abc pratique quotidienne Ann Biol Clin 2005 ; 63 (3) : 326-8 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Une valeur de troponine I cardiaque particulièrement élevée C. Corne1 M. Durand2 S. Vergnaud3 J.-C. Renversez1 C. Lebrun1 1 Département de biologie integrée, <[email protected]> 2 Unité de réanimation cardiovasculaire et thoracique, 3 Laboratoire d’enzymologie, CHU Michallon, Grenoble Résumé. La troponine I cardiaque (TnIc) est un marqueur très sensible et spécifique des lésions cardiaques. Nous rapportons ici un cas clinique d’augmentation particulièrement importante et brutale de la troponine au décours d’un infarctus du myocarde. Un homme de 64 ans est hospitalisé pour un infarctus majeur du myocarde avec une nécrose cardiaque extensive et une cytolyse importante. Le dosage de troponine était normal à l’admission du patient. La reperfusion des coronaires par angioplastie a entraîné une libération massive de la troponine Ic dans la circulation sanguine : le dosage réalisé 10 heures après le début des symptômes nous a montré une concentration exceptionnelle de TnIc supérieure à 4 000 lg/L (valeur seuil à 1,5 lg/L). Cette valeur est probablement la plus élevée rapportée dans la littérature à ce jour. Mots clés : troponine I cardiaque, valeur élevée, infarctus du myocarde, reperfusion Abstract. Cardiac troponin I (TnIc) is a very sensitive and also a specific marker of myocardial injuries. We report here, the clinical case of a patient with a particularly important and brutal increase of the troponin during a myocardial infarction. A 64-year-old man was admitted to hospital. He had a myocardial infarction associated to a cardiac necrosis and important cytolysis. The troponin assay was normal when the patient was hospitalized. The angioplasty coronary reperfusion brought about a massive troponin Ic release in systemic circulation: the assay made 10 hours after the appearance of the symptoms shows us an exceptionnal TnIc concentration that is greater than 4000 lg/L (baseline : 1,5 lg/L). This might be the highest value ever reported. Article reçu le 11 août 2003, accepté le 28 janvier 2005 Key words: cardiac troponin I, high value, myocardial infarction, reperfusion La troponine est un complexe protéique qui régule la contraction musculaire. Parmi ses 3 sous-unités (I, T, C), les isoformes cardiaques de I et T sont des marqueurs hautement spécifiques d’une nécrose myocardique [1]. La valeur seuil pour le diagnostic des patients atteints d’un infarctus du myocarde est déterminée à 1,5 lg/L. La zone de stratification du risque comprise entre 0,15 (sensibilité fonctionnelle) et 1,5 lg/L apporte une information diagnostique et pronostique chez les patients hospitalisés pour angor instable sans onde Q à l’ECG [2]. L’absence actuelle de standardisation du dosage de la troponine Ic exige de bien connaître les seuils décisionnels propres à chaque système [3]. Nous rapportons ici un cas clinique d’un patient admis pour infarctus du myocarde (IDM) et pour lequel les résultats biologiques sont inhabituels. 326 L’observation Le patient, âgé de 64 ans, a comme facteur de risque cardiovasculaire un tabagisme actif et des antécédents familiaux d’IDM. À son domicile, il présente à partir de 10 heures, une douleur épigastrique persistante. Le médecin traitant, appelé sur place, confirme l’IDM à 14 heures. À l’électrocardiogramme, il existe un sus décalage du segment ST en D1, aVL, V2 et V3 et un sous décalage du segment ST en latéral. Le patient est alors pris en charge par le Samu. Il présente des signes de choc cardiogénique. Devant l’aggravation de son état, une fibrinolyse est débutée. Durant le transfert à l’hôpital, le patient présente une crise convulsive spontanément résolutive et une majoration de l’instabilité hémodynamique. À l’arrivée à l’hôpital, il est admis directement en salle d’angiographie. Le Ann Biol Clin, vol. 63, n° 3, mai-juin 2005 Troponine cardiaque Tableau 1. Cinétique des marqueurs mesurés chez le patient. Marqueur TnIc CK Index relatif MB/CK totales AST ALT Myoglobine Valeurs usuelles < 0,1 µg/L < 180 UI/L 0,1-5 % 10-42 UI/L 8-48 UI/L 1-100 µg/L H8 0,5 µg/L 92 UI/L 159 UI/L 214 UI/L 810 µg/L H10 4 471 µg/L 10 374 UI/L 25 % 1 139 UI/L 958 UI/L Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. H0 : début des signes