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LINCIDENCE DU CONTEXTE SUR LA TRADUCTION MÉDICALE
Renate Trurnit Verbic
Lilla/CRDL
Université de Nice – Sophia Antipolis
jr.verbic@wanadoo.fr
Résu : L’incidence du contexte dans la compréhension et la traduction devient apparente en alignant des unités
phraologiques provenant de textesdicaux fraais et allemands. Cotexte et contexte restreignent
successivement le champ d’application des unis et spécialisent leur sens. Lors de leur traduction, le choix lexical
dans la langue cible en dépend. Il est donc important dans une base de donnée bilingue que des étiquettes
contextuelles permettent de vérifier l’équivalence des contextes en langue source et en langue cible.
Mots-clés : traduction médicale, unités phraséologiques, français, allemand, contexte
1. INTRODUCTION
La thématique du colloque
Mots, termes et contexte
semble offrir un prolongement idéal à notre thèse
sur L’Analyse de textes médicaux en français et en allemand dans le domaine de l’asthme : incidences sur
la traduction (1). Nous y avons en effet étudié le fonctionnement de la langue médicale en vue de sa
modélisation dans le cadre d’applications telles que la traduction assistée par ordinateur et dans une
perspective bilingue, français < > allemand. Notre choix d’étudier des textes médicaux en français et en
allemand à partir de la phraséologie propre à chaque langue avait été motivé par l’absence d’outils de
traduction performants dans le domaine médical entre ces deux langues, alors que la demande de
traduction dans le domaine médical ne cesse d’augmenter, comme l’a aussi souligné Hannelore Lee-
Jahnke (2001 : 145) dans son article sur
L’enseignement de la traduction médicale : un double défi ?
Les réflexions que nous vous proposons ici sur le contexte trouvent leur origine dans l’analyse du
corpus (2) qui a servi de base de travail pour notre thèse. Cette analyse s’est déroulée par étapes. Ainsi
l’analyse thématique des textes a-t-elle conduit à une description notionnelle du domaine, l’analyse du
lexique dans les deux langues a abouti à la description notionnelle des lexiques français et allemand.
L’analyse des paradigmes d’emploi des termes les plus fréquents a permis de trouver des unités
phraséologiques (UP) françaises et allemandes du domaine ; le classement de ces paradigmes en classes
d’emploi nous a permis d’aligner des unités de traduction dans un même contexte d’utilisation. Chaque
étape a fourni des cadres successifs à lintérieur desquels le sens d’une UP se trouvait précisé et pouvait
être aligné avec une UP de la langue cible apparaissant dans un même contexte.
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Textes
français
Textes
allemands
Analyse
thématique
par les mots-
clés les plus
fréquents et
leurs
associations
Thèmes
des textes
français
Thèmes
des textes
allemands
Lexique
des textes
français
Lexique
des textes
allemands
Analyse
thématique
par les
termes les
plus
fréquents
Thèmes
du lexique
français
Thèmes
du lexique
allemand
Asthme
Thème et
terme le
plus
fréquent
Asthma
Thème et
terme le
plus
fréquent
Paradigme
d’emploi
UP des
classes
d’emploi
du terme
asthme
UP des
classes
d’emploi
du terme
Asthma
Le schéma ci-après visualise les étapes de l’analyse et son aboutissement :
Tableau 1 : Schéma d’analyse du corpus d’étude
Lors de l’analyse du corpus et pendant la rédaction de notre thèse, le terme
contexte
nous a servi de
nombreuses fois pour expliquer le choix d’une lexie dans la langue cible. Pour nous, il renvoyait alors soit
au domaine spécialisé, soit à la nature et à l’intention du texte médical, soit à une situation d’emploi ou à
un usage à l’intérieur du domaine spécialisé. Il s’agissait toujours pour nous d’un paramètre sélecteur de
sens, déterminant pour justifier la traduction. Mais qu’entend-on en général par le terme
contexte
?
