pratique quotidienne Une valeur de troponine I cardiaque

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pratique quotidienne
Ann Biol Clin 2005 ; 63 (3) : 326-8
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Une valeur de troponine I cardiaque
particulièrement élevée
C. Corne1
M. Durand2
S. Vergnaud3
J.-C. Renversez1
C. Lebrun1
1
Département de biologie integrée,
<[email protected]>
2
Unité de réanimation cardiovasculaire
et thoracique,
3
Laboratoire d’enzymologie,
CHU Michallon, Grenoble
Résumé. La troponine I cardiaque (TnIc) est un marqueur très sensible et
spécifique des lésions cardiaques. Nous rapportons ici un cas clinique d’augmentation particulièrement importante et brutale de la troponine au décours
d’un infarctus du myocarde. Un homme de 64 ans est hospitalisé pour un
infarctus majeur du myocarde avec une nécrose cardiaque extensive et une
cytolyse importante. Le dosage de troponine était normal à l’admission du
patient. La reperfusion des coronaires par angioplastie a entraîné une libération
massive de la troponine Ic dans la circulation sanguine : le dosage réalisé
10 heures après le début des symptômes nous a montré une concentration
exceptionnelle de TnIc supérieure à 4 000 lg/L (valeur seuil à 1,5 lg/L). Cette
valeur est probablement la plus élevée rapportée dans la littérature à ce jour.
Mots clés : troponine I cardiaque, valeur élevée, infarctus du myocarde,
reperfusion
Abstract. Cardiac troponin I (TnIc) is a very sensitive and also a specific
marker of myocardial injuries. We report here, the clinical case of a patient
with a particularly important and brutal increase of the troponin during a
myocardial infarction. A 64-year-old man was admitted to hospital. He had a
myocardial infarction associated to a cardiac necrosis and important cytolysis.
The troponin assay was normal when the patient was hospitalized. The angioplasty coronary reperfusion brought about a massive troponin Ic release in
systemic circulation: the assay made 10 hours after the appearance of the
symptoms shows us an exceptionnal TnIc concentration that is greater than
4000 lg/L (baseline : 1,5 lg/L). This might be the highest value ever reported.
Article reçu le 11 août 2003,
accepté le 28 janvier 2005
Key words: cardiac troponin I, high value, myocardial infarction, reperfusion
La troponine est un complexe protéique qui régule la
contraction musculaire. Parmi ses 3 sous-unités (I, T, C),
les isoformes cardiaques de I et T sont des marqueurs
hautement spécifiques d’une nécrose myocardique [1].
La valeur seuil pour le diagnostic des patients atteints d’un
infarctus du myocarde est déterminée à 1,5 lg/L. La zone
de stratification du risque comprise entre 0,15 (sensibilité
fonctionnelle) et 1,5 lg/L apporte une information diagnostique et pronostique chez les patients hospitalisés
pour angor instable sans onde Q à l’ECG [2]. L’absence
actuelle de standardisation du dosage de la troponine Ic
exige de bien connaître les seuils décisionnels propres à
chaque système [3].
Nous rapportons ici un cas clinique d’un patient admis
pour infarctus du myocarde (IDM) et pour lequel les résultats biologiques sont inhabituels.
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L’observation
Le patient, âgé de 64 ans, a comme facteur de risque cardiovasculaire un tabagisme actif et des antécédents familiaux d’IDM. À son domicile, il présente à partir de
10 heures, une douleur épigastrique persistante. Le médecin traitant, appelé sur place, confirme l’IDM à 14 heures.
À l’électrocardiogramme, il existe un sus décalage du segment ST en D1, aVL, V2 et V3 et un sous décalage du
segment ST en latéral. Le patient est alors pris en charge
par le Samu. Il présente des signes de choc cardiogénique.
Devant l’aggravation de son état, une fibrinolyse est débutée. Durant le transfert à l’hôpital, le patient présente une
crise convulsive spontanément résolutive et une majoration de l’instabilité hémodynamique. À l’arrivée à l’hôpital, il est admis directement en salle d’angiographie. Le
Ann Biol Clin, vol. 63, n° 3, mai-juin 2005
Troponine cardiaque
Tableau 1. Cinétique des marqueurs mesurés chez le patient.
Marqueur
TnIc
CK
Index relatif MB/CK totales
AST
ALT
Myoglobine
Valeurs usuelles
< 0,1 µg/L
< 180 UI/L
0,1-5 %
10-42 UI/L
8-48 UI/L
1-100 µg/L
H8
0,5 µg/L
92 UI/L
159 UI/L
214 UI/L
810 µg/L
H10
4 471 µg/L
10 374 UI/L
25 %
1 139 UI/L
958 UI/L
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H0 : début des signes cliniques.
choc cardiogénique est alors majeur. Un arrêt cardiorespiratoire nécessite une intubation trachéale, un massage cardiaque externe ainsi que la pose d’une contrepulsion aortique. La coronarographie objective une thrombose du tronc
coronaire gauche, avec rethrombose en post-dilatation. Au
total, 5 stents sont posés pour obtenir une revascularisation satisfaisante. Le patient est transféré en réanimation.
L’état de choc persiste avec une fonction d’éjection ventriculaire gauche inférieure à 10 % malgré une stimulation
inotrope maximale. Le patient est inconscient. Le bilan
biochimique de 18 h 40, plus de 8 heures après le début
des signes, met en évidence une myoglobine élevée (810
lg/L) mais les CK sont normales (92 UI/L). Le dosage de
TnIc est égal à 0,5 lg/L. À 20 h 30, le bilan biochimique
est très perturbé avec une acidose métabolique majeure :
pH = 6,98 et lactates : 24,4 mmol/L (référence laboratoire : 0,63-2,44 mmol/l). La concentration de TnIc est
exceptionnelle : 4 471 lg/l. En parallèle, la concentration
en CK atteint 9 205 UI/L avec un index relatif MB/total
égal à 25 % (tableau 1). L’évolution hémodynamique est
rapidement défavorable et conduit au décès du patient à
22 h 30.