cliniques. choc cardiogénique est alors majeur. Un arrêt cardiorespiratoire nécessite une intubation trachéale, un massage cardiaque externe ainsi que la pose d’une contrepulsion aortique. La coronarographie objective une thrombose du tronc coronaire gauche, avec rethrombose en post-dilatation. Au total, 5 stents sont posés pour obtenir une revascularisation satisfaisante. Le patient est transféré en réanimation. L’état de choc persiste avec une fonction d’éjection ventriculaire gauche inférieure à 10 % malgré une stimulation inotrope maximale. Le patient est inconscient. Le bilan biochimique de 18 h 40, plus de 8 heures après le début des signes, met en évidence une myoglobine élevée (810 lg/L) mais les CK sont normales (92 UI/L). Le dosage de TnIc est égal à 0,5 lg/L. À 20 h 30, le bilan biochimique est très perturbé avec une acidose métabolique majeure : pH = 6,98 et lactates : 24,4 mmol/L (référence laboratoire : 0,63-2,44 mmol/l). La concentration de TnIc est exceptionnelle : 4 471 lg/l. En parallèle, la concentration en CK atteint 9 205 UI/L avec un index relatif MB/total égal à 25 % (tableau 1). L’évolution hémodynamique est rapidement défavorable et conduit au décès du patient à 22 h 30. Le point de vue du clinicien et du biologiste Devant un diagnostic d’infarctus du myocarde établi avec anomalies électrocardiographiques évidentes (susdécalage du segment ST), la place de la biologie est secondaire. Cependant, la mesure de la troponine a une valeur pronostique certaine [4]. Dans ce cas clinique, la cinétique de la troponine ainsi que la valeur très élevée sont inhabituelles. À notre connaissance, un seul cas de troponine I de niveau comparable a été rapporté dans la littérature avec un pic à 2 847 lg/L [5]. La cinétique habituelle de libération de la troponine Ic au cours de l’infarctus du myocarde est une élévation précoce vers la 4e heure (stock cytosolique) suivie d’un second pic pouvant survenir vers la 18e heure : elle est due à la lyse de l’appareil contractile, témoin de la nécrose irréversible [6]. Cette cinétique de relargage est d’autant plus imporAnn Biol Clin, vol. 63, n° 3, mai-juin 2005 tante que la reperfusion des coronaires est efficace et l’élévation de la troponine est considérée comme le témoin de la reperfusion [7]. Dans notre observation, il existe un retard observé de libération de la troponine. La valeur est encore faible 8 heures après le début des signes cliniques. De même, le dosage des CK ne montre pas d’élévation. Ceci pourrait s’expliquer par l’occlusion complète du tronc coronaire gauche. Deux heures après ce premier bilan biologique, une concentration exceptionnelle de troponine Ic est alors observée (4 471 lg/L). La fiche technique du laboratoire ne décrit aucune interférence analytique qui pourrait expliquer des taux élevés de troponine (phosphatases alcalines, facteur rhumatoïde et anticorps hétérophiles). Sur le plan biologique, ce résultat peut s’expliquer par une nécrose cardiaque importante et extensive (IDM antérolatéral étendu) avec cytolyse majeure (AST : 1 924 UI/L et ALT : 943 UI/L) qui a entraîné une libération massive des troponines cytosoliques et structurales, expliquant la dysfonction majeure du ventricule gauche. Le dosage de CK-MB confirme le diagnostic. Comme nous l’avons vu précédemment, la limitation du flux sanguin dans les artères coronaires a probablement entraîné une accumulation des marqueurs de souffrance cardiaque. L’angioplastie a alors permis une reperfusion brutale de la zone de nécrose cardiaque, avec un phénomène de relargage important des troponines dans la circulation sanguine [8]. Ce phénomène a pu être exacerbé par une insuffisance rénale anurique. Cependant, la cinétique et la voie d’élimination de la troponine Ic ne sont pas bien connues et le rôle du rein n’est pas documenté [9]. Le dosage sanguin de la troponine Ic est réalisé dans notre laboratoire 24 heures /24 sur l’automate Advia Centaur® (Bayer Diagnostics). Le principe analytique de chimiluminescence à l’ester d’acridinium associé à l’utilisation d’anticorps confère à ce dosage de type « sandwich » une grande spécificité et sensibilité [10]. La molécule de troponine Ic est constituée de 206 AA. La région la plus stable se trouve entre les AA 30 et 110. Les AA 1-31 sont les plus cardiospécifiques. La structure du