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science
[ PHYsiologie ]
Pour
´ ˆ
Demeler
la trame
Une attaque contre
des veines et des artères
indésirables peut combattre
la cécité et le cancer
Maria Guimarães
Publié en juillet 2010
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I
maginez des veines et des artères qui se ramifient,
augmentent, se divisent et se répandent. Il s’agit
d’une situation normale au cours du développement
de l’embryon mais, à l’âge adulte, cette formation et
cette prolifération de vaisseaux sanguins peut être à
l’origine de graves problèmes comme la cécité et le
cancer. Le biochimiste Ricardo Giordano, de l’Institut
de Chimie de São Paulo (USP), est en train de découvrir la
manière de localiser et d’exterminer ces vaisseaux sanguins
qui poussent en temps et lieux inopportuns.
Pour contrer ce problème, il a mis au point un peptide
(fragment de protéine) qui réunit des qualités hautement
désirées pour un remède. La molécule détecte les vaisseaux
indésirables en trompant les défenses de l’organisme qui ne
reconnaissent pas le peptide comme étant une substance
intruse à détruire. Cette molécule, appelée D(LPR), et qui
peut être composée de leucine, proline et arginine, a été
découverte par un couple de chercheurs brésiliens, Renata
Pasqualini, biologiste moléculaire et Wadih Arap, médecin
oncologiste et chercheur, qui coordonnent ensemble un
laboratoire à l’Institut du Cancer M.D. Anderson, dans l’état
du Texas, aux États-Unis. Durant 10 ans de post-doctorat
dans un environnement bouillonnant, équipé d’appareils,
d’esprits inventifs et de motivation tournés vers la découverte de protéines qui agissent sur les maladies humaines,
Ricardo Giordano a utilisé le procédé CEP mis au point par
Renata Pasqualini et Wadih Arap. Selon ce procédé, tout
type de cellule dans chaque tissu de l’organisme possède
sa propre signature moléculaire qui peut être reconnue par
des peptides spécifiques, à l’exemple du numéro 05415-012
qui correspond, pour le facteur, à l’adresse de la rédaction
qui prépare cette revue.
Ce procédé est une réussite comme le montre un article
publié dans la revue scientifique PNAS. Pour créer ces traqueurs qui échappent au radar du système immunologique,
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Ricardo Giordano a utilisé une astuce
conceptuellement simple et basée sur
deux catégories de peptides qui ont la
faculté de détecter les groupes chimiques tournés vers la droite (D) ou vers la
gauche (L). « La nature a choisi de faire
des protéines en forme de L », explique
le biochimiste. À cet effet, il a choisi la
forme inversée D comme le reflet d’un
miroir, qui n’existe pas dans la nature
et qui n’est donc pas reconnue par le
système immunitaire. C’est comme si
les peptides qui circulaient dans le sang
et les cellules avaient tous la forme d’une
main gauche. Les enzymes chargées de
détruire les impuretés et qui ressembleraient à des gants spécifiques pour mains
gauches, laissent s’échapper les mains
droites. Le D(LPR) devient alors indétectable tout en remplissant la fonction
du RPL, son jumeau inversé.
rapport au traitement actuel injecté directement dans l’œil. Wadih Arap s’est
déjà soumis à ce traitement pour un
décollement de la rétine et il prévient
qu’il est très désagréable.
Missile à tête chercheuse – Dans son
pratiquement inexistants car la partie
externe de la cellule est plus sélective,
l’action sera donc localisée ».
Quand le D(LPR) s’installe sur la
surface de la cellule, il perturbe la chaîne d’activation du VEGF et inhibe ainsi
la prolifération vasculaire excessive. Les
tests réalisés par Ricardo Giordano sur
des cultures et des souris vivantes sont
un succès. Comme le peptide mis au
point par le biochimiste est petit, stable et soluble dans l’eau, il a toutes les
chances d’être une réussite s’il se transforme en remède. La prolifération vasculaire de la rétine, qui provoque une
rétinopathie touchant les nouveau-nés
prématurés, entraîne également une
dégénérescence maculaire de type humide qui est la principale cause de la
perte de vision liée au vieillissement.
Un remède à base de D(LPR) pourrait
être administré sous la forme de collyre, ce qui serait un soulagement par
L
’objectif est d’inhiber la production
du facteur de croissance vasculaire
endothélial (VEGF), principal responsable de la prolifération des vaisseaux sanguins. « Nous ne pouvons pas
inhiber totalement l’activité de ce facteur de croissance car la fonction de base
du VEGF est nécessaire au maintien des
vaisseaux », affirme Ricardo Giordano.
Il est donc parti à la recherche d’une
main droite affectant uniquement la
production des nouveaux vaisseaux,
fonction parfaitement remplie par le
D(LPR) dans les cas de rétinopathie du
prématuré, comme décrit dans l’article
de la revue scientifique PNAS.
