maladie et competence parentale - La systémique appliquée aux

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MALADIE ET COMPETENCE PARENTALE
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MALADIE ET COMPETENCE
PARENTALE
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Date de mise en ligne : samedi 20 juin 2009
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MALADIE ET COMPETENCE PARENTALE
Chapitre 16. Du livre« malades et familles » édité en 1997 avec Mme Celis-Gennart par les éditions Médecine et
Hygiène, avec l'autorisation expresse des auteurs .
MALADIE ET COMPETENCE PARENTALE.
1. Introduction.
En choisissant de développer le problème de la relation entre la maladie et la fonction parentale, nous nous
proposons d'éclairer les deux questions suivantes :
1) En quel sens l'événement que constitue la maladie est-il à même de transformer le patient dans les différents
aspects de son existence psychologiques, relationnels, sociaux... - et comment se répercute-t-il, tout
particulièrement, sur l'attitude et les compétences du patient exerçant une fonction parentale ?
2) Comment la maladie d'un parent agit-elle sur l'existence de l'enfant ? En quel sens peut-elle influencer sa
sensibilité et modifier son comportement ?
Pour permettre au lecteur d'apercevoir d'emblée l'enjeu de telles questions, nous commencerons par présenter un
cas clinique, dont nous commenterons les moments les plus significatifs dans la suite de notre exposé. Le cas
auquel nous allons nous référer, celui de Madame Rossini, illustre la difficulté qu'il y a à gérer son rôle de parent tout
en étant atteint d'une maladie grave. Ce cas montre également comment la réorganisation des relations
intrafamiliales que la maladie induit peut entraver le mouvement par lequel les patients, une fois guéris, s'efforcent
de reprendre la place qui leur revient dans la famille ainsi que le rôle que la maladie les a empêchés d'assumer
pendant un certain temps.
2. Exemple clinique.
2.1. Situation familiale et motif de la thérapie.
La famille Rossini, d'origine italienne, a été envoyée dans notre Centre par son médecin traitant. C'est un collègue
avec qui nous eûmes souvent l'occasion de collaborer efficacement. Ce médecin connaissait la famille depuis de
nombreuses années. Le médecin et le couple étaient même devenus amis, surtout après que le praticien se fût
engagé avec sollicitude, compétence et abnégation à soigner Madame Rossini, dès le moment où elle eût reçu le
diagnostic d'une affection tumorale qui, d'ordinaire, réagit bien au traitement chimiothérapique, si elle est
diagnostiquée et traitée dans sa phase précoce. On considère qu'en cas d'absence de récidive après 5 ans, les
patients sont guéris.
Lorsque nous avons pris en charge la famille Rossini, Madame était considérée comme guérie depuis quelques
années. La demande de son médecin était motivée par la répétition de problèmes comportementaux présentés par
les enfants : Elisa, 18 ans, et Claudio, 15 ans. La situation de ce dernier était devenue problématique ; il fumait du
hachisch et voulait abandonner sa formation professionnelle en raison de résultats très décevants. Elisa, elle aussi,
se trouvait en difficulté dans une carrière scolaire médiocre. De plus, comme sa mère s'en était aperçue, elle volait
de l'argent de son porte-monnaie et volait aussi de temps en temps en dehors de la maison. Nous avons engagé
avec la famille Rossini un traitement familial, répondant en cela à la demande du médecin qui, après avoir soigné la
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mère, souhaitait voir la famille heureuse.
2.2. Les familles d'origine.
L'équilibre, dans la famille d'origine de la mère, avait été rompu à la suite de graves problèmes sociaux et financiers.
Le père était alcoolique. Il avait été riche, mais avait perdu sa fortune. Les parents ont divorcés quand Madame
Rossini était encore enfant. La mère de Madame Rossini était dure de caractère, tant elle était prise d'une rancoeur
subtile à l'égard de son ex-mari. Elle s'était mariée en rêvant d'une vie luxueuse, mais elle avait dû renoncer à ses
rêves. L'enfance de Madame Rossini n'a pas été très heureuse. Sa mère était très exigeante à son égard et tenait sa
fille pour responsable de sa destinée malheureuse. A l'âge de 18 ans, Madame Rossini partit de la maison et garda
dans la suite des relations sporadiques avec sa mère et des contacts encore plus sporadiques avec son père.
La famille du père fut par contre décrite comme étant très unie et comme présentant des signes de dépendance
réciproque. Cependant, la famille paternelle habitant loin du couple, elle ne venait jamais en visite.
2.3. Le couple pendant la maladie.
Durant le traitement, les parents ont transmis aux thérapeutes le sentiment qu'ils avaient d'avoir dû affronter seuls,
sans le soutien de leurs familles d'origine, l'anxiété et la peur liées au cancer de Madame. L'aide apportée par le
médecin et par un cercle restreint d'amis n'a pas soulagé la mère dans la tâche difficile qui consistait à éduquer et à
élever deux petits enfants tout en étant gravement malade. Madame Rossini était complètement absorbée par son
épuisante lutte contre la maladie, à laquelle elle fit face en se montrant animée d'une forte volonté de vivre. La
maladie, par sa gravité, a perturbé la relation du couple. La malade a dû vivre une relation émotionnelle si exclusive
avec son Hodgkin qu'elle s'est détachée affectivement du mari. La situation rappelle la formule « un et un font quatre
» de Ph. Caillé (cf. chap. 2). Voulant bien faire, et pour favoriser cette lutte, le mari avait pourtant peu à peu pris sur
lui la tâche de soulager sa femme de toutes ses responsabilités. Ainsi, il avait pris en charge toutes les décisions
concernant les vacances, les études, la vie quotidienne, et il chargeait Elisa de leur exécution. Madame Rossini prit
rapidement conscience que son mari lui soutirait son rôle de mère et qu'il le déléguait en partie à sa fille, et elle
devint incapable d'apprécier leur soutien.
La situation que la famille connut à cette époque montre que le père a assumé un rôle réparateur pour compenser,
en premier lieu, la carence maternelle induite par la maladie. Entrepreneur dynamique ayant un sens aigu de
l'organisation, il a fait face à son profond vécu d'inquiétude et à sa détresse par une activité étonnante qui lui
permettait en fait d'échapper à ses propres angoisses liées à la crainte d'une mort éventuelle de son épouse. Le
souci d'être efficace a fini par le rendre moins attentif aux besoins réels des enfants. Ainsi, la tendance de la mère à
ne plus être capable de remplir son rôle maternel témoigne de l'excès de zèle que le père a manifesté, et par lequel il
en est arrivé à soutirer à son épouse sa fonction et à endosser lui-même un rôle de père-mère.
Dans une perspective trigénérationnelle, il faut encore considérer que la mère n'avait pas bénéficié, dans sa relation
avec sa propre mère, de comportements de soin, d'attention et de soutien, même dans les moments d'adversité, et
n'avait donc pas été initiée à de telles conduites. La solitude dans laquelle sa mère l'avait laissée à cette époque a
été acceptée par la malade comme une confirmation de l'idée que, des parents, il ne faut rien attendre. Mais dans sa
détresse, elle ne pouvait que réclamer auprès de ses propres enfants ce que elle aurait souhaité recevoir de sa mère
: appui, consolation, apaisement de la tempête émotionnelle qui la traversait. Peut-on dès lors, dans l'après-coup,
comprendre la violence qu'elle exerça à l'égard de son fils Claudio (cf. infra) comme résultant de l'échec de cette
attente impossible et comme étant l'expression d'une révolte rageuse ?
