REVUE DE NEUROPSYCHOLOGIE
NEUROSCIENCES COGNITIVES ET CLINIQUES
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Article de synthèse
Sommeil et mémoire chez l’enfant et l’adolescent
L’enfance est une période caractérisée par une plasticité
cérébrale et comportementale extraordinaire, permettant
l’acquisition d’une quantité très importante d’informations.
Par ailleurs, le sommeil de l’enfant contient une très grande
quantité de sommeil lent profond, qui décroît ensuite rapi-
dement à l’âge adulte. Plus précisément, à la naissance et
durant le premier mois de vie, l’on distingue deux types de
sommeil : le sommeil calme et le sommeil agité, se suc-
cédant en cycles d’environ une heure. Progressivement, le
rythme jour-nuit de 24heures s’instaure sous l’influence de
la lumière du jour et des stimulations de l’entourage et les
caractéristiques de la structure du sommeil de l’adulte se
mettent en place. Vers l’âge de 8 semaines apparaissent les
premières ébauches de fuseaux de sommeil. Chez l’enfant
entre 6 mois et 4 ans, le temps de sommeil diurne dimi-
nue tandis que le sommeil profond devient de plus en plus
important la nuit. La durée des cycles de sommeil s’allonge
progressivement pour atteindre les 90 minutes de l’adulte.
Vers 6 mois apparaissent les premiers complexes K. Entre
4 et 12 ans, le temps total de sommeil diminue avec la
disparition de la sieste. C’est une période où l’enfant est
généralement très bon dormeur la nuit, avec un sommeil
très profond, et très vigilant dans la journée. Le sommeil de
l’adolescent est sous l’influence des contraintes scolaires
et sociales. À cette période, on assiste souvent à un dés-
équilibre entre les besoins physiologiques en sommeil et
la quantité réelle de sommeil qui aboutit à une privation
chronique de sommeil et une somnolence au cours de la
journée.
Quelques études se sont intéressées aux liens entre
sommeil et apprentissage/mémoire chez l’enfant, certaines
d’entre elles montrant des résultats opposés à ceux classi-
quement rapportés chez l’adulte.
Dans une étude réalisée chez des enfants de6à8ans,
Wilhelm et al. [15] ont étudié la consolidation en mémoire
procédurale, au moyen d’une épreuve de finger tapping
(consistant à reproduire des séquences avec les doigts), et
en mémoire épisodique par le biais d’une tâche consis-
tant à mémoriser des objets dessinés sur des cartes et leur
localisation ainsi qu’une tâche d’apprentissage de paires de
mots. Pour les épreuves de mémoire épisodique, les perfor-
mances des enfants sont significativement meilleures après
un intervalle de rétention dominé par du sommeil, comparé
à une période équivalente de veille diurne. Il n’existe
en revanche aucune corrélation entre l’amélioration des
performances au cours de la nuit et les stades de som-
meil. De manière surprenante, et contrairement à ce qui
est classiquement observé chez l’adulte, l’amélioration des
performances à l’épreuve de finger tapping est plus impor-
tante après une période de veille qu’après une période
de sommeil, suggérant qu’au cours du développement des
aspects majeurs de la consolidation en mémoire procédu-
rale ont lieu à l’éveil (figure 2). Dans la même veine, Fischer
et al. [16] rapportent, dans une étude réalisée chez des
enfants de7à11ans, une détérioration des performances
lors de l’apprentissage implicite de séquences (tâche de
temps de réaction sériel) au cours du sommeil chez l’enfant.
Toutefois, l’absence d’amélioration des performances après
une nuit de sommeil n’exclut pas nécessairement un effet
bénéfique du sommeil sur le long terme. En effet, chez de
jeunes oiseaux (diamant mandarin ou zebra finch) appre-
nant leur chant, les performances diminuent après les
premiers épisodes de sommeil. Cependant, les oiseaux qui
présentent la détérioration la plus importante des perfor-
mances en début d’apprentissage parviennent, à l’issue
des trois mois de suivi, à la meilleure imitation de chant
[17]. Selon les auteurs, la réactivation des représenta-
tions du chant au cours du sommeil va, en l’absence
de feedback sensoriel, rendre ces représentations fragiles
mais potentiellement plus malléables. Ainsi, lors des ses-
sions d’entraînement suivantes, les représentations du chant
ne seraient pas encore trop figées, offrant d’importantes
possibilités de «remodelage », d’ajustement de ce compor-
tement. L’ensemble de ces données [16, 17] suggère d’une
part que certains aspects de la consolidation des appren-
tissages implicites ont préférentiellement lieu à l’éveil chez
l’enfant, et d’autre part que la consolidation mnésique n’est
pas achevée à l’issue de la première nuit post-apprentissage.
Backhaus et al. [18] montrent, quant à eux, une
amélioration des performances en mémoire épisodique
uniquement après une période de sommeil, qu’elle sur-
vienne juste après l’apprentissage ou de manière différée.
Par ailleurs, les performances mnésiques des enfants (âgés
de9à12ans) sont positivement corrélées à la quantité de
sommeil NREM (stades 2, 3 et 4), mais négativement à la
quantité de sommeil paradoxal, soulignant, comme chez
l’adulte, le rôle du sommeil lent dans la consolidation en
mémoire épisodique. Un effet bénéfique comparable du
sommeil a également été observé lors de la consolidation
d’images à valence émotionnelle [19] et chez des adoles-
centes lors d’une tâche d’apprentissage de vocabulaire [20]
(figure 2).
Pour résumer, le sommeil chez l’enfant favorise la
consolidation en mémoire épisodique. Cet effet semble
lié à la quantité très importante de sommeil lent durant
cette période. En revanche, contrairement aux adultes, les
enfants ne montrent pas de gain de performances au cours
du sommeil pour des tâches procédurales ou implicites.
Ce résultat est tout à fait surprenant dans la mesure où
les structures neuro-anatomiques sous-tendant ces types
d’apprentissages sont matures bien avant celles impliquées
dans la mémoire déclarative/épisodique. Ces résultats
suggèrent que des aspects de la consolidation en mémoire
procédurale et implicite ont lieu préférentiellement à l’éveil
chez l’enfant.
Sommeil et mémoire au cours du vieillissement
Au cours du vieillissement, plusieurs modifications
physiologiques concernant le sommeil, le fonctionnement,
la neurochimie et l’anatomie du cerveau peuvent avoir un
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