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« La femme regarda l’arbre pour découvrir que les fruits étaient bons » : voilà la convoitise des yeux et de la
chair ;
« Et le fruit était précieux pour ouvrir l’intelligence, être Dieu à la place de Dieu » : voilà l’orgueil de la vie.
La convoitise, je le sais, est un désir fort ; une ambition d’infini ; une volonté de venir au-dessus des êtres et
des choses ; une démangeaison d’être Dieu à la place de Dieu.
Ce sont là des appétits qui s’autoalimentent.
Pour être toujours au-dessus, la convoitise conduit l’homme à se hisser, se hausser, et se tirer lui-même par les
cheveux.
C’est la projection hors de soi (pro-jet).
Ce que veut me montrer Jacques, celui que je cite depuis le début de cet entretien, c’est que la convoitise, au
sens fort du terme, c’est « se proclamer, se propulser au-dessus » dans un esprit de domination et de
puissance.
C’est la soif de pouvoir qui conduit l’homme à vouloir même supplanter Dieu, et prendre sa place.
Ce n’est rien d’autre que le pro-jet d’« être comme Dieu » déjà rencontré dans le livre de la Genèse.
C’est encore cette entreprise de Babel : une montée vers Dieu dans le but de le dépasser pour le maîtriser.
Il faut donc vraiment se méfier de cette convoitise, de cette tentation intime, et extrême, parce que « La
convoitise conçoit et engendre. Et elle engendre quoi ? Non la vie, mais la mort ! » Ce n’est pas moi qui le dit,
c’est Jacques !
L’homme tenté est celui qui, par convoitise, pro-jette sa propre histoire en éliminant celle de Dieu.
Il ne construit pas la vie, mais la mort. Sa propre mort !
Musique : Emilie Simon, film de Luc Jacquet : La marche de l'Empereur, plages 6. Universal 981142-2.
Depuis la tentation au Jardin d’Eden jusqu’aux propos de Jacques, en passant par les Dix Commandements, je
touche du doigt la source du problème : la convoitise.
C’est dans le cœur de l’homme qu’il y a source de convoitise et de tentation. Voilà un point désormais bien
établi. Et Jacques précise : « Chacun est attiré par ses propres convoitises… Chacun est tenté, quand il est
attiré et amorcé… ».
Les verbes qu’il emploie sont très spécifiques et rares dans les écrits du Nouveau Testament.
Ils évoquent, avec une certaine dureté la courtisane, l’entraîneuse, le chasseur ou le pêcheur.
Ils parlent de ruse et de piège, mais aussi de séduction, d’appât et de stratégie.
Il ne suffit donc pas qu’il y ait en moi convoitise, tentation d’avoir, de prendre, de saisir ; il ne suffit pas
d’avoir soif de posséder, soif de puissance…
Cela pourrait, à la limite, rester dans mon cœur et se borner à me torturer : ce qui déjà n’est pas facile à vivre
et à gérer !
Mais voilà que la convoitise est, selon l’expression de Jacques, amorcée, attirée, appâtée.
C'est-à-dire qu’il y a, en plus de la tentation, une force extérieure qui se met au service et au diapason d’une
force intérieure : je parle ici de la circonstance ou du contexte ; je pense à l’occasion ou à l’opportunité.
Permettez-moi d’illustrer cette idée par quelques exemples :
L’homme qui est assoiffé d’argent, tenté d’en posséder beaucoup, ne volerait peut-être pas s’il n’y avait pas
tout cet argent à portée de vue.
La circonstance qui entraînera le fait de « succomber à la tentation », ce sera une vieille dame qui sort de la
poste, un jeune homme en train de tirer quelques billets au distributeur, ou un convoyeur de fonds qui
trimballe des millions…
Ou bien l’homme assoiffé de gloire et de reconnaissance ne chercherait pas à sortir du lot s’il n’y avait le
miroir aux alouettes de certaines émissions de télévision qui exploitent l’illusion des réussites faciles et
auxquelles on est tenté de croire parce qu’on voit les paillettes et pas les oubliettes.
Ou encore celui qui est attiré par la drogue sait très bien qu’il y a des lieux à éviter pour échapper au cercle
infernal. Mais s’il se met en situation, s’il va en des endroits où il sait les dealers au rendez-vous, il se donne
lui-même les occasions de ne pouvoir résister aux tentations.
Voyez-vous, la tentation, et succomber à la tentation, c’est la conjonction entre la convoitise et la
circonstance ; la convoitise que l’on écoute et la circonstance qui se présente, ou que l’on cherche !