est pas a
priori illogique et ne saurait être totalement exclue, il ne saurait s’agir de toutes façons que
d’une sur-contamination. D’une part, toutes les lois raciales ont pour l’essentiel un contenu
commun, d’autre part le racisme institutionnel du judaïsme avec ses trois valeurs
fondamentales : la séparation radicale de l’humanité entre Juifs et non-Juifs, la transmission
héréditaire de la judéité et la loi du non-métissage dans une mystique de non-souillure a, sur
toutes les autres sociétés racisantes, une large antériorité.
C’est dire aussi que cette hypothèse concernant le monde sioniste relève avant tout chez
ses auteurs d’une méconnaissance de la pensée raciale portée par le judaïsme depuis ses
origines laquelle, comme nous l’avons vu précédemment avec l’historien André Pichot, a
fortement influencé la société germanique du XIXe siècle et contribué, en regard de la race
juive, à l’invention de la race aryenne.
.
LA DRAMATIQUE SITUATION MORALE
DES PALESTINIENS EN ISRAËL
(Nous ne parlerons pas ici des Palestiniens résidant dans les territoires colonisés de
Cisjordanie et de Gaza soumis au processus particulièrement cruel et inédit dont nous avons
rapidement parlé)
Les Arabes d’Israël – environ 1 350 000 – sont pour la plupart les descendants des quelque
160 000 Palestiniens qui n’avaient pas fuit à l’étranger lors des combats de 1947-1948 avec
les armées sionistes ou qui avaient échappé à l’expulsion programmée. Ils représentent
actuellement environ 20 % de la population totale d’Israël et 10 % de son électorat. 90%
d’entre eux vivent principalement dans le Nord du pays ; les autres, c’est-à-dire les 10 %
restant sont les Bédouins qui vivent au Sud dans le désert du Néguev. La grande majorité
d’entre eux, environ 82 %, est musulmane, le reste étant constitué de chrétiens, environ 9 %,
et de Druzes environ 9 % également (à noter que ces derniers ne se reconnaissant volontiers ni
comme Palestiniens, ni même comme Arabes).
455
. « La poutre maîtresse du national-socialisme est la communauté du Volk (peuple) enracinée dans son sol et
unie par les chaînes du même sang » proclame Hitler dans un de ses discours de janvier 1937. Walther Darré
(qui devait être ministre de l’Agriculture de Hitler) avait publié en 1930 un ouvrage La Race, nouvelle noblesse
du sang et du sol. Heidegger lui-même utilise "le sang et la terre" dans son discours lors de sa prise de fonction à
l’Université de Fribourg en avril 1933.
141
Si initialement ces Arabes étaient dans l’ensemble peu instruits il reste qu’ils ont toujours
gardé vivante la mémoire de ce qu’ils considèrent à juste titre comme la Naqba (la
catastrophe) et cultivé la nostalgie des temps qui avaient précédé cet événement dramatique :
la spoliation de leur territoire ancestral par décision de l’ONU de novembre 1947, suivie de la
guerre perdue par les armées arabes inorganisées venues à leur secours.
En théorie, d’après les principes fondamentaux de la constitution israélienne, les non-Juifs
israéliens ont les mêmes droits que les Juifs. En fait, par les multiples lois et décrets venus
modifier cette constitution, on peut dire que la ségrégation est institutionnelle : deux sociétés
coexistent, clairement séparées et foncièrement inégales, la société juive et la société nonjuive. Non seulement les populations vivent de manière géographiquement séparée dans des
univers parallèles où les chemins de traverse sont rares (la plupart des populations arabes
vivent dans des communautés rurales racialement homogènes ou dans les quartiers arabes des
grandes villes juives comme Haïfa, Tel Aviv ou Acre), non seulement elles sont éduquées
dans des systèmes d’éducation séparés (les Arabes disposent d’un secteur éducatif en langue
arabe séparé de ceux en langue hébraïque et ce n’est qu’à l’université que Juifs et Arabes se
côtoient), mais dans le système diabolique en vigueur en Israël, s’il y a bien une seule
citoyenneté israélienne, il n’y a pas de nationalité israélienne mais seulement des nationalités :
juive, arabe et druze, ce qui va permettre, sous une apparence légale, les discriminations en
faveur de la catégorie dominante.
Le judaïsme transportant de par ses mythes fondateurs des éléments idéologiques fondant
une altérité radicale entre Juifs et non-Juifs, il est facile de comprendre qu’un État qui
s’inspire de ces principes n’est pas seulement incité, mais contraint, ne serait-ce que pour
survivre politiquement, à être raciste au sens propre du terme en engageant une action
continue et oppressive à l’encontre de la population non-juive. Car un État représente
essentiellement une structure institutionnelle qui établit des lois, qui élabore des règles, qui
suscite des pratiques conformes à son idéologie et réprime les autres dans une perspective
primordiale qui est celle de se maintenir. C’est dire que les lois et décrets d’un État
spécifiquement juif ne peuvent pas ne pas être discriminatoires.
Certes, les Arabes israéliens, en résidant dans un État moderne de type occidental, ont
certains avantages et certains droits qu’ils n’auraient pas dans nombre de pays arabes tous
entravés dans leur développement par les pesanteurs de la religion : le droit de vote, la liberté
de penser, l’environnement éducatif, l’accès à une nourriture suffisante et à des soins
médicaux de bonne qualité…, mais il clair que parallèlement il mènent en permanence depuis
plus de soixante ans une vie faite d’humiliations extrêmes :
• humiliation d’être des étrangers et des apatrides dans le pays de leurs pères456 (voire dans
leur pays natal pour les plus âgés d’entre eux),
• de voir disparaître toute trace de leur passé avec la destruction d’une multitude de villages,
de cimetières, de monuments et l’hébraïsation de tous les noms de lieux,
• d’être soumis à une politique impitoyable de confiscation progressive de la terre dont ils ne
possèdent plus aujourd’hui que moins de 3% alors qu’ils représentent 20 % de la population,
• humiliation d’avoir, pour les plus conscients et les plus libres d’entre eux, la mauvaise
conscience de travailler d’une manière ou d’une autre pour les Juifs israéliens,
• d’avoir à préférer la vie chez l’ennemi de leur peuple plutôt que celle qu’ils pourraient avoir
dans les pays amis arabo-musulmans et d’être piégés moralement, tiraillés qu’ils sont entre le
confort et l’honneur, entre la collaboration et la résistance,
456
. Comme l’écrit l’un deux, Taher Najif, auteur d’une pièce de théâtre : « je ne suis pas né en Israël, c’est Israël
qui est né chez moi ».
142
• de voir que certains de leurs frères ayant peu de conscience politique apportent leurs voix,
lors des élections israéliennes, à des partis juifs dont le programme comporte leur "transfert"
non seulement hors des territoires qu’Israël s’est octroyé, mais hors de la Palestine historique,
• humiliation d’être surveillés étroitement dans leurs actions et leurs orientations politiques
avec la peur de l’expulsion,
• d’être dans l’incapacité de faire des projets d’avenir, voire d’écrire leur propre histoire,
• de constater leur impuissance absolue face une police et une armée omniprésentes qui
n’hésitent pas à les réprimer en cas de simples manifestations pacifiques457 et oppriment en
permanence leurs frères palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, les premiers soumis à une
colonisation-annexion inexorable, les seconds à un terrible blocus,
• humiliation d’être méprisés par nombre de Juifs qui les voient comme des suspects voire
comme une menace stratégique,
• de savoir que parmi eux comme dans toutes les situations de servitude, à côté des opposants
et des résistants, il y a des arrivistes, des collaborateurs et des délateurs qui profitent de la
situation par lâcheté ou intérêt personnel,
• de constater que les nations, directement responsables de la situation inhumaine qui est leur
faite, n’affichent qu’indifférence à leur égard comme à celui de leurs frères, colonisés de
Palestine ou réfugiés dans les pays voisins458,
• humiliation de n’avoir, avec l’État d’Israël, État juif pour les Juifs du monde entier, aucun
espoir de vivre dans un "État démocratique pour tous ses citoyens" mais seulement dans un
État d’apartheid,
• de vivre perpétuellement sous une chape de plomb psychologique : un étouffoir/éteignoir
sophistiqué auquel ils ne peuvent échapper qu’en émigrant, capacité qui ne peut appartenir à
l’évidence qu’à une infime minorité,
••••••
Le verrou sur la démocratie
Indépendamment des manœuvres diverses des communautés sionistes du monde qui, en
subjuguant les délégués des nations, ont permis le vote de novembre 1947 créant l'État
d'Israël, revenons un instant sur le geste de l'ONU. Comme on le sait, les délégués ont eu
l'intention de créer deux États. Munis d'une carte, d'une feuille blanche et d'un crayon,
ignorant tout, pour la plupart d'entre eux, du judaïsme, de la Palestine et de ses habitants,
largement inconscients de la portée de leur décision, ils envisagèrent ainsi, par un semblant
d'équité entre les deux principales parties en présence, deux États d’ordre racial : un État «
arabe » et un État « juif ».
Avec le qualificatif "arabe" attribué à un certain territoire, ils prenaient certes un risque
compte tenu de la diversité des communautés présentes en Palestine et du caractère pesant de
l'islam sur la politique des États où il prédominait, mais la composante raciale étant ici de peu
d’importance, toute perspective de démocratie, principe-guide de l'Organisation des Nations
Unies, n’était pas absolument et définitivement abandonnée pour ce nouvel État. Avec le
qualificatif de "juif", par contre, ils ont méconnu une donnée essentielle : l’importance majeure
457
. comme ce fut le cas lors de l’intifada d’octobre 2000.
. À la décharge très partielle des dirigeants politiques, des observateurs, des journalistes… on peut dire que la
plupart d’entre eux sont banalement victimes du syndrome d’accoutumance. Ils sont "habitués" ! Il s’agit là d’un
phénomène qui est fait de lassitude et d’indifférence, et en définitive d’aveuglement et de passivité complète
guettant les témoins de faits répétitifs pendant une longue période. Face au drame palestinien le phénomène est
particulièrement patent. Le perpétuel renouvellement depuis plus de 60 ans de faits insupportables pour des gens
"normaux", ici les exactions colonisatrices d’Israël, fait, d’une part que ces exactions sont banalisées, d’autre
part que l’idéologie sioniste qui leur est sous-jacente, et dont la connaissance permet seule de comprendre le
drame chronique en question, passe volontiers inaperçue. Comme si on dissertait d’Auschwitz en occultant le
nazisme, du goulag en ignorant le communisme.
458
143
au sein du judaïsme de la donnée raciale. Et, ils ont créé ainsi d'autorité un État inédit, le
premier État à dominante juive des temps historiques. Or, si les individus ont toujours quelques
difficultés à s’abstraire de la notion de race à laquelle ils sont confrontés de par la simple vie en
société et à se garder de sentiments ou d’actes à connotation raciste, il faut bien voir qu’un État,
en tant que structure dirigeante intégrant dans ses fondements la donnée raciale inhérente au
judaïsme et dotée par essence d’une prégnance tout à fait exceptionnelle, ne peut pas ne pas être
ségrégationniste et raciste puisque c’est la condition même de sa survie. L’État d’Israël, après
avoir obtenu de haute main indépendance et souveraineté de la part des nations largement
inconscientes du processus qu'elles déclenchaient, pouvait-il avoir d'autre vocation naturelle que
celle de néantiser, d’une manière ou d’une autre, les populations non-juives ? Dans cette
perspective négationniste « on trafiquera les données statistiques, écrit Ilan Halevi, on falsifiera
l'histoire et l'archéologie, on inventera le vide là où il y avait le plein, le désert là où les
cultures prospéraient, le nomadisme à la place de l'enracinement. Il n'est pas jusqu'à
l'argument contemporain de "l'unité arabe" qui n'ait été mobilisé pour nier l'évidence arabe de
la Palestine »459. Quant à Golda Meir, alors Premier ministre d'Israël, elle déclarait en août
1973 à propos de la guerre de 1947-1948 : « Tout ne s'est pas déroulé comme s'il y avait eu en
Palestine un peuple palestinien qui se considérait comme tel, et que nous aurions chassé pour
prendre sa place. Les Palestiniens n'existaient pas ! » Précédemment, à Albert Einstein qui
s’inquiétait de ce que deviendrait les Palestiniens si la Palestine devenait juive, Chaïm
Weizmann répondait : « Ils comptent si peu » ! Et après qu’ils aient été chassés en 1948,
Moshe Sharett, ministre des Affaires étrangères israélien, déclarait froidement : « Les
réfugiés trouveront leur place dans la diaspora grâce à la sélection naturelle, certains
resteront, d'autres pas (...) La majorité deviendra un rebut du genre humain et se fondra
dans les couches les plus pauvres du monde arabe »460.
Mais le résultat de la faute insigne de l'ONU ce n'est pas seulement le désastre du présent
(si l'on veut bien étendre le présent à tout ce qui se passe en continu depuis plus de soixante
ans en Palestine), c’est aussi le fait d’avoir donné son aval à une entreprise qui, fondée sur le
droit du sang et la domination qui se veut définitive des Juifs sionistes sur la population nonjuive, ne pouvait pas ne pas mettre un verrou sur la démocratie. N’est-il pas dit, dans la Loi
fondamentale, qu’il ne saurait y avoir d’éligibles – et donc d’élus – ne reconnaissant pas le
caractère juif de l’État d’Israël ?
À l’époque moderne, constatons qu’il n’y a plus guère, en effet, que l’État sioniste de par
le monde qui soit institutionnellement raciste. Cet État dont le principe même apparaît de plus
en plus anachronique ne peut que vivre un certain temps avec la complicité des nations qui,
malgré ses exactions, lui accordent une totale immunité de fait, attitude d’autant plus
paradoxale qu’Israël doit son existence à ce même droit international.
On peut ajouter que cet État ne peut pas se transformer par lui-même. Disparition sous
l’effet de forces extérieures dominantes dans un conflit potentiellement planétaire, disparition
sous l’effet de rivalités ou de contradictions internes analogues à celles qui ont fait éclater
l’URSS… semblent bien être les deux scénarios d’avenir les plus probables. Le premier,
hélas, bien plus probable que le second461.
C’est dire que la seule issue pacifique du conflit palestinien ne saurait être que la création
d’une Palestine soustraite à toute donnée confessionnelle, nationaliste ou raciale, c’est-à-dire
ni islamique, ni arabe, ni juive, mais laïque et démocratique. Remarquons à ce propos qu’un
459
. Question juive La tribu, la loi, l’espace, p. 208.
. Citation rapportée par Philippe Prévost dans La France et l’origine de la tragédie palestinienne, p. 247.
461
. Signalons qu’un auteur, en maniant optimisme et utopie, a pu évoquer ce dernier scénario. Il imagine d’abord
une guerre civile impitoyable entre les Juifs religieux et les Juifs non-religieux, puis une association des Arabes
israéliens et des Juifs antisionistes arrachant de haute lutte le remplacement de l’État juif par un État
démocratique et laïque.
460
144
État n’est ni une société, ni une nation, ni un groupe humain, ni un territoire mais simplement
une structure de direction relevant de la contingence. Espérer le démantèlement de l'État
d'Israël, « État ethnique et théocratique fondé sur le droit du sang »462 et l’avènement d’un
État de ses citoyens n'est en effet qu’une espérance de transformation démocratique.
Le sionisme avec son apartheid n’est point une simple dérive extrémiste du judaïsme
comme ont pu l’écrire certains auteurs. Il n’est pas non plus tout le judaïsme comme le
clament tant de Juifs antisionistes ou comme le veulent les Juifs sionistes pour qui les deux
concepts sont équivalents, mais il fait partie intégrante de cette culture. D’une part, il est
soutenu à l’époque moderne par la grande majorité des Juifs de par le monde et notamment
par la très grande majorité des religieux (les minoritaires hyperorthodoxes étant au contraire
formellement opposés au principe même d’un État juif en vertu de leur conception de la
vocation du judaïsme), d’autre part il a été amené, contrairement à la perspective de ses
initiateurs laïques mais de par sa logique interne, à édifier son projet politique et géographique
en Palestine en référence, non exclusive mais principale, à un national-judaïsme qui ne peut
pas ne pas transporter dans les esprits une forme de racisme. Son épanouissement à l’époque
moderne dans l’État d’Israël est tout à fait conforme à la culture de séparation que représente
fondamentalement le judaïsme. Il n’a rien inventé quant à ses principes d’action. Si l’État
d’Israël, né et se perpétuant par le fer et le sang463, est illégitime au nom de la morale
élémentaire, son qualificatif de juif, qualificatif qu’il s’est donné et que l’ONU a entériné en
1947 ne saurait être contesté.
Ajoutons néanmoins, par delà les malheurs immenses des populations juives et non-juives
de la Palestine historique depuis plus d’un demi-siècle, par delà les malheurs destinés à se
renouveler perpétuellement, l’idéologie sioniste aura démontré et révélé deux choses capitales
pour comprendre nombre de chapitres de l’histoire occidentale : d’une part la composante
raciale et donc le potentiel raciste du judaïsme qui, avant l’émergence du sionisme, passait
inaperçu du très grand nombre464, d’autre part le processus réactionnel en découlant
inévitablement de la part des populations non-juives. À l’époque moderne, ainsi que nous
l’avons vu, c’est le monde musulman qui, pourtant dépourvu de par sa culture universaliste de
sentiments racistes à l’égard des Juifs et n’ayant considéré pendant longtemps que la
dimension religieuse du judaïsme, a été incité, au contact d’une société culturellement
ségrégationniste, à des mesures de plus de plus violentes et à développer, à l’instar du monde
chrétien dans le passé, un contre-racisme caractérisé envers les Juifs.
