ÉDITORIAL Prendre soin de soi pour prendre soin des autres ou l’histoire du cordonnier… Ph. Courtet*, L. Cauchard* L e stress professionnel et la prévention des risques psycho- La gynécologie obstétrique est une spécialité exigeante (gros volume sociaux sont devenus une priorité pour les services des ressources horaire de travail, gardes et astreintes, gestion des urgences...) et humaines des grandes entreprises. Qu’en est-il du milieu médical, comporte des spécificités (risques médico-légaux, problèmes d'as- qui est loin d’être épargné par cette souffrance (1) ? Les médecins sont surance...) qui pourraient accroître la vulnérabilité de ces spécialistes. largement touchés par le burnout, les addictions, la dépression et le C’est dans cette perspective que le Collège américain des gynécologues suicide. Mais ces problématiques, bien que prégnantes, restent taboues obstétriciens, conscient des évolutions de la pratique médicale, a mis en pour des praticiens qui ne s’autorisent ni à être vulnérables ni à s’im- place, en avril 2006, un groupe de travail sur l’avenir de la spécialité. Il miscer dans la vie d’un collègue en détresse. Et même lorsqu’ils se a identifié 9 problèmes majeurs dans des domaines aussi variés que le reconnaissent en difficulté, ils sont peu nombreux à chercher l’aide déroulement de carrière, l’équilibre entre vie personnelle et profession- d’un confrère, préférant avoir recours à l’automédication ou à l’alcool. nelle, la sécurité et l’accès aux soins, la recherche, la formation médicale Et pourtant, la réalité est préoccupante, avec un risque de suicide continue, le recrutement et la formation des internes ou encore le cadre multiplié par 1,41 chez les hommes médecins et par 2,27 chez leurs légal, et a émis des recommandations pour y remédier (5). consœurs par rapport à la population générale (2). Malheureusement, Pourtant, des stratégies de prévention du burnout et de promotion la prise en charge de ces "médecins-patients" est complexe (influence du bien-être sont envisageables. Sur le plan individuel, Spickard et al. du diagnostic, ingérence dans la prise en charge, mauvaise observance, recommandent de favoriser le bonheur à travers les valeurs et choix automédication, refus des arrêts de travail et des hospitalisations) et personnels, de passer du temps avec sa famille et ses amis, d’avoir devrait probablement relever d’équipes spécialisées. une activité spirituelle ou religieuse, de prendre soin de soi (nutrition, Le burnout est défini comme "un syndrome d'épuisement émotionnel, exercice), d’adopter une vision philosophique et saine des événements de dépersonnalisation et de réduction de l'accomplissement personnel (exemple : être positif) et d’avoir un conjoint soutenant. Profession- qui apparaît chez les individus impliqués professionnellement auprès nellement, il faudrait maîtriser sa charge de travail, donner du sens à d'autrui" et peut être évalué à l’aide du Maslach Burnout Inventory son travail, se fixer des limites, avoir un mentor et une administration (MBI), échelle validée internationalement (3). De nombreux auteurs soutenante (6). l’ont utilisée pour évaluer le mal-être des médecins, et ces investigations La pratique médicale autant que la société ont profondément évolué révèlent que le malaise surviendrait précocement dans la carrière des durant ces dernières décennies. Il est fondamental pour les médecins du médecins. Les études s’accordent sur l’existence d’un syndrome d’épui- XXIe siècle d’inscrire ces bouleversements dans leur projet professionnel sement professionnel dès l’internat. Ainsi, dans une étude réalisée en afin de vivre une carrière riche et épanouissante. ■ 2004 auprès d’internes américains de gynécologie-obstétrique, 50 % des étudiants ont un score élevé d'épuisement émotionnel, 32 % un score élevé de dépersonnalisation et 13 % un accomplissement personnel bas. Par ailleurs, 34 % sont considérés comme déprimés, et le risque de burnout et de dépression serait d’autant plus élevé qu’ils ne sont pas satisfaits par leur choix de carrière (4). Ce constat inquiétant sur le plan personnel pourrait aussi avoir des conséquences diverses, tant sur le niveau de formation de ces futurs praticiens ou sur la qualité et la sécurité des soins prodigués aux patients, que sur les choix de carrière et l’attractivité de la spécialité dans le contexte actuel de démographie médicale. * Département d’urgence et de posturgence psychiatrique, hôpital Lapeyronie, CHRU de Montpellier. Le Lettre L ttre tree d du Gynécologue G Gyné Gyynéc éco colo logu gue • nn°° 3361 61 - av avri avril ril 2 2011 01 011 6 | Laa Lett Références bibliographiques 1. Cauchard L, Courtet P. La médecine peut-elle nuire à la santé des médecins ? La Lettre du Psychiatre 2011;7:12-6. 2. Schernhammer ES, Colditz GA. Suicide rates among physicians : a quantitative and gender assessment (meta-analysis). Am J Psychiatry 2004;161:2295-302. 3. Maslach C, Jackson SE, Leiter MP. Maslach Burnout Inventory Manual, 3rd ed. Palo Alto, CA, Consulting Psychologists, 1996. 4. Becker JL, Milad MP, Klock SC. Burnout, depression, and career satisfaction: cross-sectional study of obstetrics and gynecology residents. Am J Obstet and Gynecol 2006;195:1444-9. 5. Barbieri RL, Tesoro M, Frigoletto FD Jr. Twin goals: continuing professional development and improved patient care: report of an ACOG District I retreat focused on the future of obstetrics and gynecology. Obstet Gynecol 2007;109:435-40. 6. Spickard A Jr, Grabbe SG, Christensen JF. Mid-career burnout in generalist and specialist physicians. JAMA 2002;288:1447-50.