Alzheimer, démence et diabète – y a-t

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Pratique clinique
Alzheimer, démence
et diabète –
y a-t-il des liens ?
Rachel Whitmer
Le diabète augmente le risque de développer
des conditions dégénératives, telles que la
néphropathie, la rétinopathie, l’hypertension,
La démence n’est pas une maladie mais un syndrome, c’est-àdire un ensemble de symptômes responsables de troubles de la
cognition et de la mémoire, qui se traduisent notamment par des
difficultés à s’orienter, des troubles de l’attention et du langage et
la maladie coronarienne, l’accident cérébrovas-
une difficulté à résoudre les problèmes. La démence est associée
culaire et l’athérosclérose. Depuis peu, de plus
ments normaux liés à l’âge, à des dégâts au cerveau ou à une
en plus d’études laissent entendre que le diabète joue également un rôle dans l’accélération
à un déclin progressif de la cognition, bien au-delà des changemaladie cérébrale. Les deux types de démence les plus courants
sont la maladie d’Alzheimer et la démence vasculaire.
du vieillissement cérébral. Cependant, même
Plus de 33 % des femmes et 20 % des hommes de plus de 65
s’il est établi que le diabète peut être associé
ans développeront une démence au cours de leur vie, tandis que
à un risque accru de démence, les mécanis-
légers. Partout dans le monde, le vieillissement de la population
mes exacts et les facteurs atténuants ne sont
toujours pas clairs. La démence touche 15 %
des plus de 65 ans et près de 50 % des plus de
85 ans et son incidence devrait doubler d’ici
2050. Si le diabète accentue, même légèrement,
de nombreux autres développeront des troubles cognitifs plus
s’accélère. D’après les estimations, le nombre total de personnes
atteintes de troubles de la cognition augmentera de 50 % dans
les 25 prochaines années. La démence est associée à une hausse
des décès, des invalidités et des coûts des soins et à une forte
pression sur le personnel soignant et la famille.
La maladie d’Alzheimer
le risque de démence, les implications en ter-
La maladie d’Alzheimer – ou l’Alzheimer – est le type de démence
mes de santé publique sont énormes. Rachel
le plus courant, responsable de plus de la moitié de tous les cas
Whitmer décrit les liens entre le diabète, la
démence et la dégénérescence des neurones
associée à la maladie d’Alzheimer et propose
quelques options de prévention précoce.
de démence. L’Alzheimer est une dégénérescence des neurones
qui se caractérise par des pertes de mémoire, une diminution
des facultés cognitives, des changements de comportement radicaux et une perte totale de la capacité à prendre soin de soi.
Le premier symptôme reconnaissable est généralement la perte
de la mémoire à court terme, qui commence par un simple oubli
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L’Alzheimer se caractérise
par des pertes de mémoire,
des troubles cognitifs
et des changements de
comportement radicaux.
susceptibilité confirmé, l’ApoE, est associé
à un plus grand risque de développer le
syndrome. De vastes études basées sur la
population générale suggèrent également que
les personnes atteintes de diabète sont encore
plus susceptibles de développer la maladie
d’Alzheimer que le reste de la population.
et évolue jusqu’à la perte de la mémoire à court terme. Enfin,
La démence vasculaire
le stade le plus dévastateur de la maladie se caractérise par la
La démence vasculaire est le second type de démence le plus
perte des compétences spécifiques et l’incapacité à reconnaître
courant chez les personnes âgées. Il s’agit d’un ensemble de
ses proches.
syndromes qui entraînent des lésions vasculaires dans le cerveau.
Une détection précoce et un diagnostic précis sont essentiels étant
La prévalence de la maladie d’Alzheimer augmente avec l’âge : chez
donné que, dans une certaine mesure, il est possible de prévenir
les plus de 65 ans, une personne sur 10 est atteinte de la maladie,
la démence vasculaire.
tandis que 50 % des plus de 85 ans affichent des symptômes liés
à l’Alzheimer ; d’autres souffrent d’altérations neuropathologiques.
La démence par infarctus multiples est la forme de démence vascu-
A partir de 65 ans, tous les 5 ans, la probabilité de développer la
laire la plus courante. Elle touche généralement la tranche d’âge
maladie d’Alzheimer est doublée.
