Prévention et prise en charge multifactorielle du risque cardiovasculaire chez le patient diabétique

L’
ENQUÊTE
AUDIT
L’enquête AUDIT
(Analysis and Understanding
of Diabetes and Dyslipidaemia : Improving
Treatment) (1)
est une enquête internationale,
conduite par le biais d’Internet. Son but était
d’évaluer et de comparer les comportements
(démarches d’évaluation et de prise en charge)
des médecins spécialistes traitant des patients
diabétiques de type 2 (DT2), face à une dyslipi-
démie chez ces patients. Au total, 2 043 méde-
cins de 50 pays, répartis sur 7 régions à travers
le monde, y ont participé. Les résultats ont été
analysés selon les 7 régions définies. Un profil
lipidique complet est disponible pour 91 % des
patients DT2 ; 62 % d’entre eux sont dyslipidé-
miques. Les taux indiqués de LDL-cholestérol
(LDL-c) et de triglycérides (TG) étaient plus bas
chez les patients avec antécédents cardiovascu-
laires que chez ceux sans antécédents ; 45 % des
médecins indiquaient avoir un objectif de LDL-c
plus bas en présence d’antécédents cardiovas-
culaires, mais avec de grandes variations entre
médecins et entre régions quant au niveau de cet
objectif (tableau). Les médecins estimaient les
objectifs atteints seulement chez la moitié des
patients, avec de larges différences selon les cri-
tères et les régions : en Amérique du Nord, les
objectifs étaient considérés comme atteints
dans 56 % (TG) et 69 % (LDL-c) des cas, contre
respectivement 47 % et 43 % des cas en Europe
de l’Est. La principale raison rapportée pour
cette difficulté à atteindre les objectifs est, selon
les régions, la mauvaise compliance du patient
au traitement ou le coût et/ou les difficultés
d’accès aux traitements. Ce sont les recomman-
dations, généralement nationales, qui influen-
cent le plus les médecins dans le choix de leurs
objectifs lipidiques. La prise en charge et la cor-
rection des facteurs de risque considérés comme
ayant le plus grand impact sur la réduction du
risque cardiovasculaire résident dans le contrôle
de la pression artérielle (PA) (32 %), la prise en
charge des anomalies lipidiques (28 %), le
contrôle glycémique (22 %) et l’arrêt du tabac
(19 %), avec là encore de larges variations selon
les régions. Les résultats de cette enquête –
montrant une grande disparité dans la prise en
charge des dyslipidémies selon que les patients
DT2 ont ou non des antécédents cardiovascu-
laires –, tout comme le faible nombre (22 %) de
spécialistes du diabète qui indiquent le contrôle
glycémique comme susceptible d’avoir un
impact important sur la réduction du risque car-
diovasculaire, indiquent que, même pour les
spécialistes, le DT2 n’est toujours pas largement
reconnu comme un facteur de risque équivalent
à l’HTA ou aux dyslipidémies.
* Policlinique de médecine interne,
hôpital Saint-Louis, Paris.
173
Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. II - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2004
Prévention et prise
en charge multifactorielle
du risque cardiovasculaire
chez le patient diabétique
de type 2 (1re partie)
J.P. Sauvanet*
écho des congrès
Tableau. Moyenne des objectifs lipidiques (en g/l) pour les patients diabétiques avec ou sans antécédents
cardiovasculaires (ACV), selon les sept régions de l’enquête AUDIT (1).
LDL-cholestérol Triglycérides
Régions Avec ACV Sans ACV Avec ACV Sans ACV
Europe de l’Ouest 1,01 1,12 1,55 1,65
Europe de l’Est 1,02 1,08 1,50 1,56
Scandinavie 1,02 1,05 1,66 1,79
Amérique du Nord 0,93 0,97 1,51 1,56
Amérique du Sud 1,00 1,08 1,45 1,50
Asie/Pacifique 1,01 1,12 1,55 1,66
Afrique/Moyen-Orient 0,98 1,07 1,53 1,64
Paramètres
lipidiques
Les données de l’enquête AUDIT expliquent le
choix du thème du symposium satellite organisé
à Munich (Allemagne) par les laboratoires Pfizer,
dans le cadre de la 40eréunion de l’Association
européenne pour l’étude du diabète (EASD) :
“Le risque cardiovasculaire du patient diabé-
tique de type 2 : une prise en charge multifacto-
rielle pour prévenir les complications termi-
nales”.