2.4. La situation des enfants pendant la maladie.
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Elisa fut vite renseignée sur la gravité de la maladie de sa mère. Claudio, en revanche, n'en fut averti qu'après plus
d'une année. Il voyait sa mère s'éloigner et il savait vaguement qu'elle était hospitalisée, ou il voyait le médecin
suivre très tôt sa mère à domicile et lui administrer des perfusions. Il voyait celle-ci perdre ses cheveux, voyait son
père s'agiter et sa soeur pleurer, mais tous se retenaient devant lui. Leur devoir était de ne pas donner trop de soucis
à Claudio avec des histoires qu'il ne pouvait comprendre. La seule chose que le garçon comprenait, c'était que sa
mère était devenue mauvaise parce qu'elle le tapait pour rien. Il se demandait alors si tout ce qui survenait dans sa
famille n'était pas de sa faute à lui. Après coup, le père affirma qu'il ne s'était aperçu de rien. Or, la mère prenait
souvent un tape-tapis et poursuivait son fils à travers la maison. Claudio, lors des entretiens, se rappelait
parfaitement le sentiment de terreur et en même temps de haine qu'un tel comportement avait suscité en lui. On peut
supposer que cette tendance à donner des corrections physiques à l'enfant fut un moyen pour la mère de se
réapproprier sa fonction parentale. En frappant son fils, Madame Rossini voulait en effet moins le punir ou rétablir sur
lui son autorité que réintégrer son rôle de mère. Mais la stérilité d'un tel comportement est évidente, et le fait que la
mère frappât son fils n'augmenta que l'anxiété, le dégoût de soi et la perte de toute estime que la maladie était déjà
en elle-même propre à alimenter. Quant au fils lui-même, une telle attitude ne pouvait que le consterner. Il fut
surprenant d'entendre avec quelle lucidité Claudio pouvait relater les crises de violence de sa mère, qui était
poussée à bout par le désespoir. Claudio a appris à contrôler ses émotions. Il n'attendait de consolation et de
réassurance ni de la part de sa mère, ni de celle de son père. Il affirma par contre ne pas avoir été troublé par
l'absence de diagnostic clair, comme s'il ne voulait pas connaître la vérité.
2.5. Les relations familiales après la guérison.
Après plus de cinq ans de lutte et de soins, Madame Rossini fut complètement guérie. Mais à ce moment, elle se
rendit compte que la guérison pour laquelle elle avait tant lutté et dans laquelle elle avait mis tant d'espoirs ne la
réhabilitait pas automatiquement dans son rôle de femme et de mère. Elle était bien sûr guérie, mais elle vivait en
marge de la famille, pleine d'envie à l'égard de sa fille et incapable de faire apprécier à son mari son rôle de femme
et de mère. Le mari continuait en effet à déconsidérer son épouse. (Dans le cours des séances, au demeurant,
lorsque celle-ci prenait la parole, il levait piteusement les yeux comme pour s'excuser face au thérapeute.) A cette
époque, Madame Rossini commença à travailler pour trouver un espace propre, avec la conviction qu'elle ne pourrait
que très difficilement rompre l'alliance très forte que sa maladie avait créée entre son mari et sa fille.
La guérison, étant donné le contexte dans lequel elle advint, entretint donc l'agressivité et la violence verbale de
Madame Rossini à l'égard de ses enfants. Et son comportement, en retour, ne cessait de l'isoler toujours plus. A
certains moments, ses enfants lui faisaient comprendre qu'elle n'avait rien à dire dans leur éducation et qu'ils
préféraient résoudre leurs problèmes avec leur père, qui était plus permissif et plus gentil. Elisa se considérait en
effet toujours comme une interlocutrice privilégiée de son père, qui la consultait pour certaines décisions importantes
sans en avertir la mère, qui réagissait avec haine et aigreur. Les conflits mère-fille explosaient de façon dramatique.
Un jour, Elisa vola sur le lieu de travail de sa mère et se fit surprendre. En arrivant sur ses 18 ans, la jeune fille
commença à vouloir vivre seule, mais chaque velléité de départ était marquée par des conflits et des bagarres, en
sorte que son projet échouait régulièrement.
L'évolution à long terme d'Elisa se caractérisa par des troubles comportementaux prolongés et sérieux. L'évolution
de Claudio, elle, fut ponctuée par l'échec scolaire, la petite délinquance et la marginalisation.
2.6. La signification paradigmatique du cas.
La question tout à fait centrale à laquelle ce cas clinique nous confronte est celle de savoir s'il existe un lien causal
entre la maladie de la mère et l'évolution problématique des deux enfants. Pour répondre à une telle question, il
importe d'adopter une perspective qui soit appropriée à la complexité du phénomène et qui tienne notamment
compte des deux points suivants. En premier lieu, il est nécessaire de considérer, dans sa globalité, la réorganisation
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des liens familiaux qui s'est amorcée avec la survenue de la maladie et qui s'est poursuivie après la guérison. En
deuxième lieu, il importe de cerner, dans la redistribution des relations et des rôles à l'intérieur de la famille, ce qui
relève d'une réponse aux exigences que la maladie génère et ce qui est de l'ordre de la dérive, de l'exagération ou
de la rigidification dysfonctionnelle. Il arrive au demeurant que certaines modalités relationnelles qui, en soi ou à une
période donnée, ne sont pas forcément pathologiques, se transforment, du fait de leur persistance indéfinie ou de
leur accentuation, en comportements rigides et destructeurs. Ainsi, dans la famille Rossini, le mouvement par lequel
le mari a « marginalisé » sa femme en lui soustrayant la plus grande part de ses responsabilités familiales, s'il se
justifiait en partie pendant la maladie, a eu tendance à virer, après la guérison, en un acte de vengeance par lequel il
faisait payer à son épouse les sacrifices et les privations subis pendant la période où elle luttait pour se soigner et
guérir.
Lorsque nous nous interrogeons sur le rapport entre la maladie de Madame Rossini et le développement ultérieur de
ses deux enfants, ils nous faut donc reconnaître d'une part que les transformations de la vie familiale, que
l'émergence de la maladie a rendues nécessaires, ont certainement permis à la mère de lutter efficacement contre
son mal. Il n'en reste pas moins, d'autre part, que le prix payé par les enfants fut considérable. Quels sont les
processus qui se sont avérés dommageables pour ceux-ci ? C'est ce que nous mettrons en évidence dans la suite,
au fur et à mesure que nous développerons les deux thèmes directeurs de cet exposé, qui mettront respectivement
en jeu l'attitude du parent malade et la réponse des enfants à la maladie du parent.
3. La transformation du parent malade. La maladie, nous le savons, n'est jamais un processus partiel et purement
local ; elle constitue non seulement une atteinte globale de la personne, mais elle suscite en outre chez celui qui en
est atteint l'émergence d'un comportement nouveau. Ce comportement présente des caractéristiques typiques : il
réside d'une part dans des attitudes actives de recherche de soin et, d'autre part, dans des attitudes passives de
retrait et de renoncement aux pratiques et aux fonctions habituelles. Les symptômes et la douleur physique
favorisent en effet la tendance à l'abandon passif et mènent souvent à la régression.
Sur le plan psychologique, la maladie (pensons par exemple à une pneumonie ou à un ulcère gastrique) activent
chez le patient des peurs qui sont liées au sentiment de perdre son intégrité corporelle et, du même coup, sa
possibilité d'agir et de vivre de façon autonome. La peur de mourir est elle aussi souvent présente. L'atteinte
corporelle alimente chez le sujet un sentiment de fragilité et de vulnérabilité qui, associé à la modification effective de
son insertion ou de son statut social, représente une menace pour son équilibre psychologique. Ces différents
facteurs concourent à produire, chez le patient, une altération de l'idée de soi et une blessure narcissique profonde.