LE RÔLE MAJEUR DU MONDE CHRÉTIEN DANS L’AVÈNEMENT
ET LE DÉVELOPPEMENT DE L’IDÉOLOGIE SIONISTE
Tributaires des mythes du Peuple élu et de la Terre promise qui font partie intégrante de
leur doctrine, les chrétiens ne sont pas libres face à l’idéologie sioniste. Le croyant et poète
Paul Claudel pour qui « il était évident que le retour d’Israël sur sa terre relevait d’une
intervention divine » et qui, dans quelque délire mystique, voyait Jérusalem « devenir le siège
de toutes les grandes institutions mondiales chargées d’assurer le triomphe du bien, du droit,
de la justice, au service de l’humanité tout entière »465, ne revendiquait il pas pour les Juifs
l’ensemble de la Palestine historique ? Le philosophe chrétien Jacques Maritain, dont nous
462
. Daniel Bensaïd, Les inquisiteurs, Le Monde du 27/01/2006.
. Expression de Charles Enderlin dans son ouvrage La naissance d’Israël : la guerre de douze ans. L’auteur
précise qu’il était apparu très vite à la communauté juive de Palestine, et à tous ceux venus la rejoindre que les
bombes et les armes étaient les seuls moyens pour faire triompher les théories de Theodor Herzl, « On n'offre pas
d'État à un peuple sur un plateau d'argent », avait dit Chaïm Weizmann.
464
. Si parler du racisme chez les Juifs n’est pas exceptionnel de la part des auteurs, il reste que dans notre
bibliographie, nous n’en avons retrouvé que deux, l’un Juif (Henri Korn), l’autre non-Juif (Georges Bernanos),
ayant parlé du racisme spécifiquement lié au judaïsme.
465
. André Chouraqui, Le Destin d’Israël, p. 228.
463
145
avons parlé précédemment, était dans les mêmes dispositions d’esprit : « Par un étrange
paradoxe, écrit-il, nous voyons aujourd'hui contesté aux Israéliens, par les États qui sont
leurs voisins, le seul territoire auquel, à considérer le spectacle entier de l'histoire humaine,
il soit absolument, divinement certain qu'un peuple ait incontestablement droit : car le
peuple d'Israël est l'unique peuple au monde auquel une terre, la Terre de Canaan, a été
donnée par le vrai Dieu, le Dieu unique et transcendant, créateur de l’univers et du genre
humain. Et ce que Dieu a donné une fois est donné pour toujours»466.
Pratiquement seul parmi les écrivains chrétiens, Louis Massignon tenta de s’opposer
d’abord au projet sioniste puis ensuite à la création de l’État juif.
Il reste que le comble de l’erreur appartient manifestement au Vatican par sa
reconnaissance de l’État d’Israël. Après avoir été l’objet pendant plusieurs dizaines d’années
de multiples pressions (notamment de celle systématique des grands rabbins près du pape lors
de ses voyages à l’étranger ou près des hauts représentants du catholicisme), ayant
constamment à répondre aux accusations portées sur Pie XII à propos du génocide des Juifs,
de guerre lasse il céda, dans la personne de Jean-Paul II le 30 décembre 1993, par un Accord
fondamental évoquant « la nature unique de la relation entre l’Église catholique et le peuple
juif ». Le Saint-Siège reconnut ainsi l’État d’Israël. Certes, l’État d’Israël existe. C’est une
donnée historique qui ne saurait être niée. Mais dans la circonstance le geste du pape vaut
véritablement une légitimation de l’entreprise colonisatrice de l’État juif, geste bien plus
grave encore que la passivité hautement coupable des pays "ordinaires" ayant depuis 1948 des
ambassades dans le pays. Aux yeux du monde le pape, dont la fonction de chef d’État est
souvent ignorée, ne représente-t-il pas essentiellement une autorité morale ?
On constate de plus que nombre de chrétiens de notre époque, particulièrement aux ÉtatsUnis, se font toujours largement complices des crimes de l’État juif et notamment de celui que
représente la colonisation continue et planifiée. Plus néfaste encore que le rôle des catholiques
est celui des chrétiens évangéliques compte tenu de leur nombre (environ 30 millions) et de la
puissance financière qu’ils représentent. Sans se rendre compte des railleries qu’ils suscitent
et de l’exploitation dont ils sont l’objet de la part du monde juif israélien, ils ne cessent en
effet dans leur naïveté de multiplier les gages d’un pro-judaïsme, voire d’un pro-sionisme
inconditionnel.
Pour Aaron, de l'Ambassade chrétienne internationale de Jérusalem (ICEJ), « l'appui sans
faille du Congrès américain à Israël exprime les convictions des millions d'électeurs
anonymes, membres d'églises évangéliques, qui voient dans l'État juif le levier de
l'humanité ». Fondée en 1980, représentée dans plus de 120 pays dont la France, cette
ambassade, qui est le centre nerveux à l'échelle mondiale du mouvement de soutien absolu à
Israël, rappelle en toutes circonstances aux chrétiens « le devoir de soutenir la nation juive,
les Juifs où qu'ils soient et Israël compte tenu de toutes les promesses merveilleuses de Dieu à
leur égard ». Les lobbies chrétiens sionistes, qui se considèrent comme le deuxième peuple
élu, semblent absolument incontournables dans le paysage politique du Sud des États-Unis,
en particulier en Floride, Alabama, Mississippi, Arkansas... Les chrétiens en question, qui
sont cinq fois plus nombreux que les Juifs des États-Unis, trouvent dans chaque candidat
démocrate ou républicain une oreille attentive à leurs paroles sur la fin des temps. Relayé par
de nombreuses télévisions et radios et une quantité de publications sur l'ensemble du territoire
américain, leur discours, qui ignore totalement les Palestiniens, est simple : « Qui s'oppose à
Israël s'oppose à Dieu » ; « le retour des Juifs en Palestine et leur conversion coïncidera
avec le retour du Christ sur terre et l’établissement définitif du Royaume de Dieu ».
466
. Dans le post-scriptum à son ouvrage Le mystère d’Israël en 1964.
146
467
LE SIONISME : IDÉOLOGIE MALIGNE ; L’APARTHEID SIONISTE : FACTEUR
CONJONCTUREL MAJEUR DE L’ANTISÉMITISME RÉACTIONNEL MODERNE
Bâti sur le particularisme racial et religieux du judaïsme et sur la dépossession d’un peuple
faible vu comme un corps étranger à éliminer, l’État sioniste où, pour la première fois depuis
quelque quinze siècles le pouvoir est juif 468, ne peut subsister que dans un « état permanent
de guerre ». À son propos Derrida469 a parlé de violence originaire. Avec ses lois
ségrégationnistes, il constitue en effet un laboratoire expérimental absolument unique et
irremplaçable sur le racisme spécifiquement lié à la culture judaïque avec sa mystique de
violence470. C’est dire que cette structure étatique dépendant étroitement de valeurs issues du
judaïsme ne saurait être autre qu’hypernationaliste, militariste et ségrégationniste. Pour elle,
comme pour le judaïsme dont elle émane, c’est en effet une question de vie ou de mort.
On peut ajouter que les violences suscitées par l’idéologie sioniste sont organisées en
Palestine avec un génie inédit, dans la perspective à la fois de casser la société antagoniste des
non-Juifs et d’anesthésier les dirigeants des nations qui seraient tentés de s’opposer à une
œuvre banalement criminelle. Le succès de la tactique est incontestable : il est manifeste que
ces dirigeants, intimidés par le chantage à l’antisémitisme, ignorant largement les données
historiques relatives à la création de l’État juif, négligeant depuis le début les exactions
criminelles à l’encontre de la population non-juive de Palestine et la multitude des réfugiés
croupissant dans des camps de fortune avec interdiction de revenir chez eux, oubliant les
affronts multiples faits aux Nations Unies et à ses principes établis en 1945, n’ont pas encore
pris la juste mesure de la malignité foncière de l’idéologie sioniste471. Les plus hardis d’entre
eux ne se contentent-ils pas de quelques critiques envers les dirigeants de l’État d’Israël au
lieu d’émettre un rejet sans appel de l’idéologie qui les conduit ? Et, devant le spectacle d’un
pays sur-armé qui, depuis sa création en 1947, fait quotidiennement l’objet d’une information
journalistique et qui brime impunément une population sans défense dans un combat où
l’inégalité les forces en présence n’a jamais été aussi manifeste, comment ne pas évoquer la
démission, l’inertie mentale et le manque de courage des dirigeants occidentaux des années
trente face aux manifestations progressivement criminelles de l’idéologie nazie472 ?
Et la plupart des penseurs et écrivains n’adoptent-ils pas la même attitude
d’indifférence473 ?
467
. "idéologie maligne" : idéologie pernicieuse devant conduire logiquement à quelque catastrophe d’envergure
comme une "tumeur maligne" conduit spontanément à la mort.
468
. Maxime Rodinson rapporte qu’un petit et éphémère État juif a existé en Arabie du Sud au VIe siècle.
469
. Expression rapportée par Henri Rey-Flaud, Et Moïse créa les Juifs, p. 307.
470
. Cf. l’ouvrage de J. P. Castel Le déni de la violence monothéiste.
471
. Régis Debray (dans son ouvrage À un ami israélien, p. 103) en s’adressant à Elie Barnavi (ancien
ambassadeur en France) peut écrire : « Quant à "l'Europe", ombre molle, insignifiance redoublée d'obligeance,
elle est digne du mépris rigolard que vos dirigeants lui portent. Ce fuyant ectoplasme exhorte les Palestiniens à
célébrer des élections, en juge le déroulement impeccable mais refuse d'en reconnaître le résultat : il vous
déplaît. Elle fait ensuite d'Israël un "partenaire privilégié", directement associé à ses travaux et décisions, puis
plonge la tête dans le sable. »
472
. Par référence aux quelques années qu’avait duré alors la passivité des dirigeants occidentaux, un auteur a
parlé ici, non sans raison, de « la plus longue lâcheté ». On peut ajouter que cet état d’esprit n’a épargné aucun
de ces grands dirigeants à l’exception du Général de Gaulle dénonçant notamment : l’expansionnisme de l’État
d’Israël (« un État [...] résolu à s'agrandir »), son militarisme (« un État guerrier »), son agressivité (« Israël,
ayant attaqué »), sa tactique dilatoire consistant à utiliser un « prétexte » pour lancer ses attaques, son verbe
« qualifiant de terrorisme la résistance arabe ». Seul aussi à dénoncer « le sort scandaleux des réfugiés
arabes », et à montrer le caractère fondamental d'un retrait des territoires « pris par la force » (« à moins que les
Nations Unies ne déchirent elles-mêmes leur propre charte »).
473
. Parmi les exceptions citons José Saramago (dans Le Cahier, p. 172) : « Israël a fait siennes les terribles
paroles de Jéhovah dans le Deutéronome: "À moi la vengeance et la rétribution." Israël veut que nous
nous sentions coupables, nous tous, directement ou indirectement, des horreurs de l'Holocauste, Israël
veut que nous renoncions à notre plus élémentaire jugement critique et que nous nous transformions en
147
Quant aux dirigeants de certains pays musulmans eux-mêmes, ne sont-ils pas encore
aveugles sur le caractère obligatoirement mortifère de tout compromis, de toute concession,
de toute collaboration avec une idéologie qui menace la paix du monde ?
En définitive, on peut dire :
• que l’idéologie sioniste, qui s’est manifestée par la violence dès avant la création de l’Etat
d’Israël en engageant ses militants à tuer des innocents474 et qui sous-tend cet État, est bâtie
exclusivement sur des valeurs inhérentes au judaïsme comme en témoignent notamment la
quasi-totalité des rabbins, en savants et fidèles interprètes de la Loi. D’ores et déjà, elle
constitue la plus longue idéologie maligne de l’histoire, les fascismes ayant sévi généralement
une à deux décennies, le communisme occidental sept décennies ;
• que l’État d’Israël, cet État des généraux et des rabbins qui, depuis sa création, bafoue
impunément les Nations Unies475, se veut au-dessus des lois communes et considère la
Palestine comme son bien propre « en vertu d’un droit naturel et historique » comme le
proclame cyniquement le texte de la Déclaration d’indépendance476, correspond à l’Étatvoyou défini dans les dictionnaires : « un État qui ne respecte pas les règles du droit
international et fait peser une menace sur la sécurité collective »477 ;
• que l’État juif, contrairement à nombre d’États nés comme lui dans un processus de violence
anti-démocratique, est dans l’incapacité absolue d’acquérir la légitimité qui lui manque depuis
sa naissance. En effet, l’idéologie qui le porte, idéologie la plus structurée que l’histoire ait
connue, lui interdit l’exercice de la démocratie à l’égard de non-Juifs. Si tous les États
accordent ce bien à leurs citoyens juifs (à l’exception de certains États musulmans), la
réciproque ne saurait exister. Ici, seule une démocratie entre Juifs est concevable. Créé
comme un État spécifiquement juif par les Nations Unies, cet État qui se veut juif, qui est
dirigé exclusivement par des Juifs, qui est soutenu par une très large majorité des Juifs de
toutes catégories à travers le monde478 et qui peut se revendiquer légitimement juif est
véritablement condamné par nature à appliquer une politique ségrégationniste violente. Car,
seule cette politique raciste lui assure existence et survie en tant que nation, comme l’altérité
un docile écho de sa volonté; Israël veut que nous reconnaissions de jure ce qui pour eux est déjà un
exercice de facto : l'impunité absolue. Du point de vue des juifs, Israël ne pourra jamais être soumis à
jugement, puisqu'il a été torturé, gazé et brûlé à Auschwitz. Je me demande si ces juifs qui sont morts
dans les camps de concentration nazis, ceux-là qui ont été trucidés dans les pogroms, ceux-là qui ont
pourri dans les ghettos, je me demande si cette immense foule de malheureux n'aurait pas eu honte des
actes infâmes que leurs descendants commettent depuis ».
474
. Pendant la période du mandat britannique sur la Palestine de 1920 à 1948, nombre d’Anglais et d’Arabes
furent en effet tués au nom de cette idéologie naissante. Peut-on citer notamment, menés par le groupe clandestin
Stern, l’assassinat de Lord Moyne représentant de la Grande Bretagne au Caire en 1944, la destruction par
explosif de l’hôtel King David, quartier général de l’armée britannique, qui fit 100 morts en 1946, le massacre
des habitants de Deir Yassin en avril 1948 qui fit 240 morts. Le diplomate suédois Folke Bernadotte, médiateur
des Nations Unies entre les Arabes et les Juifs, fut également abattu par l’organisation juive du Lehi peu après la
proclamation de l’État d’Israël. Comme on a pu le dire pour le communisme et le nazisme, tuer des innocents est
un signe qui témoigne à lui seul de la malignité de l’idéologie inspiratrice, aussi sûrement que tel signe clinique
assure le diagnostic d’une maladie mortelle.
475
. Comme le précise Oren Medicks (dans Israël, le sionisme et l’antisémitisme): « Aucun autre état ne serait
sorti indemne de plus de 180 infractions des résolutions de l’ONU, résolutions exécutoires du Conseil de
Sécurité incluses.
476
. S’il existe un lien religieux historique entre le judaïsme et la Judée cela ne justifie en rien l’accaparement de
ce pays par les Juifs. Avant eux il y a eu les Philistins et après eux les chrétiens et les Ottomans musulmans.
477
. Définition du dictionnaire Petit Robert.
478
. Indépendamment de l’immigration massive de Juifs, premier objectif des associations juives, des capitaux
considérables émanant des Juifs de tous les pays occidentaux et d’abord des États-Unis, convergent depuis la fin
du XIXe siècle vers la Palestine par l’intermédiaire de multiples associations. Un journalise constate ainsi qu’ « il
n’y a pas une rue, un parc ou un bâtiment qui n’ait sa plaque de remerciements avec les noms des généreux
donataires » (Michel Bôle-Richard, Le Monde du 17 décembre 2008).
148
institutionnelle Juifs/non-Juifs et l’identité d’ordre racial des Juifs assurent celles de la
judaïcité et du judaïsme ;
• que seule une intervention internationale déterminée, vigoureuse, apportant une réelle
démocratie et bien plus complexe encore que celle mise en œuvre pour le nazisme où il
suffisait d’accumuler des armes, est capable de mettre fin au drame du sionisme ?479
• que le sionisme constitue à l’époque moderne le facteur conjoncturel principal des
antisémitismes.
479
. Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France, (dans sa réponse à Régis Debray : À un ami israélien,
p. 151) a été enfin amené, comme certains autres israéliens, à penser qu’une intervention extérieure était
nécessaire pour la survie d’Israël. Mais, en sioniste convaincu, il ne voit, hélas, que celle des États-Unis laquelle
est sans doute capable de sauver une structure étatique devenue folle, mais sûrement pas de sauver des hommes
(tous les hommes résidant aujourd’hui en Palestine historique avec les expulsés de 1948 et leurs descendants)
victimes d’une idéologie perverse.
