À PROPOS DE LA MÉFIANCE… (Juillet 2006)

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À PROPOS DE LA MÉFIANCE…
Venons à l’Évangile de ce vendredi 14 juillet (Matthieu 10, 16-23). Ne nous abritons pas derrière le
« mystère » en faisant l’économie de clarifier cette phrase : « Méfiez-vous des hommes… ». Prise au pied
de la lettre, elle apporte des conséquences qui peuvent être fâcheuses : se méfier des hommes -créés à
l’image de Dieu- peut conduire tout droit à se méfier de Dieu lui-même !
Penchons alors pour une ambiguïté de traduction. Ce n’est pas la seule dans les Évangiles. La plus
controversée est bien sûr cette fameuse formule du Notre Père : « ne nous soumets pas à la tentation ».
L’ancienne formule « ne nous laisse pas succomber à la tentation » est sans doute plus fidèle au texte
original. Si le Père permet la tentation, seul le démon peut nous y soumettre : pourquoi persister à faire
endosser ce rôle presque « blasphématoire » au Père, même en-dehors de toute intention maligne à cet
égard ? Surtout quand on lui demande aussitôt de « nous délivrer du mal » ! N’est-ce pas lui demander
simultanément une chose et son contraire ? Est-ce donc si insurmontable de remettre en question une
mauvaise traduction qui ne contribue guère à clarifier l’esprit du texte originel ? Si l’on tient véritablement
à cette nouvelle formule -en cours depuis les années post-conciliaires- (mais le Concile Vatican II n’y est
pour rien…), il conviendrait de la préciser de cette façon : « ne permets pas que nous soyons soumis à la
tentation ». C’est plus long… mais tellement moins ambigu ! L’ajout est moins anodin qu’il n’y paraît : il
rétablit le rôle du père, ce rôle si malmené de nos jours. Dans une civilisation digne de ce nom, le père est
celui qui détient l’autorité. Il est celui qui dicte la loi, qui énonce le droit : il permet… ou ne permet pas.
Cela vaut pour les pères de la terre, comme pour « Notre Père qui es aux Cieux » dont ils sont précisément
à l’image. La traduction contemporaine d’un Père qu’on soupçonne de nous soumettre à la tentation a pour
étrange effet de brouiller cette perception : est-ce un « hasard » ?...
« Méfiez-vous des hommes… ». Ici également, l’ambiguïté est patente : comment un même Dieu
peut-Il nous inviter simultanément à la confiance et à la méfiance ? C’est l’une ou l’autre : le reste vient du
Mauvais. Laissons de côté cette traduction officielle pour examiner celle de sœur Jeanne d’Arc, op. qui a
l’imprimatur de l’évêque du Puy. Nous y trouvons ceci : « Défiez-vous des hommes… » Une simple consonne
de différence… mais quelle différence ! Bien entendu, le langage courant donne à ces deux verbes un sens
analogue sous leur forme pronominale. Mais le langage courant n’est pas nécessairement la meilleure
référence pour l’attribution d’un sens. Recourons aux services d’un dictionnaire classique (le petit Robert,
pour ne pas le citer). Dans les deux cas, nous sommes face à un préfixe privatif : mé et dé.
Or, le dictionnaire nous livre la définition de ces préfixes : elle n’est pas sans surprises…
- « DÉ-, DES, DÉS - Élément, du lat. dis-, qui indique l’éloignement, la séparation, la privation. »
- « MÉ - Élément à valeur péjorative, du frq. missi : mécompte, mépris ; més. devant voyelle : se mésallier
; mes- devant s : messoir. » (On pourrait ajouter d’autres exemples, comme médisance ou méfait…)
Ce qui saute immédiatement aux yeux, c’est la valeur dite péjorative du préfixe mé : les exemples
cités ne font que l’attester. Cette valeur est heureusement inexistante chez dé.
Cela suffit déjà à mesurer l’abîme de différence qui peut exister sur le sens profond d’un mot, selon
qu’il est doté de l’un ou de l’autre de ces préfixes. L’un est un privatif neutre, l’autre est un privatif à
forte connotation morale… dans le plus mauvais sens du terme.
Dès lors, la méfiance devient un mot plus pernicieux qu’il n’y paraît. On s’en doutait déjà : un
simple dictionnaire en apporte enfin la preuve ! Sur le plan théologique, le mot est une catastrophe. Méfiance ; quand on le décortique, le sens en est clair. Il consiste étymologiquement à tourner le dos à la foi,
à la fidélité, à s’y fermer.
La défiance semble a priori aller dans le même sens : la plupart des dictionnaires s’accorde
d’ailleurs à en faire des synonymes. Mais rappelons la neutralité morale du dé. Dé-fiance ; nous avons ici
plus subtilement une invitation à nous « dé-faire » de toute naïveté en prêtant foi au premier venu. Mais si
celui-ci s’avère digne de foi, en découle la confiance (con-fiance : « foi -ou fidélité- avec »)
À l’usage, il est plus difficile de passer de la méfiance à la confiance que de la défiance à la
confiance : la méfiance est un fruit de la peur ; elle ferme le cœur et confond le sujet avec ce qu’il nous
dit. Ce sujet est pour nous un menteur, un homme de peu de foi ou dans l’erreur : nous ne le croyons pas.
La défiance est un fruit de la prudence : elle garde le cœur ouvert en nous faisant distinguer le sujet de ce
qu’il nous dit. Ce sujet est pour nous dans l’erreur : nous ne le croyons pas ponctuellement MAIS conservons
l’espérance qu’il retrouve la vérité… et nous agissons précisément dans le dessein de restaurer en lui cette
vérité.
Allons plus loin, et découvrons que les deux mots sont à la racine… antonymes ! Curieusement, le
verbe se méfier n’existe PAS en dehors de sa forme pronominale. Ce n’est pas le cas du verbe se défier. Le
verbe défier existe bel et bien. Quand on parcourt les définitions qui en sont données dans n’importe quel
dictionnaire, le moins que l’on puisse dire est que nous sommes aux antipodes de la PEUR… CQFD.
« Défiez-vous des hommes… » À la lumière de ce qui vient d’être énoncé, cette phrase prend donc
une toute autre tournure. Elle ne contredit PLUS celle qui la précède : « Soyez donc adroits comme les
serpents, et candides comme les colombes. »
©MdT, juillet 2006
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