D O S S I E R Les canaux calciques voltage-dépendants comme cibles d’analgésiques Voltage-dependent calcium channels as targets for analgesics ● J. Nargeot*, E. Bourinet* RÉSUMÉ. Les ions calcium sont impliqués dans de nombreuses fonctions cellulaires allant du couplage excitation-contraction musculaire à la libération d’hormones ou de neurotransmetteurs et à l’expression de divers gènes. L’entrée rapide de calcium dans les cellules excitables est régulée principalement par des molécules de la membrane plasmique ou “canaux calciques potentiel-dépendants” qui constituent une classe hétérogène de protéines sensibles aux variations du potentiel membranaire. Les études fonctionnelles et structurales ont révélé la très grande diversité de ces canaux, permettant de mieux comprendre comment les cellules utilisent “la transitoire calcique” pour contrôler des fonctions physiologiques aussi variées. Les canaux calciques neuronaux, qui permettent en particulier la libération des neurotransmetteurs dans le système nerveux et qui contrôlent l’efficacité synaptique, sont largement exprimés dans les structures impliquées dans la transmission et la mémorisation de la douleur. Les douleurs neuropathiques se caractérisent par une hyperexcitabilité des neurones nociceptifs accompagnée d’une baisse des seuils nociceptifs (hyperalgie) et/ou d’une réponse douloureuse à des stimuli normalement non nociceptifs (allodynie). Des molécules se liant à la sous-unité α2-δ des canaux calciques (α2-ligands) sont largement utilisées dans le traitement des douleurs neuropathiques. Leur mécanisme d’action est probablement lié à une diminution de l’activité des canaux calciques neuronaux et, en conséquence, à une réduction de l’hyperexcitabilité synaptique. Des études récentes démontrent aussi que les canaux calciques N et T sont impliqués dans la transmission des messages douloureux et représentent des cibles pharmacologiques d’intérêt thérapeutique. Mots-clés : Canaux calciques voltage-dépendants - Douleurs neuropathiques - α2-ligands. ABSTRACT. Calcium ions mediate a wide range of cellular functions including skeletal and cardiac muscle excitation-contraction coupling, neurotransmission, activation of calcium-dependent enzymes and gene transcription. The rapid influx of calcium ions into excitable cells is mainly regulated by molecules of the plasma membrane named “voltage-dependent calcium channels” which constitute an heterogeneous class of proteins sensitive to variations of the membrane potential. Functional and structural studies have revealed the large diversity of the calcium channel family allowing a better understanding of how cells can generate appropriate calcium transients to control various physiological functions. Neuronal calcium channels underly the release of neurotransmitters, control synaptic efficiency in the nervous system and are largely expressed in the structures involved in the transmission and memorization of pain signals. Neuropathic pain is characterized by an hyperexcitability of nociceptive neurons accompanied by a decrease of nociceptive thresholds (hyperalgia) and/or a painful response to normally non-nociceptive stimuli (allodynia). Some molecules binding to the α2-δ subunit of the calcium channel complex (α2-ligands) are widely used in the treatment of neuropathic pain. Their mechanism of action is probably linked to a decrease of the neuronal calcium channels activity and as a consequence to a reduction of the synaptic hyperexcitability. Recent studies demonstrate that N-type and T-type calcium channels are both involved in the transmission of painful messages and represent major pharmacological targets of therapeutic interest. Keywords: Calcium channels - Neuropathic pain - α2-ligands. DIVERSITÉ FONCTIONNELLE DES CANAUX CALCIQUES L’électrophysiologie cellulaire, en particulier la technique du patch clamp, permet une approche fonctionnelle de l’activité des canaux calciques par la mesure directe du courant transmembranaire transporté par les ions Ca2+ au niveau de nombreuses cellules excitables et non excitables. * Département de physiologie, Institut de génomique fonctionnelle, CNRS UMR5203, INSERM U661, université Montpellier I et II, 34094 Montpellier. 