des 60-75 ans et est plus fréquente chez les hommes que chez les
femmes. Elle est provoquée par une série d’accidents cérébrovas-
Au fil de sa progression, la maladie d’Alzheimer induit des chan-
culaires qui altèrent le flux sanguin et endommagent ou détruisent
gements au niveau cérébral. Les personnes atteintes d’Alzheimer
le tissu cérébral. Un accident cérébrovasculaire se produit lorsque
perdent des neurones et développent une atrophie, un signe de
le sang ne parvient plus à atteindre une partie du cerveau, par
neurodégénérescence. Ces personnes développent également des
exemple lorsqu’un caillot sanguin ou un dépôt de graisse bloque
plaques amyloïdes (protéines) et une dégénérescence neurofibril-
les vaisseaux qui approvisionnent le cerveau en sang. Un accident
laire (accumulation de protéines dans les neurones) au niveau du
cérébrovasculaire peut également se produire lors de l’éclatement
cerveau – la marque pathologique de l’Alzheimer. Celles-ci ne
d’un vaisseau sanguin dans le cerveau. Les principales causes des
sont visibles qu’à l’autopsie. Les médicaments peuvent contribuer
accidents cérébrovasculaires sont l’hypertension non traitée, les taux
à réduire les symptômes de la maladie mais ils ne changent pas
élevés de cholestérol LDL, les troubles cardiaques et le diabète.
le cours de la pathologie sous-jacente.
Dans certains cas, une personne peut subir une série de petits
Causes
accidents cérébrovasculaires qui n’entraînent aucun symptôme
La cause fondamentale de la maladie d’Alzheimer est inconnue.
évident et qui ne sont visibles que par imagerie encéphalique.
Certains ont émis l’hypothèse que le dépôt de plaques amyloïdes
On les appelle ‘accidents cérébrovasculaires silencieux’. Une
était une cause de la maladie, tandis que d’autres estiment qu’il
personne peut en subir plusieurs avant de constater de graves
s’agit d’une manifestation du processus pathologique. Un gène de
troubles de la mémoire ou d’autres signes de démence.
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Etudes basées sur la population
et dans l’hippocampe et qu’elles étaient plus exposées au risque
Plusieurs études basées sur la population ont mis en évidence un
d’angiopathie amyloïde cérébrale5 – qui se caractérise par un
lien entre le diabète de type 2 et une augmentation du risque de
dépôt de la protéine associée à l’Alzheimer sur les parois des
développer une démence, tant la maladie d’Alzheimer que la
vaisseaux sanguins du cerveau. Une étude récente impliquant plus
démence vasculaire. L’une des études a constaté un risque plus
de 1000 personnes a révélé que les personnes atteintes de diabète
grand pour les personnes atteintes de diabète de type 2 insulinodé-
étaient plus exposées à l’atrophie corticale, indépendamment de
pendantes par rapport à celles qui utilisaient des hypoglycémiants
l’hypertension, du cholestérol total, du tabagisme, de l’IMC, de
oraux ; ces deux derniers groupes étaient exposés à un risque
la maladie coronarienne et des facteurs socio-démographiques
plus élevé de maladie d’Alzheimer par rapport aux personnes
que les personnes non atteintes de la condition.6
non atteintes de diabète.1 Alors que, dans un premier temps, le
lien entre le diabète de type 2 et la démence vasculaire semblait
Les liens
être plus uniforme que la relation entre le diabète de type 2 et
Des données scientifiques récentes indiquent que l’obésité est en
l’Alzheimer,2 une étude récente a révélé des données plus nettes
fait un facteur de risque de la démence et de la maladie d’Alzhei-
pour le diabète et l’Alzheimer ‘pur’.
mer. La prévalence de l’obésité augmente rapidement et il est plus
3
que temps de se concentrer sur un poids sain, en particulier pour
Toutefois, lors du diagnostic, il est difficile de distinguer la démence
les personnes atteintes de diabète, déjà plus exposées.
vasculaire de l’Alzheimer in vivo. Les données scientifiques suggèrent
également qu’une mutation du gène ApoE, l’allèle e4 de ApoE, le
Nous savons que l’obésité augmente le risque de démence et
principal facteur de risque génétique de la maladie d’Alzheimer,
d’atrophie du cerveau. Toutefois, les mécanismes moléculaires
pourrait avoir un impact plus fort sur le risque de démence chez les
à la base des troubles métaboliques provoqués par un excès de
personnes atteintes de diabète. En effet, les conclusions d’études
graisse corporelle ne sont pas encore parfaitement compris – no-
basées sur la population indiquent que les personnes atteintes de
tamment leur rôle dans les maladies neurodégénératives comme
diabète et porteuses de l’ApoE 4 sont les plus susceptibles de dé-
la démence. Les données scientifiques actuelles suggèrent que
velopper la maladie d’Alzheimer par rapport aux personnes non
certaines adipocytokines (protéines de signalement cellulaire,
atteintes de diabète et non porteuses de l’ApoE 4.4
connues également sous le nom d’adipokines) peuvent traverser
la barrière hémato-encéphalique et jouer un rôle dans l’appren-
Le diabète et le cerveau
tissage et la mémoire.