La rétinopathie du prématuré, cause de la déficience visuelle du musicien
Stevie Wonder, atteint principalement
les nouveau- nés prématurés placés
un certain temps en incubateur où la
pression d’oxygène est très élevée, environ 70%. Quand l’enfant se retrouve
dans un environnement naturel à 20%
d’oxygène, les cellules de la rétine interprètent la situation comme un manque
d’oxygène et produisent plus de VEGF,
créant une toile vasculaire dense sur
la rétine au point d’obstruer la vision.
Ricardo Giordano a démontré que le
peptide D(LPR) parvient à détecter cette formation de vaisseaux nuisibles en
reconnaissant les molécules spécifiques
de la membrane de la cellule vasculaire.
« La production du peptide n’est pas
onéreuse car il est de petite taille et
de possibles effets secondaires sont
44
n
édition spéciale mai 2009 / décembre 2010
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Le projet
Identification de nouveaux
marqueurs moléculaires de la
rétine angiogénique et dessein
rationnel des nouveaux agents
thérapeutiques pour les maladies
oculaires avec une composante
vasculaire - nº 2008/54806-8
Modalité
Jeune Chercheur
Coordonnateur
Ricardo José Giordano – IQ/USP
Investissement
774 669,76 réaux
n
laboratoire, monté en 2009, lors de son
retour du Texas et son entrée à l’USP, Ricardo Giordano cherche sur des souris
de nouvelles régions du VEGF qui pourraient servir de cibles thérapeutiques.
Les bénéfices pourraient s’étendre à
d’autres maladies que celles de la vision.
La prolifération vasculaire ou angiogenèse, stimulée par le VEGF, caractérise
également les tumeurs malignes qui sécrètent des facteurs d’angiogenèse pour
stimuler la production de vaisseaux qui
alimentent les amas de cellules cancéreuses. « Si nous parvenons à combattre
ce processus qui normalement n’atteint
pas les adultes, nous aurons une arme
de plus pour lutter contre le cancer »,
déclare le chercheur.
Attaquer le VEGF n’est pas une idée
neuve. Il existe déjà des remèdes (approuvés et utilisés) à base d’anticorps,
mais, selon Ricardo Giordano, ils ne
sont pas aussi efficaces qu’on l’espérait
et ils ont des effets secondaires indésirables, ce qu’il espère éviter grâce au
peptide qu’il a mis au point. « Il y a des
centaines de laboratoires à travers le
monde qui cherchent à développer ce
type de remède et c’est une course ». Le
plus important pour lui n’est pas d’arriver premier, mais de mettre au point un
médicament au Brésil. Non seulement
pour avoir des remèdes plus accessibles
mais également pour en avoir la propriété intellectuelle et favoriser ainsi de
nouvelles recherches.
Une des priorités du couple de chercheur est de poursuivre les tests pour
mettre au point un remède basé sur le
peptide développé par le collaborateur
de l’USP. « Nous voulons créer à São
Paulo une branche de la compagnie qui
possède les droits de propriété intellectuelle du M.D. Anderson pour créer des
partenariats et obtenir les investissements nécessaires à la mise au point de
remèdes », déclare la chercheuse. L’avantage de réaliser les tests cliniques ici est
de pouvoir déjà tester leur efficacité
sur la population brésilienne et avoir
une validation indépendante des effets
du remède sur un plus grand nombre
PESQUISA FAPESP
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de patients. Dans l’avenir, le D(LPR)
pourra également être efficace contre
les vaisseaux qui irriguent les tumeurs,
mais le groupe a choisi d’étudier prioritairement les maladies oculaires afin
d’éviter l’énorme compétition autour
de la lutte contre le cancer car, selon Renata, « il y a un vide médical en termes
de traitement de la rétine ».
L
e couple de chercheurs se trouve au
bon endroit. Le M.D. Anderson est
un énorme centre de recherche ainsi
qu’un hôpital spécialisé sur le cancer. Les
chercheurs ont accès à un grand nombre
de patients et doivent surmonter d’énormes défis scientifiques dans cet endroit
considéré comme l’un des principaux
centres de référence mondiaux pour
le traitement du cancer. Wadih Arap,
outre ses travaux de recherche, soigne
également des patients à l’hôpital. Dans
le laboratoire texan, le couple diplômé
de l’USP utilise le procédé CEP pour
lutter contre le cancer et l’obésité. Ils ont
mis au point un remède contre le cancer de la prostate qui se trouve déjà en
phase initiale de tests cliniques. « Nous
avons déjà traité six patients » déclare
la chercheuse. Cette phase initiale sur
quelques patients, après que le remède
ait été testé sur d’autres espèces (généralement des souris, des chiens ou des
singes), est obligatoire pour évaluer les
éventuels effets toxiques du traitement.