149
4ème Partie
JUDAÏSME… ANTISÉMITISMES :
UN DESTIN COMMUN
150
CHAPITRE VIII – LA QUESTION JUIVE ET L’ANTI-ANTISÉMITISME
LA QUESTION JUIVE EN FRANCE AU DÉBUT DU XXe SIÈCLE
Avant l’avènement du régime hitlérien, de nombreux Juifs européens sont relativement
heureux et sereins dans leurs pays respectifs, notamment en France où ils arrivent nombreux
persuadés d’être dans un pays où les droits de l’homme seront toujours respectés. « La Seine
est leur Jourdain, Paris leur Jérusalem ». Certes, ils se savent sans doute honnis de certains
milieux mais ils se savent aussi estimés par d’autres. À cette époque, dans une proportion fort
importante, ils se sentent chez eux et à l’abri de tout danger. « D’une manière générale dans
les milieux bourgeois, écrit un auteur, on est d'avis que l'isolement des Juifs et l'antisémitisme
sont en train de s'évanouir et que la question juive va se régler d'elle-même en silence »480.
Un grand nombre de ces Juifs se sont éloignés de la religion – certains se sont convertis au
christianisme d’autres, nombreux, ont adhéré au parti communiste – tandis que la règle de
transmission de la judéité par l’hérédité est largement transgressée comme en témoignent les
nombreux mariages mixtes. Ces hommes se disent Français avant d'être Juifs : leur patrie est
celle qui les a vus naître, grandir, accomplir leur service militaire, exercer leur profession,
faire la guerre avec ferveur patriotique comme soldats ou officiers. La culture, l'histoire de ces
pays est leur culture et leur histoire. Appliqués à être des contemporains irréprochables, ce
sont des Français juifs comme il y a des Français catholiques, protestants, ou agnostiques. En
exceptant l'agriculture481, il y a des Juifs – ils se nomment et on les nomme plutôt israélites482
– dans toutes les professions, y compris dans l'armée. « Sois un Juif au-dedans et un homme
au-dehors est alors le credo de toutes les communautés juives de l'Europe libérale, leur credo
et leur principale règle de vie : Dieu est ton affaire, une affaire privée, une affaire de famille ;
dans l'intimité, tu peux prier comme tu l'entends, revêtir les phylactères et parler à l'Éternel
en langue hébraïque... Mais au-dehors, dans la cité, il faut que tu sois comme les autres,
français en France, allemand en Allemagne, prêt à défendre ta patrie contre tout agresseur,
heureux de mourir en première ligne, républicain fervent si tu vis en régime parlementaire,
fidèle sujet au cas où tu serais né dans une monarchie »483.
Tout en considérant qu’« un Juif français, incorporé à notre peuple depuis plusieurs
générations, restera sans doute raciste puisque toute sa tradition morale ou religieuse est
fondée sur le racisme » Georges Bernanos484 peut lui-même écrire que « ce racisme s'est
humanisé peu à peu, le Juif français est devenu un Français juif ; ses vertus héréditaires,
comme les nôtres, sont désormais au service de la nation ». Quant à l’historien Marc Bloch,
torturé et fusillé par la Gestapo en 1944 pour faits de Résistance, il pouvait crier son amour de
la France et écrire : « La France, dont certains conspirent à m'expulser aujourd'hui et peutêtre (qui sait ?) y réussiront, demeurera, quoi qu'il arrive, la patrie dont je ne saurais
déraciner mon cœur. J'y suis né, j'ai bu aux sources de sa culture, j'ai fait mien son passé, je
480
. Jean-Jacques Lafaye, Stefan Zweig p. 55.
. Donnée valable pour les pays de l’Europe de l’Ouest.
482
. Comme nous l’avons vu, ce terme israélites voulait avoir une connotation essentiellement confessionnelle
comme celui de catholiques ou de musulmans. Gommant l’élément racial que porte le mot juif il était
théoriquement préférable à ce dernier sur le plan de la prévention du racisme anti-Juifs. En fait, comme nous
l’avons vu, la religion juive n’a jamais été, et ne peut pas être, disjointe de sa dimension raciale et dans l’esprit
des Juifs et dans celui des non-Juifs. Ce qui explique que depuis le XIXe siècle, en fonction des époques, les
deux termes d’israélite et de juif furent à la fois vivement préconisés par les uns et rejetés avec force par les
autres. Aujourd’hui les Juifs, les jeunes surtout, rejettent avec mépris le terme d’israélites signifiant pour eux des
tentatives d’assimilation dans les Nations.
483
. Alain Finkielkraut, Le Juif imaginaire, p. 75.
484
. Encore la question juive, in Le Chemin de la Croix-des-Âmes, p. 423.
481
151
ne respire bien que sous son ciel, et je me suis efforcé à mon tour de la défendre de mon
mieux »485.
Mais il est clair que la note d’optimisme contenue dans certains de ces témoignages allait
de pair avec une méconnaissance caractérisée du potentiel contaminateur que représente, et
pour l’esprit des Juifs et pour celui des non-Juifs, le phénomène de racialisation généré par
l’Institution juive et ses mythes fondateurs… Après le génocide nazi, explosion extrême du
racisme anti-Juifs, et tandis que se déroule sous nos yeux depuis le milieu du XXe siècle
l’ethnocide palestinien, manifestation extrême du racisme opposé, la cause structurelle des
antisémitismes est toujours là, méconnue, sous-jacente aux événements perpétuellement
nouveaux.
LA QUESTION JUIVE AUJOURD’HUI ET SON FACTEUR CONJONCTUREL PRINCIPAL :
L’ÉTAT SIONISTE
Comme en témoignent de nombreuses données statistiques, il est patent que les difficultés
de la condition juive se sont notablement aggravées avec la création de l’État juif et que ce
super-ghetto à l’échelle d’une région est devenu une source permanente et inédite
d’inquiétude, voire de déchirements, pour tous les Juifs du monde, qu’ils soient des apôtres ou
des contempteurs du sionisme. Car aucun d’entre eux ne peut rester indifférent. Cette chape
qui pèse sur eux, c’est d’abord le drame inédit des deux patries dont l’une est moralement
imposée. En effet, pour les Juifs sionistes qui mettent le concept de race juive au-dessus de
486
tout, « un Juif n’est allemand ou français que fortuitement ; il est Juif avant tout » .
D’ailleurs, dans la pensée de nombre d’entre eux vivant en Israël/Palestine, comme ce fut le
cas notamment de Ben Gourion, le qualificatif le plus approprié à appliquer aux Juifs refusant
d’aller y vivre n’est-il pas celui de déserteurs ? Et la double allégeance de nombre de Juifs
restés dans leurs divers pays d’origine n’est tolérable à la rigueur que si elle privilégie
systématiquement Israël de façon active487. Quant aux Juifs assimilés il n’est pires ennemis
qu’eux : ce sont des renégats. C’est ainsi que, conditionnés en même temps que culpabilisés
par les mots de diaspora488 et de alyah489 que le sionisme leur met incessamment devant les
yeux, harcelés voire sommés par les émissaires sionistes d’aller vivre en Israël490 ou de lui
fournir, à titre de compensation, une aide toujours renouvelée dans un quelconque domaine à
titre d’impôt491, tiraillés perpétuellement entre la solidarité de race envers les Juifs israéliens
485
. Dans L’étrange défaite, p. 32.
. Citation de Sylvain Lévy rapportée par P. Prévost, La France et l’origine de la tragédie palestinienne. p. 93.
487
. Ce qui a suggéré en 2009 au CRIF de travailler à faire valider une double identité politique pour les Juifs de
France afin qu’ils puissent, en toute liberté, promouvoir en priorité les intérêts d’Israël, éventuellement au
détriment de ceux de la France. C’est dans cet état d’esprit que de jeunes Juifs français choisissaient de faire leur
service militaire obligatoire à la faveur d’une convention datant du 30 juin 1959 ou que d’autres continuent,
aujourd’hui encore, à servir volontairement pendant un certain temps dans l’armée d’Israël.
488
. Initialement, le terme de diaspora a signifié la dispersion des juifs à la suite de leurs révoltes réprimées par
les Romains. Le terme s’applique donc normalement à cet exil précis des Juifs et, par extension, à l’exil massif
d’autres populations que ce soit à l’occasion de guerres ou de conditions économiques particulièrement
défavorables. On parle de diaspora irlandaise, chinoise, italienne… etc. Mais pour les sionistes, comme pour tous
les Juifs religieux ou restant tributaires du mythe ancestral, la diaspora s’applique à tous les Juifs du monde qui,
hors de leur vraie patrie, la Palestine, ne peuvent qu’être en exil.
489
. Précisons que l’alyah ne signifie pas seulement la montée mais le retour dans la Terre promise justifiant
l’appartenance et la possession éternelles.
490
. En 2004, il y a avait en France une centaine d’agents recruteurs émissaires d’Israël avec la mission de
convaincre les Juifs français de faire leur alyah : « Partez de la France dès maintenant : elle n’est plus un
endroit sûr pour les Juifs. Venez dans votre vraie patrie, Israël ».
491
. La collecte annuelle, à laquelle participe une fraction notable des Juifs, est vue par les sionistes comme un
simple impôt de solidarité entre membres d’une même famille. En 1979, Guy de Rothschild président du Fonds
social unifié, coprésident de l’Appel unifié juif de France, président de la Commission économique et sociale
internationale Israël-Diaspora précisait à ce sujet que 60 à 70 % de l’importante somme recueillie en France
486
152
et leur conscience morale, volontiers désorientés dans leur jugement, portés à faire de la
surenchère ou à commettre maladresses et provocations à l’égard des non-Juifs, poussés à agir
contre les intérêts matériels ou moraux de leur pays de résidence, incités à la déloyauté,
nombre de Juifs, de France et d’ailleurs, vont être profondément affectés. Car, si avoir une
patrie de naissance et en acquérir volontairement une seconde n’entraîne de drame intérieur
pour la plupart des individus qu’en cas de grave conflit entre les nations en question, le
problème est ici tout différent : cette acquisition a été imposée de l’intérieur même du
judaïsme par la force d’une idéologie dont la malignité, apparue initialement à la majorité du
monde juif s’est, depuis, largement estompée dans les esprits. Et le malaise est toujours là
omniprésent. Avraham Burg qui, après avoir été président du Parlement israélien et de
l’Agence juive, a quitté Israël pour la France, peut écrire que « la nation israélienne n’est plus
aujourd’hui qu’un amas informe de corruption, d’oppression et d’injustice ». Il résume, quant
à lui, le sionisme dans les propos suivants : « un État chauvin et cruel où sévit la
discrimination, un État où les nantis sont à l’étranger et où les pauvres déambulent dans les
rues, un État où le pouvoir est corrompu et la politique corruptrice ; un État de pauvres et de
généraux, un État de spoliateurs et de colons492 ». Et dans un autre texte il formule le
pronostic suivant : « une structure construite sur l’insensibilité à l’Homme s’effondrera
d’elle-même, inévitablement. Prenez bien note de cet instant : la superstructure du sionisme
s’effondre déjà […] Seuls les fous continuent à danser en haut de l’immeuble alors que les
piliers s’effondrent ». « Avoir défini l’État d’Israël comme un État juif sera la clef de sa perte.
Un État juif c’est de la dynamite ».
« Le sionisme est à bout de souffle, écrit de son côté Shmuel Trigano, mais personne n’ose
(se) l’avouer493 ». Nombre de Juifs à travers le monde vont ainsi douter de la pérennité de
l’Etat d’Israël.
Quant au philosophe Alain Badiou494 face à « la politique de conquête, de liquidation
physique des Palestiniens, de massacre de lycéens arabes, de maisons dynamitées, de
tortures, que mène l’État d’Israël », il redoute que « le nom des Juifs soit mis en péril » par
cet État « antisémite ».
Remarquons aussi que l’idéologie sioniste fut envisagée, avant la création de l’État
d’Israël, par nombre de Juifs agnostiques ou athées éloignés de leurs traditions religieuses,
comme un espoir de libération à la fois des ennemis de l’extérieur et des multiples tutelles et
contraintes du judaïsme. Faire du peuple juif « un peuple comme les autres » ou « un peuple
normal parmi les autres », était leur désir sincère. Et aujourd’hui certains Juifs israéliens, peu
instruits de leur tradition ou passant outre, ont toujours cette perspective de faire de l’État
d’Israël « un État parmi les autres ». Mais il s’agit là d’un rêve insensé495 : le premier
commandement du judaïsme, que les rabbins et les multiples auteurs juifs religieux ou
athées ont conjugué sous toutes les formes depuis toujours en référence aux textes
allait à Israël qui en avait la libre disposition, y compris pour acheter des armes (alors que la France avait mis
l’embargo sur le matériel militaire) et que le reste allait à la communauté juive de France (Alfred Fabre-Luce,
Pour en finir avec l’antisémitisme, p. 129 et 131). Cette aide considérable n’empêche pas les Juifs israéliens de
fustiger les donateurs qui tentent par ce moyen d’apaiser leur conscience, tout en n’allant pas en Israël.
492
. La révolution sioniste est morte, Le Monde du 11/09/03.
493
. La nouvelle question juive, Gallimard 1979, p. 29.
494
. Circonstances, 3 Portées du mot « juif », p. 25-27. Si le nom juif est effectivement souillé par les exactions
de l’État juif que l’histoire enregistre chaque jour depuis plus d’un demi-siècle, avec les répercutions
inéluctables et incalculables sur les personnes porteuses de ce même qualificatif, il faut bien voir cependant que
cette pollution, pour profonde qu’elle soit, n’est que conjoncturelle et donc secondaire par rapport à celle dont est
responsable la culture juive traditionnelle donnant au nom juif, depuis longtemps, une connotation
essentiellement raciale.
495
. Ce rêve insensé fut même celui de Ben Gourion déclarant qu’ « Israël serait un pays normal le jour où il
aurait ses prostituées, ses gangsters, sa police, ses prisons ».
153
fondamentaux du judaïsme, ne veut-il pas au contraire que ce peuple et cet État ne soient pas
comme les autres de par l’identité même que les Juifs reçoivent à la naissance496 et qui leur
impose pour survivre de refuser des droits à ceux qui ne sont pas Juifs et de bafouer en
même temps une justice élémentaire?497 Leur déconvenue dans un État largement
théocratique rendant d’emblée impossible la démocratie, leur désorientation, leur angoisse
dans un pays parsemé de barrières et de murailles de toutes sortes, leur sentiment de
vulnérabilité, voire de peur face au judéocide annoncé par tant d’auteurs juifs498 et aux armes
de destruction massive, ne peuvent pas ne pas être à la mesure du dramatique aveuglement
affectant une partie notable du monde juif. Car l’Élection à une différence radicale vaudra
toujours conditionnement voire condamnation à cette même différence. Et en ce début du
XXIe siècle, ne constate-t-on pas qu’un antisémitisme plus ou moins caractérisé se manifeste
de façon croissante dans divers pays d’Europe et d’Amérique voire dans des pays qui
précédemment ne connaissaient pas ce type d’hostilité, tandis qu’une une immense clameur
de haine antijuive est hurlée dans presque tout l’Orient musulman ? Ainsi que l’écrit Maxime
Rodinson : « La situation actuelle des Juifs, apparemment triomphants en Israël,
apparemment á l'apogée de leur prestige dans le monde capitaliste est plus tragique sous
cette gloire qu'elle ne l'a souvent été sous l'humiliation. Le sionisme a réalisé son objectif
principal, la création d'un État juif en Palestine […] cela n'a nullement résolu le problème
juif et l'a même incomparablement aggravé. Comme l'avaient annoncé bien des Juifs et des
non-Juifs, non seulement des révolutionnaires et des marxistes, mais tout aussi bien des
libéraux bourgeois, cela a en tout premier lieu créé un problème inextricable […]
L'enchaînement des protestations et des réactions que celles-ci entraînaient a déjà causé
plusieurs guerres, d'innombrables petites opérations militaires, émeutes, bagarres, attentats
individuels et collectifs. Il est aisément prévisible que ce processus va continuer et que nous
devons nous attendre en Palestine á une ou plusieurs tragédies de première grandeur »499.
À coté de cette menace extérieure destinée à planer en permanence sur Israël remarquons
que plusieurs auteurs mettent aussi en avant un risque non moindre, celui d’une implosion de
l’État juif. Leur jugement est basé, d’une part sur des données historiques concernant les
pesanteurs internes inhérentes à la société juive de toujours, d’autre part sur des données
statistiques. Celles-ci montrent en effet que la population juive orthodoxe, compte tenu de son
rythme de croissance démographique et de ses puissants mouvements antisionistes appelant
au démantèlement de l’État d’Israël (tels Toldot Aharon et Naturei Karta), pourrait atteindre
le tiers de la population israélienne dans quelques décennies.
496
. Gershom Scholem, écrit à ce sujet :« Je rejette cette proposition stupide selon laquelle les Juifs devraient
devenir un "peuple comme les autres". Si cela devait arriver, ce serait la fin du peuple juif. Je partage
l'opinion traditionnelle selon laquelle, quand bien même nous voudrions devenir un peuple comme les
autres, nous n'v réussirions pas. Et si nous y parvenions, ç'en serait fini de nous » (citation rapportée par E.
Roudinesco, Op. cit., p. 208). Sholem exprime bien le fait que les Juifs représentent un groupe particulièrement
différencié et que cette différenciation est effectivement nécessaire à la survie du judaïsme mais, mais il ne
voit manifestement pas qu’il s’agit là du témoin par excellence d’une "race" au sens le plus évolué et le
plus contraignant du terme.