La survenue de la maladie se répercute enfin, à différents niveaux, sur la vie relationnelle du sujet. Elle pousse
celui-ci à restreindre ses activités sociales et à limiter ou suspendre son engagement professionnel. A l'intérieur de la
famille, et comme l'a illustré la situation clinique présentée plus haut, la maladie vient perturber la relation du couple
et, surtout si elle persiste dans le temps, exiger de la part des conjoints une définition renouvelée de leur lien. Elle
agit enfin -et c'est de cet aspect que nous traiterons ici de façon privilégiée -sur la relation du parent malade à ses
enfants, le risque majeur étant que l'altération de l'état de santé provoquée par la maladie porte atteinte aux
compétences parentales du patient en limitant son aptitude à éduquer et à protéger les enfants mineurs, tout comme
sa disponibilité à aimer ceux-ci et à leur porter l'affection dont ils ont besoin. La nécessité de penser à sa propre
santé et la peur de la mort peuvent en effet rendre le parent distant, peu attentif aux exigences des enfants et même
parfois, comme nous le commenterons dans la suite, négligent, hostile ou violent.
Il importe bien sûr de distinguer les réactions normales à la maladie physique et les réactions pathologiques, qui
signent éventuellement la coexistence d'un trouble de la personnalité ou d'une affection psychiatrique. Ainsi, le fait
que la maladie, qui engendre fréquemment une situation de détresse et de grand besoin chez le sujet qui en est
atteint, tende à augmenter les attentes de ce dernier à l'égard de son entourage et à lui faire adopter une position
passive de « demandeur » n'est pas en soi pathologique. Ces tendances ont même une fonction positive dans la
mesure où elles permettent au patient de recevoir les soins dont il a besoin et de limiter à juste titre ses activités ou
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d'y renoncer provisoirement. En ce sens, il est légitime que le patient s'en remette en partie à ceux qui le soutiennent
ou le soignent et qu'il puisse, dans le cas où cela s'avère nécessaire, limiter son rôle parental. Cependant, la maladie
peut motiver ou accentuer chez le parent des comportements qui s'avèrent néfastes et destructeurs à l'égard des
mineurs dont il a la charge. Trois cas de figure sont possibles, que nous commenterons tour à tour. Les
compétences parentales peuvent s'altérer dans le sens d'un déficit ou d'une déprivation progressive : l'enfant souffre
alors de négligence, voire d'abandon (§5). L'altération de la fonction parentale peut prendre une forme plus active :
nous assistons alors soit à la survenue de comportements violents (§6), soit à celle de mauvais traitements
psychologiques (§4). Nous commencerons par commenter ce dernier cas, car il nous paraît à la fois paradigmatique
et très fréquent.
4. Le parent malade comme auteur de mauvais traitements psychologiques.
La maladie aiguë d'un parent peut mettre les enfants dans une situation complexe et douloureuse : les
manifestations urgentes et dramatiques de la détérioration de l'état de santé du parent sollicitent en effet souvent de
manière massive les ressources adaptatives de l'enfant.
On pourrait parler de mauvais traitements psychologiques lorsque le parent méconnaît cette sollicitation intense de
l'enfant, ainsi que l'émergence, dans son attitude, de phénomènes anxieux ou défensifs. Les comportements par
lesquels les enfants essaient de se faire entendre semblent tour à tour émouvants et agaçants, tendres et
dramatiques : cela semble être nécessaire, mais non suffisant, pour obtenir l'écoute des adultes et devenir digne de
crédit. La réponse à ces comportement relève parfois de la négligence et du rejet (cf. infra). Mais la maladie n'est
pas forcément utilisée par l'adulte pour régler une situation relationnelle difficile, pour ajuster une distance ou obtenir
un gain. Le parent, dans un bon nombre de cas, peut être considéré comme la victime d'un événement avec lequel il
doit lui-même composer. La mobilisation de l'enfant, dans une telle situation, peut se révéler structurante car celui-ci
apprend - et se sent valorisé -du fait qu'il apporte un soutien à un adulte dans une situation inhabituelle de détresse.
L'enfant peut être parentifié, mais nous pouvons concevoir qu'il s'agisse, dans certains cas, d'une « bonne
parentification ».
4.1.La maladie et ses effets d'« équilibration ».
La maladie, quand bien même elle serait utilisée dans certains contextes relationnels, ne constitue toutefois pas
nécessairement une source de mauvais traitements. Les maladies semblent parfois apparaître et prendre leur sens,
dans le contexte relationnel et familial, à un moment donné de l'évolution de l'individu et de son entourage. En ce
sens, l'émergence d'une maladie peut, dans certaines circonstances, être exploitée pour rétablir une sorte d'équilibre
au sein de la famille, et tenter de réparer une blessure ou une faille.
Nous rencontrons notamment ce genre de situation au moment où les conflits des parents pourraient aboutir à un
divorce. C'est à ce moment que la 7 maladie survient chez l'un des parents ou même chez un enfant. En pareil cas,
elle semble contribuer à l'ajustement relationnel entre les deux parents, ou entre ceux-ci et les enfants, et contribuer
ainsi à la composition des conflits et des querelles, ainsi qu'à la modulation de la distance entre les différentes
générations.
4.2. La maladie et ses bénéfices.
La situation paradigmatique dans laquelle nous rencontrons des patients infligeant des mauvais traitements
psychologiques à leurs enfants est celle de la maladie chronicisée de façon rigide par la gravité des symptômes et
leur répétition.
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Nous parlons de chronicité rigide là où les patients ne peuvent entendre ni accepter les requêtes, en soi légitimes,
des soignants et de l'entourage qui désirent que le sujet, régressé, dépendant et passif, puisse, à un moment donné,
modifier son attitude, se réadapter au mieux compte tenu des restrictions somatiques ou psychiques que la maladie
a introduites, et reprendre autant que possible le rôle qu'il remplissait auparavant. Le refus ou l'incapacité de
répondre à de telles requêtes apparaît essentiellement chez les patients qui obtiennent des bienfaits de leur statut de
malade et qui ne veulent ou ne peuvent renoncer ni à la possibilité que la maladie leur offre d'être l'objet de soins et
d'attentions de la part de leur entourage, ni au droit qu'elle leur octroie de pouvoir renoncer à des responsabilités trop
lourdes 1 .
Notre expérience clinique nous a amené à mieux comprendre ces situations en les plaçant dans une perspective
trans-générationnelle, ainsi que nous le commenterons dans la suite. Les bienfaits qui sont susceptibles d'être retirés
du statut de malade doivent en tout cas être considérés à l'intérieur du réseau des échanges intersubjectifs. En
l'occurrence, les bénéfices peuvent être obtenus avec d'autres ou au détriment des autres, rendant, dans ce
deuxième cas de figure, l'échange injuste et source de mauvais traitements psychologiques. Une telle injustice ne
peut être excusée par la maladie.
Nous allons précisément considérer de plus près le cas où le bénéfice tiré de la maladie chronique s'opère au
détriment des enfants, la maladie amenant alors le parent à utiliser ses enfants et à exercer son emprise sans
respecter les aspirations légitimes d'autonomie et d'indépendance de ceux-ci. Cette altération des compétences
parentales du patient sera successivement étudiée au niveau de la relation dyadique, puis à l'intérieur de la triade ;
nous esquisserons pour finir une interprétation de cette transformation au niveau des relations qui s'articulent sur
trois générations.
4.3. La maladie et la relation dyadique.
1 Pour la notion de « bénéfice de la maladie », cf. M. Célis-Gennart et M. Vannotti, chap. 7.
•
Face à la maladie, le parent charge émotionnellement son enfant.
Les liens qui se tissent entre l'enfant et le parent, par le jeu des identifications, font que l'enfant peut devenir le
dépositaire et le réparateur de l'angoisse et de la dépression du malade. Mais cette réparation, comme le note
Winnicott (1971), est destinée à échouer.