110 La classification fonctionnelle des canaux calciques est fondée sur des critères électrophysiologiques et pharmacologiques suite à la découverte de ligands et de toxines spécifiques (1). On peut distinguer deux catégories de canaux calciques en fonction de leur seuil d’activation. La première catégorie est activée par des dépolarisations relativement élevées (> – 30 mV) et correspond aux canaux calciques de type “haut seuil”, ou HVA (high-voltageactivated). Plusieurs types de canaux HVA ont été identifiés, dont les canaux de type L. Leur inactivation (fermeture) peut être très lente, avec pour caractéristique essentielle leur sensibilité aux “antagonistes calciques” utilisés en thérapeutique cardio- La Lettre du Pharmacologue - Volume 19 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2005 D vasculaire et, en particulier, à la classe des dihydropyridines, outils pharmacologiques très précieux, comprenant à la fois des antagonistes et des agonistes. Le type L correspond au courant entrant lent décrit à l’origine sur les préparations musculaires et joue un rôle majeur dans les couplages excitation-contraction et excitation-sécrétion. D’autres courants de type HVA ont ensuite été décrits sur les cellules nerveuses, avec quelques différences en termes de seuil d’activation, de voltage-dépendance et de cinétique d’inactivation, mais qu’on distingue essentiellement sur des critères pharmacologiques. Les canaux de type N sont spécifiquement bloqués par une toxine peptidique isolée d’un escargot marin (Conus geographicus) : l’ω-conotoxine GVIA (ω-cTx). Les canaux de type P et de type Q sont bloqués par un peptide (ω-Aga-IVA) d’un venin d’araignée (Agelenopsis aperta). Les canaux de type Q qui s’apparentent au type P présentent une sensibilité moindre à l’ω-Aga IVA, mais sont bloqués beaucoup plus spécifiquement par une autre toxine extraite de Conus magus : l’ω-conotoxine MVIIC. Les types N et P/Q sont distribués sur un grand nombre de neurones centraux ou périphériques et, notamment, au niveau présynaptique, où ils contrôlent la libération des neurotransmetteurs et, en conséquence, la transmission synaptique (1, 2). Enfin, on définit les canaux de type R comme ceux qui sont résistants aux toxines citées précédemment, et leur correspondance fonctionnelle n’est pas parfaitement établie. DIVERSITÉ STRUCTURALE DES CANAUX CALCIQUES VOLTAGE-DÉPENDANTS Tous les canaux calciques activés par la dépolarisation membranaire possèdent une sous-unité transmembranaire appelée O S S I E R α 1, et la diversité fonctionnelle des canaux calciques tient en premier lieu à la multiplicité de ces sous-unités canalaires α 1 ou Ca v (tableau I et figure 1). Chaque sous-unité α 1 présente des propriétés fonctionnelles distinctes et une expression tissulaire précise. Une première famille de gènes code pour les canaux HVA de type L (Ca v1), pour lesquels quatre gènes α2 Ca γ Membrane 2+ α δ ß Figure 1. Structure multimérique des canaux calciques voltagedépendants de type haut seuil (HVA). Le complexe canal calcique est formé de la sous-unité α1 , qui constitue le pore laissant passer les ions calcium suite à un changement de conformation induit par la dépolarisation membranaire. Elle est associée aux sous-unités régulatrices ß (cytosolique) et α 2 -δ. Noter que α 2 -δ est formée de deux protéines associées par un pont disulfure, α 2 étant extracellulaire et δ principalement transmembranaire. Tableau I. Caractéristiques essentielles des canaux calciques voltage-dépendants. Sous-unité canalaire Type de courant Pharmacologie Principale expression tissulaire CaV1.1 (alias α1S) Type L Dihydropyridines (DHP) et autres classes d’antagonistes calciques Muscles squelettiques CaV1.2 (alias α1C) Type L // Ubiquitaire : cœur, muscles lisses, neurones et cellules endocrines… CaV1.3 (alias α1D) Type L // Neurones, cellules sensorielles (rétine, oreille interne), cœur (sinus, oreillette) CaV1.4 (alias α1F) Type L CaV2.1 (alias α1A) Type P/Q ω-agatoxine IVA Système nerveux, jonction neuromusculaire, cellules ß pancréatiques CaV2.2 (alias α1B) Type N ω-conotoxine GVIA ω-conotoxine MVIIA Ziconotide Système nerveux central et périphérique (incluant nocicepteurs) // Rétine, mastocytes CaV2.3 (alias α1E) Type R SNX482 Systèmes nerveux et endocrines CaV3.1 (alias α1G) Type T Mibéfradil Éthosuximide Systèmes nerveux et endocrines, cœur et forte sensibilité CaV3.2 (alias α1H) Type T // Nickel