497
. Jacques Maritain semble avoir bien saisi ce côté absolument tragique du destin des Juifs lorsqu’il écrit : « Les
Juifs qui deviennent comme les autres deviennent pires que les autres » (Le Mystère d’Israël, p. 53).
498
. Telle Hannah Arendt. À propos de la Palestine où elle n’a nullement l’intention d’aller, elle écrit « je suis
totalement convaincue que ça tournera mal là-bas » (lettre à K. Jaspers du 30 juin 1947 dans Correspondance
1926-1963, p. 147. La Palestine qui, à la suite du génocide nazi, fut considérée comme une région-refuge par
nombre de Juifs, n’est-elle pas désormais la seule région du monde où les Juifs sont en permanence menacés de
mort et dont une proportion, notable semble-t-il, est en quête d’un passeport pour l’Amérique ou l’Europe ?
Comme l’écrit Alain Finkielkraut (dans Le Juif imaginaire, p. 157) à propos des Sionistes, « Imperturbables, ils
présentent encore Israël comme une solution, alors qu’il s’agit du lieu central où l’existence juive continue à
faire problème ».
499
. Dans sa préface à La conception matérialiste de la question juive de Léon Abraham, p. XLII.
154
Et cette nouvelle chape psychologique, qui s’est abattue sur eux avec la création d’un État
d’Israël où ils sont entourés d’ennemis et voués à une guerre continuelle, préventive ou
défensive, ne cesse de s’alourdir, d’une part par la progression de l’élément religieux facteur
essentiel du communautarisme et du racisme500, d’autre part par la prise de conscience que la
guerre en question n’est pas un conflit ordinaire destiné à se terminer par quelque compromis
comme le pensent encore, ou font semblant de le penser, les dirigeants de nombreux pays. Car
la finalité de ce type de guerre n’est rien d’autre que l’élimination, d’une manière ou d’une
autre, de la partie la plus faible. Avec les actions de conquête menées depuis un siècle au nom
de l’idéologie sioniste selon laquelle la terre de Palestine appartient aux Juifs et à eux seuls,
comment ne pas évoquer ici les projets israéliens de déportation massive des non-Juifs hors de
la Palestine historique et la préparation des politiques et des militaires à manier
préventivement les armes apocalyptiques. Incompatible avec la paix, comment le sionisme
pourrait-il s’achever autrement que dans un désastre inédit ?
Israël, État anachronique que les Nations-Unies ont créé en accordant la souveraineté à une
catégorie raciale caractérisée, État qui a interrompu quelque trois millénaires de cohabitation
pacifique voire de féconde symbiose des Juifs et des Arabes, État dont les dirigeants, tous
descendants de persécutés et d’humiliés se font persécuteurs et humiliateurs, État
ségrégationniste par nature qui ne peut être ni l’ « État de ses citoyens » comme l’est un État
démocratique, ni un « État comme les autres » mais l’ « État des Juifs » sous peine de suicide,
n’est-il pas en même temps l’État le plus militarisé501 et le plus menaçant du monde502? Et,
dans cette dernière perspective, comment ne pas comparer l’État juif-sioniste d’aujourd’hui à
l’État germano-nazi d’hier portés qu’ils sont l’un et l’autre par une idée folle, celle d’un
peuple élu pour un destin unique, et possédant l’un et l’autre les deux forces suprêmes qui
font la puissance de tout groupe humain : la force de la culture et la force des armes ?
LA "LUTTE CONTRE L’ANTISÉMITISME" ET SON INEXORABLE ÉCHEC
Parmi les multiples organismes chargés de cette action citons particulièrement :
• la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA),
• L’Alliance israélite universelle (AJU),
• l’American jewish committee (AJC),
• le Centre international de recherche sur l’antisémitisme (CIRA) de Jérusalem,
• le Centre d’étude sur l’antisémitisme et le racisme (CEAR) de Tel Aviv,
• le Centre européen de recherches et d’action sur le racisme et l’antisémitisme (CERA),
• l’Institut européen d’études contemporaines de l’antisémitisme (EISCA),
• le Centre européen juif d’information (CEJI) de Bruxelles,
• le Centre de recherche sur l’antisémitisme (CRA) de Berlin,
• le Comité interministériel de lutte contre le racisme et l’antisémitisme en France.
--------500
. Notamment par la progression extraordinaire du nombre des ultra-orthodoxes en Israël. « La raison en est
simple : en moyenne, une femme Haredi a 7,6 enfants ce qui est grosso modo le triple du taux de natalité de la
population juive israélienne » (John Mearsheimer professeur de science politique à l'Université de Chicago).
501
. Selon plusieurs sources journalistiques Israël, que l’Occident aide directement ou indirectement depuis
quelque soixante ans dans le domaine militaire, serait la seconde ou la troisième puissance nucléaire du monde,
la première ou la seconde en matière de drones et de robots tueurs. Martin van Creveld, ancien professeur à
l’université hébraïque de Jérusalem, historien militaire et spécialiste des guerres du futur n’hésite pas à déclarer :
« Nos forces armées sont aux deuxième ou troisième rang mondial. Nous avons la capacité de détruire le
Monde. Et je peux vous assurer que cela arrivera ».
502
. d’après 59 % des Européens dans le sondage de la Commission européenne, en novembre 2003. On peut
ajouter ici que toute proposition pour régler pacifiquement le conflit sionismo-palestinien est utopie (Y compris
celle d’une confédération de deux États reformulée récemment par Michel Onfray (Confidences d’un
"antisémite", Le Point du 28 juin 2012).
155
Par ailleurs de multiples groupes et associations ont mis également la lutte contre
l’antisémitisme dans leur programme d’action. Pour la France ce sont notamment :
• le Service de protection de la communauté juive (SPCI) cogéré par le "Fonds social juif
unifié" (FSJU),
• le Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNV-CA),
• le Conseil représentatif des Institutions juives de France (CRIF),
• le Consistoire central et le Consistoire de Paris,
• l’Observatoire du monde juif,
• le Bureau de vigilance du Conseil des communautés juives de Seine-Saint-Denis.
L’État d’Israël, quant à lui, a institué une Journée nationale de lutte contre l’antisémitisme
en janvier 2004 ; d’autre part, il collecte et exploite les multiples faits classés comme
antisémites par les sionistes des différents pays où vivent des Juifs
Ajoutons que sont également consacrés à cette action étendue et multiforme une floraison
de sites Web, d’ouvrages, de revues, d’articles journalistiques, de plaquettes à l’usage du
public (où sont indiquées les munitions à utiliser dans le combat en question), ainsi que
nombre d’émissions de télévision et de radio, de congrès et de colloques, de cours scolaires et
universitaires.
Les actions préconisées et leur inspiration
Ces organismes se sont donnés un triple rôle : analyser le phénomène devenu mondial de
l’antisémitisme, enregistrer avec assiduité toutes ses manifestations, enfin générer de
nouvelles stratégies pour le contrer et le surmonter.
Certaines résolutions du XXIVe congrès sioniste mondial (Jérusalem 17-21 juin 2002)
sont, à ce propos, tout à fait représentatives des actions et de l’esprit qui animent ces
organismes. Extraites du chapitre intitulé Lutte contre l'antisionisme, l'antisémitisme et le
racisme, ces résolutions sont les suivantes :
1°... mettre en place des groupes d'experts qui travailleront avec les faiseurs d'opinion, les
médias (presse, radio et télévision) et les intellectuels pour combattre les fléaux de
l'antisémitisme et de l'anti-sionisme qui se propagent actuellement dans certains de ces
milieux ;
2°... créer dans tous les pays où ce sera nécessaire, des groupes de réflexion qui travailleront
avec des législateurs pour faire adopter une législation qui mettra hors-la-loi
l'antisémitisme, l'anti-sionisme et le déni de l'Holocauste ;
3°... former des groupes de juristes qui enregistreront et engageront des procès contre les
hommes politiques, les médias, ou toute autre organisation qui prône la haine antisémite et
antisioniste ;
4°... créer, avec l'Union mondiale des étudiants juifs et les autres organisations sionistes
d'étudiants, un organisme de surveillance des activités antisémites et antisionistes sur les
campus, qui dénoncera les propagateurs de haine ;
5°... former des groupes d'éducateurs qui entreprendront une lecture très approfondie de
tous les manuels scolaires, dictionnaires et encyclopédies, pour les expurger de tout contenu
antisémite, antisioniste et de déni de l'Holocauste ;
6°… recruter dans le monde entier des personnalités morales et éthiques, dans les
gouvernements et parlements, chargées de mettre en garde les gouvernements qui n'ont pas
combattu assez fermement l'antisémitisme et l'anti-sionisme dans leur pays.
En France, d’autres mesures visant particulièrement les milieux scolaires et universitaires
et devant être placées sous la responsabilité du ministre de l'Éducation nationale ont été
également proposées503 :
503
. Robert Misrahi, Un Juif laïque en France, p. 127-128.
156
1°... définir un véritable délit juridique de haine raciale et d'antisémitisme. Une loi existe
déjà mais il y aurait lieu d'en étendre explicitement et fermement le champ d'application aux
établissements scolaires et aux universités,
2°... prévoir des sanctions lourdes, telles des amendes applicables aux parents des
coupables. Prévoir des mesures de réparation verbales et pratiques, décidables en justice,
3°... donner aux chefs d'établissement la possibilité de déplacer les agresseurs et non les victimes :
interdire, en somme, la double exclusion d'une victime de l'antisémitisme. Ne pas privilégier le
destin scolaire de l'agresseur sur la sécurité et la sérénité de la victime. Le délinquant antisémite
devra assumer la responsabilité de ses actes,
4°… imposer aux chefs d'établissements, au Rectorat ou à l'Académie, à l'occasion de chaque
agression antisémite, de faire une intervention publique et solennelle condamnant l'agression,
donnant les raisons morales et "citoyenne" de cette condamnation et qui serait suivie d'un appel à
l'amitié et au respect réciproque,
5°… souhaiter que les responsables religieux, musulmans et chrétiens condamnent
régulièrement et explicitement l'antisémitisme, et cela dans des sermons officiels, dans les
mosquées et dans les églises,
6°… demander systématiquement, après chaque agression, l'intervention publique de la LICRA,
du MRAP et de la Ligue des droits de l'homme,
7°… souhaiter que le ministère, après chaque agression, se pourvoie partie civile et ne tolère
désormais aucune exception,
8°… souhaiter la création, sous le parrainage de l'Éducation nationale, d'un Comité de défense
judéo-arabe qui se donnerait pour double tâche la résistance à l'antisémitisme et le
développement d'une amitié française judéo-arabe.
Une stratégie erronée et un piège sémantique
En voyant la pensée sous-jacente aux actions préconisées par les organismes en question,
voire en remarquant la simple dénomination de certains d’entre eux, il est patent que ces
organismes ignorent totalement la cause invariante du phénomène antisémite et qu’ils
s’attaquent exclusivement aux griefs que nourrissent les non-Juifs à l’égard des Juifs, alors
que ces griefs, par nature toujours nouveaux et variables à l’infini, rendent l’action entreprise
perpétuellement obsolète. Mais il y a manifestement un degré de plus dans l’erreur… Comme
il est logique, le mot : antisémitisme revient bien entendu sans cesse dans la parole ou l’écrit
de ces organismes or, qui n’a vu que ce mot, inventé spécialement pour qualifier le racisme
envers les Juifs et transportant dans tous les esprits la notion d‘une catégorie d’hommes
différente de toutes les autres, promeut par un effet-boomerang inexorable, bien plus que le
mot banal de racisme, le phénomène de différenciation-racialisation des Juifs à la base même
du processus antisémite. Qui n’a vu que ce sacré mot504 devenu incontournable a quelque
chose de proprement diabolique ? Et les expressions : « lutte contre le racisme et
l’antisémitisme », « actes racistes et antisémites », expressions promues par les organismes de
lutte contre l’antisémitisme dans une perspective réaffirmée de distinction, de distanciation et
de séparation, et fidèlement reprises dans les médias, sont venues encore aggraver le
phénomène de différenciation des deux parties de l’humanité initié et porté par le judaïsme.
Manifeste erreur de stratégie que celle-là : promouvoir un mot racialisant toujours plus les
Juifs sans s’apercevoir que le phénomène représente la cause structurelle des antisémitismes.
Ne peut-on pas évoquer ici l’Ouroboros, ce serpent qui se mord l’appendice caudal,
symbolisant une action favorisant le fléau qu’elle veut combattre ?
Parmi les nombreux Juifs auteurs de travaux sur l’antisémitisme, exceptionnels en effet
sont ceux qui, à l’exemple de Klaus J. Hermann ont compris ce problème : « On n’avait pas
besoin, écrit-il, pour persécuter les Juifs de la trouvaille de termes comme l’antisémitisme. Le
504
. Expression de Jean Daniel dans le Nouvel Observateur, N° 2282 du 31 juillet 2008.
157
vrai sens de ce mot absurde réside dans sa connotation raciste. Jusqu’à l’invention de ce mot
l’opposition aux Juifs était, à tout prendre, concomitante à leur appartenance religieuse ; ils
faisaient partie d’une minorité confessionnelle […] Tout ceci se trouva aisément transformé
avec la définition de leur appartenance raciale à laquelle se sont consacrés les simples
adeptes comme les rabbins »505. Certes, la formation au XIXe siècle de ce mot antisémitisme a
été tout à fait arbitraire – appliqué d’abord à des langues, le caractère sémitique le fut ensuite
à des races – mais, contrairement à ce qu’écrit Hermann, non seulement il n’est pas absurde
mais il est parfaitement adéquat puisque il désigne l’hostilité envers une catégorie d’hommes
séparée des autres par un système de pensée raciale caractérisé.
Cet échec de la communauté juive, championne du Verbe mais condamnée à promouvoir
un mot, qu’elle a créé dans la méconnaissance de son potentiel pervers, a quelque chose
d’absolument pathétique : ce potentiel est directement proportionnel à l’énergie investie. Et
l’on sait combien l’investissement, tant humain que financier, est considérable depuis le
milieu du XXe siècle dans tous les pays occidentaux et plus particulièrement européens !
Esther Benbassa ne parle-t-elle pas à ce sujet de « la fureur de la lutte contre
l’antisémitisme506» ? Avoir l’intention de couper des herbes folles, tout en semant à profusion
les graines de ces mêmes herbes, peut-il être autre chose qu’un geste inconsidéré dans sa
motivation, fâcheux dans ses résultats et ne pouvant au mieux, avec des menaces intimidantes
envers les individus, que neutraliser momentanément les critiques avant de les exacerber ?
Relativement bien localisé au monde occidental avant la seconde guerre mondiale,
l’antisémitisme y a non seulement progressé dans ses formes latentes ou objectives selon de
multiples rapports dignes de foi, mais il s’est étendu au monde arabe voire au monde
musulman avec la création de l’État juif. Il a même gagné, semble-t-il, des pays (Japon,
Chine, Inde…) qui jusque là en étaient pratiquement indemnes.
À propos de l’action entreprise contre le racisme en général, remarquons qu’il n’y a pas de
mot spécifique pour désigner les autres formes de racisme (racisme anti-Noirs, anti-Indiens
anti-Arabes..), ni d’action particulière pour réduire chacun d’entre eux mais une simple lutte
contre le racisme. Et comme le temps le montre, ces racismes ont régressé souvent de façon
notable pour ne pas dire spectaculaire. Cela ne saurait être le cas avec l’antisémitisme.
Par ailleurs, penser avec certains auteurs du XIXe siècle que la marche du progrès doit
conduire à la disparition de ce phénomène507, penser avec J.P. Sartre508 que « la révolution
socialiste est nécessaire et suffisante pour supprimer l’antisémitisme » ou que la destruction
du capitalisme résoudra la question juive, penser qu’il convient « d’inventer une réponse
juridique ou d’adapter les mesures éducatives à chaque pays » selon les organismes de lutte
contre l’antisémitisme, espérer que le génocide nazi puisse servir de leçon pour l’avenir509,
relève de la même méconnaissance du type d’identité que le judaïsme a forgé pour les siens et
renvoie partout autour de lui. Car rien ne peut faire que les non-Juifs n’incluent dans leur
esprit, en pensant le mot "juif", quelque idée de race que nous savons à la base du racisme : au
subconscient racialiste des Juifs répond banalement celui des non-Juifs… Marcel Proust, dont
l’ascendance juive se réveille à l’occasion de l’affaire Dreyfus, explique ainsi avec son
personnage Swann que le clivage entre dreyfusards et antidreyfusards se fait sur le critère des
origines : « Tous ces gens-là sont d’une autre race, on n’a pas impunément mille ans de
505
. Perspectives historiques sur le sionisme et l’antisémitisme, in Sionisme et Racisme, Sycomore, 1976, p. 257.
. Dans le Nouvel Observateur du 22 avril 2004.
507
. tel Bernard Lazare écrivant : « L’antisémitisme périra surtout parce qu’il est une des manifestations
persistantes et dernières du vieil esprit de réaction et d’étroit conservatisme qui essaie vainement d’arrêter
l’évolution révolutionnaire » (L’Antisémitisme, son histoire et ses causes, Crès 1934, t. II, page 286).
508
. Op. cit., p. 182.
509
. Même Claude Lévi-Strauss ose avouer, écrit Jean Daniel, « la désarmante candeur qui lui avait inspiré de
telles prévisions » (La prison juive, p. 73).