A cet égard, il importe de se rendre compte qu'un patient atteint d'une grave maladie chronique peut ne pas être
seulement un individu dans le besoin ; il risque souvent d'assumer progressivement un rôle actif en chargeant son
enfant de demandes implicites qui vont modeler son développement. Une telle délégation est rarement explicite : le
comportement du patient est parfois empreint d'une passivité douloureuse, attitude qui recouvre un comportement de
véritable dictateur et qui n'est pas dépourvue d'injustice ni d'outrage. Il s'agit, dans de tels cas, de parents qui se
perçoivent bien plus comme des victimes de la maladie que comme des personnes qui luttent pour s'adapter à une
réalité douloureuse. Dans d'autres situations ou à des moments particuliers de l'évolution de la maladie, l'on peut voir
s'accentuer chez le patient des tendances à la provocation, à l'exploitation, à l'instigation (cf. infra), à la conduite
agressive et à la projection de ses propres inquiétudes sur son entourage. Dans les deux cas, les mauvais
traitements psychologiques sont évidents, car le parent méconnaît que ce qu'il requiert de l'enfant dépasse sa
maturité et l'empêche d'acquérir une réelle autonomie d'action, de pensée et de sentiment.
•
Le parent « exhibe » sa souffrance aux enfants.
Certains patients, face à l'angoisse ou à la détresse, ne peuvent s'empêcher d'exhiber leur souffrance de manière
ostentatoire à leur famille. De ce fait, ils exercent une tyrannie subtile sur leurs enfants, ainsi que sur leur conjoint.
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Nous citerons, à titre d'illustration clinique de cette attitude, le cas de Carlos, homme espagnol de 43 ans, atteint
d'une maladie cancéreuse en rémission. Ce patient ne pouvait se mettre à table sans se plaindre dramatiquement de
douleurs gastriques si intenses qu'il devait quitter les siens et se coucher dans sa chambre. Il laissait ainsi ses deux
enfants de 12 et 15 ans seuls, anxieux et irrités, terminer leur repas tandis que sa femme courait alternativement de
la cuisine à la chambre sans manger, sans pouvoir s'occuper des enfants, sans arriver à prendre soin de lui.
Il arrive aussi que le parent, atteint de troubles psychosomatiques graves, développe des crises cycliques qui le
plongent dans une intense prostration, l'obligent à rester au lit, dans l'obscurité, dans un état de régression profonde
et en proie à des angoisses comportant souvent une tonalité psychotique qui peut déteindre sur les proches.
Le mineur qui vit dans un tel climat de souffrances exhibées de façon répétitive, d'incertitude continue et de menace
de mort peut en fait être considéré comme la victime d'une maltraitance psychologique, qui ne diffère guère de celle
que subissent les enfants de parents dépressifs ou abandonniques qui menacent continuellement de se suicider.
4.4. La maladie et la triade.
Les travaux menés par Mara Selvini Palazzoli (1988) traduisent la préoccupation de comprendre l'origine des jeux
relationnels dans lesquels les symptômes apparaissent, en mettant en évidence l'importance des individus dans le «
jeu familial » en cours, ainsi que la dimension diachronique de ce dernier. Naturellement, l'apparition des
conséquences de la maladie va dépendre des jeux préexistant à l'événement.
Gehring (1993) a mis en en oeuvre une typologie des familles par rapport à deux variables qui sont la cohésion et la
hiérarchie. Il trouve des familles en équilibre, hors équilibre ou encore, en équilibre instable. Il a noté que les familles
cliniques (c'est-à-dire celles dont un membre présente un problème psychologique) sont bien moins fréquemment en
équilibre que les familles non cliniques. Comment se situent les familles dont un membre est malade par rapport aux
familles cliniques et aux familles non cliniques ? Un nombre limité de ces familles présente une situation de
déséquilibre. L'on peut postuler, en revanche, qu'un type déterminé de relations familiales - spécifique, mais non
pathologique (O. Real, 1996) - puisse être relevé chez elles. Il s'agirait d'un type de relations familiales qui serait
caractérisé par une vulnérabilité particulière, avec un épuisement de certains membres et des sentiments d'injustice
et de victimisation.
Monsieur et Madame Bartok, émigrés hongrois, résident en Suisse depuis plus de vingt ans. Tous deux travaillent
dans un hôpital de zone et sont fiers de leur emploi. Ils ont un seul fils, âgé de 15 ans, qui projette de faire bientôt un
apprentissage.
Au retour de vacances, un dramatique accident de la circulation provoque chez Madame Bartok une fracture ouverte
de la jambe et du pied droit. Le mari et le fils s'en tirent avec des égratignures. L'accident a failli coûter la vie aux
trois. Madame est hospitalisée et opérée en urgence. La patiente se plaint depuis lors d'intenses douleurs, mal
comprises et soignées avec peu de résultats par les divers médecins et chirurgiens consultés. La manière à la fois
âpre et insoumise d'exprimer les plaintes n'est certes pas étrangère à la réponse jugée insatisfaisante du corps
soignant.
Dès lors commence une longue odyssée médicale. Celle-ci se caractérise par une attitude de plus en plus
revendicatrice de la patiente, qui se fait rejeter de nombreuses fois. Une arthrodèse spontanée vient compliquer la
situation : elle confirme à la patiente l'incompétence et donc l'inefficacité de toute mesure médicale, ainsi que le
caractère inéluctable du destin, personnel et familial, qui est lié à la déchéance de sa jambe.
Elle ou son mari sont jugés tour à tour agaçants, revendicatifs et menteurs. Un chirurgien en vient à penser qu'elle
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est déprimée ou folle. Dans ce climat d'incompréhension et de tension, une tentative de suicide semble représenter
la seule issue pour faire entendre aux soignants et à la famille son désarroi, qui est lié à la perte de fonction de sa
jambe et à la perte d'espoirs relationnels et vitaux. Après une longue hospitalisation et une rémission des
symptômes, la poursuite de la prise en charge ouvre des interrogations. C'est à l'Hôpital général, où Madame Bartok
est suivie ambulatoirement, que l'on rencontre toute la famille. Le fils, Bela, semble figé dans sa préoccupation pour
la santé de sa mère. Il se sent incapable d'envisager des perspectives concrètes pour son avenir. Sa mère le comble
de reproches et de blâmes. Elle 10 craint qu'il ne suive une mauvaise pente, qu'il ne fréquente de mauvaises gens.
La tension et la hargne dirigées contre les soignants se déversent depuis une année sur Bela, qui reste triste, sans
projets ni motivations pour s'occuper de son avenir. Ces conflits prennent par moment une tournure dramatique. La
famille ne sait pas comment aider la mère, mais il est aisé de reconnaître que Bela est aussi agacé, voire énervé par
son attitude. Il reste en retrait, sans pouvoir la consoler, sans pouvoir lui témoigner ni affection ni irritation. Nous
assistons, face à Bela, à un mouvement d'agression et à un mouvement de fuite, mais ces deux mouvements sont
désactivés, parce que confrontés à l'ambivalence qui est liée à la crainte de perdre la mère. Dans cette situation, le
père, épousant le point de vue de Madame Bartok ou restant paralysé dans sa perplexité, s'est révélé incapable de
soutenir Bela.
Par ces symptômes douloureux, par son comportement désagréable et psychologiquement violent, Madame Bartok
manifeste le besoin de contrôler ses proches, à défaut de pouvoir contrôler ce qui lui arrive. Mais les parents
estiment mal combien ces sentiments inexprimés et cette pression exercée par l'exhibition de la douleur sont
destructeurs pour l'équilibre psychologique de Bela.
Nous voudrions esquisser ici quelques hypothèses concernant ces sentiments qui constituent les prémisses d'une
maltraitance psychologique. Si l'on a pu constater que la maladie modifiait la cohésion et la hiérarchie dans la famille
(la cohésion comme réponse à la menace du lien 2, et la hiérarchie dans la mesure où la maladie perturbe
l'organisation hiérarchique usuelle de la famille et prend une fonction hiérarchique supérieure), l'on s'est par contre
moins souvent soucié d'analyser le rôle actif que les parents malades peuvent assumer. Nous voudrions
précisément commenter -sans que notre analyse ne soit exhaustive - l'un des phénomènes que l'on peut observer
dans le cadre des stratégies relationnelles qui se déploient autour de la maladie chronique : celui de l'instigation (M.