En localisant le remède durant la biopsie
de tumeurs, l’étude valide le concept des
CEPs de lutte contre le cancer et d’autres
maladies. Cette méthode s’est déjà montrée efficace contre les cellules de graisse,
selon l’article publié par le groupe en
2004 dans la revue Nature Medicine.
que l’on trouve dans les poumons de
fumeur souffrant d’emphysème. Dans
ce cas, les peptides agissent comme un
anti-remède. L’objectif est de produire en laboratoire des souris souffrant
d’emphysème pulmonaire afin d’étudier la maladie en profondeur.
Rubin Tuder veut maintenant utiliser
la méthode pour diagnostiquer l’hypertension pulmonaire, caractérisée par la
prolifération de cellules dans les vaisseaux pulmonaires et qui, au Brésil, est
associé à l’esquistossomose (voir Pesquisa FAPESP nº 158). Il faut actuellement
introduire un cathéter dans l’aine pour
espionner l’intérieur des vaisseaux. L’objectif du chercheur est d’accoupler des
particules d’or aux peptides traqueurs.
L’or est détecté par tomographie qui est
un examen moins invasif que le cathétérisme. « Je suis en train d’essayer d’identifier, au moyen d’images, des peptides
qui détectent ces lésions pulmonaires »,
explique le pathologiste. Il a déjà trouvé
dans des cultures de cellules, des molécules prometteuses qui joueront ce rôle
et il espère avoir davantage de détails à
nous donner d’ici deux mois.
Bien que la méthode soit prometteuse contre de graves maladies, les
chercheurs n’attendent pas qu’elle soit
une panacée. Ils ne prétendent pas
non plus injecter des peptides chargés
de klaklak pour attaquer, de manière
préventive, des tumeurs qui n’ont pas
encore été diagnostiquées. « Le cancer
est une maladie très compliquée. Nous
avançons à petit pas et les bénéfices sont
incrémentaux, mais qui ne tente rien
n’a rien », déclare Renata Pasqualini.n
“Si nous parvenons
à combattre
l’angiogenèse,
nous aurons une
arme de plus pour
lutter contre le
cancer», déclare
Ricardo Giordano
Le peptide détecte la signature moléculaire spécifique de la tumeur ou de la
graisse et transporte avec lui une bombe
appelée molécule klaklak (voir Pesquisa
FAPESP nº 115). « Il s’agit d’une structure en forme de tire bouchon riche en
charges négatives qui attaque la membrane des mitochondries », décrit Ricardo Giordano. En détruisant les mitochondries, usine d’énergie des cellules,
le klaklak élimine spécifiquement les
cellules indésirables, comme les vaisseaux qui irriguent les tumeurs.
Dans une phase initiale de recherche, la catalane Marina Cardó-Vila a
travaillé avec Ricardo Giordano au
M.D. Anderson en utilisant des techniques identiques sur des molécules
différentes. Elle a démontré, dans un
article publié au mois de mars de la revue PNAS, qu’un système de peptide
inversé (en forme de D), comme celui
produit par son collègue, est efficace
pour inhiber la croissance des tumeurs
mammaires chez les souris femelles.
» Voir infographie sur le site:
www.revistapesquisa.fapesp.br
Articles Scientifiques
Souffle – Outre son potentiel pharmaceutique, le peptide traqueur de
Ricardo Giordano s’est révélé être un
instrument efficace de recherche. Il a
démontré en 2008 dans le Journal of
Biological Chemistry, en collaboration
avec le pathologiste Lithuanien diplômé de l’USP, Rubin Tuder, professeur
à l’Université du Colorado, que cette
technique permet de détecter et de détruire des vaisseaux qui maintiennent
la structure des alvéoles pulmonaires
et causer des lésions similaires à celles
PESQUISA FAPESP
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1. GIORDANO, R. J. et al. From combinatorial peptide selection to drug prototype (I):
Targeting the vascular endothelial growth
factor receptor pathway. PNAS. v. 107, n. 11,
p. 5.112-17. 16 mars 2010.
2. CARDÓ-VILA, M. et al. From combinatorial peptide selection to drug prototype (II):
Targeting the epidermal growth factor receptor pathway. PNAS. v. 107, n. 11, p. 5.118-23.
16 mars 2010.
3. GIORDANO, R. J. et al. Targeted induction of lung endothelial cell apoptosis causes
em­­phy­­sema-like changes in the mouse.
Jour­nal of Biological Chemistry. v. 283, n.
43, p. 29.447-60. 24 oct. 2008.
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édition spéciale mai 2009 / décembre 2010
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