Le travail informel : représentations et stratégies - Université Paris-Est

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Le travail informel : représentations et stratégies des acteurs
sociaux
Karima Tachouaft1, Université Alger 2
Résumé
L’article propose une lecture des représentations sociales et des stratégies
adoptées par les travailleurs informels, à la lumière du modèle théorique
sociologique de M. Weber. L’objectif étant la compréhension du phénomène de
l’informalité de l’intérieur, notre communication s’articule autour des valeurs et
des motivations qui orientent les objectifs et les aspirations des acteurs sociaux
et les encouragent à mettre en œuvre les ressources jugées cessaires pour la
réalisation, dans un environnement donné. Aussi, l’informalité est analysée en
tant qu’objet de socialisation, au cœur de la famille et du marché, considérés
comme des contextes principaux de leur ancrage. Quelques conclusions d’une
enquête restreinte réalisée à Alger ont été citées, à titre illustratif.
Mots clés : travail informel, représentations sociales, stratégies, sociologie
économique, acteur social
JEL: A1, A12, A13, A14, A130.
Informal work: representations and social actor’s strategies.
This article aims at showing the social representations and strategies adopted by
the informal workers according to Weber’s sociological theoretical model. As
the objective being the comprehension of the informality phenomenon, our
communication deals with the values and the motivations that direct the social
actors’ goals and aspirations which tend to implement the necessary resources to
be realized within a given environment. In addition, the informality is analysed
as being an object of socialization within the family and the market which are
considered as principal context of their origins. Some illustrative conclusions of
an investigation realized in Algiers have been exposed.
Key words: economic sociology, informality, action/social actors, social
representation, strategies.
1 Département de Sociologie, Email : [email protected]
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1. Introduction
Ce qui est constaté aujourd’hui, est que ‘l’informalité’ est devenue la
norme et non l’exception dans de nombreux pays du monde, autrement
dit, un état plus qu’un passage et la crise accentue cette tendance.
(Organisation de Coopération et de Développement Economique, 2009).
En dépit de l’importance croissante qu’il revêt, de par la dimension qu’il
présente en termes d’emploi, de revenus et de production, et même sil
est une préoccupation universelle, le travail informel demeure une
question controversée.
L’étude de ce phénomène se heurte encore à des obstacles liés aux
différences de définition, aux difficultés de mesure, et aux traitements
souvent idéologiques que lui réservent certains économistes et
responsables des politiques économiques (Aita, 2008). Cela nous ramène
à dire, combien il serait difficile de rendre compte de sa complexité, du
fait qu’il recouvre différents aspects et exige des démarches distinctes.
La littérature consacrée au travail informel est immense et constitue une
réserve importante de résultats d’études empiriques. Nous ne
reviendrons pas sur la genèse de sa terminologie, ni sur les termes utilisés
et dont l’essence reste ‘‘le travail’’, nous tenterons, sommairement, d’en
saisir l’émergence et l’évolution.
Lautier souligne trois registres employés dans les pays du tiers-monde
pour désigner les activités informelles avant le milieu des années
soixante-dix, en l’occurrence, la marginalité, le sous-emploi et la
pauvreté, jusqu'à lintroduction de l’expression ‘‘économie informelle
par les institutions internationales. L’auteur, distingue aussi deux époques
dans la vision du phénomène : avant 1985, l’informel était le lieu de
stratégies de survie, il devient brutalement doté de vertus positives, voire
une solution aux problèmes sociaux qui ont suivi l’ajustement structurel,
après 1986 (Lautier, 1994).
Au-delà de l’approche dualiste qui sépare deux secteurs : involutif
/évolutif (DeMiras, 1985) et traditionnel/moderne, (Nihan, 1980), il se
trouve que l’informalité fait l’objet d’autres théorisations, telle que, celle
basée sur les trois modes de l’économie informelle, à savoir, rose, noir et
grise (Gourévitch, 2002). L’analyse de Bellache dégagée de l’ensemble
des études réalisées en Algérie, représente aussi un essai à ne pas négliger.
Cependant, quatre approches sont identifiées : La première concerne la
petite production marchande, la seconde se focalise sur l’économie
parallèle, la troisième est centrée sur l’illégalisation de l’économie et
enfin, celle du BIT qui fonde la définition du secteur et de l’emploi
informel (Bellache, Adair, 2009).