Selvini Palazzoli et al., 1988).
Par instigation, nous entendons le fait qu'une personne en induit d'autres à assumer un comportement particulier, qui
a généralement une signification négative. Le plus souvent, un membre de la famille instigue un autre membre
contre un tiers. L'exemple le plus fréquent est celui du parent qui instigue un enfant contre l'autre parent. Le parent
instigateur délègue en quelque sorte la partie d'hostilité qu'il a en lui en la faisant assumer à son propre enfant. Il
s'agit d'une attitude d'autant plus dommageable pour les enfants qu'elle les expose à l'hostilité du parent attaqué et
qu'elle les prive de la protection du parent instigateur.
Dans le cadre d'une famille dont l'un des parents est malade, le parent instigateur peut être celui qui est malade ; il
instigue alors son enfant contre le parent sain, qui est accusé de ne pas s'occuper suffisamment de la situation.
D'autres fois, c'est le parent sain qui instigue son enfant contre le parent malade, accusé de se préoccuper
excessivement de son état et pas assez des autres. Le premier cas concerne souvent les patients atteints de
maladies progressivement invalidantes, comme la sclérose en plaques, et le second, les familles dont un parent est
atteint de troubles psychosomatiques ou fonctionnels. Dans ce dernier cas, il s'agit de familles qui présentent un
pattern relationnel dysfonctionnel. La vulnérabilité particulière de ces familles rend plus évidente la présence de
l'instigation, alors que, dans les familles non cliniques
2 Cf. O. Real, chap. 3 et M.-O. Goubier-Boula, chap. 14. au sens de Gehring, ce sont les comportements de
cohésion et de réparation qui apparaissent au premier plan.
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MALADIE ET COMPETENCE PARENTALE
Dans le cas de la famille Rossini présenté en exergue, il semble que la manoeuvre de l'instigation ait été pratiquée
tour à tour par les deux parents - ce qui ne pouvait que jeter les enfants dans une situation de malaise et de
confusion. Ainsi, il est fort vraisemblable que, durant la maladie, le père ait instigué à la fois Claudio et Elisa contre
leur mère. Tout en souhaitant l'aider et la protéger, le père en voulait en effet à sa femme de sa réaction violente et
de sa fermeture au monde, et lui reprochait tacitement de ne plus être la femme qu'il souhaitait. C'est ainsi qu'il en
vint à exploiter la relation subtile et secrète qui le liait à Elisa pour satisfaire ses besoins propres. La jeune fille fut
contrainte de s'engager dans des activités qui étaient trop ardues pour elle, étant donné son âge, et dut assumer un
rôle parental disproportionné par rapport à son jeune frère. Par là, elle fut en même temps entravée dans la
réalisation de ses aspirations propres.
Mais nous ne pouvons pas exclure qu'après sa guérison, la mère ait à son tour instigué les enfants contre leur père.
Mme Rossini en voulait en effet à son mari de l'avoir dépossédée de tout, à la façon dont son propre père avait
dépossédé sa mère : « Les hommes sont peu fiables, et cela m'a rendue malade ». Madame Rossini, qui n'avait
elle-même pour ainsi dire pas eu de père, ne pouvait tolérer que ses enfants en aient un, qui fût de surcroît une mère
à leur égard. Tout s'est passé comme si elle avait voulu montrer que le dévouement de son mari à l'égard des
enfants ne pouvait mener ceux-ci sur la voie de la réussite.
Comme cette situation clinique nous permet de l'apercevoir, l'instigation et, de façon plus générale, la maltraitance
psychologique à laquelle la présence mal assimilée de la maladie dans une famille peut donner lieu, même
lorsqu'elles se jouent, concrètement, au niveau des relations triadiques qui structurent la famille nucléaire, engagent
en fait en sous-oeuvre la relation que les parents ont eue, ou ont encore, avec leurs propres familles d'origine. C'est
vers cette dimension trigénérationnelle que nous allons à présent nous tourner expressément.
4.5. La maladie au niveau des trois générations.
Dans son livre consacré aux familles maltraitantes, S. Cirillo (1989) évoque l'existence d'une figure particulière des
jeux familiaux : celle où l'incompétence parentale peut être considérée comme un message destiné à l'autre parent
ou au parent du parent maltraitant. Or, notre expérience clinique nous a souvent permis de mettre en évidence les
analogies qui existent entre le comportement ostentatoire du malade et le comportement maltraitant. Ainsi, la
souffrance liée à la maladie somatique peut à la fois être exhibée par le parent à la manière d'un message intense et
dramatique à l'adresse de ses propres parents et constituer un mauvais traitement psychologique à l'égard des
enfants. En effet, si les patients ont eux-mêmes eu des parents négligents ou violents, ils présentent tout
naturellement la tendance à persister dans l'attente qu'une bonne fois, leurs parents se montrent prévenants et
attentifs à leur égard. Si ces derniers ne l'ont pas fait jusqu'alors, les patients sont amenés à penser que la maladie
physique et les symptômes associés pourraient enfin les mobiliser. Si un adulte en bonne santé est supposé
s'occuper tout seul et vaquer aux soins de ses enfants, il espère, une fois malade, trouver aide et réconfort auprès
de ses parents. Or, si ces grand-parents se montrent disposés à s'occuper des petits enfants, ils changent rarement
leur attitude à l'égard de leur enfant. Face à ces déceptions, il est fréquent que les parents s'adressent à leur propres
enfants afin de recevoir aide et soutien. Quand bien même les enfants prendraient sur eux d'aider le parent malade,
il ne combleraient jamais son sentiment de manque. Ainsi, à la moindre défaillance des enfants, le malade se sent
doublement seul et abandonné. Il risque alors de décharger son hostilité sur ses enfants en raison des frustrations et
des attentes non réalisées qu'il a nourries à l'égard de ses propres parents.
Tel est le cas de Mme Pergolesi. La patiente est née de la rencontre transitoire de deux adolescents en difficulté.
Peu après la naissance de Mme Pergolesi, la mère se met en ménage avec un homme alcoolique et violent. Mme
Pergolesi vit jusqu'à l'âge de 6 ans avec sa mère, qui ne voulait pas d'elle, et son beau-père. Elle se souvient d'avoir
été laissée seule dans la rue à la fermeture de la garderie. Mme Pergolesi a eu une enfance pauvre et triste,
marquée par l'alcoolisme et les négligences des adultes significatifs, ainsi que par les placements temporaires. En
effet, elle sera abandonnée puis reprise de nombreuses fois par sa mère dès l'âge de 7 ans.
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MALADIE ET COMPETENCE PARENTALE
Mariée depuis l'âge de 24 ans avec un homme à l'enfance tumultueuse, elle accouche peu de temps après d'un
premier enfant et, trois ans plus tard, d'une petit fille. Elle avait espéré trouver chez M. Pergolesi un soutien capable
de la compenser des privations et des souffrances endurées. Aux côtés de Madame, M. Pergolesi se sentait comme
étant l'homme fort qui soutient une pauvre fille seule. Il se sentait d'autant plus investi de sa mission de réparation
que ses parents n'avaient presque plus de contact avec eux et, par ailleurs, ne connaissaient même pas leurs petits
enfants.
C'est dans les séquelles de l'accouchement qu'apparaissent une symptomatologie douloureuse et des symptômes
digestifs, ainsi qu'un état de prostration attribué à une dépression du post-partum. Madame Pergolesi cesse de se
nourrir et de boire ; la dégradation de son état de santé est telle qu'elle doit être hospitalisée à l'hôpital général à des
nombreuses reprises pour une réhydratation. Depuis lors elle court les médecins.
Vis-à-vis de ses enfants, elle se décrit comme une mère poule, très inquiète lorsque ses enfants ne sont pas auprès
d'elle. Cette attitude contraste fortement avec des moments où elle les laisse livrés à eux-mêmes de façon peu
adéquate compte tenu de leur âge. Par ailleurs, Mme Pergolesi est irritable avec eux, élevant facilement la voix et
engendrant, en particulier chez l'aîné, une certaine crainte d'elle. Elle reproche à son mari son manque
d'engagement et son laxisme dans l'éducation des enfants.