A
TTEINTES MICROVASCULAIRES
ET MACROVASCULAIRES
:
IL N
Y A PAS QUE LE DIABÈTE
!
R. Holman
(Oxford, Grande-Bretagne)
a rappelé
l’évolution naturelle du diabète, avec un contrôle
glycémique se détériorant progressivement en rai-
son d’un déficit sécrétoire des cellules ß-pancréa-
tiques, et la progression des complications du
diabète, depuis les atteintes microcirculatoires
précoces jusqu’à la maladie coronaire et à l’in-
suffisance rénale terminale. Il a ensuite discuté
le rôle des facteurs de risque cardiovasculaire
dans le développement des atteintes micro- et
macrovasculaires chez les diabétiques, et le
besoin d’évaluations précises et spécifiques de
ces facteurs de risque chez ces diabétiques.
L’UKPDS
(UK Prospective Diabetes Study) (2-4)
a confirmé que, chez des patients DT2 nouvelle-
ment diagnostiqués, en plus des facteurs de
risque cardiovasculaire non modifiables (âge et
sexe), il existait un ensemble de facteurs poten-
tiellement modifiables : hyperglycémie (taux de
HbA1c), élévation du LDL-c, taux bas de HDL-c,
HTA et tabac. Mais ces facteurs de risque ne doi-
vent pas être considérés isolément : il est néces-
saire de les intégrer dans un ensemble caracté-
risant le risque global du sujet. Des équations
pour le calcul de ce risque global individuel exis-
tent et doivent être utilisées – comme celle déri-
vée de l’UKPDS et spécifiquement développée
pour les patients DT2 [www.dtu.ox.ac.uk/ris-
kengine] –, de préférence à celles développées
pour la population générale – comme l’équation
de Framingham ou l’équation européenne
SCORE, qui sous-estiment de 25 à 50 % le
risque cardiovasculaire des patients DT2
(5).
L’équation développée sur la base de l’UKPDS
permet d’obtenir une prévision de risque de
maladie cardiovasculaire et d’accident vasculai-
re cérébral à 10 ans (avec un intervalle de
confiance de 95 %), pour des sujets DT2 sans
atteinte coronaire connue.
Il a enfin insisté sur l’importance d’une inter-
vention multifactorielle pour prévenir l’appari-
tion du DT2 et le développement des complica-
tions dues au diabète. En effet, de récentes
études de prévention primaire ou secondaire,
UKPDS
(2-4)
, HPS
(MRC/BHF Heart Protection
Study) (6)
et CARDS
(Collaborative Atorvastatin
Diabetes Study) (7)
, ont montré le bénéfice sur
les critères de morbimortalité cardiovasculaire
d’une intervention précoce sur les facteurs de
risque modifiables des patients DT2 (réduction
de l’hyperglycémie, contrôle de l’HTA, baisse du
taux de LDL-c). De même, l’étude
STENO-2 (8)
a
montré, chez 160 patients DT2 avec microalbu-
minurie (âge moyen de 55 ans), le bénéfice
d’une intervention multifactorielle visant à trai-
ter et à normaliser chaque facteur de risque, et
permettant, après un suivi moyen de 7,8 ans,
une réduction significative du risque d’événe-
ments cardiovasculaires (53 % ; p = 0,01) et du
risque d’atteintes microvasculaires (risque de
néphropathie réduit de 61 % ; p = 0,03 – risque
de rétinopathie réduit de 58 % ; p = 0,02) pour
le groupe d’intervention multifactorielle intensive
par rapport au groupe avec prise en charge
conventionnelle.