Alors que nous savons que les personnes atteintes de diabète
sont plus exposées au risque d’accident cérébrovasculaire, on
Les récentes conclusions de plusieurs études longitudinales basées
connaît moins bien l’effet du diabète sur la neurodégénéres-
sur la population ont confirmé le lien entre l’obésité et le risque
cence. Les plaques et la dégénérescence neurofibrillaire de la
de démence. Même en tenant compte des co-morbidités en mi-
maladie d’Alzheimer impliquent des protéines glycosylées. Par
lieu et en fin de vie, l’obésité dans la tranche d’âge des 40-45
conséquent, étant donné que les personnes atteintes de diabète
ans était étroitement associée à un risque accru de démence 30
ont une glycémie élevée, il est plausible de soupçonner une plus
ans plus tard.7 Les personnes obèses (IMC ≥ 30) étaient 75 %
grande sensibilité à la maladie d’Alzheimer.
plus susceptibles de développer une démence par rapport aux
personnes affichant un IMC normal (entre 18,5 et 24,9).7
Les modèles animaux de ‘diabète induit’ suggèrent un effet neurodégénératif direct du diabète. La plupart des études montrent
Il est intéressant de souligner que l’on a récemment découvert
des résultats sur l’hippocampe – la zone associée à l’appren-
que l’obésité abdominale était davantage associée au risque
tissage et à la mémoire et la première structure affectée par la
de démence que l’obésité totale.8 Même chez les personnes qui
neurodégénérescence de la maladie d’Alzheimer. Une étude
affichent un poids sain, l’obésité abdominale augmente le risque
post-mortem a constaté que les personnes atteintes de diabète,
de démence. Récemment, une étude de cohorte à grande échelle,
et en particulier les personnes atteintes de diabète porteuses de
qui s’est également penchée sur l’obésité en milieu de vie, a
l’ApoE 4, étaient plus sujettes aux plaques dans la région hippo-
révélé des résultats similaires en termes de risque de démence et
campique, à la dégénérescence neurofibrillaire dans le cortex
de maladie d’Alzheimer.9
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Le tissu adipeux qui entoure les organes internes (graisse viscérale)
de risque liés à l’Alzheimer qui sont également associés au diabète
semble plus métaboliquement actif que la graisse sous-cutanée :
(hypertension, accident cérébrovasculaire, obésité). Face à l’aug-
la graisse viscérale est associée à une plus grande production
mentation prévue de l’incidence de la démence, du diabète et de
d’adipocytokines et joue un rôle plus important que d’autres
l’obésité dans les 50 prochaines années, ces liens sont inquiétants.
types de graisses dans l’insensibilité à l’insuline. Les personnes
Si les tendances se maintiennent en termes d’obésité et de diabète,
atteintes de diabète doivent donc être particulièrement attentives
l’augmentation du nombre de cas de démence pourrait s’avérer
à leur tour de taille ainsi qu’à leur poids corporel total. Notons
plus forte que prévu. Soulignons toutefois que les options permettant
qu’il est possible d’afficher un poids corporel sain et d’être atteint
de limiter le risque de développer une démence sont nombreuses.
d’obésité abdominale.
Stratégies thérapeutiques
En plus de se concentrer sur un poids et un tour de taille sains,
il est essentiel que les personnes atteintes de diabète surveillent
leur taux d’HbA1c. Certaines données scientifiques indiquent qu’un
taux d’HbA1c très bas ou très élevé est associé à des troubles de
la cognition et à la démence.
En outre, puisque les facteurs de risque cardiovasculaire sont
étroitement associés à la maladie d’Alzheimer et à la démence,
il est tout aussi impératif de maintenir les taux de cholestérol et de
pression artérielle dans une fourchette saine. Il est amplement démontré que l’activité physique peut réduire le risque de développer
la maladie d’Alzheimer. En effet, l’activité physique contribue à
améliorer les facteurs de risque cardiovasculaire et à atteindre un
poids sain, permettant ainsi de réduire le risque de démence. Des
études ont également démontré que l’activité physique favorisait
directement le fonctionnement cognitif et cérébral. Les exercices
de stimulation mentale tels que les mots croisés sont également
associés à une réduction du risque de démence.
Certain nutriments, comme les graisses insaturées, les vitamines C,
E, B6, B12 et l’acide folique, sont associés à une diminution du
risque de démence et de maladie d’Alzheimer. Plusieurs rapports
suggèrent également qu’un régime méditerranéen est associé à
une diminution du risque. Inversement, dans des modèles animaux,
les régimes riches en graisses saturées augmentaient le risque de
maladie d’Alzheimer et entraînaient des troubles des performances cognitives. Une étude récente a révélé qu’un régime riche en
graisses en milieu de vie était associé à la démence.10
Une autre complication du diabète ?
Il existe des preuves incontestables que les troubles de la cognition
et/ou la démence sont des complications potentielles du diabète.
Cela s’explique probablement par l’effet direct du diabète lui-même
sur le risque d’Alzheimer, ainsi que par l’augmentation des facteurs
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Rachel Whitmer
Rachel Whitmer est épidémiologiste auprès du
département Research Etiology and Prevention, Kaiser
Permanente, Oakland, Californie, Etats-Unis.
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