Mme Pergolesi avait espéré que sa condition de mère ou, à défaut, sa situation de malade, amène sa mère à la
considérer avec une bienveillance affectueuse, à prendre concrètement soin d'elle lorsqu'elle était épuisée, étant
incapable de faire face au comportement agité de son aîné ou aux pleurs de la cadette. Mais la mère, lors de rares
contacts, se montrait non seulement sourde à ses appels, mais encore indélicate et violente dans les reproches dont
elle accablait notre patiente.
Les enfants ont grandi dans un souci constant pour la santé de leur mère. Ils se précipitaient sur la patiente chaque
fois qu'elle pleurait, en la couvrant de câlins. Un jour, justement après un 13 coup de téléphone particulièrement
décevant avec sa mère, Mme Pergolesi demande à son fils de lui apporter quelque chose (car elle restait prostrée au
lit). Au moment où l'enfant lui dit d'attendre un peu pour pouvoir continuer son jeu, elle se lève rageusement et lui
assène un violent coup de pied. Puis elle retourne sur son lit, coupable et souffrante, et commence à vomir et à crier.
Sous les yeux de ses enfants blessés, elle invoque sa mère en pleurant et en jurant contre elle, coléreuse dans sa
solitude inconsolable, dévorée par un sentiment de rage et une volonté impuissante de vengeance contre sa mère.
Ainsi, l'exhibition de la souffrance, dans ces conditions, a pour fonction d'exprimer de façon biaisée les conflits et les
déceptions à l'égard de la génération qui précède, processus qui rend hautement problématique la relation du parent
malade à ses propres enfants.
La maladie devient ainsi le foyer où se condensent les graves manques trans-générationnels qui, dans la vie
familiale actuelle, se traduisent par un retrait, de la part du parent malade, de l'attention et du souci portés à l'enfant,
et par une attitude compensatrice hyperprotectrice - mais non reconnue - de ce dernier en faveur de son parent. Il
s'agit, dans de telles situations, d'une parentification abusive.
L'attitude « réparatrice » (cf. infra) de l'enfant en vient même, dans certains cas, à être purement et simplement
exploitée par le parent, qui utilise le mineur de telle façon qu'il satisfasse à ses propres besoins. Une telle
exploitation peut conduire le jeune à des phases d'épuisement, surtout si elle commence précocement ou se répète
avec insistance.
Pour prévenir de tels mauvais traitements psychologiques, il importe que le clinicien sache non seulement décrypter
l'exhibition de la souffrance somatique de l'intéressé, mais qu'il puisse également déceler la souffrance
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MALADIE ET COMPETENCE PARENTALE
psychologique de tout le système familial.
5. Le parent négligent ou rejetant.
Il arrive que certains patients développent de l'hostilité à l'égard de leurs enfants, du fait que ceux-ci leur adressent
des demandes qui leur semblent excessives. Ainsi, l'on observe que certains enfants, à la suite de la maladie d'un
parent, sont subtilement rejetés. Même si, dans certains cas, le parent couve l'enfant d'une protection qui peut
paraître exagérée, il s'en éloigne simultanément sur le plan affectif, ou affaiblit ses liens émotionnels avec lui. Cette
forme de relation est doublement dommageable, car elle limite aussi bien le répertoire des réponses de l'enfant aux
exigences de la vie que le développement essentiel des relations intrafamiliales.
Un parent malade, surtout s'il est affecté de troubles somatiques graves et qu'il vit dans un état de profonde angoisse
qui le rend totalement indisponible à l'égard de tout ce qui est extérieur à son tourment, peut également en arriver à
négliger gravement ses enfants - attitude qui a des conséquences d'autant plus sérieuses que les enfants sont petits.
Ainsi, une mère en crise n'est plus 14 capable de s'occuper de ses enfants : elle ne prépare plus à manger, elle les
abandonne pendant des journées entières, comme c'était le cas de Madame Pergolesi. Il nous fut souvent donné
aussi de rencontrer des pères invalides souffrant de manifestations psychosomatiques chroniques ; ces pères non
seulement n'aident pas leur épouse à s'occuper des enfants, mais ils ne perçoivent même pas leurs exigences et
leurs besoins.
6. Le parent violent.
L'hostilité que les sollicitations d'un enfant peuvent susciter chez un parent qui ne se sent pas disposé à y répondre,
mais dont la démission ne fait qu'accentuer la blessure narcissique et le sentiment de déchéance auxquels la
maladie a fait place peut encore se traduire par des actes exprès de violence à l'égard de l'enfant « importun ».
Comme l'histoire de la famille Rossini nous l'a montré, les mauvais traitements physiques peuvent également
procéder d'une tentative par laquelle le parent malade s'efforce de reconquérir un rôle parental qui se trouve menacé
ou qui ne lui est plus reconnu par les membres de sa famille. Dans ce cas, la maltraitance n'est que l'une des
composantes d'un dysfonctionnement familial plus global au sein duquel l'auteur de la violence lui-même n'est pas
épargné par les stratégies relationnelles que déploient d'autres membres de la famille, et notamment le conjoint.
Nous avons étudié jusqu'ici comment la survenue de la maladie, en modifiant la perception de soi, le comportement
relationnel et l'identité sociale du patient, pouvait empiéter sur sa fonction parentale et altérer, en particulier, son
aptitude à protéger l'enfant et à lui prodiguer l'affection, la disponibilité et l'engagement intérieur dont celui-ci a
besoin, de façon pressante, pour vivre et se développer. Il convient à présent d'examiner la façon dont l'enfant
lui-même perçoit la maladie de son parent et ajuste, à cet événement potentiellement traumatique, sa propre
conduite et ses propres ressources relationnelles.
7. La réponse de l'enfant à la maladie du parent.
Nous avons vu que la maladie, en venant troubler l'équilibre de la famille, enjoignait à ses membres de transformer,
de façon provisoire ou durable, leur rôle, leurs fonctions, ainsi que la structure de leurs relations constitutives. Face à
cette exigence de transformation, deux attitudes contraires sont possibles : le refus ou l'évitement, d'une part, qui
procèdent généralement d'une tentative de rejeter ou de refouler la maladie hors de la vie familiale ; l'acceptation,
d'autre part, qui peut s'accentuer en un sens tel que certains membres de la famille sacrifient leur entière existence
en faveur du parent malade. 7.1. Le rejet : une tentative d'exorciser la maladie.
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MALADIE ET COMPETENCE PARENTALE
Dans les familles où un parent succombe à la maladie, il arrive que les enfants, et éventuellement le conjoint, ne
soient pas disposés à accepter la moindre réorganisation des rôles et des échanges. Ainsi, certains membres de la
famille, cherchant à diminuer l'impact de l'événement constitué par la maladie, tendent à considérer celui-ci comme
un accident purement transitoire. D'autres nient carrément son existence et demandent au malade d'assumer son
rôle parental comme il le faisait auparavant, sans tenir compte des limitations physiques, de la fatigue ou de la
souffrance que la maladie a introduites. Les enfants sollicitent alors les parents avec une insistance qui est à la
mesure de l'angoisse qu'ils éprouvent à l'égard de ce qui est en train d'arriver à leur père ou leur mère. Ils cherchent
ainsi à exclure de la vie familiale l'expérience de la maladie. En pareil cas, l'on observe une certaine hostilité envers
le malade, surtout lorsque celui-ci ne parvient pas à répondre aux attentes que les membres de la famille manifestent
habituellement à son égard.
Ainsi, dans la famille Berlioz, lorsque le père, affligé d'une insuffisance respiratoire chronique, doit s'allonger parce
qu'il a de la peine à respirer, ses deux enfants de douze et quinze ans viennent le solliciter pour un bricolage.