2. CONTEXTE : DE QUOI PARLE-T-ON ?
Le rôle du contexte dans la compréhension et l’interprétation d’une énonciation est reconnu depuis
longtemps. De nombreux linguistes en ont parlé, parmi lesquels il convient de citer Chomsky (1965 : 97,
127 N, 129, 157, etc.) qui reconnaît en 1965, dans les
Aspects de la théorie syntaxique
, l’importance du
contexte pour la génération automatique du langage, en introduisant une validation par le contexte pour ses
règles de réécriture :
context sensitive
(règles dépendantes du contexte) ou
context free
(règles
indépendantes du contexte). Searl (1979 : 171) souligne dans
Sens et expression, études et théorie des
Description
notionnelle
du
domaine
étudié
Description
notionnelle
du lexique
du
domaine
UT du
domaine
étudié
3
actes de langage,
que « le sens littéral de la phrase est toujours relatif à des assomptions contextuelles » ;
Minsky (1981 : 95-128), dans
A Framework for Representing Knowledge
, présente un système de
compréhension automatique du langage, fondé sur la séparation des connaissances, dans des « micro-
worlds » ou cadres cognitifs reliés entre eux ; il insiste sur la nécessité de prendre en compte le contexte
pour comprendre le vrai sens d’un terme. Mel’cuk, Clas, Polguère
(1995 : 9), dans l’
Introduction à la
lexicologie
explicative et combinatoire
(l’ILEC), reconnaissent qu’il est habituel en lexicologie de
« laisser, dans l’interprétation du sens, un rôle vital au contexte et à l’intuition des locuteurs », même si,
dans leur approche de formalisation du lexique, ils ont dû « opter pour une prise de décisions discrètes
(dans le sens mathématique) et absolues » du sens lexical. François Rastier (1991 : 154), quant à lui,
considère « le contexte comme l’ensemble des instructions contenues dans le texte qui permettent
d’identifier un sémème et les traits qui le composent ». Le contexte est pour lui l’élément déterminant du
sens. Pour la prise en compte du contexte en terminologie, Jacques Boissy (1995 : 43-47) et Henri Zinglé
(1997 : 22) considèrent l’ensemble de la phrase comme contexte d’un mot. Enilde Faulstich (1997 : 26),
enfin, différencie le co-texte du contexte, le co-texte se composant des éléments linguistiques pré- et
postposés ou sous-entendus d’un mot, le contexte se composant des éléments extralinguistiques qui ont
une incidence sur le sens d’un énoncé.
Le contexte est donc reconnu comme une exigence de l’environnement, qui influe sur l’organisation
interne et externe de systèmes d’interaction de la langue et intervient dans toutes les disciplines
linguistiques : grammaire, syntaxe, sémantique, pragmatique, intelligence artificielle et traduction. Nous
allons essayer, à l’aide d’exemples, de montrer que le co-texte à l’intérieur d’un contexte a aussi une
incidence sur la compréhension et la traduction dans le domaine de la médecine.
3. INCIDENCE DU CONTEXTE SUR LA COMPRÉHENSION
DES TEXTES MÉDICAUX
Le terme médical étant par vocation considéré comme univoque, ce sont surtout les lexies de la langue
générale qui prennent leur sens à l’intérieur de leur co-texte dans un certain contexte qui est, ici, médical.
3.1 Le mot dans son co-texte
Un verbe donné prend son sens en fonction des lexies grammaticalement associées. Ainsi le verbe
traiter
prendra-t-il un sens différent selon son domaine d’application et selon son argument. En médecine,
le verbe
traiter
aura le sens de « soigner (avec des médicaments) » en association avec des termes
appartenant au concept « malade, maladie » :
traiter
Med. + [malade, maladie] <soigner (avec des médicaments)> :
[1] traiter un malade
[malade]
;
[2] traiter la BPCO
[maladie]
.
Toujours dans le domaine médical, le verbe
traiter
qqch.
associé au concept « exemplaire » impliquera
le sens d’« examiner, analyser » :
traiter
Med. + [exemplaire] <examiner, analyser> :
[3] les échantillons [
exemplaire
] doivent être traités (dans les deux heures qui suivent l’expectoration).
