Ricardo Giordano a utilisé une astuce
conceptuellement simple et basée sur
deux catégories de peptides qui ont la
faculté de détecter les groupes chimi-
ques tournés vers la droite (D) ou vers la
gauche (L). « La nature a choisi de faire
des protéines en forme de L », explique
le biochimiste. À cet effet, il a choisi la
forme inversée D comme le reflet d’un
miroir, qui n’existe pas dans la nature
et qui n’est donc pas reconnue par le
système immunitaire. C’est comme si
les peptides qui circulaient dans le sang
et les cellules avaient tous la forme d’une
main gauche. Les enzymes chargées de
détruire les impuretés et qui ressemble-
raient à des gants spécifiques pour mains
gauches, laissent s’échapper les mains
droites. Le D(LPR) devient alors indé-
tectable tout en remplissant la fonction
du RPL, son jumeau inversé.
L
’objectif est d’inhiber la production
du facteur de croissance vasculaire
endothélial (VEGF), principal res-
ponsable de la prolifération des vais-
seaux sanguins. « Nous ne pouvons pas
inhiber totalement l’activité de ce fac-
teur de croissance car la fonction de base
du VEGF est nécessaire au maintien des
vaisseaux », affirme Ricardo Giordano.
Il est donc parti à la recherche d’une
main droite affectant uniquement la
production des nouveaux vaisseaux,
fonction parfaitement remplie par le
D(LPR) dans les cas de rétinopathie du
prématuré, comme décrit dans l’article
de la revue scientifique PNAS.
La rétinopathie du prématuré, cau-
se de la déficience visuelle du musicien
Stevie Wonder, atteint principalement
les nouveau- nés prématurés placés
un certain temps en incubateur où la
pression d’oxygène est très élevée, en-
viron 70%. Quand l’enfant se retrouve
dans un environnement naturel à 20%
d’oxygène, les cellules de la rétine inter-
prètent la situation comme un manque
d’oxygène et produisent plus de VEGF,
créant une toile vasculaire dense sur
la rétine au point d’obstruer la vision.
Ricardo Giordano a démontré que le
peptide D(LPR) parvient à détecter cet-
te formation de vaisseaux nuisibles en
reconnaissant les molécules spécifiques
de la membrane de la cellule vasculaire.
« La production du peptide n’est pas
onéreuse car il est de petite taille et
de possibles effets secondaires sont
pratiquement inexistants car la partie
externe de la cellule est plus sélective,
l’action sera donc localisée ».
Quand le D(LPR) s’installe sur la
surface de la cellule, il perturbe la chaî-
ne d’activation du VEGF et inhibe ainsi
la prolifération vasculaire excessive. Les
tests réalisés par Ricardo Giordano sur
des cultures et des souris vivantes sont
un succès. Comme le peptide mis au
point par le biochimiste est petit, sta-
ble et soluble dans l’eau, il a toutes les
chances d’être une réussite s’il se trans-
forme en remède. La prolifération vas-
culaire de la rétine, qui provoque une
rétinopathie touchant les nouveau-nés
prématurés, entraîne également une
dégénérescence maculaire de type hu-
mide qui est la principale cause de la
perte de vision liée au vieillissement.
Un remède à base de D(LPR) pourrait
être administré sous la forme de col-
lyre, ce qui serait un soulagement par
rapport au traitement actuel injecté di-
rectement dans l’œil. Wadih Arap s’est
déjà soumis à ce traitement pour un
décollement de la rétine et il prévient
qu’il est très désagréable.
Dans son
laboratoire, monté en 2009, lors de son
retour du Texas et son entrée à l’USP, Ri-
cardo Giordano cherche sur des souris
de nouvelles régions du VEGF qui pour-
raient servir de cibles thérapeutiques.
Les bénéfices pourraient s’étendre à
d’autres maladies que celles de la vision.
La prolifération vasculaire ou angioge-
nèse, stimulée par le VEGF, caractérise
également les tumeurs malignes qui sé-
crètent des facteurs d’angiogenèse pour
stimuler la production de vaisseaux qui
alimentent les amas de cellules cancé-
reuses. « Si nous parvenons à combattre
ce processus qui normalement n’atteint
pas les adultes, nous aurons une arme
de plus pour lutter contre le cancer »,
déclare le chercheur.
Attaquer le VEGF n’est pas une idée
neuve. Il existe déjà des remèdes (ap-
prouvés et utilisés) à base d’anticorps,
mais, selon Ricardo Giordano, ils ne
sont pas aussi efficaces qu’on l’espérait
et ils ont des effets secondaires indési-
rables, ce qu’il espère éviter grâce au
peptide qu’il a mis au point. « Il y a des
centaines de laboratoires à travers le
monde qui cherchent à développer ce
type de remède et c’est une course ». Le
plus important pour lui n’est pas d’arri-
ver premier, mais de mettre au point un
médicament au Brésil. Non seulement
pour avoir des remèdes plus accessibles
mais également pour en avoir la pro-
priété intellectuelle et favoriser ainsi de
nouvelles recherches.
Une des priorités du couple de cher-
cheur est de poursuivre les tests pour
mettre au point un remède basé sur le
peptide développé par le collaborateur
de l’USP. « Nous voulons créer à São
Paulo une branche de la compagnie qui
possède les droits de propriété intellec-
tuelle du M.D. Anderson pour créer des
partenariats et obtenir les investisse-
ments nécessaires à la mise au point de
remèdes », déclare la chercheuse. L’avan-
tage de réaliser les tests cliniques ici est
de pouvoir déjà tester leur efficacité
sur la population brésilienne et avoir
une validation indépendante des effets
du remède sur un plus grand nombre
Le projet
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