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choses, de les mettre en forme et rythmes : comprendre n’est tout d’abord
que créer les choses. La connaissance est un moyen de se nourrir. 3
Voilà notre perspective sur Nietzsche lui-même et son auto-créa-
tion, suivant laquelle nous le lirons et l’interpréterons.
Sous cet angle, nous lirons directement une partie de ce qu’il
écrit des mathématiques, et corrélativement de la logique 4. On
le voit manquer d’exercice mathématique, le regretter, mettre le
doigt sur ce qui rend la mathématique possible, la mise en scène
mathématicienne.
Nous proposons de distinguer entre ce qu’il dit des mathématiques
et ce qu’il dit de la logique, comme aussi bien entre ce qu’il dit de
l’art et ce qu’il dit de la science ou la raison ; ainsi se réalise encore la
tension qu’il voit entre le dionysien et l’apollinien.
L’important est que la logique et la mathématique sont, pour
Nietzsche, le propre humain : ce serait donc, quoiqu’il ne le pose pas
expressément, une perspective privilégiée pour entendre le surhumain.
Nous examinerons aussi son idée de l’expérience, son expérience
propre, lui-même comme une expérience, et soutiendrons que
les mathématiques interviennent, implicitement certes mais bien
réellement –le géométrique notamment, et la mise en place de
structures– dans ce qu’il fait au cœur même de ladite expérience,
qui est l’expérience de sa pensée de son corps vivant, et jusque dans
la détermination de son style, son usage des aphorismes et de la
contradiction pour la sculpture de soi.
Nous concluons que Nietzsche pourrait aussi se lire comme on
lit un géomètre. On aura compris qu’il s’agit là d’une lecture par
un géomètre, une interprétation, une perspective ; mais, comme dit
Nietzsche, il n’y a que des interprétations …
Et nous laissons pour une autre occasion les détails de sa « philo-
sophie historique » et méthode philologique, l’analyse de son prin-
cipe « logique » paradoxal de surmonter les antinomies, son discours
contre la logique, Platon, Socrate, et consorts, autant que sa mise en
place, toute géométrique, de son style, la nécessité du recours aux
aphorismes et fragments, de son œuvre et de son corps et sa santé,
3. Friedrich Nietzsche, Œuvres philosophiques complètes, IX, 24[14].
4. René Guitart, Nietzsche et le mathématique, conférence du 1er avril 1998,
au CIPh à Paris.