CaV3.3 (alias α1I) Type T // La Lettre du Pharmacologue - Volume 19 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2005 Systèmes nerveux et endocrines Neurones nocicepteurs Système nerveux 111 D O S S I E R ont été identifiés (Ca v1.1, Ca v1.2, Ca v1.3, Ca v1.4). Une deuxième famille correspond aux canaux HVA de type non-L ou “neuronaux”, générés par les sous-unités Ca v2.1, Ca v2.2 et Ca v2.3, qui codent respectivement pour les canaux de type P/Q, de type N et de type R (1, 2). Une troisième famille correspond aux canaux calciques de type T, représentés par trois isoformes (Ca v3.1, Ca v3.2, Ca v3.3) activés par de faibles dépolarisations membranaires (3). La pharmacologie des canaux de type T est pauvre comparativement à celle des autres canaux calciques. Le mibéfradil a été présenté comme un antagoniste spécifique des canaux T, mais il affecte également les canaux calciques de type L ainsi que les canaux neuronaux N et P/Q. L’absence de ligands spécifiques a fait que le rôle physiologique des canaux de type T reste hypothétique, même si leur implication dans les activités rythmiques neuronale et cardiaque (pacemaker) a été fortement suggérée, ainsi que dans certains processus physiopathologiques (prolifération cellulaire, épilepsie, hypertrophie cardiaque…). Les études structure-fonction dans des modèles d’expression fonctionnelle ont permis d’identifier sur α 1 les structures essentielles liées à la fonction de ces canaux, comme les structures impliquées dans le pore (canal), le senseur de voltage ou encore les sites pharmacologiques. L’épissage alternatif génère de nombreuses isoformes pour chacune des sous-unités α 1, et il est maintenant établi que ce mécanisme de régulation transcriptionnelle accroît fortement la diversité des canaux calciques. Ainsi, les courants de type P et Q correspondent par exemple à deux variants du gène qui code pour la sous-unité Ca v2.1. La présence d’une valine dans la boucle intracellulaire qui relie les domaines I et II puis l’insertion de deux amino-acides asparagine et proline (NP) dans une portion extracellulaire du domaine IV qui réduit la sensibilité du canal vis-à-vis de l’ω-agatoxine IVA permettent de rendre compte des différences fonctionnelles entre les courants de type P et Q (4). La sous-unité ß est cytosolique et quatre isoformes ont été identifiées (ß1 à ß4), ainsi que de nombreux variants d’épissage. Les isoformes ont un domaine conservé d’interaction (AID) avec les sous-unités α 1 de type HVA. Les sous-unités ß favorisent l’adressage membranaire de la sous-unité α 1 en masquant sur celle-ci un signal de rétention par le réticulum sarcoplasmique. Les sous-unités ß modulent les propriétés biophysiques des canaux HVA avec des caractéristiques spécifiques selon les combinaisons α 1-ß. L’association d’une sous-unité ß augmente l’amplitude du courant calcique et va interférer avec certaines régulations majeures des canaux calciques parmi lesquelles la régulation par des récepteurs membranaires couplés aux protéines G (RCPG) comme les récepteurs opioïdes (6). La sous-unité α 2-δ correspond au produit d’un seul gène qui va, au niveau post-traductionnel, être clivé en peptides α 2 et δ liés par un pont disulfure. Quatre gènes ont été identifiés (α 2δ1 à α 2-δ4) ainsi que divers variants d’épissage. La sousunité α 2 est extracellulaire et est considérée comme celle ayant la fonction régulatrice sur α 1. La coexpression d’une sous-unité α 2-δ avec une sous-unité α 1 de type haut seuil (HVA) induit une augmentation de l’amplitude du courant calcique pouvant être attribuée à une augmentation de l’adressage membranaire d’α 1 et/ou à une interaction allostérique facilitatrice sur l’activité canal d’α 1. Les propriétés biophysiques du canal calcique sont aussi modifiées, en particulier sa voltage-dépendance, mais, ici encore, il faut souligner que ces modulations sont dépendantes non seulement des combinaisons d’isoformes entre α 1 et α 2-δ, mais aussi de l’isoforme ß associée (7). Cela renforce le concept selon lequel un canal calcique est un complexe formé de plusieurs sous-unités et que les combinaisons spécifiques d’isoformes entre la sous-unité canal α 1 et les sous-unités régulatrices dans un tissu donné vont avoir des conséquences fonctionnelles majeures incluant la modulation de leur pharmacologie. LES