
Forum Med Suisse 2010;10(8):148–151 149
cabinet
berg. Il ydécrit la dépression comme étant la pathologie à
la mode caractérisant notre époque. Nous devons nous re-
définir àtout moment pour rester concurrentiels dans une
sociététrépidante et performante. Les modèles structu-
rants et les traditions stables sont absents. Rien n’est inter-
dit et tout est possible. Dans «l’évangile de l’épanouisse-
ment personnel», on est appelé àêtre le maître et
l’administrateur de sa propre personne. Il faut agir avec
efficacité et performance. Lorsque les forces viennent à
fléchir et que l’on ressent «la fatigue d’être soi», la dépres-
sion guette au tournant.Elle ne serait plus aujourd’hui un
trouble primaire de l’humeur,mais plutôt une inhibition
de l’activité, une paralysie de l’action. Elle représente «la
tragédie de l’insuffisance» qui fait basculer le «tout est
possible» vers le «plus rien n’est possible». De nos jours,
les dépressifs souffrent davantage de la honte de leur in-
capacité que d’un conflit chargé de culpabilité. Par consé-
quent, le traitement de la dépression s’oriente vers la ré-
paration, la restauration de la capacité d’agir et le bien-être
(wellness),etunpeu moins vers la résolution de conflits
et la capacité de supporter la souffrance.
Ces trois ouvrages de critique sociale publiés par des socio-
logues éminents montrent clairement que la sociogenèse
n’est pas en mesure de délimiter l’étiologie de la dépres-
sion de celle du burnout. Dans notre société, le tout-écono-
mique déborde du monde du travail pour s’infiltrer dans
chaque individu et l’imprégner dans son attitude person-
nelle et son identité. Par conséquent, le burnout n’est pas
spécifique àlavie professionnelle. Même s’il n’exerce pas
de profession,l’«être humain flexible» ou le «soi entrepre-
neurial» courent un risque plus élevé de burnout. Certains
auteurs prétendent que la notion de burnoutnes’applique
qu’autravail [1]. Mais en défendant ce point de vue, ils
s’accrochent àune spécificité illusoire au lieu de chercher
àcomprendre vraiment le processus en cours dans le
burnout. D’autres auteurs reconnus refusent de limiter le
burnout àlasphère du travail [2].
Le diagnostic descriptif
La question de la différenciation des symptômes est au
cœur du diagnostic psychiatrique, de nos jours presque
exclusivement descriptif. Personne ne conteste que le
symptôme principal du burnout reste l’épuisement, et il
peut affecter toutes les dimensionnalités de l’être humain
(épuisement cognitif, émotionnel, motivationnel et phy-
sique). Il en découle une dépersonnalisation (l’on n’est
plus soi-même, les autres nous perçoivent comme plus
distants, plus négatifs, parfois cyniques) et une diminution
des performances (fig. 1 x). Cependant, l’épuisement
sous forme de perte d’énergie est tout aussi bien un
symptôme central de la dépression (abattement, tristesse,
appauvrissement de la pensée, perte d’intérêt, perte
d’initiative). Le lien explicite entre l’épuisement et la dé-
pression n’est pas nouveau dans le diagnostic psychia-
trique: Kielholz parlait àcepropos de dépression d’épuise-
ment et Bräutigam de réaction d’épuisement.
En travaillant sur la base d’hypothèses, on cherche àdif-
férencier l’épuisement de burnout de celui de dépression.
Acet égard, la question «Que feriez-vous si vous n’étiez
pas aussi épuisé?» est considérée comme une question cli-
nique cruciale pour distinguer les patients souffrant de
burnout des patients dépressifs [3], les premiers étant en
mesure d’imaginer des activités possibles, les seconds
non. S’il estvrai que cette question permet de former deux
groupes, elle ne fournittoujours pas de spécificité pour la
différenciation diagnostique en pratique clinique. Les ré-
ponses expriment plutôt la sévérité des manifestations et
la disposition às’adapter lors de l’entretien d’investiga-
tion. (Une hypothèse de travail analogue est présentée sur
le site www.swissburnout.ch: elle prétend qu’un gain de
10 millions de dollars ferait disparaître les symptômes en
cas de burnout, mais pas en cas de dépression.)
On peut toutefois différencier le burnout de la dépression
par leur degré de sévérité, et leur délimitation se che-
vauche partiellement (fig. 2 x). Il existe des formes pré-
cliniques de burnout qui n’atteignent pas l’ampleur d’une
dépression. Lorsque le processus de burnout s’aggrave,
nous sommes en présence d’un burnout cliniquement
significatif qualifié de dépression d’épuisement. Peu àpeu
c’est la dynamique propre à la dépression qui s’impose,
et les symptômes de burnout (épuisement, dépersonnali-
sation, diminution des performances) ne sont plus pré-
dominants dans le tableau clinique.
Cycle du stress et pathogenèse
La théorie du stress, largement répandue maintenant,
ouvre la possibilité de retracer la genèse des maladies so-
matiques, psychosomatiques et psychiques et de décrire les
différences spécifiques entre le burnout et la dépression.
Le cycle du stress psychique comprend les éléments sui-
vants (fig. 3 x): le stresseur est la cause externe, par ex.
un supérieur autoritaire. L’ amplificateur de stress repré-
sente la contribution qu’y ajoute la personne elle-même. Il
peut exacerber (par ex. sous forme d’exigences person-
nelles trop élevées) ou freiner (par ex. sous forme d’un
manque de confiance dans sa propre compétence). Il en
découle une évaluation («appraisal»),qui débouche àson
tour sur l’«eustress» ou le «distress». L’ écart entre les exi-
gences et les capacités est vécu comme une stimulation en
cas d’«eustress» et comme un surmenage en cas de «dis-
tress». Les réactions de «distress» sont les réponses soma-
tiques et psychiques au «distress».Silecycle du stress s’ef-
fondre,letableau clinique devient entièrement manifeste.
Dans le cas du burnout, le cycle du stress est une spirale
ascendante (fig. 4 x). Dans le burnout, il est caractéris-
tique de voir que le patient amanœuvré pour rechercher
lessituations où les performances externes exigées sont ef-
fectivementtrès élevées (stresseur). Son attitude intérieure
et sa motivation forment un amplificateur de stress dont
l’effet est exacerbant. Les facteurs de risque de burnout
Syndrome d’épuisement
Dépersonnalisation (aliénation, cynisme)
Manque d’efficacité/diminution des performances
Figure 1
Enchaînement des symptômes caractéristiques du burnout.