test est la suivante : 327 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. pratique quotidienne – la phase solide est constituée de particules paramagnétiques auxquelles sont liés deux anticorps monoclonaux de souris qui permettent d’optimiser la stabilité du dosage tout en garantissant la cardiospécificité. L’un des anticorps est dirigé contre la région stable (entre les AA 70 et 110) de la troponine Ic. Le deuxième anticorps monoclonal est dirigé contre l’épitope P2 de la région cardiospécifique, entre les AA 11 et 26. Le test Bayer reconnaît de façon équimolaire les formes de TnIc libres et TnIc complexées [11]. Il a été montré que la majeure partie de la TnIc est libérée sous la forme d’un complexe avec la troponine C cardiaque [12] ; – le traceur est constitué d’un anticorps polyclonal de chèvre marqué à l’ester d’acridinium. Il est dirigé contre l’épitope P3 de la région cardiospécifique entre les AA 27 et 40. Ce dosage ne comporte aucune interférence avec la troponine I musculaire et la troponine T. Le domaine de mesure est compris entre 0,15 et 50 lg/L. Un effet crochet est mis en évidence pour une concentration en troponine I cardiaque supérieure à 1 000 lg/L. Des dilutions au 1/5e, 1/10e et 1/100e sont possibles selon un mode automatique pour des valeurs initiales supérieures à 50 lg/L. Les dilutions effectuées ainsi ont permis d’éliminer la possibilité d’un résultat faux négatif. La sensibilité des immunodosages des troponines I ou T et leur grande cardiospécificité offrent au clinicien un outil précieux pour le diagnostic et le suivi des atteintes du muscle cardiaque. Il est reconnu aujourd’hui que l’importance du risque coronarien est proportionnelle à l’élévation des troponines. Il existe pour les marqueurs cardiaques deux seuils diagnostiques : le premier définit la valeur seuil d’une population de référence indemne de pathologie cardiaque ; le deuxième est un seuil décisionnel de l’IDM. Ils sont propres à chaque technique de dosage. Cependant, ce cas montre qu’aucune limite maximale ne peut être déterminée. 328 Références 1. Lefèvre G. Les troponines : aspects biologiques et cliniques. Ann Biol Clin 2000 ; 1 : 39-48. 2. Laperche T. Intérêt de la stratification du risque cardiovasculaire chez le patient coronarien. Spectra Biol 2002 ; 126 : 51-3. 3. Morrow DA, Rifai N, Tanasijevic MJ, Wybenga DR, deLemos JA, Antman EM. Clinical efficacy of three assays for cardiac troponin I for risk stratification in acute coronary syndromes : a thrombolysis in myocardial infarction. Clin Chem 2000 ; 46 : 453-60. 4. Ohman EM, Armstrong PW, Christenson RH, et al. Cardiac troponin T levels for risk stratification in acute myocardial ischemia. Gusto IIA Investigators. N Engl J Med 1996 ; 31 : 1333-41. 5. Laterza OF, Nayer H, Jo Bill M, Sokoll LJ. Unusually high concentrations of cTnI and cTnT in a patient with catastrophic antiphospholipid antibody syndrome. Clin Chim Acta 2003 ; 337 : 173-6. 6. Bertinchant JP, Polge A. Troponines : nouveaux marqueurs biochimiques de la souffrance myocardique. Arch Mal Coeur Vaiss 1999 ; 12 : 1773-9. 7. Tanasijevic MJ, Cannon CP, Antman EM, et al. Myoglobin, creatinekinase-MB and cardiac troponin-I 60-minute ratios predict infarctrelated artery patency after thrombolysis for acute myocardial infarction : results from the Thrombolysis in Myocardial Infarction study (TIMI) 10B. J Am Coll Cardiol 1999 ; 34 : 739-47. 8. Lavoinne A. Marqueurs de la reperfusion du myocarde : de la CK-MB aux troponines cardiaques. Option/Bio 1998 ; 211-212 (Suppl.) : 10–2. 9. Collinson PO, Boa FG, Gaze DC. Measurement of cardiac troponins. Ann Clin Biochem 2001 ; 38 : 423-49. 10. Oh SK, Foster K, Datta P, et al. Use of a dual monoclonal solid phase and a polyclonal detector to create an immunoassay for the detection of human cardiac Troponin I. Clin Biochem 2000 ; 4 : 255-62. 11. Datta P, Foster K, Dasgupta A. Comparison of immunoreactivity of five human cardiac Troponin I assays toward free and complexed forms of the antigen : implications for assay discordance. Clin Chem 1999 ; 45 : 2266-9. 12. Katrukha AG, Bereznikova AV, Esakova TV, et al. Troponin I is released in bloodstream of patients with acute myocardial infarction not in free form but as complex. Clin Chem 1997 ; 43 : 1379-85. Ann Biol Clin, vol. 63, n° 3, mai-juin 2005