SOUS-UNITÉS AUXILIAIRES RÉGULATRICES : ß, α 2-δ ET γ RÔLE ET FONCTION DES CANAUX DE TYPE N DANS LA DOULEUR La purification biochimique du canal calcique musculaire puis les études structure-fonction ont révélé que plusieurs sous-unités étaient associées aux sous-unité α 1 de type HVA (Cav1.x Cav2.x) : les sous-unités ß, α 2-δ et la sous-unité γ. La sous-unité γ a pendant longtemps été considérée comme associée uniquement au canal musculaire (Cav1.1). L’identification récente de huit isoformes neuronales a relancé le débat, mais il n’a pas été démontré qu’elles soient partie intégrante du complexe formant les canaux calciques neuronaux. Dans le contexte de cette revue, cette sous-unité ne sera pas considérée (5). Les canaux calciques de type N sont codés par la sous-unité α1B (Ca v 2.2), qui peut aussi générer plusieurs variants, localisés principalement au niveau présynaptique. Ces canaux sont exprimés spécifiquement dans le système nerveux et à des niveaux très élevés dans la couche superficielle de la corne dorsale de la moelle épinière (lamina I et II), qui est le lieu des connexions synaptiques entre les neurones nociceptifs primaires afférents et les voies ascendantes centrales. L’ouverture des canaux N par les potentiels d’action propagés via les ganglions rachidiens dorsaux (DRG) conduit à une entrée du calcium et à la libération des neurotransmetteurs. 112 La Lettre du Pharmacologue - Volume 19 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2005 D Une des voies principales de régulation de l’influx présynaptique est l’inhibition de ces canaux N par l’activation des RCPG, comme par exemple les récepteurs µ aux opioïdes, une voie de régulation essentielle dans le cadre de la nociception. Ainsi, dans les ganglions rachidiens dorsaux (DRG), l’activation des récepteurs aux opioïdes qui inhibe les canaux N via les sous-unités ßγ des protéines G (8) exerce un effet antinociceptif. De plus, la souris inactivée pour le canal N (KO Ca v 2.2) est moins sensible aux douleurs neuropathiques et inflammatoires sans autre modification phénotypique, faisant des canaux N une cible d’intérêt pour le traitement des douleurs chroniques. En ce sens, le peptide synthétique dérivé de la toxine ω-conotoxine MVIIA, le ziconotide, induit, après injection intrathécale chez l’animal mais aussi chez l’homme, une forte analgésie sans phénomène de tolérance apparent (8), mais avec certains effets indésirables, en particulier cardiovasculaires (hypertension). Étant donné son administration directe au niveau de la moelle épinière, son utilisation reste limitée au traitement de patients hospitalisés pour cancer ou pour des douleurs très sévères. Un autre peptide dérivé de l’ω-conotoxine CVID (AM-336, Amrad Corporation, Australie) qui bloque les canaux de type N est aussi en phase 1 chez l’homme, et il semble avoir une fenêtre thérapeutique plus large que le ziconotide (9). Il est évident que des industries pharmaceutiques tentent de développer de petites molécules organiques antagonistes des canaux N d’administration orale à visée antalgique. Il est à noter qu’un variant d’épissage des canaux N spécifique des neurones sensoriels a été identifié et décrit comme très abondant dans les neurones nociceptifs (10). La perspective de développer un antalgique qui cible spécifiquement ce variant est intéressante à explorer. La différence de structure porte sur une portion de la partie carboxy-terminale qui a été impliquée dans une interaction directe avec le récepteur (opioid-like) à la nociceptine, ces récepteurs exerçant un bloc tonique et constitutionnel des canaux N en l’absence d’agonistes qui est proportionnel à la densité des récepteurs ORL1 exprimés (11). Sachant que ces récepteurs sont surexprimés lors d’un traitement par la morphine, les effets de la morphine sur les canaux N sont d’autant plus atténués, voire supprimés, lors d’une surexpression des récepteurs ORL1, un mécanisme pouvant contribuer au développement de la tolérance à la morphine. LES CANAUX DE TYPE T COMME CIBLES DE NOUVEAUX ANALGÉSIQUES ? Les canaux calciques de type T qui sont impliqués dans l’excitabilité et les activités rythmiques sont de bons candidats pour jouer un rôle dans la transmission de la douleur. Plusieurs arguments accréditent cette hypothèse. Leur seuil O S S I E R d’excitation est bas (< – 40 mV), comme pour les canaux sodiques TTX-résistants, dont on a démontré un rôle dans la douleur neuropathique inflammatoire. Ils sont fortement exprimés dans les neurones DRG et, en particulier, dans les neurones de petit et moyen diamètre correspondant aux neurones nociceptifs. Une sous-population de neurones DRG nociceptifs exprime des densités élevées de ce canal, notamment les neurones de la mécano-sensation (12). Les canaux T sont aussi exprimés dans la couche superficielle de la corne dorsale de la moelle épinière [lamina I et II] (13). Parallèlement à cette forte expression, l’activité des canaux T des neurones DRG contribue à la genèse de potentiels excitateurs dans les neurones postsynaptiques de la corne antérieure de la moelle épinière et à la potentialisation à long terme (LTP) de ces synapses (14). Tous ces éléments rendaient probable le rôle des canaux T dans la transmission des informations nociceptives, mais l’absence de pharmacologie spécifique a limité les études fonctionnelles. Seul élément, l’administration systémique de mibéfradil, une molécule considérée comme relativement sélective des canaux T, exerce un effet antinociceptif dans les douleurs neuropathiques (15). Similairement, l’éthosuximide, utilisé pour ses propriétés antiépileptiques et qui est décrit comme un inhibiteur des canaux T, a un effet antidouleur (16). Cependant, ces molécules affectant d’autres types de canaux qui peuvent aussi être impliqués dans la transmission de la douleur, ces données n’étaient pas concluantes. Les canaux de type T sont codés par trois gènes correspondant aux isoformes Ca v3.1, Ca v3.2, Ca v3.3 (alias α 1G, α 1H, α 1I). Ces isoformes ont un profil d’expression particulier avec une forte expression de l’isoforme Ca v3.1 dans le thalamus, alors qu’elle est absente dans les DRG qui expriment quasi exclusivement l’isoforme Ca v3.2 et, à faible niveau, Ca v3.3 (8). Les travaux de notre laboratoire ont démontré très récemment, par une approche antisens in vivo, le rôle des canaux T dans la douleur. L’injection intrathécale d’antisens dirigés spécifiquement contre chacune des isoformes codant pour les canaux T a montré le rôle spécifique de l’isoforme Ca v3.2 dans les douleurs mécaniques et thermiques (17) [figure 2]. Un traitement par des antisens durant quatre jours induit une réponse antinociceptive comparable à celle observée en présence de morphine, mais qui se maintient pendant plusieurs jours après l’arrêt du traitement. L’effet est encore plus prononcé sur le modèle neuropathique de ligature du nerf sciatique (CCI). Ces résultats indiquent que le canal de type T généré par l’isoforme Cav3.2 représente une cible d’intérêt pour le développement de nouvelles molécules antinociceptives. La Lettre du Pharmacologue - Volume 19 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2005 113 D O S S I E R Douleur mécanique (test de pression de la patte) 800 * 600 500 * Injections antisens Avant chirurgie * * * * Après chirurgie 400 300 Contrôle AS Cav3.2 200 100 –7 0 4 Courants de type T à J+4 Contrôle AS Cav3.2 20 ms 200pA 5 6 7 8 9 10 11 12 Jours 10 Courants de type T (pA/pF) Seuil de douleur (g) 700 8 6 4 2 0 (n = 43) (n = 53) Contrôle As Cav3.2 Figure 2. Les canaux calciques T périphériques ont un rôle important dans la transmission des messages douloureux. Des antisens contre une seule isoforme (Ca v 3.2) administrés par voie intrathécale induisent une très forte analgésie maintenue pendant plusieurs jours sur un modèle de douleur neuropathique chez le rat (test Randall et Selito). Parallèlement, le courant calcique T enregistré dans les neurones DRG de petit et moyen diamètre (nocicepteurs) à partir de ces animaux traités par antisens est fortement réduit. LES LIGANDS DE LA SOUS-UNITÉ α 2-δ DES CANAUX CALCIQUES DANS LE TRAITEMENT DES DOULEURS NEUROPATHIQUES Il est admis qu’une sous unité α 2-δ est associée à tous les types de canaux calciques de type haut seuil. Quatre isoformes ont été identifiées, et la coexpression d’une sous-unité α 2-δ avec une sous-unité α 1 de type haut seuil dans un modèle d’expression induit une augmentation de l’influx calcique attribuée soit à une interaction structurale facilitatrice exercée sur α 1, soit à une augmentation de la densité des canaux fonctionnels par un mécanisme favorisant l’adressage membranaire