506
158
féodalité dans le sang »510. À la même époque, Maurice Barrès écrit de son côté : « Que
Dreyfus soit capable de trahir, je le conclus de sa race »511. Alors que face au chrétien, au
musulman, au bouddhiste…, les individus voient le croyant, l’adepte d’une doctrine, le
pratiquant de certains rites, face à un Juif ils sont conditionnés depuis toujours512 à voir celuiqui-n’est-pas-et-ne-veut-pas-être-comme-eux, celui dont ils sont séparés radicalement par le
sang et les interdits communautaires dans les deux domaines les plus intimes de l’homme : la
convivialité et la sexualité, le partage des repas et le mélange des sexes.
Car penser racisme, c’est d’abord penser race ! Et si la théorie des races supérieures et
des races inférieures, chère à certains doctrinaires du XIXe et du XXe siècle n’a plus guère
d’adeptes il existe, portée par la culture judaïque depuis plus de deux millénaires,
exclusivement par elle et pour des malheurs potentiellement insignes, une "race" au sens le
plus achevé du terme.
L’inexorable échec
On peut considérer que l’anti-antisémitisme en répandant des concepts et des mots
conditionnant Juifs et non-Juifs à se voir comme des groupes d’essence différente
conformément à une donnée à la fois essentielle et vitale pour le judaïsme, est frappée, non
pas du sceau de la simple inefficacité, mais de celui de la négativité en fonction même de
l’application avec laquelle elle est menée. On peut même ajouter que, de toutes les
communautés racisées, la communauté des Juifs est la seule qui ne saurait bénéficier d’une
action de prévention près des populations racisantes. Car il n’y a pas de manifestations
d’antisémitisme, aussi monstrueuses soient-elles, où la racialisation des Juifs inhérente au
judaïsme n’ait pas influencé peu ou prou l’esprit des individus513. Si, comme nous l’avons vu,
cette altérité radicale est omniprésente dans l’esprit des éminents défenseurs des Juifs et
engendre au mieux un antisémitisme latent, comment pourrait-elle ne pas l’être dans le
commun des mortels ?
Il y a donc théoriquement deux conditions nécessaires à l’extinction de la mécanique
antisémite mais ce sont deux utopies caractérisées :
• un judaïsme transmettant aux Juifs une identité qui ne soit pas d’ordre racial,
• des non-Juifs pensant et agissant comme si les Juifs n’étaient pas juifs.
510
. dans Le côté de Guermontès, Robert Laffont, coll. Bouquins 1987, p. 469. À propos de l’expression
« origines juives », si banale dans l’écrit comme dans l’oral, on peut noter qu’elle s’applique ici à l’hérédité
génétique des Juifs, à la filiation sanguine, et non à l’hérédité culturelle (l’influence) comme il est de règle dans
les autres traditions religieuses ou philosophiques. Cette quête des origines chez les Juifs n’a pas d’égale
historiquement. Celle qui a été en vigueur chez les nazis, et que l’historien Marc Bloch qualifiait pourtant
d’ « obsession embryogénique », n’en fut qu’un dérisoire reflet.
511
. dans Scènes et doctrines du nationalisme.
512
. Comme en témoignent notamment les auteurs grecs et romains.
513
. Vladimir Jankélévitch, dans son ouvrage L’Imprescriptible (Seuil 1986, p. 25), a écrit : « L'extermination des
Juifs est le produit de la méchanceté pure et de la méchanceté ontologique, de la méchanceté la plus diabolique
et la plus gratuite que l'histoire ait connue. Ce crime n'est pas motivé, même par des motifs "crapuleux". Ce
crime contre nature, ce crime immotivé, ce crime exorbitant est donc à la lettre un crime "méta-physique" et les
criminels ne sont pas de simples fanatiques, ni seulement d'abominables dogmatiques : ce sont, au sens propre
du mot, des "monstres" ». Ces propos qui se sont voulus définitifs ne le sont pas encore tout à fait. Une donnée
d’importance a manqué à l’auteur : même ce racisme véritablement monstrueux des nazis à l’égard des Juifs
relève pour une part de la dimension raciale que le judaïsme imprime à la judaïcité et qui singularise tout rapport
entre Juifs et non-Juifs.
159
En résumé
JUDAÏSME... ANTISÉMITISMES : UN DESTIN COMMUN
• Si « le peuple juif n’a jamais cessé d’être socialement et historiquement malade » comme
l’écrit Albert Memmi514,
• « si les Juifs sont otages du lien intime existant entre leur identité de juifs et le judaïsme »
comme l’écrit Élie Botbol515,
• si la condition de Juif est « pesante », ou « impossible », ou « insoluble », ou
« névrotisante », ou « humiliante », ou « obsédante »… , si être juif est une « tare
héréditaire », une « infirmité de naissance », un « souci majeur », un « fardeau », une
« malédiction », un « malheur », une « pathologie culturelle », une « souffrance », un
« déshonneur », un « boulet », une « tumeur qui étouffe » voire une « honte »516 comme
l’écrivent d’autres auteurs juifs,
• si les Juifs « en ont assez de cette histoire, assez de cet insoluble intrinsèque » comme
l’écrit encore un autre517,
• si le judaïsme en racialisant les Juifs et les enfermant dans une essence juive ne cesse de
générer des antisémites en leur fournissant le facteur invariant de leur hostilité,
• si l’enquête généalogique peut être suffisante pour établir l’identité d’un Juif,
• si tous les éminents et courageux défenseurs des Juifs cités dans ce texte se sont vus
d’une catégorie d’hommes différente de celle des Juifs et accusés d’antisémitisme latent
ou caractérisé,
• si les Juifs sont conditionnés, par les lois du groupe, à ne jamais voir dans les non-Juifs
des semblables authentiques mais des étrangers antisémites en puissance, en se vouant
ainsi à l’encerclement dans un monde menaçant518,
• s’ils sont fascinés tout à la fois par l’exil et le retour et si la Terre promise est
toujours un leurre,
• s’ils sont invités à voir dans un mariage avec un habitant non-juif du pays où ils
vivent un « crime de lèse-sang » ou une trahison d’ordre sacré,
• s’ils sont incités à considérer dans l’abandon du judaïsme un « renoncement à soimême » ou bien une « extermination spirituelle conduisant, comme l’extermination physique,
à la solution finale de la question juive »519,
• si des frontières invisibles existent toujours entre les non-Juifs et les Juifs et font de
ces derniers (malgré une assimilation avancée parmi les goyim), un corps quelque peu
différent et séparé dans toute société,
• Si, pour le Juif rivé à sa filiation et à qui on a inculqué « l’irrésiliabilité de son être
juif »520, il est plus difficile de se libérer de la judéité que pour le non-Juif de se libérer de
n’importe quel autre système de pensée religieux ou philosophique,
514
. La libération du Juif, p. 187.
. Quel avenir pour le judaïsme, p. 68.
516
. Hannah Arendt pense elle-même : « qu’on ne peut pas échapper à la "honte" d’être juif que "par
l’engagement politique et la lutte pour l’honneur du peuple tout entier"» (Sylvie Courtine-Denamy, Trois
femmes dans de sombres temps, p. 234).
517
. Daniel Sibony, L’énigme antisémite, p. 44.
518
. Hostilité que traduit notamment ce chant ancestral et solennel de la Pâque juive : « À chaque génération le
goy est prêt à nous détruire » et qui, aux yeux des sionistes, justifie leur conquête continue de la Palestine. Pour
Esther Benbassa, « l’hostilité des autres, réelle ou imaginaire » serait même « le principal ciment de l’identité
des Juifs » (Les Juifs ont-ils un avenir, p. 248).
519
. Comme l’exprime, après bien d’autres auteurs, le grand rabbin d’Israël, Israël Lau, (Alfred Grosser, Les
fruits de leur arbre, p. 29).
520
. Benny Lévy, Être juif, Étude lévinassienne, p. 38.
515
160
• si le mot juif, que des écrivains juifs du XIXe siècle voulaient voir rayer du dictionnaire,
est pollué par sa connotation raciale,
• si le vaste monde catholique romain, devenu plus tolérant parallèlement à l’affadissement
de sa doctrine et repentant face à ses responsabilités dans le génocide nazi, a abandonné toute
opposition envers le judaïsme-religion mais engendre toujours du racisme antijuif,
• si le judaïsme sioniste a aggravé le mal juif alors qu’il s’était donné comme tâche
essentielle d’y remédier dès son premier congrès de 1897,
• si l’identité pathogène que le judaïsme imprime aux Juifs est la cause la plus fréquente du
syndrome de haine de soi si banal dans le monde juif,
• si cette même identité, qui représente la pierre angulaire de tout antisémitisme,
conditionne en même temps la survie des Juifs en tant que Juifs et celle d’Israël en tant
qu’État,
• si…
comment ne pas voir que la culture juive – par l’altérité Juifs/non-Juifs qu’elle institue –
est génératrice de malheurs caractérisés… et comment ne pas voir aussi que la seule stratégie
de libération qui vaille est de promouvoir une prise de conscience de cette tare qui lui est
inhérente ?
161
EN GUISE DE RÉSUMÉ, DE COMPLÉMENT ET DE CONCLUSION
COURTES SÉQUENCES EN VRAC
Comprendre l’antisémitisme, ce phénomène multiforme de racisme anti-Juifs qui
accompagne le judaïsme depuis ses origines521, qui est permanent au sein d’un monde en
perpétuel changement, qui se voit même là où il n’y a pas de Juifs, ce n’est pas justifier,
accuser ou s’indigner face aux manifestations qu’il comporte... Ce n’est pas non plus
consentir, se résigner ou pardonner… Dans la perspective de comprendre un phénomène
historique pérenne, c’est rechercher l’origine, le cheminement et l’association des idées qui
guident des hommes dans leurs sentiments ou leurs actions à l’encontre des Juifs, c’est
appréhender, par delà les multiples facteurs accidentels et contingents décrits par les
historiens et les chroniqueurs, le facteur étiologique commun à toutes les formes du
phénomène, en jetant – condition nécessaire à toute démarche qui se veut aussi rigoureuse que
possible – un voile sur les responsabilités individuelles.
----------------------Comprendre l’idéologie antisémite, c’est reconnaître qu’il y a depuis toujours un problème
juif (ou un problème du judaïsme), problème qui n’est qu’accessoirement religieux et dont les
principales données de base sont les suivantes :
• le judaïsme n’est pas une religion ordinaire comme le sont le christianisme, l’islam, le
bouddhisme... Contrairement à ces dernières, il comporte théoriquement deux dimensions
intimement conjuguées : une dimension religieuse (liée à la croyance traditionnelle au
monothéisme) ou plus précisément culturelle et une dimension raciale relative à une lignée
d’hommes déterminée par le sang reçu à la naissance522 et se perpétuant par endogamie. Fait
unique en Occident et quasiment unique dans le monde, le judaïsme est une religion ou mieux
une culture à composante raciale.
• le Juif traditionnel est à la fois un adepte et un appartenant. L’hostilité qu’il suscite peut
comporter elle aussi ces deux mêmes dimensions : d’ordre religieux elle est qualifiée
généralement et logiquement d’antijudaïsme, d’ordre racial elle est qualifiée d’antisémitisme
ou de racisme anti-Juifs. Or, comme le montre l’histoire, l’antijudaïsme des païens, des
chrétiens puis des musulmans, voire des libéraux non-croyants… conduit presque
"naturellement" à un antisémitisme latent ou caractérisé. C’est dire l’extrême importance de
bien distinguer antijudaïsme et antisémitisme avant de voir les rapports qu’ils nourrissent
entre eux.
À noter ici que les dimensions religieuse et raciale ont vu leur rôle respectif et leur
prégnance évoluer de façon singulière au cours des âges. En ce qui concerne la dimension
religieuse, soumise depuis longtemps à un « processus de dégénérescence »523, on peut dire
schématiquement qu’elle a laissé place à l’athéisme devenu très largement majoritaire.
Cependant, si elle est aujourd’hui relativement marginale par le nombre d’individus
concernés, si par ailleurs elle est accessoire, voire inutile pour qualifier la judéité des
personnes (en exceptant à peine les rares convertis au judaïsme puisqu’ils vont transmettre du
sang juif à leurs descendants), il faut bien voir qu’elle conforte puissamment, par les mythes
fondateurs toujours actifs dans les esprits, la dimension raciale de la judéité. En témoigne
électivement l’idéologie sioniste qui, inventée par des athées avec pourtant la ferme intention
521
. C’est le psalmiste qui déjà pouvait écrire : « Tu nous livres comme des troupeaux dont on se nourrit, tu nous
éparpilles parmi les nations, tu vends ton peuple à vil prix, tu fais de nous un objet d’opprobre et de moquerie
pour nos voisins… Pour toi nous subissons chaque jour la mort » (Ps, 44, 10).
522
. Un professeur d’université israélien confirmait encore récemment, dans une tribune publiée par le journal
Haaretz, « que le sang jouait un rôle bien plus grand que la culture dans la construction de l’identité du Juif »
(information rapportée par Shlomo Sand, Le Point du 06/09/2012).
523
. Yechayahou Leibovitz, La mauvaise conscience d’Israël, p. 19.
162
« de maintenir les rabbins dans leurs temples », s’est inspirée en définitive de valeurs issues
intégralement du judaïsme et a engendré un État largement théocratique intimement lié à la
synagogue524. Quant à la dimension raciale qui suffit pour être juif, elle représente l’élément
identitaire commun à tous les Juifs les réunissant par delà les divergences les plus extrêmes
dans l’ordre de la pensée philosophique, politique ou religieuse.
C’est dire que l’identité de juif peut ne comporter qu’une dimension raciale en l’absence de
toute dimension religieuse et croyante et, réciproquement que l’antisémitisme peut ne pas être
associé à un antijudaïsme, comme ce fut généralement le cas dans le nazisme et comme on le
constate maintenant dans le catholicisme qui, à l’exception de sa petite minorité
fondamentaliste dissidente, a abandonné toute opposition doctrinale envers le judaïsme.
C’est dire en même temps que l’idée antisémite n’est pas contemporaine du mot qui,
comme nous l’avons vu, n’a été créé qu’au XIXe siècle, mais qu’elle accompagne la judaïcité
depuis plus de deux mille ans525.
----------------------Face aux antisémitismes, et particulièrement à leur manifestation extrême représentée par
le génocide nazi,
• les historiens se sont attachés à établir les faits et gestes des antisémites ;
• les philosophes et les psychanalystes se sont appliqués à analyser leur pensée (souvent aussi
celle des Juifs526), à fouiller leur psychologie et à décrire les haines anti-juives
perpétuellement résurgentes ;
• divers auteurs, dans le sillage de Hannah Arendt, ont expliqué que sommeillait en chaque
individu un tortionnaire latent ;
• certains théologiens juifs, quant à eux, se sont plu à montrer la responsabilité des Juifs ayant
abandonné en masse le pacte conclu par leurs ancêtres avec Dieu ;
• d’autres, évoquant la notion de hester panim selon laquelle Dieu se serait voilé la face et
aurait été absent d’Auschwitz, se sont évertués à désigner la responsabilité, non plus des Juifs,
mais de leur divinité…
Il n’y a pas lieu d’être surpris que ce gigantesque travail d’investigation et d’analyse n’ait
pas permis d’élucider le phénomène antisémite : tous les éléments incriminés relèvent de
données contingentes ou mythologiques. Néanmoins, ce travail n’aura pas été vain car il aura
permis de rechercher et enfin de définir le vice structurel inhérent à l’identité juive avec lequel
il y a, non pas un conflit banal destiné à se résoudre un jour ou l’autre par le dialogue et le
compromis, mais un conflit d’ordre racial et donc pérenne, conflit visant des êtres humains en
tant que membres d’une lignée.
----------------------Multiples et variées sont les catégories de personnes ayant, à propos des Juifs et à l’instar
des antisémites, un conscient ou un inconscient racialement connoté…
Parmi elles citons :
524
. À noter que ce phénomène apparemment paradoxal suivant lequel le religieux qui régresse globalement dans
les esprits influe toujours notablement sur le politique s’observe aussi ailleurs comme si les hommes
d’aujourd’hui, victimes plus que leurs ancêtres du tourbillon de la vie en société, voulaient se raccrocher à
quelque chose de stable. En France cette démarche fut particulièrement illustrée par Charles Maurras qui n’était
nullement croyant mais s’alliait néanmoins à l’Église romaine comme rempart à la démocratie qu’il récusait. Et
puis, il y a le regain moderne du fondamentaliste religieux, juif, chrétien et musulman.
525
. Comme nous l’avons déjà noté, divers historiens situent précisément dans la période hellénistique (entre la
mort d’Alexandre le Grand (-326) et la conquête romaine (-143) et en Égypte l’apparition des premières
manifestations racistes c’est-à-dire du phénomène antisémite. C’est à cette époque en effet que remontent, de
façon qui n’est plus guère discutée, « les premiers écrits attribuant aux Juifs des défauts enracinés dans leur
nature ».
526
. tel Rudolph Loewenstein dans son ouvrage Psychanalyse de l’antisémitisme ou Annah Arendt dans son
ouvrage Sur l'antisémitisme.
163
• les biographes, historiens et écrivains qui se livrent à de patientes enquêtes généalogiques
sur la judéité potentielle des personnages historiques qu’ils étudient527, ou qui considèrent que
les Juifs convertis au christianisme528, ayant rejeté formellement le judaïsme ou
totalement étrangers au monde juif, sont toujours Juifs ou d’ascendance juive,
• les nombreux Juifs convertis au christianisme qui se veulent toujours Juifs parce que nés
Juifs529.
