D É C O U V E R T E S Découvertes Les DALIS : un modèle cellulaire non pathologique pour étudier les mécanismes d’agrégation et de désagrégation des protéines défectueuses ● H. Lelouard* es cellules possèdent une machinerie complexe leur permettant de repérer et réparer ou éliminer les protéines défectueuses, qu’elles soient mal traduites, mal repliées, mal assemblées ou tout simplement endommagées (1). Les premiers éléments de ce système de contrôle qualité, les molécules chaperonnes, sont chargés notamment de conformer correctement les protéines en cours de synthèse et d’identifier la forte proportion (estimée au maximum à 30 % de la synthèse protéique totale) de protéines nouvellement synthétisées défectueuses, les DRiPs (Defective Ribosomal Products) (2). Les protéines non conformes sont, par l’intermédiaire d’un système de couplage à des molécules d’ubiquitine, adressées au protéasome, le principal complexe protéolytique de la cellule, chargé de les dégrader. L’ensemble du système ubiquitine-protéasome est donc indispensable au bon fonctionnement et au maintien de l’intégrité de la cellule (1). Provoquer un dysfonctionnement de ce système (inhibition du protéasome, augmentation de la quantité de protéines défectueuses par expression de protéines mutantes) conduit dans les modèles de cellules en culture à la formation d’agrégats appelés “agrésomes” (3). Les agrésomes paraissent être un moyen de défense de ces cellules face à une accumulation de déchets potentiellement cytotoxiques. Il s’agit, en effet, d’un processus actif dépendant du complexe moteur dynéine/dynactine et des microtubules. Il consiste en un transport rétrograde des protéines s’agrégeant vers les centrioles où l’agrésome se forme. Celui-ci est isolé du reste de la cellule par une cage de vimentine qui assure probablement le maintien de la structure compacte. Ainsi, des déchets potentiellement toxiques que la cellule n’arrive pas à éliminer sont stockés et isolés du reste de la cellule. Si la présence de protéines ubiquitinylées dans les agrégats paraît tout à fait normale en tant que substrats de dégradation indésirables L * Centre d’immunologie de Marseille-Luminy, CNRS-INSERM. La Lettre du Neurologue - n° 1 - vol. VII - janvier 2003 pour la cellule, celle du protéasome et de certaines molécules chaperonnes pose la question de l’innocuité de ces agrégats pour la cellule. En effet, protéasomes et molécules chaperonnes pourraient être engagés par ces protéines qu’ils ne peuvent réparer ou dégrader et devenir ainsi indisponibles pour leurs autres substrats habituels. À cet égard, il a été récemment montré que la présence d’agrégats dans les cellules conduisait effectivement à une inhibition de l’activité protéasomale (4, 5). Une diminution de l’activité protéolytique pourrait donc conduire à une accumulation des protéines ubiquitinylées, en particulier dans des agrégats, cette agrégation provoquant à son tour une inhibition plus forte encore de l’activité du système ubiquitine-protéasome. Ces observations revêtent une importance particulière si on considère les maladies neurodégénératives (1). En effet, une caractéristique commune à la plupart de ces maladies est l’accumulation anormale dans les neurones de protéines mutantes ou défectueuses dans des agrégats ou corps d’inclusion (6). Ces agrégats diffèrent dans leur contenu protéique mais contiennent systématiquement des protéines conjuguées à l’ubiquitine, substrats potentiels du protéasome. Par ailleurs, des sous-unités du protéasome et diverses molécules chaperonnes sont souvent présentes. Ces observations suggèrent une implication du système ubiquitine-protéasome dans la mort cellulaire neuronale et la progression de la maladie pour l’ensemble des désordres neurologiques. Cette implication est directe dans le cas de la maladie de Parkinson, où des mutations dans deux protéines reliées au cycle de l’ubiquitination des protéines, une ubiquitine ligase et une enzyme de déubiquitination ont été mises en évidence (6). Un défaut dans l’une de ces deux activités enzymatiques pourrait limiter l’efficacité du système ubiquitine-protéasome et donc induire la formation d’agrégats similaires aux agrésomes. Dans d’autres maladies neurodégénératives et, en particulier dans le cas de la maladie d’Alzheimer, une forme mutante d’ubiquitine, inhibitrice de l’activité protéasomale, est présente dans les neurones malades (7). Les transcrits de cette forme mutante d’ubiquitine sont détectables dans les cerveaux sains comme dans les cerveaux malades, mais la protéine, elle, est normalement dégradée par le protéasome. Une