de la sous-unité α 1 (18). Une nouvelle classe de molécules dont le premier représentant a été la gabapentine induit une analgésie dans les douleurs neuropathiques sur des modèles 114 animaux et chez l’homme (19). La prégabaline a un profil pharmacologique similaire, mais une plus grande efficacité dans les modèles précliniques de douleur et d’épilepsie (20). Le mécanisme d’action de ces molécules n’a pas été clairement identifié, mais un élément essentiel révélé par les études de liaison est qu’elles se lient à la sous-unité α 2-δ, d’où le terme “α 2-ligands” (21), et en particulier à la sous-unité α 2-δ1, pour laquelle l’affinité est la plus élevée par rapport à la sous-unité α 2-δ2 (18). La fixation sur α 2-δ1 est nécessaire pour observer les effets antinociceptifs qui sont supprimés chez la souris exprimant une sous-unité α 2-δ1 avec une mutation ponctuelle qui empêche la fixation de la prégabaline (9). Ces deux isoformes, dont l’expression est relativement ubiquitaire, mais avec un profil d’expression variable selon les tissus, sont fortement exprimées dans les neurones nociceptifs des ganglions rachidiens (22). Une observation importante est la très forte surexpression de la sous-unité α 2-δ1 du côté ipsilatéral après ligature du nerf dans le modèle de rat neuropathique de Kim et Chung (23). Cette augmentation d’α 2-δ1 précède l’allodynie tactile ipsilatérale qui peut être atténuée par l’infusion intrathécale de gabapentine. De plus, cette surexpression d’α 2-δ1 dans un modèle neuropathique disparaît progressivement parallèlement à l’allodynie tactile après plusieurs semaines. Ces données établissent donc une correspondance claire et temporelle entre le niveau d’expression d’α 2-δ1 et l’apparition ou la disparition de l’allodynie. De plus, cette surexpression d’α 2-δ1 n’est pas observée lors de la rhizotomie dorsale (section du nerf entre le corps cellulaire du DRG et la corne dorsale), démontrant que l’expression d’α 2-δ1 se produit dans les DRG et est régulée par des facteurs périphériques. En fait, la lésion périphérique par ligature du nerf sciatique (modèle CCI) induit aussi une surexpression d’α 2-δ1 dans la corne dorsale de la moelle épinière qui est corrélée à l’allodynie tactile neuropathique. La rhizotomie dorsale inhibe la surexpression d’α 2-δ1 induite par la lésion périphérique, ce qui indique que cette surexpression est principalement présynaptique. La surexpression de la sousunité α 2-δ1 se produirait dans le DRG suite à la lésion, puis celle-ci migrerait par transport axonal dans la corne dorsale, où elle régulerait la neurotransmission (24). En accord avec ces données, l’injection intrathécale d’antisens sur ce modèle neuropathique diminue fortement à la fois la surexpression d’α 2-δ induite par la lésion dans les DRG et dans la corne dorsale et l’allodynie tactile associée. L’ensemble de ces résultats suggère que la surexpression d’α 2-δ constitue un élément clé de la plasticité neuronale liée au développement de l’allodynie suite à une lésion nerveuse périphérique. Des études de cryomicroscopie ont montré la proximité entre α 2 et α 1 dans la membrane (25). Il est probable que cette sousunité joue un rôle critique dans l’assemblage et l’expression des canaux calciques neuronaux, sa surexpression pouvant donc augmenter le nombre et/ou l’activité des canaux La Lettre du Pharmacologue - Volume 19 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2005 D calciques présynaptiques. En conséquence, l’excitabilité présynaptique serait accrue, induisant une augmentation de la libération de neurotransmetteurs lors de stimuli non nociceptifs conduisant à une allodynie (24) [figure 3]. Cette hypothèse est en accord avec la réduction de la libération de neurotransmetteurs excitateurs observée en présence de gabapentine sur des tranches de moelle épinière et du noyau caudé chez le rat, cela uniquement dans une situation hyperalgique (26, 27). À noter que les canaux calciques T ne semblent pas associés physiquement aux sous-unité ß et α 2-δ des canaux haut seuil. Cependant, il a été récemment montré que la coexpression de cette sous-unité avec des canaux T recombinants induit une augmentation du courant calcique T, le mécanisme d’action restant inconnu (28). Ces données suggèrent que les α 2-ligands pourraient aussi affecter les canaux