Ce que veut l’Amérique
« Vingt ans se sont écoulés depuis que nous avons signé le dernier traité de paix (exactement le même laps de
temps qu’entre le Traité de Versailles et l’agression hitlérienne). Anniversaire dont l’ombre plane sinistrement sur
notre époque agitée. En 1939, tous les efforts et toutes les initiatives de dernière heure n’ont pu éviter la catastrophe.
Sommes-nous sûrs de ne pas aboutir encore une fois à la même faillite ? Cette question prime toutes les autres car à
l’époque nucléaire, il ne peut y avoir que la paix ou le néant.
Or, nous nous trouvons confrontés actuellement, en République Dominicaine, au Vietnam, à Cuba et dans une
dizaine d’autres régions du monde, avec des problèmes qui semblent presque insolubles. Découragés, beaucoup
d’Américains clament à grands cris que nous retournions aux vieilles limites raisonnables et confortables de notre
pays et que nous laissions le reste du monde se débrouiller tout seul. Or, telle est précisément l’erreur que nous avons
commise en 1919. en des circonstances similaires, nous nous sommes retranchés derrière des principes politiques du
siècle dernier : moralisme hautain et isolationnisme. Le président Wilson a bien essayé par l’intermédiaire de la SDN
de nous faire redescendre sur terre en créant la première ébauche d’une société internationale viable, basée sur la loi,
sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, sur des institutions organisées en vue de maintenir la paix. Mais, ce
plongeon dans la réalité était trop brutal pour nous, nous sommes retournés à notre vieil isolationnisme et nous avons
cru qu’il suffisait de donner des bons conseils pour exercer notre influence. En 1941, la tempête fasciste nous a
entraînés dans le courant de l’Histoire. Les destructions incalculables de la 2nde GM ont pratiquement dépouillé le
monde de toute puissance, exceptée la nôtre. Seules notre puissance, notre politique, notre stratégie semblaient
efficaces.
Aurions-nous pu, en 1945, retomber dans nos erreurs de 1919 ? Peut-être. Mais, en fait, c’est la tentation
inverse qui s’est présentée à nous. Nous pouvions rêver de toutes les conquêtes. N’étions-nous pas les seuls à avoir la
bombe atomique ? Les seuls à avoir une économie saine dans un monde ruiné ? Les seuls à avoir un potentiel
d’énergie non entamé par les épreuves de la guerre ?
Mais, nous ne sommes pas des conquérants. Nous sommes peut-être la grande puissance la moins ambitieuse
de l’Histoire. Et certainement aucune grande puissance n’est passée aussi brutalement de la tentation d’un
isolationnisme hautain à la tentation opposée d’une hégémonie quasiment absolue.
Mais, nous n’avons pas perdu notre idéalisme. Nous avosn participé à la construction de l’ONU sur la base de
l’égalité et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et nous avons toujours, depuis lors, mis toutes nos forces en
jeu pour la faire fonctionner. Nous nous sommes faits les champions de la décolonisation. Nous avons proposé une
internationalisation de l’énergie atomique… nous avons défendu le monde libre en Grèce et en Turquie. Nous avons
été les promoteurs de l’Alliance atlantique. Nous avons défendu Berlin, et nous avons mis sans compter les
ressources américaines au service du plan Marshall. Ce furent des exploits étourdissants. A peine parvenue pour la
première fois dans son histoire au rang de leader mondial, l’Amérique a réalisé une performance que le vétéran le
plus expérimenté aurait difficilement réussi à égaler. Notre action n’était pas égoïste, ce n’en était pas moins une
manifestation de puissance. Les EU étaient prépondérants, nous guidions l’Alliance atlantique. La majorité des
Nations-Unies votées pour nous, l’Assistance économique venait entièrement de nous. Les communistes étaient en
grande partie contenus par nous.
