Neuropédiatrie: Le nourrisson hypotone

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H I G H L I G H T S 2 010 : N E U R O P é D I AT R I E
Le nourrisson hypotone
Un regard sur la bouche de l’enfant et le visage de sa mère suffit pour poser le diagnostic
Jürg Lütschg
Abteilung für Neuropädiatrie, Universitäts-Kinderspital beider Basel, Basel
Jürg Lütschg
L’auteur certifie
qu’aucun conflit
d’intérêt n’est
lié à cet article.
Une hypotonie musculaire généralisée peut se voir chez
le nouveau-né ou le nourrisson comme signe d’une pathologie soit cérébrale soit neuromusculaire. Les nourrissons souffrant de myopathies congénitales ont des
réflexes ostéotendineux affaiblis ou absents de même
que des problèmes respiratoires et souvent aussi orthopédiques (par ex. pieds bots).
L’une des myopathies héréditaires les plus fréquentes
est la dystrophie myotonique (prévalence en Europe
3–15/100 000). Cliniquement et génétiquement, nous en
distinguons deux formes:
1. Dystrophie myotonique de type 1 (DM1) avec une
myasthénie à prédominance distale.
2. Dystrophie myotonique de type 2 (DM2) avec myopathie plus proximale.
Comme la DM2 est encore asymptomatique dans l’enfance, nous ne présenterons dans ce «highlight» que la
DM1. En fonction de l’âge d’apparition des premiers
symptômes, nous distinguons une forme devenant manifeste chez le nouveau-né, une dans l’enfance et une à
l’âge adulte.
Les patients ayant une DM1 congénitale en présentent
les premiers symptômes souvent avant la naissance
(polyhydramnios et hypoactivité). Chez le nouveau-né,
les principaux symptômes sont une grave myasthénie
généralisée et une hypotonie, très souvent des pieds
bots ou une arthrogrypose et une insuffisance respiratoire. Ce qui frappe dès la naissance est une bouche
triangulaire avec mimique flasque et problèmes à téter.
Le diagnostic peut être confirmé en regardant la mère.
Sa mimique un peu «triste» avec atrophie des m. temporaux, une légère ptose et une ouverture retardée (myotonique) du poing sont typique d’une forme adulte de
DM1 souvent non diagnostiquée jusqu’alors (fig. 1 x).
La DM1 congénitale est transmise presque exclusivement par la mère. Après le stade de nouveau-né, les
fonctions motrices s’améliorent lentement. Mais ces enfants présentent un retard de développement à la fois
moteur et psychique. L’électromyographie ne montre
des ondes myotoniques que chez les mères. Chez l’enfant, elles peuvent être présentes à partir de la 5e année
seulement. Seules les mères doivent être examinées par
électromyographie, pas les nourrissons [1].
La DM1 de l’enfance reste aussi souvent longtemps méconnue car ses symptômes sont généralement très discrets. Contrairement à la forme congénitale, la DM1 infantile est transmise à peu près aussi souvent par le
père que par la mère. Ces enfants présentent aussi une
faiblesse de la musculature faciale mais sans bouche
triangulaire. Sinon la myasthénie est très peu marquée.
A partir de 10 ans, nous trouvons des troubles de
conduction cardiaque. Raison pour laquelle ces enfants
doivent faire l’objet d’un examen cardiologique une fois
chaque année. Ils frappent en plus par une intelligence
nettement limitée et d’autres symptômes psychosociaux.
Dans la forme adulte classique dominent une myasthénie distale avec troubles de la motricité fine et un steppage plus ou moins marqué. Ces patients ont en outre
un visage typique avec légère ptose et atrophie des
muscles masticateurs (fig. 1). La myasthénie n’est que
très lentement progressive. La myotonie, qui peut le
mieux être provoquée par un coup du marteau réflexe
sur le thénar (myotonie par percussion) peut gêner le
patient dans ses activités quotidiennes. Dans la DM1
adulte aussi, nous trouvons en plus des symptômes
musculaires une atteinte d’autres organes. Tout comme
dans la forme infantile il y a des troubles de conduction
cardiaque et des tachyarythmies. L’histologie a montré
des fibroses du système de conduction, des infiltrations
myocytaires et lipidiques. Nous trouvons également un
péristaltisme ralenti de l’œsophage supérieur et de l’ensemble des intestins, pouvant être à l’origine de troubles
de la déglutition, d’une constipation et d’un syndrome
du côlon irritable. Nous observons de même plus souvent des symptômes oculaires (cataracte) et des endocrinopathies (diabète secondaire à un trouble fonctionnel des récepteurs insuliniques, atrophie testiculaire et
règles irrégulières). Des symptômes nerveux centraux
Figure 1
Aspect typique de la dystrophie myotonique de type 1. Les mères
ont les symptômes de la forme adulte avec atrophie des muscles
masticateurs et légère ptose, et les enfants ceux de la forme
néonatale avec lèvre supérieure en forme de Λ. Cliché à gauche: publié
avec l’autorisation de la mère. Cliché à droite: reproduction du livre
«Neuropädiatrie» (Aksu F, éd., éditions Uni-Med, Brême 2004).