insuffisance dans la protéolyse, due par exemple à la présence de peptides β-amyloïdes, pourrait conduire à l’apparition de cette protéine avec, pour conséquence, une forte 27 D É C O U V E R T E S Figure. Agrégation transitoire de protéines polyubiquitinylées au cours de la maturation des cellules dendritiques. a. Les cellules dendritiques immatures se distinguent par l’expression vésiculaire des molécules du complexe majeur d’histocompatibilité de classe II (CMH-II) (en rouge) ; les protéines ubiquitinylées (en vert) sont réparties dans le cytoplasme. b. 4 heures après induction de la maturation par du LPS, les molécules de CMH-II sont dirigées vers la membrane plasmique tandis que plusieurs agrégats de protéines polyubiquitinylées se forment par cellule. c. 10 heures après l’induction de la maturation, les molécules de CMH-II sont majoritairement exprimées à la surface des cellules alors que les agrégats se sont regroupés (1 à 3 par cellule seulement) et ont atteint leur taille maximale (jusqu’à 4 µm de diamètre). d. 36 heures après induction de la maturation, les agrégats ont quasiment disparu des cellules. inhibition de l’activité protéasomale. Dans le cas des maladies liées à des protéines à forte répétition de motifs polyglutaminiques, telles que la maladie de Huntington, la vitesse de dégradation de ces protéines paraît inversement proportionnelle à la longueur des motifs répétés (4). L’accumulation de substrats, consécutive à la présence de tels motifs, conduit à la formation d’agrégats et à une indisponibilité du protéasome pour d’autres substrats classiques tels que p53, ce qui pourrait finalement provoquer la mort cellulaire. En fait, il apparaît de plus en plus clairement qu’une diminution de l’efficacité de la protéolyse (mutation des composants du système ubiquitine-protéasome) ou une augmentation de la quantité de substrats (mutations ou modifications conformationnelles de certaines protéines les rendant plus difficilement dégradables) peut entraîner la saturation du système ubiquitine-protéasome conduisant à la formation d’agrégats contenant les déchets non détruits, de façon similaire à celle des agrésomes observés in vitro. Si, dans un premier temps, il peut s’agir d’un mécanisme de survie pour le neurone, à terme il semblerait que la présence d’agrégats dans la cellule soit un facteur inhibiteur supplémentaire du système ubiquitine-protéasome conduisant à une amplification du phénomène et provoquant finalement la mort cellulaire des neurones (4, 5, 7, 8). Dans ce contexte, il paraît important de mieux comprendre les mécanismes d’agrégation afin d’essayer de corriger le caractère nocif des agrégats tout en préservant leurs propriétés protectrices (6, 9). Si les agrésomes constituent un excellent modèle pour recréer in vitro les conditions d’agrégation les plus proches de celles observées in vivo dans les neurones, ils ne permettent pas, pour le moment, de déterminer des conditions réversibles d’agrégation. À cet égard, nous avons récemment mis en évidence un 28 mécanisme d’agrégation transitoire de protéines polyubiquitinylées dans les cellules dendritiques ; cela en réponse à un signal de différenciation entraînant des modifications importantes des caractéristiques de la cellule (maturation) (10). Ces agrégats appelés “DALIS” (Dendritic cell Aggresome-Like Induced Structures) sont donc induits dans des conditions physiologiques en réponse à la présence d’agents pathogènes. Ils se forment très rapidement, dès 4 heures après l’induction de la maturation des cellules dendritiques, et disparaissent 24 à 36 heures après (figure). D’un point de vue biochimique, les DALIS diffèrent des agrésomes classiques par l’absence de protéasome ou des molécules chaperonnes associées telles que Hsc70 et Hsp90. Il est important de noter qu’en conséquence la formation des DALIS n’entraîne aucune inhibition de l’activité du protéasome mais semble plutôt écarter momentanément une catégorie de substrats pour en favoriser une autre. En effet, l’incorporation des substrats du protéasome dans les DALIS est sélective : elle concerne essentiellement les protéines nouvellement synthétisées défectueuses, les DRiPs, mais elle ne concerne pas certains autres substrats comme IkB-α. La caractérisation d’un tel modèle d’agrégation peut donc fournir de précieux renseignements sur la façon dont une cellule est capable de constituer un agrégat à partir d’une population de substrats déterminés et ensuite de l’éliminer sans altérer le système ubiquitine-protéasome et la protéolyse générale. Connaître les facteurs cellulaires responsables de ce processus