Le point de vue du clinicien
et du biologiste
Devant un diagnostic d’infarctus du myocarde établi avec
anomalies électrocardiographiques évidentes (susdécalage du segment ST), la place de la biologie est
secondaire. Cependant, la mesure de la troponine a une
valeur pronostique certaine [4]. Dans ce cas clinique, la
cinétique de la troponine ainsi que la valeur très élevée
sont inhabituelles. À notre connaissance, un seul cas de
troponine I de niveau comparable a été rapporté dans la
littérature avec un pic à 2 847 lg/L [5].
La cinétique habituelle de libération de la troponine Ic au
cours de l’infarctus du myocarde est une élévation précoce
vers la 4e heure (stock cytosolique) suivie d’un second pic
pouvant survenir vers la 18e heure : elle est due à la lyse
de l’appareil contractile, témoin de la nécrose irréversible
[6]. Cette cinétique de relargage est d’autant plus imporAnn Biol Clin, vol. 63, n° 3, mai-juin 2005
tante que la reperfusion des coronaires est efficace et l’élévation de la troponine est considérée comme le témoin de
la reperfusion [7].
Dans notre observation, il existe un retard observé de libération de la troponine. La valeur est encore faible 8 heures
après le début des signes cliniques. De même, le dosage
des CK ne montre pas d’élévation. Ceci pourrait s’expliquer par l’occlusion complète du tronc coronaire gauche.
Deux heures après ce premier bilan biologique, une
concentration exceptionnelle de troponine Ic est alors
observée (4 471 lg/L). La fiche technique du laboratoire
ne décrit aucune interférence analytique qui pourrait
expliquer des taux élevés de troponine (phosphatases alcalines, facteur rhumatoïde et anticorps hétérophiles). Sur le
plan biologique, ce résultat peut s’expliquer par une
nécrose cardiaque importante et extensive (IDM antérolatéral étendu) avec cytolyse majeure (AST : 1 924 UI/L
et ALT : 943 UI/L) qui a entraîné une libération massive
des troponines cytosoliques et structurales, expliquant la
dysfonction majeure du ventricule gauche. Le dosage de
CK-MB confirme le diagnostic. Comme nous l’avons vu
précédemment, la limitation du flux sanguin dans les artères coronaires a probablement entraîné une accumulation
des marqueurs de souffrance cardiaque. L’angioplastie a
alors permis une reperfusion brutale de la zone de nécrose
cardiaque, avec un phénomène de relargage important des
troponines dans la circulation sanguine [8]. Ce phénomène a pu être exacerbé par une insuffisance rénale anurique. Cependant, la cinétique et la voie d’élimination de la
troponine Ic ne sont pas bien connues et le rôle du rein
n’est pas documenté [9].
Le dosage sanguin de la troponine Ic est réalisé dans notre
laboratoire 24 heures /24 sur l’automate Advia Centaur®
(Bayer Diagnostics). Le principe analytique de chimiluminescence à l’ester d’acridinium associé à l’utilisation
d’anticorps confère à ce dosage de type « sandwich » une
grande spécificité et sensibilité [10]. La molécule de troponine Ic est constituée de 206 AA. La région la plus
stable se trouve entre les AA 30 et 110. Les AA 1-31 sont
les plus cardiospécifiques. La structure du test est la suivante :
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– la phase solide est constituée de particules paramagnétiques auxquelles sont liés deux anticorps monoclonaux de
souris qui permettent d’optimiser la stabilité du dosage
tout en garantissant la cardiospécificité. L’un des anticorps est dirigé contre la région stable (entre les AA 70 et
110) de la troponine Ic. Le deuxième anticorps monoclonal est dirigé contre l’épitope P2 de la région cardiospécifique, entre les AA 11 et 26. Le test Bayer reconnaît de
façon équimolaire les formes de TnIc libres et TnIc complexées [11]. Il a été montré que la majeure partie de la
TnIc est libérée sous la forme d’un complexe avec la
troponine C cardiaque [12] ;
– le traceur est constitué d’un anticorps polyclonal de chèvre marqué à l’ester d’acridinium. Il est dirigé contre
l’épitope P3 de la région cardiospécifique entre les AA 27
et 40.
Ce dosage ne comporte aucune interférence avec la troponine I musculaire et la troponine T. Le domaine de mesure
est compris entre 0,15 et 50 lg/L. Un effet crochet est mis
en évidence pour une concentration en troponine I cardiaque supérieure à 1 000 lg/L. Des dilutions au 1/5e, 1/10e
et 1/100e sont possibles selon un mode automatique pour
des valeurs initiales supérieures à 50 lg/L. Les dilutions
effectuées ainsi ont permis d’éliminer la possibilité d’un
résultat faux négatif.
La sensibilité des immunodosages des troponines I ou T et
leur grande cardiospécificité offrent au clinicien un outil
précieux pour le diagnostic et le suivi des atteintes du
muscle cardiaque. Il est reconnu aujourd’hui que l’importance du risque coronarien est proportionnelle à l’élévation des troponines. Il existe pour les marqueurs cardiaques deux seuils diagnostiques : le premier définit la
valeur seuil d’une population de référence indemne de
pathologie cardiaque ; le deuxième est un seuil décisionnel de l’IDM. Ils sont propres à chaque technique de
dosage. Cependant, ce cas montre qu’aucune limite maximale ne peut être déterminée.
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