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Marceau Long, vice président du Conseil d'état, écrivait lors d'un congrès d'éthique médicale, organisé
par le CNOM en 1991
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: "le secret médical doit demeurer une garantie fondamentale pour le patient et
le médecin, mais l'intérêt de la santé publique ne doit pas permettre qu'il soit le refuge derrière lequel
on s'abrite alors que le respect de la personne n'est pas mis en cause". Il paraphrase l'article 2 du code
de déontologie
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qui institue une hiérarchie dans l'action du médecin: d'abord l'individu puis la
communauté, mais sans oublier la communauté. D'autre jurisprudences évoquent l'importance de
considérer "l'obligation d'assistance à personne en danger"
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.
N'est ce pas précisément la situation que rencontre un médecin du travail qui est confronté à la
survenue d'une maladie professionnelle dont il constate l'extension à la population qu'il surveille?
La tendance actuelle de certains employeurs à confier à des juridictions ordinales des plaintes relevant
du secret professionnel de fabrique entretient une confusion regrettable.
Les conséquences d'une telle situation d'ambiguïté sur la nature du secret, son utilisation comme
moyen de pression sur les médecins du travail mettent ces derniers en situation de double injonction:
dire afin de remplir sa mission de prévention en santé publique au travail et être accusé d'atteinte au
secret professionnel ou ne pas dire, par crainte d'être accusé d'atteinte au secret professionnel, et au
risque d'encourir le reproche de ne pas remplir sa mission. La solution qui consisterait, comme cela
aurait été proposé, de démissionner pour éviter ce conflit d'intérêt est impraticable puisqu'elle
contreviendrait à l'article 48 du Code de déontologie médicale
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. Les conséquences de cette situation
sur l'exercice de la médecine du travail et la santé publique seraient sans doute désastreuses si elle
perdurait.
Des propositions
C'est pourquoi une double démarche devrait être menée.
1. En direction du Conseil national de l'ordre des médecins afin qu'il précise si, alors même que
pénalement, malgré leurs caractères spécifiques, la transgression du secret de fabrique et du
secret médical relève du même article de loi (article 226-13 du Code pénal), le secret médical
dont il est question sous la dénomination de secret professionnel dans l'article 4 du code de
déontologie médicale ne concerne que les personnes physiques, ayant qualité de patients et ne
peut donc relever des juridictions de l'Ordre que dans cette acception. Les personnes morales
ne sont, en effet, pas concernées par le secret médical, au sens strict, pour la raison qu'elles
n'ont pas de réalité physiologique ce qui est central dans la relation médicale. En réalité, on
observe, tout au contraire, que le code de déontologie médicale dans ses articles 71, 83, 95, 96
et 97, impose au médecin la plus grande circonspection vis-à-vis des personnes morales et lui
impose de " toujours agir, en priorité, dans l'intérêt de la santé publique et dans l'intérêt des
personnes et de leur sécurité au sein des entreprises ou des collectivités où il exerce"
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. Ainsi
les transgressions du secret médical relèveraient à la fois de la juridiction ordinale et de la
juridiction pénale et les atteintes au secret de fabrique qui demande une compétence et le
recours à une jurisprudence spécifiques seraient jugées par la juridiction pénale.
2. En direction du Législateur. Car, bien qu'il soit parfaitement légitime et licite, comme nous
venons de le démontrer, de transmettre les éléments permettant d'apprécier les risques pour la
santé aux salariés, à leurs représentants et à tout organisme réglementairement en charge de
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Cité par le Président Louis René dans ses commentaires à l'article 4 dans "Code de déontologie médicale introduit et commenté par Louis
René, préface de Paul Ricoeur", Points Essais, Le seuil, 1996.
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Art. 2. - Le médecin, au service de l'individu et de la santé publique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et
de sa dignité. Le respect dû à la personne ne cesse pas de s'imposer après la mort.
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l'article 223-6 du code pénal dispose : "Sera puni de cinq ans de prison et de 500.000 francs d'amende quiconque s'abstient
volontairement de porter à une personne en péril l'assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son
action personnelle soit en provoquant un secours."
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Art. 48 du Code de déontologie médicale: Le médecin ne peut pas abandonner ses malades en cas de danger public, sauf sur ordre
formel donné par une autorité qualifiée, conformément à la loi.
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Article 95 du Code de déontologie médicale:" Le fait pour un médecin d'être lié dans son exercice professionnel par un contrat ou un
statut à une administration, une collectivité ou tout autre organisme public ou privé n'enlève rien à ses devoirs professionnels et en particulier
à ses obligations concernant le secret professionnel et l'indépendance de ses décisions.
En aucune circonstance, le médecin ne peut accepter de limitation à son indépendance dans son exercice médical de la part de l'entreprise ou
de l'organisme qui l'emploie. Il doit toujours agir, en priorité, dans l'intérêt de la santé publique et dans l'intérêt des personnes et de leur
sécurité au sein des entreprises ou des collectivités où il exerce."