CARENCES NUTRITIONNELLES APRÈS BYPASS GASTRIQUE (1)
Christine Poitou , Cécile Ciangura, Jean-Luc Bouillot et Arnaud Basdevant.
AP-HP, Hôtel Dieu, service de nutrition et service de chirurgie, centre de référence médico-chirurgical de l'obésité APHP,
France 75181 Paris cedex 04
Introduction
Ces dernières années, le recours à la chirurgie de l'obésité comme traitement des obésités morbides s'est amplifié dans le
monde et notamment en France, où l'on comptait plus de 17 000 interventions annuelles en 2001
-
2002 contre 2000 en 1995
[1, 2]. L'essor de cette chirurgie a conduit les experts à l'élaboration de recommandations de bonne pratique [3, 4]. Le
nombre d'interventions de type
«
malabsorptives
»
, telles que le court circuit gastrique ou bypassgastrique (RYGB: Roux
-
en
-
Y gastric bypass), est en nombre croissant chaque année.
Le RYGB associe deux mécanismes favorisant la perte de poids : la restriction (puisque seule une poche de 15ml environ
est à la partie supérieure de l'estomac) et la malabsorption (puisque le duodénum et les premiers centimètres du jéjunum
ne sont plus empruntés par les aliments ingérés, et que les secrétions gastriques, biliaires et pancréatiques ne rejoignent
le bol alimentaire que tardivement). Le RYGB est une technique qui a prouvé son efficacité en terme de perte de poids et
d'amélioration des comorbidités [5, 6 7]. Cependant, il s'agit d'une intervention à risque et le suivi régulier à court mais
aussi à long terme, est indispensable pour plusieurs raisons. Il existe d'une part des complications chirurgicales (sténose
de l'anastomose gastrojéjunale, occlusion, etc…). D'autre part, il est indispensable de suivre l'évolution des comorbidités et
d'adapter les traitements, en particulier les antidiabétiques. Enfin, l'intervention peut profondément modifier la situation
psychologique et sociale, ce qui nécessite un accompagnement pluridisciplinaire.
Dans tous les cas l'intervention entraîne une modification profonde de la physiologie digestive qui explique les complications
nutritionnelles faisant l'objet de cette présentation [8].
I. Les carences nutritionnelles les plus fréquentes après RYGB
Les déficits nutritionnels observés sont expliqués par différents mécanismes.
De plus, se produit une asynergie entre l'arrivée du bol alimentaire et des sécrétions bilio
-
pancréatiques dans la portion
commune d'intestin.
Après RYGB, les carences les plus fréquemment citées dans les publications concernent les protéines, le fer, la vitamine
B12, les folates (vitamine B9), la vitamine D et le calcium [9, 10, 11, 12].
Nous détaillons ici ces différents déficits, ainsi que les carences en vitamine B1 moins fréquentes mais potentiellement
graves.
Protéines
Plusieurs mécanismes contribuent aux carences protéiques après RYGB : la carence d'apport (liée à un certain dégoût
pour la viande, des difficultés de mastication ou d'une intolérance aux protéines), la diminution des sécrétions
enzymatiques (comme par exemple les enzymes pancréatiques et le pepsinogène, proenzyme à l'origine de la pepsine), et
la réduction de la surface d'absorption intestinale (exclusion du duodénum). Alors que des cas de malabsorption protéique
sévère sont décrits dans les dérivations biliopancréatiques type duodenal switch et intervention de Scopinaro, il existe peu
de données dans la littérature sur les carences protéiques après RYGB, les carences rapportées étant toujours liées à des
carences d'apport et à l'aggravation par des facteurs exogènes (complications digestives, inflammation). Ces déficits
protéiques peuvent avoir un retentissement clinique important: altération de l'état général, faiblesse musculaire avec fonte
musculaire, anomalies des phanères (alopécie, ongles striés, dermatite, hypopigmentation), distension abdominale,
hépatomégalie et oedèmes.
Vitamine B12
Après RYGB la sécrétion d'acide chlorhydrique dans la petite poche gastrique est faible, il existe donc un défaut de clivage
de la vitamine B12 depuis le support protéique alimentaire. De plus, l'exclusion de l'estomac et du duodénum empêche la
liaison du FI et de la B12.
Dans les études, la prévalence des déficits en vitamine B12 est estimée entre 12 et 70 % et survient la plupart du temps
après la première année suivant le RYBG. En regroupant les études (soit un total de 957 patients), la fréquence estimée
est de 25 % dans les deux premières années [13]. L'absence de déficit précoce peut être expliqué par l'importance des
réserves de l'organisme (2000
µ
g) comparées aux besoins journaliers (2
-
3 µ
g/j). Néanmoins, dans certaines situations,
notamment lorsque le RYGB survient après une première chirurgie bariatrique (gastroplastie), il est possible d'observer des
déficits en vitamine B12 plus précoces.
Quelques cas d'anémie mégaloblastique ont été rapportés après RYGB mais sont rares. A notre connaissance aucun cas
d'atteinte neurologique imputable à un déficit en B12 n'a été décrit.