Ce fut une grande période de leadership pendant laquelle nous avons su assumer nos responsabilités avec
générosité. Mais, je crains que nous nous soyons accoutumés à l’idée que quoique toutes les nations fussent égales
entre elles, nous étions nous-mêmes un tout petit peu plus égaux que les autres. Et, naturellement, cette sensation du
leadership risque de monter facilement à la tête d’un pays quel qu’il soit ! Je me souviens avoir dit un jour à propose
de la flatterie qu’elle était bonne à condition de ne pas l’avaler. La même réflexion est valable pour le leadership ;
c’est une bonne chose, mais il est possible que nous nous soyons laissés un peu intoxiquer. La question n’est pas de
savoir aujourd’hui si notre politique fut bonne dans le passé. En grande partie, elle le fut (mais ce n’est plus
l’affaire). Dans notre monde en évolution vertigineuse, il nous faut sans cesse réexaminer nos jugements et nos
stratégies. Le succès passé n’est pas un bon guide s’il nous abuse sur nos possibilités et nos problèmes actuels.
Aujourd’hui, nous nous trouvons en eface de conditions entièrement nouvelles. Le monopole de la puissance
appartient au passé. L’Europe occidentale a recouvré sa force économique et son potentiel militaire. La Russie
dispose d’une vaste machine de guerre dotée d’un arsenal nucléaire complet. La Chine ajoute l’embryon d’une
puissance nucléaire à ses armées massives. Et l’un, et l’autre de ces pays exploitent les nouvelles techniques de
l’agression indirecte, les prétendues guerres de libération nationale qui n’ont pas grand-chose de « national », qui ne
libèrent personne, et peuvent servir à couvrir n’importe quelle espèce d’intervention extérieure pour renverser
n’importe quel gouvernement, quelle que soit sa politique, pourvu qu’elle soit anticommuniste ou même non
communiste.
Notre idéalisme lui-même est frustré. Le Tiers monde des Etats post-coloniaux semble posséder beaucoup
moins de stabilité et d’endurance que nous ne l’avions prévu. A peine le colonialisme occidental disparu, certains
Etats semblent déjà prêts à reprendre le combat sous prétexte de « néo-colonialisme ». Entre temps, les nouvelles
techniques de subversion, d’infiltration, de tromperie et de confusion semblent être mal comprises, c’est le moins
qu’on puisse dire. Même en Europe, l’association de partenaires que nous attendions d’un continent unifié a été
remise en cause et stoppée par des réaffirmations de nationalisme.
Nous nous trouvons donc en face d’uns nouvelle situation (moins contrôlable et moins attrayante).
En fait, toute réponse claire, rapide, définissable est exclue. Dans l’actuelle incertitude du pouvoir, il n’existe
pas de moyens rapides permettant de régler le problème en tournant un bouton. »
Adlaï Stevenson, Ce que veut l’Amérique, Réalités, décembre 1965.
Consignes type baccalauréat : Après avoir présenté le document, vous montrerez qu’il illustre les problématiques en
jeu pour les Etats-Unis dans leur rapport au monde au cœur des années 60 avant d’en montrer ses limites.
Conseils pour la mise en œuvre :
- Numérotez les lignes de 5 en 5.
- Au brouillon, présentez l’auteur.
- Au brouillon, présentez le contexte immédiat, et sur un temps un peu plus long.
- Avec un crayon à papier, définissez le thème général de chaque paragraphe pour dégager la structure du
raisonnement de l’auteur. Définissez à qui il s’adresse.
- Avec des feutres de couleurs différentes (bleu, vert, jaune), dans le texte surligner les passages concernant les
références au passé, les références au présent, les références à l’avenir. En parallèle, expliquez au brouillon
chaque référence en traquant l’implicite. Ainsi, vous pourrez être sensibles aux ruptures, aux permanences.
- Avec un feutre rouge, surligner les passages dans lesquels l’auteur commet des erreurs, voire fait preuve
d’exagération ou de malhonnêteté. Cherchez en les explications.
- A partir de cela, vous pouvez rédiger votre introduction, votre conclusion.
- Enfin, rédigez le corps du texte explicatif.
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