Monsieur Berlioz, fâché contre sa maladie, soucieux de donner de lui-même une image de père attentionné, se lève
pour exécuter le travail demandé. Il est pâle, sa respiration est difficile. Le spectateur est pris d'envie de mettre ce
père au lit au plus vite. Mais il n'en est rien : la mère à la cuisine et les deux enfants sont pris d'une sorte de cécité et
de surdité, et discutent avec le père, qui parle à peine, à bout de souffle, comme si de rien n'était.
7.2. La réparation du parent malade ou la parentification de l'enfant.
Cependant, s'il arrive que certains enfants soumettent à leurs parents une série de requêtes inopportunes, le plus
souvent, et quel que soit leur âge, les enfants réagissent à la maladie par un ensemble de comportements qui visent,
de façon plus ou moins explicite, à la « réparation » de l'adulte malade. Le tissu des échanges intersubjectifs de ces
familles dont un parent est gravement malade comporte alors un esprit de service et d'abnégation qui peut s'élever,
quelquefois, jusqu'à l'acte d'héroïsme. Dans un compte-rendu de l'analyse de ses patients, Miller (1980) décrit
l'attitude d'enfants qui, particulièrement sensibles à la blessure narcissique ou corporelle de leur parent, se sentent
obligés de réparer celui-ci, tout en percevant que, dans la situation où ils se trouvent, ils ne peuvent rien demander
pour eux-mêmes. En développant une telle attitude, le sujet ne se rend pas compte qu'il peut être utilisé par ses
parents.
Il arrive en effet que les gestes réparateurs que l'enfant prodigue répondent en fait à un acte de délégation du parent
qui cherche à exploiter les ressources par lesquelles l'enfant pourrait contribuer à garantir sa propre survie
psychologique. Ces phénomènes de délégation, qui ont été mis en évidence par Stierlin (1978), se réfèrent ainsi au
fait que l'enfant, sensible aux signaux qui reflètent les expectatives, les craintes, les souhaits et les fantasmes de ses
parents, se résout, de façon généralement tacite, à endosser un rôle de 16 missionnaire. En exécutant sa mission,
qu'il vit comme nécessaire, et en demeurant loyal à la délégation reçue, l'enfant « délégué » espère combler son
besoin d'être aimé. Par son sacrifice personnel, il assure également ses parents de son adhésion aux valeurs de
solidarité et de soutien mutuel entre les générations. Mais cette finalité, qui n'est ni claire, ni explicite, entretient un
malentendu. Certains parents ont en effet la certitude de s'occuper de la croissance de leurs enfants, mais ils
n'aperçoivent pas que les enfants, à leur tour, s'efforcent de prendre soin d'eux, de les consoler et de restaurer leur
confiance dans le futur.
Souvent, en effet, la signification des comportements réparateurs n'est pas décelée par l'adulte. Le parent, affaibli
par la maladie, peut ne pas être capable d'appréhender ce souci et cet effort de l'enfant. Il arrive aussi, comme nous
l'avons commenté plus haut, que les compétences parentales soient gravement altérées par la maladie et que les
parents se trouvent dans une situation de régression narcissique profonde. Ils se présentent alors à la manière de ce
que Diatkine (1979) nommerait des « parents sans qualité », qui sont entièrement préoccupés par leur maladie et par
leur condition précaire, et qui se montrent très peu disponibles à l'égard de leurs enfants. C'est alors tout l'univers
intérieur de l'enfant qui se trouve abandonné à lui-même, déserté par l'attention du parent et secoué par un flot
d'émotions contradictoires.
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MALADIE ET COMPETENCE PARENTALE
La méconnaissance des actes réparateurs de l'enfant est en effet lourde de répercussions néfastes. Certes, les
émotions négatives qui surgissent lorsque les échanges entre parents et enfants ne sont pas reconnus peuvent ne
pas être graves si elles sont passagères ; elles font alors partie des expériences que l'enfant est un jour ou l'autre
amené à faire au cours de sa croissance. Cependant, si la perte de réciprocité et le blocage des échanges
intersubjectifs persistent dans le temps, le développement psychique et physique de l'enfant peut s'en trouver
compromis. Animé d'un obscur et profond sentiment d'injustice, le mineur réagira alors avec colère, dépression ou
résignation, en continuant néanmoins souvent à assumer des comportements d'aide et de soutien vis-à-vis de son
parent. Miller soutient que de tels enfants risquent de développer un « faux self », qui ne se constitue et ne se
renforce que dans l'activité réparatrice. La modalité selon laquelle la maladie s'inscrit dans la famille engendre ainsi
un équilibre destructeur dans lequel le mineur se sent peu apprécié et inefficient, et le malade, anxieux, isolé et
paradoxalement non soutenu.
Dans le cas de la famille Rossini, l'un des facteurs qui exerça une fonction pathogène sur le développement des
enfants fut précisément ce double processus de la réparation et de sa méconnaissance. De fait, la crainte que les
enfants éprouvèrent de perdre leur mère, ainsi que les sacrifices auxquels ils durent consentir en raison de sa
maladie, ne furent jamais reconnus comme tels. Même après la guérison de leur mère, leurs craintes relatives à la
sécurité physique de celle-ci persistèrent, mais ne furent pas suffisamment élaborées. La crainte de la mort, ainsi
déniée, suscita chez eux des comportement finalisés à la réparation. Mais la réparation ne fut pas acquittée et ces
comportements, à long terme, se révélèrent destructeurs, tout en exprimant rage et vengeance. Il aurait fallu que ce
schème interactif soit reconnu, c'est-àdire quittancé par les partenaires, pour qu'il puisse être désactivé et permettre
ainsi l'émergence d'autres schèmes de comportement qui auraient davantage protégé les enfants et auraient moins
porté préjudice à leur développement.
Dans ce chapitre où nous traitons de la réponse complexe et différenciée des enfants à la maladie de leur parent, il
importe que nous considérions encore le rôle que joue le facteur « âge », ainsi que le moment du cycle vital où se
situe, pour chacun, l'émergence de la maladie.
7.3. La relation entre les phases du développement de l'enfant et le type de réaction à la maladie du parent.
Les enfants répondent à la maladie de leur parent d'une façon qui varie en fonction de leur âge et qui correspond à
la fois aux ressources et aux vulnérabilités qui sont propres à leur phase de maturation.
Les nourrissons et les petits enfants qui vivent dans un climat familial surchargé par une maladie parentale qui ne
parvient pas à être gérée de façon suffisamment équilibrée réagissent par des manifestations psychosomatiques ou
par des troubles du comportement qui témoignent d'une perturbation de leur lien d'attachement (M.-O.
Goubier-Boula, 1994 et chap. 14). Ces symptômes peuvent contribuer en retour à surcharger le parent et à aggraver
encore la menace de mort qui pèse sur la famille.
Pendant la période de latence des enfants, la maladie d'un parent peut empêcher les processus normaux
d'apprentissage et se répercuter sur les résultats scolaires. Quand de telles difficultés sont formulées par le parent
malade au médecin, celui-ci devrait percevoir cette confidence comme un signal d'alerte, lui donner un sens et
encourager le parent à prendre des mesures. Les mauvais résultats scolaires, bien qu'ils soient attribués à la
paresse et au manque de volonté, traduisent en effet souvent une souffrance psychologique importante, qui est faite
de découragement et de perte d'estime de soi, mais qui peut rester incomprise.
Les adolescents, pour leur part, sont avant tout exposés au risque qu'un blocage se produise dans le cours de leur
processus d'émancipation, dans la mesure où les séparations risquent de ne pas être négociables dans les familles
où un parent est gravement malade. Un tel blocage peut se manifester au travers de troubles du comportement ou
par un déséquilibre psychiatrique, en particulier si le parent est lui-même atteint d'une maladie mentale.