Toutefois, l’effet lié au contrôle glycémique tout
comme le niveau glycémique à atteindre demeu-
rent encore mal établis. C’est l’objectif que s’est
fixé l’étude ACCORD
(Action to Control
Cardiovascular Risk in Diabetes)
en cours
[www.accordtrial.org]. Cette étude, considérée
comme une étude UKPDS “renforcée”, coordon-
née par l’Institut national de la santé des États-
Unis (NIH), implique de 60 à 70 centres aux
États-Unis et au Canada. Elle vise à évaluer les
effets de l’intervention sur les facteurs de risque
(LDL-c, HDL-c, TG, PA) chez des DT2 après
contrôle de la glycémie. Il est prévu d’inclure
10 000 patients DT2 dans un premier volet de un
an, randomisés en deux groupes : strict contrôle
avec HbA1c <6,0 % ou HbA1c 7,0-7,9 % (en
visant 7,5 %), le critère principal étant la réduc-
tion des événements cardiovasculaires, jugé sur
Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. II - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2004
174
écho des congrès
l’apparition du premier événement. En outre,
deux sous-études de trois ans minimum, selon
des plans factoriels, vont évaluer :
– une intervention sur les lipides chez les DT2
avec bon contrôle glycémique (n = 4 200) et une
randomisation entre fibrate ou statine, pour
déterminer s’il vaut mieux augmenter le HDL-c
ou abaisser le LDL-c ;
– une intervention sur la PA (n = 5 800) avec une
randomisation entre PA systolique <120 mmHg
ou <140 mmHg. Les choix thérapeutiques pour
atteindre les objectifs assignés sont libres. Le
suivi moyen prévu est de 5,6 ans, avec une
durée de participation de 4 à 8,5 ans selon l’in-
clusion, laquelle a débuté en février 2003. Les
résultats sont attendus pour mi-2010.
L’
HYPERTENSION ARTÉRIELLE
CHEZ LE PATIENT DIABÉTIQUE
:
COMMENT RÉDUIRE À LA FOIS
LE RISQUE CARDIOVASCULAIRE
ET LE RISQUE D
INSUFFISANCE RÉNALE
?
M. Epstein
(Miami, États-Unis)
a rappelé l’im-
portance et la nécessité d’un traitement intensif
combiné afin d’atteindre des objectifs tension-
nels stricts, ainsi que l’ont démontré des études
telles que ALLHAT
(Antihypertensive and Lipid-
Lowering Treatment to Prevent Heart Attack
Trial) (9)
et VALUE
(Valsartan Antihypertensive
Long Term Use Evaluation) (10)
. Dans ALLHAT
(9)
,
conduite chez des patients à haut risque, d’un
âge moyen de 67 ans, 36,2 % (n = 15 297) des
42 488 patients inclus étaient des patients DT2.
Les objectifs tensionnels (140/90 mmHg) n’ont
été atteints qu’avec des associations médica-
menteuses (63 % à 73 % des cas), la monothé-
rapie s’avérant généralement insuffisante. En
revanche, après un suivi moyen de 4,9 ans, il n’a
pas été mis en évidence de différence significa-
tive entre les traitements testés (amlodipine,
lisinopril ou chlortalidone) sur l’incidence des
événements cardiovasculaires majeurs ; seule
l’incidence des accidents vasculaires cérébraux
a été plus faible dans le groupe des patients
DT2 sous amlodipine (réduction de 10 %, ns).
Par ailleurs, cette étude montre que, chez les
patients DT2 à haut risque, l’incidence des com-
plications cardiovasculaires majeures est com-
parable quelle que soit la classe thérapeutique
initiale, que l’abaissement du risque est directe-
ment lié à la baisse tensionnelle obtenue, et
qu’une plurithérapie intensive est nécessaire
chez la grande majorité des patients pour
atteindre les objectifs tensionnels. L’étude
VALUE
(10)
, comparant l’efficacité de deux stra-
tégies thérapeutiques (à base de valsartan pour
l’une, d’amlodipine pour l’autre) sur la morbi-
mortalité cardiovasculaire chez 15 245 patients
hypertendus âgés de 50 ans ou plus (âge moyen
de 67 ans), aboutit à des conclusions identiques
après un suivi moyen de 4,2 ans pour la popula-
tion globale : pas de différence sur le critère
principal de morbidité (de l’ordre de 7,6 %) ou
de mortalité (de 4 %) pour les deux groupes, et
nombre important de patients nécessitant des
associations d’antihypertenseurs pour atteindre
l’objectif d’une PA <140/90 mmHg (73 % de
ceux du groupe valsartan, 65 % de ceux du
groupe amlodipine). Les analyses selon les
sous-groupes (dont les diabétiques connus à
l’inclusion) ne sont pas encore publiées.
