Éditorial Articles publiés sous la direction de ANDRÉ J. SCHEEN Professeur de médecine et de pharmacologie clinique, Université de Liège, Chef de service, Service de diabétologie, nutrition et maladies métaboliques et Unité de pharmacologie clinique, CHU Sart Tilman, Liège, Belgique Chirurgie métabolique versus traitement médical optimisé dans la prise en charge du diabète de type 2 ? Pr ANDRÉ J. SCHEEN crines impliqués dans les améliorations ob­ Le diabète de type 2 (DT2) est devenu une servées, d’autre part, ont fait qu’il est tentant préoccupation de premier plan en santé publi­ de recourir à cette solution thérapeutique que en raison de sa prévalence en cons­tante chez des patients DT2 même en l’absence augmentation et des nombreuses complica­ tions associées à la maladie, microvasculaires d’obésité extrême, voire sévère (indice de masse et, surtout, macrovasculaires. L’augmentation corporelle < 35 kg / m²).4 de la prévalence du DT2 est, certes, liée au Les médicaments antihyperglycémiants uti­ vieillissement de la population, mais aussi à ce lisés jusqu’à présent n’avaient pas d’impact que d’aucuns appellent l’épidémie de l’obésité. positif ni sur le poids corporel 1 ni sur la pres­ L’immense majorité des patients avec un DT2 sion artérielle, ce qui explique peut-être en présentent, en effet, un surpoids ou une obé­ sité plus ou moins sévère et cette partie la difficulté à démontrer adiposité excessive joue un rôle leur efficacité en termes de pré­ il est tentant vention des accidents cardio­ majeur dans la physiopathologie de recourir à vasculaires.2 De nouvelles classes de la maladie.1 Par ailleurs, cette cette solution obésité, notamment dans sa com­ de médicaments antidiabétiques thérapeutique posante abdominale, est associée sont disponibles depuis quelques même en à d’autres facteurs de risque fré­ années, les agents à effet incré­ ­l’absence quemment rencontrés chez le tine, dont les agonistes des ré­ d’obésité cepteurs du glucagon-like pep­ patient DT2, dont une hyperten­ ­extrême, voire sion artérielle et une dyslipidé­ tide-1 (GLP-1), et les inhibiteurs sévère mie, qui contribuent à péjorer le des cotransporteurs sodium-glu­ cose de type 2 (SGLT2). Ces anti­ pronostic cardiovasculaire. A l’évi­ diabétiques offrent l’avantage d’améliorer le dence, la réduction des complications car­ diovasculaires chez le patient DT2 implique contrôle glycémique, sans exposer à des hypo­ une prise en charge globale, ciblant tous les glycémies ; de plus, ils sont capables d’induire facteurs de risque et non seulement l’hyper­ une certaine perte pondérale et d’abaisser la glycémie.2 pression artérielle, tout en améliorant égale­ ment d’autres facteurs de risque (par ex­em­ La chirurgie bariatrique est maintenant re­ ple, dyslipidémie postprandiale pour les ago­ connue, par les instances officielles telles nistes des récepteurs du GLP-1 et hyper­ l’International Diabetes Federation ou l’Ame­ uricémie pour les inhibiteurs des SGLT2). rican Diabetes Association, comme une alter­ L’empagliflozine, un des inhibiteurs des SGLT2 native à la prise en charge du DT2 lorsque le commercialisés, a démontré dans l’étude traitement médical est en échec. La chirurgie EMPA-REG OUTCOME une remarquable ré­ duction de la mortalité cardiovasculaire et de bariatrique, grâce à l’importante perte de la mortalité globale chez des patients DT2 poids qu’elle entraîne, offre l’avantage d’une avec des antécédents de maladie cardiovas­ amélioration de tous les facteurs de risque culaire. Les mécanismes précis sous-tendant avec, à terme, une réduction des complica­ tions cardiovasculaires.3 Les succès remar­ cette réduction de la mortalité restent encore quables rapportés chez le patient obèse (avec discutés.5 Tout récemment, dans l’étude ou sans DT2), d’une part, et la meilleure LEADER, le liraglutide, un agoniste des ré­ cepteurs du GLP-1, a démontré une réduc­ compréhension des mécanismes neuroendo­ www.revmed.ch 24 août 2016 1355-6_39346.indd 1355 Bibliographie 1 Scheen AJ, Van Gaal LF. Combating the dual burden : Therapeutic targeting of common pathways in obesity and type 2 diabetes. Lancet Diabetes Endocrinol 2014;2:911-22. 2 Scheen AJ, Charbonnel B. Effects of glucose-­ lowering agents on vascular outcomes in type 2 diabetes : A criti­cal reappraisal. Diabetes Metab 2014;40:176-85 3 Sjostrom L, Peltonen M, Jacobson P, et al. Bariatric surgery and long-term cardiovascular events. JAMA 2012;307: 56-65. 