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L'individuation et la séparation de l'adolescent ne sont en fait possibles que si ces comportements de réparation et
l'ensemble des attentions dont il témoigne sont reconnus par ses parents. La croissance des enfants, comme de
tous les membres de la famille, dépend en effet du sentiment que chacun a d'avoir suffisamment répondu aux
attentes de la génération qui précède. Sans une telle reconnaissance de ce qui a été fait, les enfants peuvent
présenter des 18 formes dépressives qui ne seront pas comprises par les parents et encore moins traitées par les
médecins.
Si nous reprenons le cas de la famille Rossini, nous pouvons constater que c'est à l'âge de l'adolescence,
c'est-à-dire au cours de la période durant laquelle se joue le processus délicat de l'émancipation des enfants, que les
difficultés de Claudio et d'Elisa ont éclaté de la façon la plus manifeste. C'est également durant cette phase évolutive
spécifique que la famille a accepté d'entrer en traitement. En cours de thérapie, nous avons justement pu observer
que chaque membre de la famille mettait en scène des émotions qui étaient de l'ordre de l'attachement et,
simultanément, de la peur face à l'exigence de transformation. L'angoisse que les enfants avaient ressentie devant la
possibilité de la mort de leur mère, ainsi que les conduites réparatrices que cette angoisse avait suscitées, avaient
en effet laissé en suspens, dans l'histoire de leur famille, un échange déséquilibré de dettes et de mérites
(Boszormenyi-Nagy, 1986). Celui-ci avait paradoxalement nourri chez les enfants aussi bien un sentiment d'injustice
et des désirs de vengeance qu'une obscure culpabilité, que la crainte persistante d'un nouveau coup mortel du destin
contribuait encore à aiguiser. Mais surtout, l'apparition de comportements rebelles de la part des deux enfants peut
être comprise comme une réponse à la désillusion et au sentiment d'injustice éprouvés face au comportement de
Madame Rossini après sa guérison. En effet, ce comportement a été vécu comme étant indûment autoritaire, au lieu
d'être reconnaissant. D'autre part, le comportement du père n'a guère été plus apprécié : son attitude a été perçue
comme une traîtrise, non pas tant parce qu'il déconsidérait sa femme que parce qu'il demeurait incapable d'assumer
une attitude cohérente de contrôle vis-à-vis de la violence qu'elle exerçait.
L'expérience clinique montre que ce désir de vengeance détermine des comportement extrêmement répétitifs et
rigides, qui rendent la prise en charge ardue et les résultats thérapeutiques quelquefois décevants. Si le médecin qui
avait assuré le suivi de Madame Rossini avait pris conscience de la tournure néfaste que la vie familiale prenait
progressivement lors de la maladie de la mère, et s'il avait pu référer la famille à un thérapeute à cette époque, et
non bien des années plus tard, lorsque les enfants étaient déjà manifestement en détresse, sans doute l'évolution de
chacun eût-elle pu s'articuler avec moins de souffrances. Mais il se fait que, pendant la maladie, le lien du médecin à
la famille fut essentiellement finalisé par la lutte contre le cancer. Le médecin a créé une relation empathique qui lui a
permis d'être à l'écoute des besoins de la mère et de la protéger des requêtes des enfants, qu'il jugeait excessives.
Mais il se peut qu'il ait favorisé, par le fait même, l'isolement de la mère.
7.4. Que deviennent les mineurs dont un parent souffre d'une maladie chronique ?
En commentant la façon dont la maladie peut rendre les liens parentaux problématiques, nous avons mis l'accent
jusqu'ici sur les réactions actuelles en montrant comment l'émergence ou la persistance d'une maladie pouvait
altérer et la fonction parentale et le développement des enfants. Il convient, pour terminer, de se situer dans la
perspective de l'enfant lui-même et de se demander ce que deviennent les mineurs dont un parent est malade et
souffre, en particulier, d'une maladie chronique dont l'évolution est lente et non fatale.
Certains de ces enfants présentent une attitude hypermûre. Ils réussissent bien à l'école, sont actifs et serviables à
la maison, n'investissent que peu d'énergie à l'extérieur de la famille. Ils semblent adaptés, sérieux, équilibrés et
matures. Il est parfois surprenant d'entendre avec quelle lucidité des jeunes peuvent relater des crises douloureuses
du parent, les menaces de suicide qu'il profère, ou ses cris, son abus d'alcool et sa violence quand il est poussé à
bout par la douleur et le désespoir.
Les angoisses et les inquiétudes d'un certain nombre d'enfants sont énormes ; parmi eux, beaucoup apprennent non
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MALADIE ET COMPETENCE PARENTALE
seulement à réparer les parents, mais encore à contrôler leurs propres émotions. C'est leur manière de tolérer
l'incertitude, la tension et la peur ; ils n'attendent pas de consolation ou de réassurance de la part du parent malade,
ni de la part de l'autre. Il affirment souvent être troublés par l'absence de diagnostic clair, comme si le fait de pouvoir
mettre un nom à l'origine de la douleur pouvait avoir un effet apaisant.
Ainsi, définir le diagnostic et le transmettre à la famille et aux enfants permet une meilleure adaptation de ces
derniers à la maladie du parent et diminue leur sentiment d'en être responsables. C'est ce sentiment de
responsabilité, habituellement aggravé par des informations peu claires sur la nature de la maladie, qui surcharge
par trop les enfants d'un point de vue psychologique et qui les rends hyperadaptés. L'hyperadaptation n'est certes
pas le seul type de réaction à la maladie. La maladie d'un parent peut constituer pour l'enfant un événement
traumatique ayant un impact sur sa vie future qui sera d'autant plus grave que l'enfant sera fragile et démuni de
soutien de la part d'adultes protecteurs. Comme tout événement traumatique qui se répète dans la durée, il peut
contribuer à accentuer la vulnérabilité de l'enfant.
8. Conclusion.
Nous avons vu que la maladie, en venant troubler l'équilibre de la famille, enjoint à ses membres de transformer, de
façon provisoire ou durable, leur rôle et leurs fonctions, et qu'elle contribue parfois à bloquer leurs attentes, leurs
espoirs et leurs projets de vie. Nous avons montré, dans cette même ligne, comment la nature de la relation et
l'image que chacun des membres se construit de lui-même et de sa famille peuvent subir une transformation
profonde. Nous avons souligné, en particulier, que la nature des relations change en fonction de l'insécurité et de la
menace qui planent sur la permanence des liens et qui risquent d'altérer la possibilité d'exercer des responsabilités.
Pour rester fécondes, les relations familiales doivent créer sans cesse un espace d'échange où prédominent les
sentiments de sécurité, d'attachement, d'appartenance, de permanence. Il s'agit d'un espace dans lequel des idées,
des réalisations peuvent émerger et être reconnues, et où les potentiels individuels de chacun de ses membres
peuvent se développer. Or, au moment de l'émergence de maladies, ou lorsque celles-ci deviennent chroniques ou
invalidantes, cet espace, dans certaines familles, se trouve radicalement menacé par l'invasion de pensées, de
préoccupations et de gestes qui tournent autour de la maladie elle-même Cette dernière en vient à se constituer
comme une chose vivante, comme un membre supplémentaire, tyrannique et envahissant du système familial.
Si nous avons essayé de montrer de quelle manière un événement morbide contribue à altérer les compétences
parentales du patient, c'est que nous avons pris le parti d'une éthique qui met au premier plan l'intérêt supérieur de
l'enfant. Nous avons ainsi espéré que le débat autour de la maladie tienne compte, certes, du besoin d'être soigné,
mais aussi des responsabilités du malade. Il s'agit de responsabilités dont il est investi non seulement vis-à-vis de
lui-même, mais aussi à l'égard de ses proches et, a fortiori, des mineurs dont il a la charge. Le droit à être soigné
n'autorise en aucune mesure à négliger ou à exploiter les attitudes réparatrices de l'enfant, et encore moins à
maltraiter celui-ci et à lui faire violence.
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