Epstein a ensuite discuté des principales classes
d’antihypertenseurs et de leurs intérêts et limi-
tations chez les diabétiques, en particulier en
termes de protection rénale chez ces patients à
haut risque. Toutes les recommandations insis-
tent sur l’intérêt d’un traitement initial par un
inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angio-
tensine (IEC) ou par un antagoniste des récep-
teurs de l’angiotensine II (ARAII) ; mais il faut
aussi noter que les dihydropyridines, des inhibi-
teurs calciques qui leur sont fréquemment asso-
ciés, ont également des effets bénéfiques sur la
fonction rénale – par exemple en maintenant le
taux de filtration glomérulaire en présence d’une
vasoconstriction, mais aussi par le biais d’autres
propriétés indépendantes de leurs effets sur la
microcirculation rénale
(11)
. Il a cité l’étude ABCD
(Appropriate Blood Pressure Control in
Diabetes) (12)
, portant sur 470 patients diabé-
tiques hypertendus randomisés entre nisoldipi-
ne ou énalapril, et qui, après 5 ans de suivi, ne
montre pas de différence entre ces traitements
sur l’évolution de la clairance de la créatinine.
Les données des études ALLHAT et VALUE vont
dans le même sens. Celles de ALLHAT montrent,
175
Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. II - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2004
sous amlodipine, un moindre déclin de la filtra-
tion glomérulaire que sous lisinopril ou chlortali-
done (analyse intermédiaire à 4 ans non
publiée). De même, dans VALUE, le déclin de la
filtration glomérulaire apparaît moindre sous
amlodipine que sous valsartan
(10).
Pour conclure, l’auteur a surtout insisté sur le
fait qu’il ne fallait pas se contenter de considé-
rer une classe ou un médicament donné. En
effet, la plupart des patients nécessiteront une
association d’antihypertenseurs pour atteindre
l’objectif tensionnel défini par les recommanda-
tions. Ainsi, une étude observationnelle réalisée
chez 1 372 patients diabétiques et hypertendus
a montré que, pour atteindre l’objectif de PA de
130/85 mmHg, le nombre moyen d’antihyper-
tenseurs nécessaire était de 3,1
(13)
, ce qui
rejoint les données de l’UKPDS, d’ABCD et
d’autres études. La méta-analyse récente de
29 essais cliniques randomisés, regroupant plus
de 162 000 patients hypertendus
(14)
, a bien
montré qu’il n’existait pas de différence signifi-
cative sur les différents scores ou critères com-
binés d’événements cardiovasculaires majeurs,
quelle que soit la classe thérapeutique initiale-
ment considérée, et que l’effet bénéfique observé
(à l’exception de l’insuffisance cardiaque) était
directement corrélé à l’importance de la baisse
de PA, même s’il existe des différences entre
traitements sur certains critères spécifiques ou
en termes de tolérance clinique et de surveillan-
ce. Enfin, l’auteur a rappelé l’importance du
contrôle des anomalies lipidiques, qui jouent un
grand rôle dans la progression des atteintes
athéromateuses cardiovasculaires et rénales.
Ainsi, des études récentes ont montré que
l’atorvastatine permettait de réduire la protéi-
nurie et la progression de l’atteinte rénale chez
des patients ayant à la fois une hypercholesté-
rolémie et une protéinurie
(15)
.
Il est donc nécessaire de considérer une straté-
gie thérapeutique d’ensemble, d’emblée inten-
sive, et spécifiquement adaptée au patient dia-
bétique et à ses complications. Dans cette
optique, l’association d’un IEC et d’un inhibiteur
calcique, agissant de manière complémentaire,
peut s’avérer intéressante pour retarder la pro-
gression vers l’insuffisance rénale terminale
chez les patients diabétiques hypertendus.
R
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Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. II - n° 4 - octobre-novembre-décembre 2004
176
écho des congrès
La seconde partie de cet article
et la liste complète des références
bibliographiques paraîtront
dans le prochain numéro
de Correspondances en Risque
CardioVasculaire, Volume III, N° 1
(janvier-février-mars 2005).
1 / 4 100%

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