• les candidats à l’émigration en Israël et à la nationalité juive qui fouillent l’hérédité de leurs
ascendants à la recherche de quelque sang juif pour établir leur dossier530,
• les scientifiques juifs d’Israël et des États-Unis qui travaillent à démontrer la proximité
génétique des Juifs du monde entier et recherchent quelque gène "juif",
• les orphelins de naissance qui, découvrant un jour par surprise qu’ils ont du "sang juif",
revendiquent leur judéité,
• les personnes qui ne se sentent nullement juives parce que ignorant tout du judaïsme, mais
qui se considèrent néanmoins comme juives parce que leurs parents étaient Juifs531,
• les rabbins, les sionistes et les éminents intellectuels juifs qui parlent banalement du « sang
juif » ou qui professent qu’il y a une essence juive,
• les Juifs agressés qui se considèrent d’emblée comme des victimes d’une acte raciste, les
observateurs532, les journalistes et les ligues de défense telle la LICRA qui les voient comme
tels,
• les très nombreux Juifs qui sont soucieux de la pureté de leur lignage et vouent un culte à
leur généalogie en vertu de l’identité sous laquelle ils se voient,
• les inquisiteurs qui traquaient jadis la judéité des marranes et les nazis qui traquaient celle de
leurs suspects,
• les personnes qui ont pu parler de leurs regrets de ne pas être juives533,
• les penseurs juifs du XIXe siècle et de la première moitié du XXe, penseurs allemands
notamment qui, bien que victimes d’antisémitisme, n’ont jamais rejeté la dialectique de race
en vigueur dans leur pays,
• les associations antiracistes qui ont assigné Google devant la justice pour s’être autorisé à
désigner comme "juifs" certaines personnalités de la politique, des médias ou des affaires,
• les éminents défenseurs des Juifs cités dans ce texte qui parlent tous de race juive …
Que tant de personnes différentes juives et non-juives aient une conception typiquement
raciale de l’identité juive conformément au judaïsme le plus traditionnel, où le sang hérité
suffit pour faire un Juif, est une donnée qui ne saurait tromper quant à sa signification et sa
527
. On a recherché cette judéité pour une foule de personnages. Citons notamment Montaigne, Cervantès,
Thérèse d’Avila…
528
. tels Edmund Husserl, Heinrich Heine, Adolf Reinach, Max Scheler, Edith Stein, Raïssa Maritain, Fritz
Haber, Gustav Mahler, Felix Mendelssohn, Ludwig Wittgenstein…
529
. tel J. M. Lustiger, archevêque de Pari, écrivant peu de temps avant sa mort : « Je suis né juif parce que mes
parents et tous mes ancêtres étaient juifs. Devenu chrétien par la foi et le baptême, je suis demeuré juif comme le
demeuraient les apôtres ». Pour la plupart des convertis en effet, conformément à la tradition judaïque la plus
établie, « être Juif n’est pas une affaire de religion et de croyance mais de sang ».
530
. Le nazisme, quant à lui, avait ses "certificats de descendance".
531
. tel Claude Lévi-Strauss que nous avons cité précédemment ou bien Ferdinand Lassalle écrivant : « Je hais les
Juifs et je hais les journalistes. Malheureusement, je suis l’un et l’autre » (cité par E. Roudinesco, Op. cit., p.
44).
532
. tel Meïr Weintrater, directeur de la revue L'Arche, le mensuel du judaïsme français, qui en 2005 « estimait
que la proportion d'actes racistes frappant les seuls juifs a varié suivant les années selon une proportion allant
de 65 % à 80 % du total » (donnée rapportée par Daniel Dreyfus dans son ouvrage L’antisémitisme à gauche, p.
262).
533
. tel Charlie Chaplin qui, après que des journalistes aient suggéré qu’il était Juif, répondait en mars 1940 : « Je
ne suis pas juif. Je n'ai pas une goutte de sang juif. Je n'ai jamais protesté lorsqu'on disait que j'étais juif car
j'aurais été fier de l'être » (Christian Delage, Antisémythes, Nouveau Monde Éditions, p. 247).
164
portée. Allant de pair avec le dogme de la Séparation/Altérité radicale Juifs/non-Juifs au
fondement même du penser et du culte judaïques, cette séparation met en évidence rien de
moins que la cause commune de toutes les formes de racisme juif et antijuif et le drame des
hommes conditionnés à voir les autres comme fondamentalement différents et
potentiellement hostiles.
Pour qui possède cette donnée : l’antisémitisme "éternel" n’est plus une énigme…
----------------------Comprendre le phénomène antisémite c’est aussi comprendre – contrairement à l’opinion
qui prévaut encore dans les médias selon laquelle les rapports antagonistes entre Juifs et nonJuifs sont à sens unique – qu’il y a, dans un processus en cercle vicieux, une interaction
pathologique dont la cause structurelle ne se trouve ni dans la personne des Juifs (selon
l’accusation classique des chrétiens reprise par les nazis534 et plus généralement par les
antisémites), ni dans celle des non-Juifs (comme le veulent certains historiens de
l’antisémitisme) mais dans la culture judaïque et plus précisément dans la racialisation des
Juifs par l’Institution juive.
Comprendre le phénomène en question c’est comprendre en particulier :
• qu’une race autre que la sienne représente, pour tout individu, une catégorie de personnes
qui présente une certaine différence, soit d’ordre naturel, soit d’ordre culturel, soit d’ordre
mixte, différence qui établit des barrières et constitue le substratum du racisme ;
• que les barrières les plus contraignantes et les plus génératrices de racisme sont d’ordre
culturel. Elles sont représentées avant tout par l’identité irréversible des individus fondée sur
le sang reçu et par l’endogamie institutionnelle assurant la pérennité de la lignée535 ;
• que la distinction-séparation-différence radicale entre le collectif judaïque et le reste des
hommes, entre les Juifs et les non-Juifs, les élus et les autres, les purs et les impurs, matrice
d’une altérité et d’un exclusivisme irréductibles, représente rien de moins que le virus mental
du racisme ;
• que le racisme lié au judaïsme est double : racisme des Juifs à l’égard des non-Juifs,
racisme des non-Juifs à l’égard des Juifs. Penser l’un sans penser l’autre est une amputation
de la réalité ;
• que l’entité juive, bien qu’ouverte théoriquement à toutes les races "naturelles", constitue
la race la plus différenciée culturellement que l’histoire ait connue et, partant, que les
racismes qu’elle suscite sont d’une prégnance inégalée.
----------------------Il n’y a pas de question chrétienne ou musulmane, fasciste ou communiste, il n’y a pas non
plus, au sens propre, de racisme anti-chrétiens, anti-musulmans, anti-fascistes ou anticommunistes. Mais il y a une question juive et un racisme anti-Juifs...! Le christianisme et
l’islam, le fascisme et le communisme ne sont que des systèmes de pensée ; les chrétiens et
les musulmans, les fascistes et les communistes ne sont que des adeptes. Dans le judaïsme, le
système de pensée n’est que contingent, c’est la donnée d’ordre racial qui est l’unique élément
fédérateur des individus. La question juive peut être vue comme découlant tout entière de
cette donnée culturelle qui fonde une forme extrême d’hétérogénéité-altérité Juifs/non-Juifs
engendrant inexorablement du racisme.
----------------------Tous les historiens de l’antisémitisme ont bien rapporté que le fait pour les Juifs de se
marier entre eux était un motif constant d’hostilité à leur égard, ce grief était déjà celui des
Grecs et des Romains, voire plus précocement celui des Perses. Exceptionnels pourtant sont
ceux qui ont amorcé une réflexion à ce sujet et compris la portée majeure de la prohibition
534
. Pour Hitler en particulier le virus à combattre et à éliminer était représenté par les Juifs eux-mêmes en tant
que personnes.
535
. Proust parlait de La fatalité de la race juive (dans Sodome Gomorrhe, Pléiade, II, p. 615).
165
institutionnelle de l’exogamie dans l’antisémitisme536, prohibition qui témoigne toujours
d’une catégorie raciale caractérisée et qui constitue la donnée centrale de toutes les lois
raciales promulguées au cours de l’histoire contre les Juifs, les non-Juifs ou les Noirs :
• lois bibliques du judaïsme, premières lois écrites de ce type qui nous sont connues ;
• lois de la limpieza de sangre du christianisme espagnol et portugais au XVe siècle
qui ont influencé longtemps nombre de pays d’Europe, ainsi que de grands ordres religieux ;
• lois du Sud des États-Unis de 1907 à 1969 ;
• lois d’Afrique du Sud de 1926 à 1985 ;
• lois du nazisme de 1933 à 1945 ;
• lois de l’État juif de Palestine depuis 1948.537
Toutes ces lois sont le signe pathognomonique à la fois du caractère racial d’un groupe
très différencié et le marqueur d’un racisme caractérisé.538
----------------------Bien que, sous ses formes multiples, l’antisémitisme accompagne le monde juif depuis
toujours, l’antisémitisme nazi revêt une importance particulière pour la compréhension du
phénomène. Non pas parce que ses manifestations sont extrêmes, non pas parce qu’elles sont
inédites, mais parce que, en l’absence de tout antagonisme d’ordre religieux, elles relèvent
d’un racisme à l’état pur où, comme dans le judaïsme, le Juif se voit marqué dès sa naissance
et pour la vie. C’est ainsi que les enfants seront éliminés à l’instar des adultes.
----------------------Il est des mots permettant de rencontrer l’abjection absolue. Parmi eux, lus sur un mur par
un enfant juif de 10 ans : « Mort aux Juifs Mort aux Juifs Sales Juifs Sales Juifs ! » Et Albert
Cohen, commentant son expérience d’enfant, de poursuivre : « Ainsi disait la bonne
inscription devant laquelle je savais ma vie perdue [...] Le sale juif avait mal, le sale juif avait
la bouche entrouverte de malheur [...] C'était une douleur de sale Juif et même de youpin ou
de youtre [...] Antisémites, âmes tendres, je cherche l'amour du prochain, dites, sauriez-vous
où est l'amour du prochain ? »539.
Mais, par-delà l’irresponsabilité, l’imbécillité ou la perversité qui ont pu guider l’auteur
des mots en question, comment ne pas voir que l’enfant juif, avant d’être un rejeté et un
persécuté, a été un séparé par un système idéologique inexorable !
536
. Parmi ces auteurs juifs particulièrement lucides évoquons Karl Kraus (1874-1936) et Isaak Marcus Jost.
(1793-1860). Constatant dès la fin du XIXe siècle que « l'assimilation psychologique et sociale pratiquée
pourtant avec beaucoup d'ardeur par une partie des juifs n’est pas suffisante pour arrêter l’antisémitisme s’il
n’y a pas mélange physiologique de sang », Kraus va promouvoir les mariages mixtes et s’opposer de toutes ses
forces au sionisme naissant de Herzl qui s’oppose à l’assimilation complète des Juifs, seule solution pour que
s’évanouisse l’antisémitisme. (Karl Kraus ou l’identité juive déchirée, pp. 105 et 109 et Sionisme et
antisémitisme : le piège des mots, de J. Le Rider). Quant à Jost il écrit : « Un État ne peut reconnaître la
légitimité des juifs aussi longtemps qu'ils ne se marieront pas aux habitants de ce pays. L'État n'existe que par la
vertu de son peuple, et celui ci doit constituer une unité. Pourquoi devrait-il soutenir un groupe qui a pour
principe fondamental le fait que lui seul détient 1a vérité, et qu'il doit donc éviter toute intégration avec les
habitants du pays ? »
537
. Comme nous l’avons déjà remarqué, c’est dès 1947 que fut décidé que les Juifs ne pourraient pas épouser de
non-Juifs et qu’il n’y aurait donc pas de mariage civil en Israël. En 1953, cette promesse politique fut légitimée
par la loi concernant les tribunaux rabbiniques stipulant que le régime matrimonial des Juifs en Israël relevait
exclusivement de la loi biblique. Dans la circonstance, les Juifs les plus opposés entre eux sur le plan de la
pensée et des sentiments, socialistes athées d’un côté et rabbins fanatiques de l’autre, se sont unis pour prohiber
les mariages mixtes, prohibition qui est nécessaire à la survie même du judaïsme et de la judaïcité. L’État juif, en
véritable laboratoire expérimental du racisme potentiel contenu dans le judaïsme, confirme que l’élément
unificateur et fédérateur des Juifs est bien l’élément racial.
538
. Les historiens ont bien entendu comparé ces lois entre elles et recherché l’influence contaminante qu’elles
ont pu avoir sur celles qui leur furent postérieures. Il est manifeste notamment que les lois bibliques ont
directement influencé depuis deux mille ans les chrétiens de toutes catégories et parmi eux les nazis.
539
. Ô vous frères humains, Gallimard, 1972, coll."Folio", pp. 172-175.
166
----------------------Si l’altérité/opposition Juifs/non-Juifs n’a pas d’équivalent historique par sa longévité (« la
plus longue haine »540 : plus de deux millénaires) et si personne n’ose émettre l’hypothèse
qu’elle peut s’évanouir un jour, c’est qu’elle est irréductible. Ne relevant pas d’un différend
philosophique ou religieux, ni d’une rivalité d’ordre économique ou politique – il n’y a pas
d’exemple où ces types de conflit ne se relativisent avec le temps et disparaissent – cette
opposition est typiquement d’ordre racial. Car la race dans une forme très différenciée est
cette réalité incontournable, et la seule, qui donne à toute opposition son caractère pérenne et
irrémédiable. Initiée par les mythes bibliques de la Création et de l’Élection récusant l’unité
du genre humain et instituant deux espèces d’hommes, les Juifs et les non-Juifs, consacrée par
la filiation et l’interdit de l’exogamie, reprise par une immense littérature à la fois sacrée et
profane, il s’agit là d’une donnée absolument capitale dans l’histoire de l’humanité : la
première formulation écrite des principes théoriques de ce qu’on nomme aujourd’hui le
racisme ou, en d’autres termes, la naissance de la pensée raciale structurée.
----------------------Dans le monde occidental, seuls deux système de pensée, le judaïsme et l’aryanogermanisme, ont inventé, façonné et exalté leur propre catégorie raciale : la race juive pour le
premier, la race aryenne pour l’autre, conditionnant leurs membres à un racisme spécifique.
Le premier, structuré sur des mythes d’ordre religieux où, phénomène unique dans l’histoire,
les notions de race et de religion sont intimement conjuguées et portées par un monument
exceptionnel d’écriture, ne peut pas ne pas défier les siècles, le second, d’ordre profane, qui
n’a donné lieu qu’à un dérisoire investissement intellectuel, ne pouvait être qu’éphémère.
----------------------Peuple-race, les Juifs, pour subsister en tant que Juifs, peuvent se couper comme nous
l’avons vu, de toutes les dimensions que l’on peut attribuer au judaïsme (notamment de la
traditionnelle dimension religieuse) à l’exception d’une seule : la dimension raciale. Socle
unique, dénominateur commun de tous les Juifs, c’est de cette donnée – transmission sanguine
d’une identité irréversible et endogamie – qui constitue en même temps le soubassement de
toutes les formes de racismes juif et antijuif.
----------------------Si les racismes ont des éléments essentiels en commun, il est évident aussi que chacun
d’eux présente en même temps quelque spécificité, relative notamment à la populationvictime. Dans cette perspective, on peut dire que l’antisémitisme se distingue particulièrement
de tous les autres à la fois par son support et son devenir :
Son support ?
Dans le racisme anti-Noirs par exemple – racisme où le groupe racisé est
traditionnellement non racisant – la notion de race est présente chez l’acteur mais non chez le
groupe-victime541. Dans le racisme anti-Juifs au contraire, c’est le groupe-victime lui-même
qui, de par sa tradition culturelle, est le vecteur de cette notion contaminante et
potentiellement capable de transformer un opposant de circonstance en un raciste déterminé.
Son devenir ?
Le caractère racial des Noirs étant d’ordre naturel, le racisme envers eux est
automatiquement destiné à se réduire avec le temps, parallèlement au progrès de
540
. Selon le titre même de l’ouvrage de Robert Wistrich, The Longest Hatred.
. Alors que l’on constate généralement que là où il y a race il y a contre-race, racisme et contre-racisme, on
peut considérer que la race noire, par exemple, ne s’est pas établie, tout au moins pendant longtemps, comme
opposée racialement à la race blanche et n’a donc pas développé de racisme à l’égard de ses persécuteurs blancs.
Les institutions récentes du CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires) et du CRAB (Conseil
Représentatif des Associations Blanches), à l’exemple du CRIF (pour les Juifs), peuvent être vues par contre
comme des initiatives tout à fait régressives.
541
167
l’humanisation et au phénomène de mondialisation. Fondamentalement lié au judaïsmeculture le racisme envers les Juifs ne saurait avoir cette évolution favorable.
----------------------En considérant les démocrates comme de « piètres défenseurs »542 des Juifs, Jean-Paul
Sartre n’a manifestement pas vu l’ensemble du problème qui se pose. Défendre les Juifs
quand ils sont victimes reste pour les démocrates un impératif absolu quelles que soient les
circonstances, mais parallèlement ils ne peuvent pas occulter le fait que la loi princeps du
judaïsme, qui sépare radicalement les humains en deux groupes sur un critère qui n’est pas de
l’ordre de la pensée, est une donnée foncièrement perverse. Rejetée d’emblée il y a deux mille
ans par le christianisme naissant543 et plus tard par le marxisme, elle constitue rien de moins
que la première loi typiquement raciste de l’histoire connue.