Toutefois, ce phénomène est considéré par les uns comme un appui au
secteur organisé, et en revanche, il est dénoncé par d’autres, surtout les
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décideurs des pouvoirs publics par le fait de sa concurrence déloyale et
du non respect de la législation en vigueur.
Un autre constat est à souligner, il s’agit du fait que la plupart des
interprétations ainsi que les expressions attribuées aux activités
informelles, renvoient, à notre sens, à des enjeux politiques et à des
contextes socio-économiques différenciés.
Aussi, le travail informel dans ses aspects techniques ou matériels ainsi
que les relations sociales qui se nouent autour de la production et des
échanges, font l’objet de débats toujours ouverts. En revanche, l’examen
des valeurs et des normes qui lui sont attachées, demeure embryonnaire,
d’où la pertinence d’engager d’autres études pour comprendre le
phénomène de l’intérieur.
Ce faisant, notre intérêt est por sur la logique sociale du travail
informel.
2. L’informel : de l’économique au fait social.
Le point d’ancrage du travail informel, considéré pendant longtemps
comme un fait économique lié à des facteurs exogènes (voire : marché
du travail, chômage, politiques d’emploi, pauvreté et autres…), a é
critiqué par les fondateurs de la sociologie économique (Durkheim,
Veblen, Schumpeter, entre autres…), pour qui les faits dont s’occupe la
théorie économique sont redevables de la définition du social en termes
de représentations et de comportements imposés. (Steiner, Gislain,
1995).
A ce titre, il convient de rappeler que selon Durkheim, tout fait
économique est d’abord un fait social dans la mesure il prend un
caractère moral et ou il revêt une forme institutionnelle. Cependant, il
dénonce le caractère réducteur de léconomie qui ne prend pas en
compte les dimensions morales et sociales.
Dans le même contexte, Simiand considère que la théorie économique
fondée sur l’homo-oeconomicus est une fiction idéologique, car elle veut
expliquer et attribuer un caractère individuel à un phénomène de nature
sociale.
Pour sa part, Weber, se penche sur la question de savoir comment
l’action économique peut être une action sociale. Dans cette visée, ses
œuvres notamment ‘‘L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme’’ (1920),
ainsi que ‘‘Economie et société’’ (1971) constituent des références pour tous,
dans lesquelles, il aborde les relations fondamentales entre l’économie et
l’organisation sociale, les types de communalisation et de sociation dans
leurs relations avec l’économie.
En somme, les critiques développées par les pionniers de la sociologie-
économique durant la période (1890-1920), prennent une dimension
constitutive de par leurs propositions suggestives.
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Par ailleurs, la thèse de Levesque, ne va pas à l’encontre de ces classiques,
puisqu’il questionne les pratiques et théorisations économiques et insiste
sur le fait qu’il n’est plus possible d’éviter de les repenser. Bourque et
Mauss, entre autres, mettent l’accent sur une orientation de recherche
qu’ils considèrent comme progressivement oubliée, celle de la sociologie
économique en proposant de l’actualiser au point d’utiliser le terme de
‘’renaissance’’. (Levesque, Bourque, Fourges, 2001).
Ajouté à ceux-là, Polanyi et la perspective sur l’encastrement de cette
discipline dans la société, et Zafirovski et Levine (1997) qui suggèrent
que les phénomènes typiques, étudiés dans leur pureté par l’économique
ne représentent que des cas particuliers d’un système social plus
complexe, existent de multiples logiques d’action. Aussi, Granovetter
et M. Guire. qui soutiennent l’approche des réseaux sociaux (Steiner,
Vatin, 2009) et Freitag qui invite les sociologues à assumer l’aspect
normatif de l’économie au sein de leurs théories. (Freitag, 1995). Et
même si ces contributions, à titre d’exemple et beaucoup d’autres autour
des trois courants identifiés, (anti-utilitariste, économie solidaire,
régulation-convention), alimentent un renouveau de réflexion sur les
pratiques économiques, elles ont néanmoins mis en relation des
chercheurs et spécialistes de deux champs disciplinaires, dans la
perspective de réaffirmer l’importance de les étudier à partir d’approches
sociologiques. (Bourque, Fourges, Levesque, 2001).