4 De Flines J, Franck M, Rorive M, et al. Chirurgie métabolique : une place croissante dans le traitement du diabète. Rev Med Suisse 2012;8: 1621-7. 5 Scheen AJ. Reduction in cardiovascular and all-cause mortality in the EMPA-REG OUTCOME trial : A critical analysis. Diabetes Metab 2016; 42:71-6. 1355 18.08.16 09:39 REVUE MÉDICALE SUISSE tion significative du critère d’évaluation prin­ cipal (critère composite comprenant la mor­ talité cardiovasculaire, l’infarctus non mortel et l’accident vasculaire cérébral non mortel), avec également une diminution de la mortalité cardiovasculaire et totale, chez des patients DT2 à haut risque cardiovasculaire.6 Bibliographie 6 Marso SP, Daniels GH, Brown-Frandsen K, et al. Liraglutide and cardio­ vascular outcomes in type 2 diabetes. N Engl J Med 2016; epub ahead of print. 7 Wing RR, Bolin P, Brancati FL, et al. Cardiovascular effects of intensive lifestyle intervention in type 2 diabetes. N Engl J Med 2013;369:145-54. La question qui se pose, dès maintenant, pour certains patients obèses avec un DT2, et qui se posera sans doute à l’avenir dans une population de plus en plus large, est de savoir s’il faut privilégier un traitement médical op­ timisé ou donner la préférence à la chirurgie bariatrique, appelée maintenant aussi chirur­ gie métabolique.4 Plaide pour l’approche mé­ dicale, l’arrivée de nouveaux médicaments dotés de propriétés intéressantes au-delà du contrôle de la glycémie, notamment sur le poids et sur des facteurs de risque associés. Comme ces agents exercent des effets béné­ fiques par des mécanismes différents sans doute au moins partiellement complémen­ taires, il est envisageable de les associer à l’avenir pour obtenir une synergie thérapeu­ tique. Plaident pour l’approche chirurgicale, non seulement la remarquable efficacité sur la perte pondérale, mais également des effets bénéfiques au-delà de l’amaigrissement stricto sensu, comme en témoignent les taux de ré­ mission de DT24 et la réduction des événe­ ments cardiovasculaires 3 qui ont été rapportés. Ce n’est pas la première fois qu’il existe une compétition entre une solution chirurgicale et un traitement pharmacologique. Un exem­ple historique emblématique est représenté par l’ulcère gastroduodénal. Pendant longtemps, les traitements pharmacologiques étaient pu­re­ ment symptomatiques et guère efficaces pour guérir la maladie. La chirurgie avait alors 1356 1355-6_39346.indd 1356 ­ ffert une solution alternative, avec le recours o à une pyloroplastie et une vagotomie sélec­ tive. Depuis l’avènement de médicaments antisécrétoires puissants, bloquant la pro­ ­ duction d’acide chlorhydrique, les antihista­ miniques H2, d’abord, les inhibiteurs de la pompe à protons, ensuite, la chirurgie a perdu une part importante de sa place dans la prise en charge des ulcères gastroduodénaux et le traitement est devenu essentiellement médi­ cal, dans ses versants préventif et curatif. Au vu des progrès récemment Ce n’est pas la observés à la fois dans les ap­ première fois proches chirurgicales et dans les qu’il existe une innovations pharmacologiques, compétition il apparaît difficile, actuellement, entre une de faire un pronostic quant au solution traitement qui finira par l’em­ chirurgicale et porter dans la prise en charge un traitement des patients obèses avec un DT2. pharmaco­ Quoi qu’il en soit, il est indis­ logique pensable, encore et toujours, de privilégier les mesures hygiénodiététiques, aussi précocement que possible chez les personnes à risque dans une straté­ gie à visée préventive, en particulier chez les sujets jeunes. Même si le taux de succès est assez faible, en raison d’une adhérence très largement imparfaite au long cours, cela de­ vrait être également le cas chez les patients déjà atteints par la maladie DT2. En effet, quelle que soit l’approche privilégiée, une ali­ mentation saine et la pratique régulière d’une activité physique restent les fondements du traitement du DT2 et ce, malgré les résultats de l’étude LOOK-AHEAD finalement assez décevants quant à la réduction des événe­ ments cardiovasculaires obtenue à relative­ ment court terme par une approche intensive ciblant le style de vie.7 WWW.REVMED.CH 24 août 2016 18.08.16 09:39