----------------------La société allemande des années 1920 et 1930 marquée par le nazisme et l’entité juive
depuis le milieu du XXe siècle marquée par le sionisme ont, au regard de l'histoire, quelques
ressemblances remarquables : celle de privilégier l’étude et les sciences diverses, de
comporter des élites particulièrement nombreuses, d’apporter à leurs membres d’intenses et
exceptionnelles satisfactions de réussite et de se montrer sous des aspects flatteurs544... Mais
en même temps, témoignant de la propension des hommes à inventer des idéologies plus ou
moins perverses, chacune de ces entités de culture occidentale, à partir de son imaginaire, a
secrété et cultivé une idéologie spécifique, le nazisme pour la première, le sionisme pour la
seconde, idéologies si prégnantes qu’elles ont piégé, non seulement des hommes ordinaires
mais un grand nombre de savants, philosophes, écrivains, moralistes, religieux, artistes…
Deux sociétés profondément racisantes en ont résulté. La société nazie a été responsable, au
nom du mythe aryen et de son surhomme, d'un génocide sans précédent par sa forme et son
ampleur, la société sioniste, au nom de son homme nouveau succédant lui-même au
surhomme juif du XIXe siècle, est responsable, au nom des mythes du judaïsme, d'un
ethnocide également sans précédent par sa sophistication, sa durée, sa capacité à subjuguer les
dirigeants des nations545 et à faire des Palestiniens, les « victimes de victimes »546. Comme
l’ont pensé divers auteurs547, seule l’association d’une idéologie d’ordre racial et d’une culture
éminente est capable, en conditionnant progressivement nombre d’individus normaux, de
générer ce type extrême d’entreprises avec ses succès spectaculaires et ses drames achevés.
----------------------Si la société sioniste permet des comparaisons avec la société nazie elle le permet aussi
avec la société modelée par l’autre grande idéologie maligne du XXe siècle : le communisme.
542
. dans Réflexions sur la question juive, p. 65.
. notamment par la voix de saint Paul qui consacre la rupture définitive du christianisme avec le judaïsme. Plus
tard, Spinoza notamment reprendra en homme libre cette même critique de la Loi juive ce qui lui vaudra d’être
exclu de la communauté des Juifs.
544
. Combien de Français ont été subjugués en 1940 par l’aspect de l’armée allemande et combien de touristes le
sont aussi aujourd’hui face aux réalisations israéliennes !
545
. Portée par un Verbe, une dialectique et un cynisme remarquables (« peu importe ce que disent les Gentils,
l'important c'est ce que font les Juifs » suivant la phrase de Ben Gourion inculquée dès l’école à tous les enfants),
maniant avec dextérité les trois armes absolues que sont la Bible, la Bombe et la Shoah, bénéficiant des
connivences, des ignorances et des manques de courage des politiques occidentaux, très lointaine par la
géographie et par la culture du monde extrême-oriental, n’ayant contre elle qu’un monde islamique marqué par
l’impuissance et qu’une faible minorité de Juifs, l’idéologie sioniste bénéficie pour sa survivance et son
développement de conditions particulièrement exceptionnelles.
546
. expression de Edward Saïd remarquant, après nombre d’auteurs, que ce sont les enfants et les petits-enfants
des persécutés du nazisme qui, à leur tour, sont devenus des persécuteurs au nom d’une nouvelle idéologie (E.
Roudinesco, Retour sur la question juive, p. 314).
547
. Notamment, ceux que nous avons cités précédemment : Ernest Renan, James Darmesteter, Friedrich
Nietzsche, Ernst Ludwig Pinner (ce dernier s’exprimant précisément à propos d’Israël).
543
168
Sionisme et communisme sont en effet nés l’un et l’autre d’une idée généreuse et louable a
priori : d’un côté, celle de donner aux Juifs persécutés depuis toujours un territoire où ils
seraient protégés, de l’autre, celle de supprimer l’exploitation des hommes par d’autres
hommes. Mais les promoteurs de ces idéologies méconnaissaient des données qui ne
pardonnent pas. Dans le sionisme : le potentiel raciste du judaïsme qui a divisé le monde en
Juifs et en non-Juifs et est passé intégralement dans le sionisme, dans le communisme l’utopie
de l’égalité des hommes.
----------------------Depuis un siècle le judaïsme, avec sa doctrine de Distinction-Séparation essentiellement
d’ordre racial, aura :
• précipité en masse les Juifs, d’abord dans l’internationalisme avec le mouvement
bolchevique548, ensuite dans l’hypernationalisme sioniste, seul nationalisme avec celui du
nazisme à être racial par nature et incompatible avec la paix. Certains Juifs seront même
passés de l’une à l’autre de ces idéologies extrêmes ;
• proposé ou imposé à tous les Juifs du monde, avec la création de l’État juif, une double
loyauté549, source chez les uns d’un malaise permanent550 voire d’une culpabilité diffuse551,
chez les autres d’actes réprouvés par la morale commune552, chez d’autres encore d’un fol et
provocateur orgueil553 ;
• désorienté nombre d’entre eux… Peut-on citer Theodor Herzl qui, pour mettre fin au
problème juif, a conçu successivement le projet, à la fois naïf et fantastique, de demander aux
Juifs de se convertir massivement au christianisme554, celui d’employer la force brutale en
provoquant en duel les détracteurs des Juifs555, celui de remplacer pacifiquement le peuple
palestinien en le privant de sa terre ancestrale, voire en pensant « que les Arabes se
réjouiraient de voir revenir leurs frères juifs en leur terre et que le son des trompettes, plutôt
que celui des canons, les accompagnerait »556.
Dans un autre registre non moins significatif d’un malaise aigu, peut-on citer aussi René
Schwob converti au christianisme et associant, à propos de sa condition native, la haine et
l’amour : « Je n’aime pas les Juifs. Mais comment se fait-il que, lorsqu’un antisémite les
attaque, neuf fois sur dix je les défende ? Je ne les aime pas. Et pourtant, comme ils disent, je
548
. Citons particulièrement Trotsky, Zinoviev, Kamenev, Sverdlov, Radek, Martov… tous ayant puissamment
contribué au triomphe de la Révolution d'Octobre en rapprochant l’espérance communiste d’un monde de félicité
et le messianisme juif. Certains furent même des tchekistes et des épurateurs.
549
. Lors de la guerre de 1967, par exemple, les officiels israéliens et le mouvement sioniste ont demandé aux
Juifs de France de s'opposer de toutes leurs forces à la politique du gouvernement français.
550
. tel chez George Steiner, écrivain juif et antisioniste résolu, qui écrit : « En Israël il faut être un camp armé,
armé jusqu’aux dents. Il faut avoir des gens en prison dans des circonstances souvent terribles. Ça me semble un
prix, que moi, je ne peux pas payer » (Barbarie de l’ignorance, p. 28).
551
. Alain Finkielkraut dans Le Juif imaginaire, p. 159.
552
. tel celui d’aller se joindre aux militaires israéliens pour nettoyer le terrain des Arabes ainsi qu’en témoignent
divers témoignages. Pour les nazis il s’agissait aussi de nettoyer. En avril 1943, dans un discours à Kharkov,
Himmler proclame : « L'antisémitisme [...] c'est comme l'épouillement. Se débarrasser des poux, ce n'est pas une
question de philosophie, c'est une affaire de propreté » (S. Friedländer, L’Antisémitisme nazi, p. 201).
553
. comme en témoigne par exemple cet article :
http://www.upjf.org/detail.do?noArticle=16403&noCat=145&id_key=145&critere=boycott&rub=7
554
. Cette conversion devait concerner notamment les deux cents grandes familles juives de Vienne et se faire « à
l’Église St Étienne en processions solennelles sous le bourdonnement des cloches, en plein jour, le dimanche à
midi. Non plus honteusement, comme l'avaient fait jusqu'à présent des individus isolés mais avec des attitudes
fières ». (A. Boyer, Theodor Herzl, Albin Michel). Avant Herzl, la proposition de se faire baptiser, faite aux Juifs
berlinois par David Friedländer (1750-1834), un des Anciens du Consistoire israélite, avait obtenu un franc
succès : un dixième d’entre eux y souscrivirent.
555
. « Une bonne demi-douzaine de duels, écrivait-il, élèveront considérablement la position sociale des Juifs »
(citation rapportée Jean-Jacques Lafaye dans son ouvrage Stefan Zweig, p. 24.
556
. André Chouraqui, Mon testament Le feu de l’Alliance, p. 139.
169
suis Juif cent pour cent ». Car, ajoute-t-il : « C’est l’amour des êtres humains, en dehors de
toute considération de classe, de caste et de race, qui me rendit peu à peu odieuse la race qui
avait failli me dévorer »557.
En outre, le judaïsme, parce qu’il met les siens dès la naissance dans une situation
particulièrement contraignante et lourde à porter – "être Juif par son sang et pour la vie" –
n’est-il pas le seul système de pensée conduisant nombre d’entre eux, en victimes prioritaires
de la haine de soi, à être des antisémites résolus558 ou à s’autodétruire ?
----------------------Traiter de l’antisémitisme sans parler de l’exceptionnelle mystique de la violence portée
par les textes sacrés du judaïsme et qui, depuis les tueries perpétrées par Josué, a inspiré les
massacres de Mamilla, de la Naqba, de Gaza et d’ailleurs ainsi que le terrorisme d’État
multiforme et inédit pratiqué par l’État d’Israël depuis des dizaines d’années, peut être tout à
fait légitime de la part des historiens, des chroniqueurs et des orateurs mais il reste que cela
relève non moins souvent de la méconnaissance de données historiques incontestées ou d’une
attitude de peur face à une potentielle accusation d’antisémitisme.
----------------------Attribuer aux Juifs des qualités et des privilèges spécifiques liés à la naissance comme
l’enseignent les textes fondamentaux du judaïsme répercutés par de multiples auteurs ou
attribuer aux Juifs des défauts spécifiques liés à leur nature comme le font les antisémites
depuis plus de deux mille ans, est le témoin par excellence d’une pensée typiquement
d’essence raciste. Judaïsme et antisémitisme ont en commun cet élément fondamentalement
vicieux.
----------------------Il était relativement facile dans les années 1920/1930 de percevoir la nocivité de
l’idéologie nazie : beaucoup d’Allemands en ont été conscients même si seul un petit nombre
d’entre eux est passé à l’opposition, tant le risque pour leur liberté et leur vie était
considérable. Il est plus difficile de reconnaître que le judaïsme porte lui aussi des éléments
pervers et plus précisément un potentiel raciste caractérisé. Cette méconnaissance relève de
causes diverses… Citons-en quelques unes :
• le fait que le judaïsme est encore vu souvent comme un système religieux de par les
éléments mythiques ancestraux qu’il comporte. Contrairement à ce qui se passe avec une
pensée d’ordre politique ou philosophique vis-à-vis de laquelle le principe de la critique, tout
au moins dans les sociétés démocratiques, est admis par tous, les non-croyants ont tendance à
garder le silence face à des données doctrinales qui ne sont pas discutables et dont la critique
peut être interprétée par les croyants comme une manifestation de mépris à leur égard. C’est
ainsi que le silence va souvent être de mise entre gens "bien élevés" (on ne va pas se disputer
pour çà !) ;
• le vaste monde chrétien n’est pas libre vis-à-vis du judaïsme car sa doctrine en a intégré
les éléments essentiels et ne peut se penser sans eux : ses mythes fondateurs sont les mêmes ;
ses héros, Jésus, Marie, Joseph, les apôtres sont de vrais Juifs ; sa Terre sainte est commune ;
sa liturgie puise largement dans la Bible hébraïque qui est devenue son livre dont il a même
fait un best-seller… Le christianisme se voulant un judaïsme achevé, critiquer celui-ci serait
pour les chrétiens saper toutes les bases de leur propre religion ;
• les persécutions dont les Juifs ont été victimes tout au long de l’histoire, notamment au
XXe siècle, ont éclipsé logiquement dans les esprits les violences du monde juif ayant précédé
celles de la conquête sioniste de la Palestine ;
557
. dans Être chrétien in Les Juifs, p. 317.
. Otto Weininger aurait même constaté que « les antisémites les plus virulents se trouvent parmi les
Juifs » (citation rapportée par Léon Poliakov, Le mythe aryen, p. 432).
558
170
• le judaïsme, enfin, ne saurait être récusé en bloc. Comme les autres systèmes religieux,
notamment monothéistes, il transporte à la fois le meilleur et le pire559. Prendre conscience de
ses éléments pervers et les rejeter, fonder ses valeurs positives non plus sur des données
mythiques ancestrales mais sur des données de raison et d’éthique, tel apparaît l’objectif à
suivre, l’immense défi lancé à tous, Juifs et non-Juifs.
----------------------Face à l’interaction pathologique Juifs/non-Juifs, et plus précisément face aux
antisémitismes que nous voyons dépendre pour leur part invariante de l’identité spécifique des
Juifs, une question essentielle se pose : les institutions juives sont-elles capables de modifier
cette empreinte identitaire, comme l’institution chrétienne a su changer certains de ses textes
fondamentaux ayant généré les crimes de l’Inquisition, des Croisades, des guerres de religion,
du racisme antijuif ?
Force est de constater que la réponse à cette question ne peut être que négative pour deux
raisons essentielles. D’une part aucune autorité juive n’est susceptible d’effacer voire de
modifier les textes sacrés du judaïsme, d’autre part les éléments identitaires à la base de la
condition souvent tragique des Juifs sont d’une nature et d’une valeur tout à fait singulières :
ils assurent à la fois l’existence des Juifs en tant que Juifs, celle du judaïsme en tant que
système de pensée560 et celle d’Israël en tant qu’État juif561.
----------------------Lorsque (dans quelques millénaires sans doute !) le Dieu de la Bible aura rejoint
définitivement les Dieux de l’Olympe, lorsque les mythes hébreux auront subi leur
métamorphose et accédé au domaine de l’art, lorsque la Bible aura rejoint l’Iliade, l’Odyssée,
la Bhagavad-Gītā et autres grands textes mythiques de l’humanité, lorsqu’il n’y aura plus de
Juifs et de non-Juifs, les penseurs d’alors ne manqueront pas de faire le bilan de l’apport du
judaïsme à la civilisation comme les penseurs d’aujourd’hui l’ont fait, et continuent à le faire,
pour le défunt paganisme gréco-romain. Comme toujours il y aura les lumières et les
ombres... Parmi les premières on reconnaîtra sans nul doute la promotion de l’étude, du Verbe
et de l’esprit critique, cet impératif catégorique562. Ces valeurs que le judaïsme aura cultivées
plus que la plupart des autres traditions religieuses ou philosophiques constitueront son
legs éminemment positif à la civilisation occidentale563. Parmi les ombres on retiendra
559
. Le meilleur… : Que seraient les arts sans les religions ? Le pire… : « à ceux qui déplorent le reflux des
religions, il faut redire combien, sous leurs formes traditionnelles au moins, elles continuent encore aujourd’hui
d’être à l’origine de la quasi-totalité des guerres et des conflits qui ensanglantent la planète » (Luc Ferry dans
Qu’est-ce qu’une vie réussie ?) ; « Le religieux est à la fois ce qui permet aux hommes de vivre, d’aimer et se
donner et ce qui les pousse à haïr, à tuer et à prendre » écrit de son côté Régis Debray.
560
. Remarquons que Avraham B.Yehoshua, pour qui le phénomène antisémite résulte essentiellement du
caractère virtuel de l’identité des Juifs, s’est posé une question semblable : « Peut-on réparer cette structure
spécifique de l'identité juive afin de la rendre plus claire, d'une part, et de réduire, d'autre part, sa dimension
virtuelle ? » car ajoute-t-il « si nous parvenons à une compréhension de cet ordre de deux choses l'une : ou bien
nous en sortirons affaiblis si l'on tire la conclusion qu'il y va de la structure profonde de notre identité et qu'il
n'y a rien à faire. Ou bien nous en conclurons qu'il y a des choses que nous pouvons et que nous devons changer
» (Israël, un examen moral, p. 53 et 29). Mais, l’auteur n’a pas vu qu’il n’y aurait pas d’antisémitisme, mais une
banale hostilité d’ordre religieux ou philosophique destinée à s’évanouir avec le temps, si l’élément identitaire
commun des Juifs n’était pas d’ordre racial.
561
. Malgré les multiples et pertinentes critiques émanant de nombre d’intellectuels juifs concernant l’État
d’Israël avec ses deux catégories de citoyens, il est clair que ces intellectuels n’ont pas encore réalisé que cette
donnée – la Séparation Juifs/non-Juifs – est inhérente au judaïsme-culture avant de l’être à l’État d’Israël.
562
. « Prends-toi un maître et acquiers un camarade d’étude » écrit un sage de la Michna, recommandation très
voisine de celle de Socrate dans le Phédon pour qui « le dialogue avec un bon maître permet au commun des
mortels d’"accoucher" de la vérité qui est en lui ».