Partant du principe que les paradigmes sociologiques devraient permettre
la compréhension des faits sociaux et donc des faits économiques, nous
aborderons la question de l’informalité en s’appuyant sur quelques
résultats de notre étude sur les représentations et les stratégies des
travailleurs informels selon le modèle théorique de Weber, basé sur
l’acteur et l’action sociale.
Inutile de préciser la richesse et la subtilité de l’analyse wébérienne qui
nous aide à approcher les questions nous concernant encore dans la
société, rappelons seulement sa définition de l’action sociale comme
étant toute conduite à laquelle un individu accorde une signification et
une intentionnalité en tenant compte des réactions des autres. (Grossin,
2003)
Une étape importante dans toute étude des représentations sociales (RS)
est à noter, il s’agit de la détermination du contenu et des types d’analyse
des données qui servent à repérer leurs univers sémantiques et à en
définir les liens structurants (Doise, 405). Ce faisant, les dimensions :
symbolique, normative et relationnelle du travail informel et ses doubles,
principalement dans les petites activités urbaines, commerciales ou
artisanales qui échappent à la réglementation (non enregistrement fiscal
et social), ont été définies. Les aspects macro-économiques et
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géographiques ainsi que le caractère lié à la criminalité sont écartés pour
des raisons de collecte de données assez difficile.
Aussi, l’aspect qualitatif aux dépens du quantitatif est privilégié dans
l’approche mixte adoptée (l’objectif est de multiplier les cas) et l’enquête
par questionnaire, réalisée sur un échantillon non représentatif
statistiquement de 638 acteurs sociaux, est complétée par des entretiens.
Cette démarche n’est évidemment pas exceptionnelle mais empruntée,
notamment, à Johnson (2006), Creswell et Plano Clark (2007), Greene
(2006), et bien d’autres, qui considèrent légitime toute combinaison
d’approches méthodologiques.
Par ailleurs, notre lecture des stratégies voudrait proposer un autre
niveau de clarification, au sens les objectifs des acteurs sociaux, leurs
attentes et les ressources mises en œuvre dans leur action requièrent une
importance. Autrement dit, toute stratégie définie comme un acte
conscient, un art, une opération de calcul dans un contexte donné, est
supposée être l’un des mécanismes qui déterminent l’activité informelle.
Enfin, pour mieux comprendre comment se déploie l’analyse de
l’informalité à partir d’un idéal-type au sens wébérien, le modèle formel
est utilisé comme un outil, une construction abstraite dans l’analyse.
Enfin, notre but n’est pas de procéder à un étalage de définitions qui
donnerait l’impression de professer, nous avons juste repris en guise
d’introduction, le cadre référentiel qui a guidé notre essai d’analyse de la
logique sociale des activités informelles, appuyé sur quelques conclusions
de notre étude.
3. Les représentations sociales comme nératrices des
stratégies des travailleurs informels :
L’analyse des représentations est appréhendée sous l’angle du sens donné
à certaines notions (voir, travail versus chômage, déclaration versus non
déclaration, réussite sociale et citoyenneté), reflétant les valeurs et les
normes servant de mobiles à l’activité informelle. Ceci implique un
problème important, est que la matière première est constituée par le
recueil d’opinions, d’attitudes ou de préjugés individuels dont il faut
reconstituer les principes organisateurs à des ensembles d’individus.
Autrement dit, comprendre l’informalité de l’intérieur, selon le sens
donné par les acteurs sociaux, c’est supposer que ces derniers n’ont pas
le même code pour parler d’un même objet, d’où l’importance du
processus d’ancrage décrit par Moscovici comme étant l’incorporation de
nouveaux éléments de savoir dans un réseau de catégories plus familières
(Doise, Clemence, Lorenzi-Cioldi, 1992).
Or toute étude compréhensive rationnelle par finalité, pour reprendre
Weber, se heurte sans cesse à des fins qu’il faut accepter comme des
directions de l’activité qui échappent à une interprétation rationnelle plus
complète (Weber, 1995). Il convient de dire, que la représentation sociale
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