Forum Med Suisse 2011;11(1–2):9–10
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Normal
DMWD
DMPK
DM1
DMWD
SIX5
DMPK
SIX5
(CTG)n<37
(CTG)n>37
Pré-ARNm
prä-mRNA
aaa 3`
(CUG)n<37
5`
5`
ARNm
mRNA
aaa 3`
aaa 3` Pré-ARNm
prae-mRNA
(CUG)n>37
aaa 3`
5`
5`
5`
aaa 3`
aaa 3`
Dysregulation
der RNA
Dysrégulation
des protéines
deBindungsproteine
liaison de l’ARN ( )
MBNL↓, CUGBP↑
Alternativealternatifs
Spleissungen
Epissages
22 ↑↑
(abnorme anormal
Spleissung
Gene)
(épissage
debenachbarter
gènes voisins)
5`
Canal
Chloridkanal
Insulin
Myotubularin
Récepteur
MyotubulaRezeptor
RYR1
du chlore insulinique
rine
RYR1
Kardiales
TroponineT
Troponin T
cardiaque
Myotonie
Myotonie
Kardiale
Troubles
störungen
cardiaques
Insulin
InsulinoResistenz
résistance
Muskel
Myasthénie
Schwäche
Tau-Protein
Protéine
tau
NMDAR1
NMDAR1
?
Katarakt
ZNS
Troubles
Cataracte
fonction
Hodenfunktion↓
Störungen
SNC
testiculaire 4
Figure 2
Pathogenèse moléculaire de la dystrophie myotonique de type 1
(adapté d’après [1, 4]), détails dans le texte.
tels qu’intelligence légèrement diminuée, comportement
obsessionnel ou passif-agressif et troubles respiratoires
centraux sont également plus souvent présents.
Comment ces tableaux cliniques très différents, la gravité variable et l’atteinte multiorganique s’expliquentils par la même anomalie génétique chez tous les patients DM1?
Cette anomalie génétique est une expansion du trinucléotide CTG dans la région 3’ non translatée du gène
de la DMPK (Dystrophia-Myotonica-Protein-Kinase) sur
le chromosome 19.21. Jusqu’à 37 répétitions CTG sont
encore normales, 38–49 encore asymptomatiques et
considérées comme prémutation. Avec 50–400 répétitions CTG, le nombre est en corrélation relativement
bonne avec la gravité de la maladie. Avec plus de 400,
il se produit une instabilité mitotique provoquant une
mosaïque des répétitions CTG avec différentes répétitions dans différents tissus. Ce qui signifie que le paramètre de répétition dans le sang ne correspond pas à
celui du muscle [2, 3].
En conséquence de ces répétitions CTG, il se produit
dans le pré-ARNm des répétitions CUG qui s’arrangent
en structures en épingle à cheveux. Des protéines im-
portantes pour l’épissage du pré-ARNm se lient à ces
structures (facteurs d’épissage de l’ARN). Ce qui produit
des isoformes alternatives d’ARNm épissé avec dysrégulation des protéines de liaison de l’ARNm. Davantage
de CUG-BP (protéine de liaison du CUG) et moins de
MBNL (Muscleblind Protein) provoquent un épissage
différent de l’ARNm voisin (par ex. pour les canaux du
chlore, les récepteurs insuliniques, etc.) et par voie de
conséquence une atteinte multiorganique. La dystrophie
myotonique doit donc être considérée comme une
«épissopathie» qui, en fonction de l’extension de l’expansion trinucléotidique primitive dans le gène de la
DMPK et par des facteurs d’épissage anormaux, touche
également plus ou moins gravement l’ARNm d’autres
organes [3, 4] (fig. 2 x).
Une dernière question se pose: pourquoi la forme néonatale la plus grave n’est-elle transmise que par la mère?
Il est probable que les grandes expansions sont toxiques
pour les spermatozoïdes et font une sélection. Cela ne
fonctionne pas dans les ovules qui peuvent ainsi être
fécondés malgré de très nombreuses répétitions CTG.
Retenons en résumé que les symptômes très polymorphes de la DM1 résultent d’une adhésion anormale
des protéines de liaison de l’ARN à ses structures en
épingle à cheveux allongées par l’expansion trinucléotidique. L’expérimentation animale sur la souris tente
soit d’éliminer les structures d’ARN en épingle à cheveux par transcrits oligonucléotidiques antisens ou
d’empêcher par de petites molécules la liaison de l’ARN
à ses protéines de liaison.
Correspondance:
Prof. J. Lütschg
Abteilung für Neuropädiatrie
Universitäts-Kinderspital beider Basel
CH-4058 Basel
[email protected]
Références
1 Turner C, Hilton Jones D. The myotonic dystrophies: diagnosis and
management. J Neurol Neurosurg Psychiatry. 2010;81:358–67.
2 Day JW, Ranum LPW. RNA pathogenesis of the myotonic dystrophy.
Neuromuscul disord. 2005;15:5–16.
3 Lee JE, Cooper TA. Pathogenetic mechanisms of myotonic dystrophy.
Biochem Soc Trans. 2009;37:1281–6.
4 Todd PK, Paulson HL. RNA mediated neurodegeneration in repeat
expansion disorders. Ann Neurol. 2010;67:291–300.
Forum Med Suisse 2011;11(1–2):9–10
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