relation à l’autre, puisqu’il renvoie aussi bien à la volonté de faire savoir qu’à la demande de savoir.
Verbe qui marque la nécessaire circulation de l’information, il apparaît dans presque chaque lettre
pour relancer l’acuité de l’activité épistolaire. La très belle étude d’Anne-Marie Garagnon et de
Frédéric Calas [2012] montre comment des questionnements énonciatifs essentiels se nouent autour
de ce verbe. On pourrait conduire le même type d’études autour du verbe conjurer dont la fréquence
(voir en particulier p. 54, 56, 68, 85, 90, 178, 179, 188) marque tout autant l’inquiétude de la marquise
que son besoin d’agir sur son interlocutrice : « je vous conjure de me mander comme vous vous
portez » (lettre 22, p. 90). Il s’inscrit dans des types de phrases qui oscillent entre l’affirmation et
l’injonction. Le verbe conjurer, employé dans le contexte de la santé, marque la limite entre la
supplique et l’ordre, soit deux types d’exhortation dont les frontières sont poreuses : « Je vous
conjure, ma bonne, d’avoir un soin extrême de votre santé ; vous n’avez que cela à faire » (lettre 42,
p. 178). L’effet correctif de la juxtaposition, associé au pouvoir amoindrissant de la négation
restrictive, fait basculer la prière du côté de l’injonction. Dans ce contexte, le verbe conjurer alterne
avec le verbe conserver : « conservez-vous, si vous m’aimez » (lettre 148, p. 198). Le système
hypothétique, combiné à l’impératif, est souvent un moyen d’atténuer le caractère directif de l’ordre,
sans en amoindrir l’effet perlocutoire : « si vous m’aimez, ayez soin de votre santé » (lettre 63, p. 251)
ou encore : « mandez-moi toujours bien de vos nouvelles et surtout de votre santé, que je vous
recommande, si vous m’aimez » (lettre 66, p. 261).
L’emploi de l’impératif débouche parfois sur des listes prescriptives. Madame de Sévigné
adopte ainsi l’ethos surplombant d’une mère qui parle à sa fille en tant que mineure. La lettre prend la
forme d’une instruction, ce qui apparaît à travers des formulations à valeur d’aphorismes grâce aux
relatives périphrastiques, à valeur d’indéfini : « Tâchez, mon enfant, de vous accommoder un peu de
ce qui n’est pas mauvais ; ne vous dégoûtez point de ce qui n’est que médiocre ; faites-vous un plaisir
de ce qui n’est pas ridicule » (lettre 26, p. 106). Dans d’autres cas, l’effet prescriptif de la lettre
apparaît à travers la pure et simple juxtaposition d’ordres accumulés : « Ne dansez point, ne tombez
point, ne vous blessez point, n’abusez point de votre santé, reposez-vous souvent, ne poussez point
votre courage à bout et surtout prenez vos mesures pour accoucher à Aix, au milieu de tous les
prompts secours » (lettre 47, p. 194). Le tournoiement des prescriptions confine presque à la non
pertinence du discours, lorsque Madame de Sévigné entend dicter le comportement de sa fille jusque
dans ses menus gestes : « Adieu, ma très aimable enfant, conservez-vous, soyez belle, habillez-vous,
amusez-vous, promenez-vous. » (lettre 57, p. 229). De cette façon, la mère n’entend pas seulement
veiller à la préservation et la conduite de celle qu’elle croit encore enfant, mais exercer sa pleine
emprise sur des gestes quotidiens. La répétition des verbes et leur variation à l’impératif sont
supposés marquer la mémoire de celle à qui ils sont destinés. À mesure que les lettres se répètent,
l’espace quotidien et intime se trouve imprégné de la voix maternelle qui parvient à s’immiscer dans
les moindres espaces de la conduite de la vie.
L’art de la lettre
Entre affirmation et négation : entrée en matière et état épistolaire
Bien souvent, la marquise de Sévigné commence ses lettres en faisant référence à l’activité
épistolaire elle-même, soit qu’elle mentionne les lettres qu’elle vient de recevoir, soit qu’elle parle de
la nécessité d’écrire, soit enfin qu’elle marque par contraste l’absence de courrier qui la fait souffrir.
Au début de chaque lettre, Madame de Sévigné procède ainsi à un rapide état des lieux et du cœur,
son humeur étant circonstanciée aux lettres qu’elle reçoit. Dans les premiers cas, la modalité
affirmative prédomine et marque souvent le bonheur épistolaire : « J’ai reçu vos deux lettres avec une
joie qu’il n’est pas aisé d’expliquer dans une lettre » (lettre 51, p. 203). Dans le dernier cas, la modalité
négative revêt plusieurs formes dont la variation quantitative permet une nouvelle fois de ne pas