563
. L’autre valeur positive qu’en Occident on attribue souvent au judaïsme est le commandement : « Tu ne
tueras pas ». Mais l’histoire et nombre de textes émanant d’auteurs juifs d’hier et d’aujourd’hui, notamment de
rabbins, semblent montrer que ce commandement fut essentiellement destiné aux Hébreux vis-à-vis des
171
l’invention de la pensée raciale et une conception manichéenne du genre humain, dans
laquelle il y a les Juifs et les Autres. Structurée dans des mythes religieux destinés à être
encore très longtemps opérationnels, véhiculée par une entreprise exceptionnelle d’écriture et
de mémoire, reprise par le christianisme qui a fait siens les mythes du judaïsme, cette pensée
raciale aura été le facteur étiologique d’un double racisme.
----------------------Au cours de l’histoire occidentale, quatre catégories d’hommes se sont vu attribuer, au
nom d’un élément d’ordre racial, une identité négative : les non-Blancs par la société blanche,
les non-Aryens par la société aryenne, les non-Juifs (les goyim) par la société juive, les nonTsiganes (les gadjé) par la société gitane. Suivant une logique élémentaire dans le monde des
hommes, des malheurs insignes en ont toujours résulté pour la société la plus faible.
----------------------Pourquoi la catégorie des Juifs engendre-t-elle du racisme bien plus que la plupart des
autres catégories raciales et un racisme résistant ?
À ce phénomène deux raisons essentielles peuvent être évoquées :
1° Depuis plus de deux mille ans, tous les individus non-Juifs savent qu’« ils ne peuvent pas
se marier avec un Juif », or nous avons vu que cet interdit institutionnel de l’exogamie
désigne, plus efficacement qu’une différence de couleur de peau, une race « autre que la
sienne » ;
2° Le ghetto culturel inhérent au monde juif, en tant qu’espace inaccessible aux non-Juifs,
suscite volontiers la méfiance comme tout ce qui peut apparaître comme clandestin ou
caché.564
----------------------Dans le monde occidental toutes les hostilités d’ordre racial régressent de façon notable à
l’exception d’une seule : l’antisémitisme. Ce phénomène a, lui aussi, une logique implacable.
La plupart des racismes sont basés sur la notion de race au sens élémentaire du terme :
quelque différence évidente de couleur de peau ou de forme corporelle. Sans base scripturaire
et culturelle, ce sont des racismes primaires et, avec la mondialisation et le métissage des
populations, l’altérité se relativise et s’estompe souvent dans les esprits. Il ne peut pas en être
de même avec les Juifs dont la culture établit l’étrangèreté entre deux populations (juive/nonjuive) sans doute la plus radicale et la plus prégnante de l’histoire. Dans un texte sur Moïse
Jean-Jacques Rousseau565 a bien décrit le problème en cause : « Pour empêcher que son
peuple ne se fondît parmi les peuples étrangers, il lui donna des mœurs et des usages
inalliables avec ceux des autres nations : il le surchargea de rites, de cérémonies
particulières ; il le gêna de mille façons pour le tenir sans cesse en haleine et le rendre
toujours étranger parmi les autres hommes ; et tous les liens de fraternité qu'il mit entre les
membres de sa république étaient autant de barrières qui le tenaient séparé de ses voisins et
l'empêchaient de se mêler avec eux ».
----------------------------------L’auto-perception des Juifs et la perception des Juifs par les non-Juifs ont quelque chose en
commun : celle d’un groupe qui se veut différent et séparé de tous les autres566. Fondée sur
des données bibliques attribuant aux Juifs des qualités liées à la naissance, consacrée par les
Hébreux. En tout cas, après avoir été pensé aussi par quelques philosophes grecs, c’est avec le christianisme
qu’il aura acquis véritablement sa valeur universelle.
564
. Constatant que « les Juifs dans une nation de gentils sont toujours assis près de la porte » Georges Steiner y
voit aussi une raison de méfiance. Langage et silence, p. 171.
565
. dans son livre Considérations sur le gouvernement de la Pologne au chapitre sur L’esprit des anciennes
institutions.
566
. Comme l’écrit Abraham B. Yehoshua : « Il n'y a rien qui offense plus le Juif que de lui dire que le peuple juif
est semblable aux autres » (Pour une normalité juive, p. 56).
172
données institutionnelles que sont d’abord la transmission de la judéité par le sang567, puis
l’endogamie et la circoncision, l’altérité Juifs/non-Juifs est à la fois le support du racisme
antijuif et la condition même de la survie du judaïsme.
----------------------Si les Juifs, de par leur identité fondée essentiellement sur la composante raciale, sont
conditionnés, plus que les adeptes des autres systèmes religieux, au racisme envers les nonJuifs, il est évident néanmoins que bien des hommes nés Juifs ne sont pas racistes (notamment
ceux qui, récusant la loi du sang et le mariage endogame, font fi des interdits du judaïsme et
dont la sanction est la perte de la judéité pour leur descendance). Par contre, un État
spécifiquement juif comme Israël, créé tel par les Nations Unies et qui se veut toujours juif,
lui, ne peut pas ne pas l’être sous peine de dis-paraître de la scène internationale. Sa survie
tient en effet à une condition nécessaire : être ni un État démocratique, ni l’État de ses
citoyens, mais l’État des Juifs. C’est dire en même temps que cet État, tributaire de l’idéologie
exclusiviste du judaïsme, n’est pas seulement enclin, mais condamné par nature, à la violence
préventive ou défensive et dans une incapacité absolue à faire la paix. Comment ne pas voir
dans cette simple constatation un signe pathognomonique de la malignité de l’idéologie
conduisant cet État !
----------------------L’"âge d’or" des Juifs dans la société espagnole du XVe siècle a été suivi d’une
expulsion généralisée et à l’apparente grande symbiose judéo-allemande du XIXe siècle et du
début du XXe a succédé une extermination non moins massive. Selon toute vraisemblance
l’aventure sioniste se terminera aussi par quelque catastrophe inédite568… Au départ de ces
drames passés et futurs potentiels : issu du judaïsme, un virus mental pathogène générant
racisme juif et antijuif !
----------------------De l’antisémitisme latent des non-Juifs à l’antisémitisme en acte exterminateur des nazis,
en passant par l’antisémitisme violemment verbal de Céline569, l’antisémitisme peut se
décliner de mille et une manières. Si la composante raciale de l’identité juive représente
l’élément étiologique commun de tous les antisémitismes ce sont les circonstances toujours
singulières qui font, comme dans toute maladie infectieuse, la multiplicité des réponses.
----------------------Si la haine religieuse, par le fanatisme qu’elle comporte, peut entraîner des guerres à la fois
cruelles et prolongées, les guerres de religion sont fondamentalement différentes des guerres
raciales lesquelles demandent la présence d’un élément spécifique de différenciation, élément
que le judaïsme, seul parmi les systèmes de pensée à base religieuse, porte avec lui et cultive
électivement depuis ses origines. C’est la doctrine religieuse, doctrine chrétienne en
567
. Notons que cette disposition du jus sanguinis dans le judaïsme, qui n’est pas une simple convention
administrative et contingente comme elle peut l’être pour déterminer la nationalité dans divers pays, revêt ici un
caractère spécifique. Se voulant indélébile, intimement lié à une mystique du pur et de l’impur, ce caractère, ne
manquera pas dans l’avenir, lorsque le "religieux" aura davantage perdu de sa prégnance, d’être considéré
comme attentatoire à la personne.
568
. Pour Michel Tubiana, président du Réseau euro-méditerranéen des droits de l’homme, et Souhair Belhassen,
présidente de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, c’est à rien de moins qu’à
« l’abîme » que mène l’entreprise sioniste avec la complicité de l’Union européenne (Le Monde du 4 août 2012).
569
. Il peut écrire dans Bagatelles pour un massacre (Denoël 1937, p. 72-73) : « C'est contre le racisme juif que
je me révolte, que je suis méchant, que je me brouille, çà jusqu'au tréfonds de mon benouze [...] La race élue
dans nos régions n'a pas encore fait procéder aux exécutions massives, seulement à quelques petits meurtres
sporadiques. Mais cela ne saurait tarder. En attendant le grand spectacle, on travaille doucement la bête... ou
bien par saccades, par sautes, selon paniques bien préparées... Un jour on le serre au garrot, le lendemain on
lui larde les jointures, il faut que l'animal s'affole, s'épuise et cafouille dans l'arène... dégueule, crache peu à
peu tout son sang... dans la sciure et dans la Bourse... Les Juifs se pourlèchent, se régalent. Quand l'animal
sera sur les genoux alors viendra la mise à mort, et sans résistance possible ».
173
particulier, qui mène à l’antijudaïsme mais c’est la doctrine du judaïsme qui mène au racisme
réciproque des Juifs et des non-Juifs. D’une part, antijudaïsme et antisémitisme sont deux
phénomènes qui se sont souvent succédés et associés au cours des temps mais néanmoins
fondamentalement distincts. D’autre part, si l’antijudaïsme fut un élément étiologique
important de l’antisémitisme du début de l’époque médiévale jusqu’au milieu du XXe siècle,
il faut admettre qu’il est toujours associé à quelque pensée d’ordre "racial" tant l’étrangèreté
des Juifs pour les non-Juifs, corollaire de l’étrangèreté des non-Juifs pour les Juifs, est fondée
sur les inexorables barrières judaïques du sang et de l’endogamie.
Cette donnée suivant laquelle rencontrer le judaïsme c’est rencontrer éventuellement une
religion mais toujours une pensée raciale a manifestement été négligée par la plupart des
auteurs. À notre connaissance, seule parmi les auteurs juifs, la philosophe Hannah Arendt est
parvenue à accéder à cette donnée capitale en matière d’antisémitisme. Lors de la séance du
Juingjüdische Gruppe du 13 mai 1942, après « s’en est pris à la prétention du peuple juif à se
vouloir le « sel de la terre », à son « aversion secrète contre la normalité » au « privilège
d’être-autre » dans lesquels elle voyait la cause de tous ses maux, de son acosmisme, elle
n’hésite pas à considérer cette opinion « comme une variante de la superstition raciale »570.
----------------------Comme l’ont pressenti, évoqué, suspecté, ou pensé à un moment de leur vie les divers
auteurs juifs éminents dont nous avons parlé (notamment Moïse Hess, Bernard Lazare,
Gershom Scholem, Léon Poliakov…), c’est bien dans le judaïsme qu’il faut chercher la cause
structurelle de ce phénomène intemporel qu’est l’antisémitisme. Avec les plus hardis d’entre
eux (Avraham B.Yehoshua, Elie Botbol571…) on peut même dire que cette cause réside dans
l’identité que le judaïsme a inventée pour les siens. Mais il convient néanmoins de prolonger
la réflexion de ces auteurs, quelque peu entravés dans leur démarche parce que juges et
parties, en constatant que cette identité est d’ordre spécifiquement racial. Portée par la Bible
vue comme ultima ratio, consacrée par les deux données communes à toutes les doctrines
raciales que sont la transmission héréditaire de l’identité et la pratique de l’endogamie, perçue
comme telle par les non-Juifs, il faut bien voir qu’elle est génératrice d’un de ces conflits qui
ne s’éteignent qu’avec la disparition du système de pensée dont ils émanent et que
l’antisémitisme est un de ceux-là !
----------------------Sartre a écrit à l’adresse des non-Juifs : « L’antisémitisme n’est pas un problème juif : c’est
notre problème ». Non ! Dépendant pour une part et quelle que soit sa forme d’une donnée
immuable du judaïsme transportée par les Juifs indépendamment de leur volonté – l’altérité
Juifs/non-Juifs – l’antisémitisme regarde tous les héritiers directs ou indirects du judaïsme. Et,
contrairement à une opinion encore courante572, le phénomène pour être singulier n’en est pas
moins parfaitement rationnel et compréhensible pour qui porte un regard libre sur la culture
issue du judaïsme. Il n’y a point de « mystère d’Israël » !
----------------------À moins que ce soit une simple marque de solidarité envers des hommes persécutés (à la
manière de John F. Kennedy proclamant à Berlin-Ouest le 26 juin 1963 : « Ich bin ein
Berliner), combien faut-il qu’elle soit prégnante cette mystique de sang et de race dans le
judaïsme pour que tant et tant d’individus nés de quelque parent juif se considèrent toujours
comme Juifs malgré leur conversion au christianisme, leur ignorance, leur éloignement, leur
rejet ou leur détestation du judaïsme ! Esprit libre et courageux, Simone Weil (1909-1943)
que nous avons citée ici ne serait-elle pas l’exceptionnelle intellectuelle ayant récusé
570
. Ecrits juifs (texte et notes), p. 301.
. Botbol écrit que « la Shoah doit ramener les Juifs à reconsidérer leur identité » (Op. cit., p. 65).
572
. Un récent ouvrage de D. Sibony est toujours intitulé : L’énigme antisémite, Seuil 2004.
571
174
formellement une judéité basée essentiellement sur l’héritage du sang et dénoncé cet élément
fondamentalement pervers du judaïsme ?
----------------------Stefan Zweig a parfaitement compris que l’antisémitisme « ce n’est pas dénoncer une
religion mais un être soi-disant différent et inférieur » et que dans l’antisémitisme, « ce n’est
pas la croyance des Juifs qui est perçue comme un danger mais leur sang ».573 Comment cet
écrivain n’a-t-il pas vu, dans son extrême finesse psychologique, que ces notions perverses de
différence et de sang font partie intégrante du judaïsme-culture avant de contaminer
successivement les Juifs et les non-Juifs ?
----------------------Si les Juifs dérogeaient à la Loi judaïque de l’endogamie en se mariant avec des non-Juifs,
il n’y aurait bientôt plus ni Juifs ni antisémitisme, si l’État juif devenait l’État de tous ses
citoyens et non plus l’État des Juifs il disparaîtrait lui aussi de la surface de la terre…
Comment mieux mesurer le rôle spécifique de la composante raciale de la judéité génératrice
à la fois de vie et de mort ?
----------------------La notion de race en tant que substratum du racisme étant évolutive dans les esprits, et
variable le racisme qui en découle sur le terrain, une question banale peut se poser. Après le
drame sans précédent provoqué par le nazisme au XXe siècle où en est, en ce début de XXIe
siècle, le racisme inhérent aux six principales catégories d’ordre racial : aryenne, slave, noire,
arabe, tsigane et juive côtoyant, en Europe, la catégorie blanche dominante. La réponse à cette
question est sensiblement celle-ci :
• la race aryenne, définie très artificiellement en Allemagne au XIXe siècle en regard et en
opposition radicale à la race juive, s’est totalement évanouie avec le nazisme,
• la race slave et le racisme dont elle fut victime se sont largement effacés,
• la race noire, qui n’est séparée des autres que par une donnée d’ordre naturel, est certes
encore l’objet d’un certain racisme de la part des Blancs, mais ce phénomène régresse,
parallèlement au processus de mondialisation qui banalise la différence et va de pair avec la
mixité,
• la catégorie raciale arabe étant intimement associée à la religion universaliste qu’est l’islam,
l’hostilité dont elle peut être victime est essentiellement d’ordre religieux. Quant au racisme
qu’elle développe (principalement envers les Juifs sionistes vus comme des agresseurs) il est
d’ordre purement réactionnel et nullement idéologique,
• la race tsigane est toujours l’objet d’un racisme notable. Néanmoins, le phénomène (dont les
manifestations sur le terrain ne sont guère qu’à sens unique du fait de l’extrême faiblesse de la
communauté dans l’environnement européen574) est en principe réversible avec le temps car la
donnée raciale repose essentiellement sur une tradition manifestement retardataire, le
nomadisme "du désert", et non sur les éléments culturels contraignants que sont les écrits
sacrés ancestraux,
• la race juive, quant à elle, s’accompagne toujours d’un haut niveau de racisme. Reposant sur
une Écriture sacrée, le phénomène raciste est fondamentalement lié au judaïsme-culture et en
partage le destin.
----------------------L’identité spécifique d’ordre racial que le judaïsme imprime aux Juifs avec l’altérité
radicale en résultant, élément causal commun à toutes les formes de racisme liées au
judaïsme, n’est ni modifiable, ni remédiable par les Institutions juives… Néanmoins,
chaque Juif dans sa singularité est capable – moyennant quelque courage et en retenant
573
. Stefan Zweig, Jean-Jacques Lafaye, p. 57.
. À signaler toutefois la création, en 2012, dans le sud de la Hongrie, d’une milice armée clandestine sur le
modèle de celles du monde juif et destinée à contrer les mouvements racistes d’extrême droite.
574
175
du judaïsme la valeur éminente qu’il a cultivée électivement : la prééminence de l’étude
et du débat – de se libérer par lui-même de sa judéité et de déracialiser sa
descendance575 comme ont su le faire tant d’hommes nés Juifs, d’hier et d’aujourd’hui.
C’est dire qu’un grand défi est lancé à chaque Juif mais aussi à chaque non-Juif :
prendre conscience du caractère pathogène de la tare native du judaïsme dont il est
tributaire et contribuer à son évanescence. Et tandis que les deux grandes idéologies
malignes du siècle en cours, le sionisme engendré par le judaïsme et l’islamisme
puissamment exacerbé par le sionisme, s’affrontent dans un combat sans merci, être
conscient que le temps presse.
575
. Le critère objectif de cette déracialisation est bien entendu le non-respect de l’interdit de l’exogamie. C’est
seulement avec le mélange des sexes que l’on peut réellement parler pour les Juifs d’assimilation dans le monde
non-juif (et non plus seulement de pénétration, d’insertion ou d’intégration) et que s’évanouit, tout au moins
avec le temps, la "valeur" perverse du sang véhiculée par le judaïsme.
176
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