permettrait, en particulier, d’envisager de nouveaux moyens de lutte contre le blocage du système ubiquitine-protéasome par les protéines défectueuses mises en cause dans les maladies neurodégénératives et d’autres maladies, dites “conformationnelles”. ■ La Lettre du Neurologue - n° 1 - vol. VII - janvier 2003 Découvertes R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Sherman MY, Goldberg AL. Cellular defenses against unfolded proteins : a cell 6. Chung KK, Dawson VL, Dawson TM. The role of the ubiquitin-proteasomal pathway in Parkinson's disease and other neurodegenerative disorders. Trends Neurosci 2001 ; 24 : S7-14. biologist thinks about neurodegenerative diseases. Neuron 2001 ; 29 : 15-32. 7. Lindsten K, de Vrij FM, Verhoef LG et al. Mutant ubiquitin found in neuro- 2. Yewdell J. To DRiP or not to DRiP : generating peptide ligands for MHC class I molecules from biosynthesized proteins. Mol Immunol 2002 ; 39 : 139. degenerative disorders is a ubiquitin fusion degradation substrate that blocks proteasomal degradation. J Cell Biol 2002 ; 157 : 417-27. 3. Kopito RR. Aggresomes, inclusion bodies and protein aggregation. Trends Cell 8. Biol 2000 ; 10 : 524-30. 4. Jana NR, Zemskov EA, Wang G, Nukina N. Altered proteasomal function due Verhoef LG, Lindsten K, Masucci MG, Dantuma NP. Aggregate formation inhibits proteasomal degradation of polyglutamine proteins. Hum Mol Genet 2002 ; 11 : 2689-700. to the expression of polyglutamine-expanded truncated N-terminal huntingtin induces apoptosis by caspase activation through mitochondrial cytochrome c release. Hum Mol Genet 2001 ; 10 : 1049-59. 9. Cummings CJ, Mancini MA, Antalffy B et al. Chaperone suppression of aggre- 5. Bence NF, Sampat RM, Kopito RR. Impairment of the ubiquitin-proteasome system by protein aggregation. Science 2001 ; 292 : 1552-5. 10. Lelouard H, Gatti E, Cappello F et al. Transient aggregation of ubiquitinated proteins during dendritic cell maturation. Nature 2002 ; 417 : 177-82. gation and altered subcellular proteasome localization imply protein misfolding in SCA1. Nat Genet 1998 ; 19 : 148-54. Lelouard H, Gatti E, Cappello F et al.Transient aggregation of ubiquitinated proteins during dendritic cell maturation. Nature 2002 ; 417 (6885) : 177-82. N OUVELLES DE L’ INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE Communiqués publicitaires des conférences de presse, symposiums, manifestations, organisés par l’industrie pharmaceutique Communiqué presse Janssen-Cilag Parcours Alzheimer Le vieillissement de la population oblige la communauté médicale, et en premier lieu les neurologues, les gériatres, et les psychiatres, à faire face aux problèmes posés par les 500 000 personnes atteintes, en France, de démence de l'adulte et de la personne âgée, mais également à l’augmentation prévisible de la prévalence de ces démences en raison de l’accroissement de l’espérance de vie. Les laboratoires Janssen-Cilag ont mis en place les “Parcours Alzheimer”, programme d’actualisation des connaissances et d’ajustement des pratiques face à la maladie d’Alzheimer et aux autres démences de l’adulte. Un comité scientifique et éthique, coordonné par le Pr J. Perret, va, ainsi, élaborer un thésaurus des situations et des problèmes intégrant les données scientifiques et les pratiques professionnelles dans ce domaine. Sa réalisation doit se dérouler en trois phases : A, B, C. La phase A, déjà réalisée, a abouti à l’élaboration d’un registre des situations et des problèmes, à partir duquel 19 “Parcours” à traiter en priorité ont été sélectionnés. Au cours de la phase B, qui se déroulera de novembre 2002 à juin 2003, les laboratoires Janssen-Cilag inviteront 600 praticiens à participer aux Séminaires de rédaction afin de La Lettre du Neurologue - n° 1 - vol. VII - janvier 2003 rédiger les textes définitifs des “Parcours” avec des commentaires, textes validés par le comité scientifique et éthique permettant, ainsi, de garantir l’indépendance rédactionnelle. La phase C sera celle de la mise à disposition du thésaurus auprès de l’ensemble des spécialistes, des généralistes et des familles. Deux formatages rédactionnels sont prévus : l’un pour une aide individuelle à la pratique en situation réelle, l’autre pour un usage pédagogique de groupe. Ces méthodes et concepts donnent au projet “Parcours Alzheimer” une puissance et une dimension éthique totalement originales, avec comme but l’intégration des données nouvelles à l’ajustement des pratiques quotidiennes. Les praticiens souhaitant participer aux Séminaires de rédaction des “Parcours Alzheimer” peuvent appeler au 0 800 25 50 75. 29