Dans d’autres domaines, comme celui du bâtiment, des affaires ou de la politique, le verbe
traiter
qqch.
pourra signifier « appliquer un produit de protection », « discuter en négociant qqch. » ou « soumettre
qqch. à une discussion » et ce selon l’objet associé. Le co-texte immédiat du terme oriente l’interprétation
du sens du verbe (
cf
. Verbic 02). Dans un contexte d’énonciation, le lecteur ou l’interlocuteur déduit le
sens de son domaine d’application, ce qu’un système automatique ne peut faire, si aucun indice ne lui est
donné. Pour permettre une reconnaissance automatique du sens, il faut introduire une étiquette liant le sens
du verbe à une classe d’objet : « malade », « maladie » ou « exemplaire » par exemple, à l’intérieur du
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domaine de spécialisation : « médical ». Le verbe est ainsi lié à son contexte d’énonciation. Ces premières
contraintes sémantiques sont les premiers indices dans « le parcours interprétatif » (Rastier 91 : 154) d’une
unité phraséologique d’un domaine de spécialité.
3.2. Du co-texte au texte
Le domaine d’application et le co-texte immédiat ne suffisent pas toujours à éclairer le sens d’un
énoncé. Ainsi, pour saisir le sens de la phrase « (il semble que) la présence d’éosinophiles activés est la
principale
caractéristique », faut-il élargir le co-texte au paragraphe entier pour comprendre que le mot
caractéristique
renvoie au terme
asthme
et qu’il s’agit d’une caractéristique de l’asthme (3).
Ensuite, il faut encore situer le paragraphe dans le texte, un cours sur l’asthme, Cours DCEM1 :
« Asthme : Objectifs, texte et diapositives » et, à l’intérieur du texte, dans la thématique du chapitre qui
traite de la
Définition de l’asthme
et des
Signes anatomopathologies
. C’est seulement alors que nous
comprenons l’arrière-fond intellectuel sur lequel se construit le sens (Searl 79, 35 et ch. 5 : 178, 179,184,
186), c’est-à-dire que «
la présence d’éosinophiles activés est la principale caractéristique »
de l’asthme et
que cest cette caractéristique-là qui permet de différencier l’asthme d’une autre maladie respiratoire, la
BPCO (bronchite pulmonaire chronique obstructive), qui présente des symptômes similaires.
Notre « parcours interprétatif » s’est enrichi d’informations concernant la thématique des textes et des
chapitres. Ces thèmes ont servi sous forme de mots-clés pour relier chaque enregistrement d’une unité
phraséologique à son contexte d’utilisation. Ainsi l’UP :
[4] être la principale caractéristique de qqch.
est-elle reliée à une étiquette de trois mots-clés appartenant au domaine médical : [Med. : Asthme,
Définition, Anatomopathologie]. Ces mots clés correspondent à la thématique principale du texte, à la
thématique du chapitre et du sous-chapitre du texte source de l’UP. Elles permettent un premier
classement des UP utilisées dans le domaine de l’asthme.
3.3. Texte et entour
Pour aller plus loin dans la mise en contexte, nous devons inclure des informations sur les auteurs et la
publication de leurs articles. Prenons par exemple une phrase provenant d’un article d’Étienne Rica :
« L’asthme et les allergies
respiratoires », publié sur le site http://www.frm.org/Scientifique/Sujetsfond/
asthme/cadasthm.htm en octobre 1997 et actualisé en octobre 2000. L’article avait été réalisé en
collaboration avec Alain Grimfield, de l’Hôpital Trousseau à Paris, et Francisque
Leynadier, de l’Hôpital
Tenon à Paris.
La phrase extraite de cet article ne prend tout son sens qu’en analysant toutes les informations
linguistiques et non linguistiques qui s’y rapportent :
[5] Bien que compliquée, cette stratégie semble efficace, au moins expérimentalement chez le lapin.
L’utilisation du verbe
sembler
permet de comprendre qu’il ne s’agit pas encore d’une certitude
scientifique, mais d’une possibilité de recherche. La thématique du texte place cet énoncé dans le domaine
de l’asthme et, à l’intérieur du texte, dans le chapitre « Les voies de recherche sur les nouveaux
traitements ». Les noms des auteurs et la référence à leur lieu de travail permettent finalement de le situer
dans un contexte de recherche hospitalière à Paris. La publication sur un site scientifique Internet indique
un souci de partage des connaissances.