de type T au niveau préet/ou postsynaptique, au niveau des neurones DRG et de la corne dorsale où ils sont fortement exprimés, et être, de ce fait, impliqués dans le mécanisme d’action de ces molécules. Il reste cependant beaucoup de choses à élucider, en particulier la distribution précise des sous-unités α 2-δ 1 et α 2-δ 2 dans les DRG, la moelle épinière et les structures impliquées dans la douleur. En effet, les α 2-ligands ont probablement des effets variables selon les structures nerveuses du fait de l’affinité différente de ces deux isoformes pour les α 2-ligands, de leur localisation tissulaire relativement spécifique et de leur association avec une α 1 donnée. La nature de l’assemblage en sous-unités pour former un “complexe canal calcique” a sans doute une grande importance, et en ce sens il a été décrit que Réduction de l’hyperexcitabilité synaptique par les α2-ligands Ca2+ α2-δ α1 Ca2+ α2-ligand α1 O S S I E R la modulation des courants calciques HVA par α 2-δ 1 dans les sytèmes recombinants varie selon l’isoforme de la sous-unité ß exprimée (7). Il est assez étonnant de constater que α 2-δ est la seule sousunité du canal calcique surexprimée dans la neuropathie, et on ne peut exclure que cette sous-unité puisse jouer un autre rôle que celui de modulateur de l’activité des canaux calciques. En ce sens, il reste aussi à préciser que la surexpression d’α 2-δ 1 qui accompagne l’allodynie gabapentine-sensible n’est observée que dans certains modèles neuropathiques (mécanique et diabétique), suggérant que, dans d’autres modèles, des états allodyniques puissent être liés à d’autres voies de signalisation indépendantes d’α 2-δ (29). CONCLUSION Les canaux calciques et, en particulier, les canaux de type N (Ca v 2.2) ainsi que les canaux de type T apparaissent comme des cibles d’intérêt dans le développement des molécules nouvelles pour le traitement des douleurs neuropathiques. Il est à noter que, à l’heure actuelle, un certain nombre de molécules antiépileptiques et ayant une certaine efficacité dans le traitement de douleurs neuropathiques sont décrites comme des bloqueurs plus ou moins sélectifs des canaux calciques T. On peut ainsi citer la lamotrigine, la phénytoïne et l’éthosuximide (9). Le développement en cours de molécules sélectives de chacune de ces familles de canaux calciques devrait apporter dans l’avenir de nouveaux outils thérapeutiques. Il reste à souligner que les α 2-ligands, dont le mécanisme d’action est probablement étroitement lié à la modulation fine de l’activité des canaux calciques neuronaux par le biais de la sous-unité α 2-δ, constituent une classe thérapeutique intéressante pour la prise en charge, entre autres, des douleurs neuropathiques. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Catterall WA. Structure and regulation of voltage-gated Ca2+ channels. Ann Rev Cell Dev Biol 2000;16:521-55. 2. Lory P, Nargeot J. Genetic diversity of voltage-gated calcium channels. Rev Neurol (Paris) 2004;160(5 Pt 2):S7-S15. 3. Perez-Reyes E. Molecular physiology of low-voltage-activated T-type calcium channels. Physiol Rev 2003;83:117-61. Figure 3. Certaines molécules comme la gabapentine et la prégabaline (α 2 -ligands), en se fixant sur la sous-unité α 2 -δ , induisent un effet analgésique. Leur mécanisme d’action n’est pas vraiment connu, mais une hypothèse plausible est que, de par leur fixation sur α 2 -δ , ils induisent une modification conformationnelle d’α 1 (canal) qui conduit à une entrée moindre de calcium présynaptique et à une réduction de la libération de neurotransmetteurs, qui est accrue lors d’une douleur neuropathique. 4. Bourinet E, Soong TW, Sutton K et al. Splicing of alpha 1A subunit gene generates phenotypic variants of P- and Q-type calcium channels. Nat Neurosci 1999; 2:407-15. 5. Arikkath J, Campbell KP. Auxiliary subunits: essential components of the voltage-gated calcium channel complex. Curr Opin Neurobiol 2003;13:298-307. 6. Zamponi GW, Bourinet E, Nelson D, Nargeot J, Snutch TP. Crosstalk between G proteins and protein kinase C mediated by the calcium channel alpha1 subunit. Nature 1997;385:442-6. La Lettre du Pharmacologue - Volume 19 - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2005 115 D O S S I E R 7. Yasuda T, Chen L, Barr W et al. 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