Pour vraiment comprendre un texte médical, il faut donc tenir compte de toutes les informations,
linguistiques ou extralinguistiques, fournies par le lexique, par l’utilisation du lexique à l’intérieur d’un
texte, par la fonction du texte à l’intérieur du domaine. La construction du sens se fait ainsi par étapes.
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4. INCIDENCE DU CONTEXTE SUR LA TRADUCTION MÉDICALE
La compréhension du sens d’un énoncé permet sa traduction. Car, comme le disait déjà Hieronymus ou
saint
rôme, le saint patron des traducteurs, on ne traduit pas le mot mais le sens du mot. Dans une lettre à
son ami Pammacius, il explique sa technique de traduction des textes non bibliques : « Libera voce
profiteor, me in interpretatione Graecorum
non verbum e verbo, sed sensum exprimere de sensu
(4) ».
Nous avons vu que le sens se construisait par des informations successives apportées par le domaine
d’application, par l’utilisation des termes ou mots à l’intérieur d’un co-texte ou d’un texte permettant sa
mise en contexte. Afin de montrer l’incidence du contexte dans la traduction médicale, nous donnons pour
chaque étape interprétative des exemples qui justifient la prise en compte du contexte dans la traduction
médicale.
4.1. Domaine et traduction
Le domaine d’application est important pour la traduction. Il faut connaître l’équivalent dans la langue
cible du terme utilisé dans les mêmes conditions d’application. Par exemple, l’équivalent allemand du
terme
attaque
sera différent selon le contexte d’utilisation : dans le domaine militaire, le terme
attaque
sera
traduit par « Angriff
»
; dans le domaine policier, il sera traduit par « Überfall » et dans le domaine
médical, par « Anfall ». Le terme
attaque d’asthme
devra donc être rendu par « Asthmaanfall » et non par
« *Asthmaangriff » ou « *Asthmaüberfall ». Il faut donc situer un terme dans son domaine d’application
pour trouver la traduction correcte dans la langue cible.
4.2. Co-texte et traduction
Dans le domaine médical, le terme allemand
Anfall
ne sera pas l’équivalent exclusif du terme français
attaque
. Sa traduction variera selon la combinatoire terminologique utilisée dans le domaine.
Anfall
sera
traduit en français par :
attaque, quinte, crise
ou
accès,
selon la combinatoire terminologique propre au
domaine ou au sous-domaine de la médecine :
- attaque d’asthme < > «
Asthmaanfall
» (domaine : asthme) ;
- quinte de toux < > « Hustenanfall » (domaine : maladies respiratoires, asthme) ;
- crise cardiaque < > « Herzanfall » (domaine : cardiologie et maladies respiratoires) ;
- accès de vertige < > « Schwindelanfall » (domaine : neurologie, etc.).
La bonne connaissance de la terminologie de la langue cible ne suffit pas toujours. Le traducteur doit
aussi connaître l’emploi de ces termes à l’intérieur du domaine spécialisé, car « les langues de spécialité
utilisent de façon particulière la langue générale comme support nécessaire à la communication »
(
cf
. Boissy 95, p. 47). Selon le contexte d’usage dans une langue, un sème est exprimé ou sous-entendu.
Ainsi, la relation entre le malade et sa maladie, qui sera exprimée, en français, de préférence par le verbe
souffrir
, le sera-t-elle, en allemand, par la simple préposition
mit
« avec », qui associe le malade à sa
maladie. En allemand, le thème de la souffrance est souvent ignoré ou seulement sous-entendu dans la
relation entre le malade et sa maladie :
[6] patients souffrant de rhinite/
Patienten mit Rhinitis
(litt. patients avec rhinite).
Le bon choix des termes du domaine dépendra donc aussi des connaissances que le traducteur a de leur
usage d’utilisation dans la langue cible.
4.3. Texte et traduction
Domaine et co-texte influent sur la traduction, tout comme le genre des textes à traduire. Un texte
publié dans une revue scientifique n’utilisera pas le même vocabulaire qu’un texte de vulgarisation. Ainsi,
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