Dossier mt pédiatrie 2011 ; 14 (4) : 297-306 Les nouveautés thérapeutiques de l’infection congénitale à cytomégalovirus New therapeutic strategies of congenital cytomegalovirus infection 1 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Annie Elbez Rubinstein Estelle Millot2 1 Service de Néonatologie CHIC Créteil, 40 avenue de Verdun, 94000 Créteil, France <[email protected]> 2 Service de Néonatologie CHIC Créteil, 40 avenue de Verdun, 94000 Créteil, France Résumé. L’infection à cytomégalovirus (CMV) est la plus fréquente des infections congénitales avec une prévalence estimée à environ 1 % des nouveau-nés en France. Elle est la première cause de retard mental et de déficit auditif non héréditaire dans les pays développés, et pose un problème majeur de santé publique. Seulement 10 % des enfants infectés sont symptomatiques à la naissance. Mais le déficit neurosensoriel peut se faire de façon progressive durant l’enfance chez les enfants symptomatiques à la naissance ou même chez les asymptomatiques. De nombreux auteurs ont montré que le traitement antiviral par ganciclovir améliore le pronostic neurologique de ces enfants, mais les indications du traitement, sa durée et sa voie d’administration ne sont pas consensuels, car ils n’ont pas fait l’objet d’évaluation prospective. La possibilité d’un traitement oral par valganciclovir, et les recherches sur les vaccins sont des avancées thérapeutiques importantes, mais aucune recommandation n’est à ce jour publiée. Mots clés : infection congénitale à CMV, thérapeutique antivirale Abstract. CMV infection is the most common congenital viral infection, affecting approximately 1 % of all newborns in France. It is the leading cause of mental retardation and non hereditary hearing loss in the developed world. Only 10 % of infected infants are symptomatic at birth. However progressive hearing loss can appear during childhood in symptomatic and asymptomatic children. Although authors have shown that Ganciclovir may prevent neurologic and hearing deterioration, the lack of prospective studies makes indications of treatment, duration, and modalities of administration are unconsensual. The possibilities of oral formulation (valganciclovir), and present research on vaccine are attractive alternatives to Ganciclovir, but no guidelines are published. Keywords: congenital CMV, antiviral therapy doi:10.1684/mtp.2011.0398 L’ mtp Tirés à part : A. Elbez Rubinstein infection congénitale à cytomégalovirus (CMV) est la plus fréquente des infections congénitales et sa prévalence est estimée à 1 % des nouveau-nés. Elle est une cause majeure de déficit auditif neurosensoriel non héréditaire et de retard psychomoteur dans les pays développés, et pose un problème de santé publique. Quatre-vingt-dix pour cent des nouveau-nés infectés sont asymptomatiques, et 10 à 15 % d’entre eux risquent d’avoir des séquelles neurosensorielles à long terme (surdité) [1]. En France, en dehors de quelques protocoles de suivi prospectif systématique des séroconversions maternelles en cours de grossesse, le dépistage sérologique maternel n’est pas recommandé de façon systématique à l’heure actuelle (rapport de l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé [ANAES] de 2004 [2]), en raison de l’absence de marqueur pronostique fiable, de l’absence de traitement préventif ou curatif de l’infection et de la transmission materno-fœtale, et du fait que la plupart des fœtus infectés sont asymptomatiques à la naissance. Le traitement des infections généralisées à CMV est lourd et ne permet pas d’éviter les séquelles de lésions déjà évoluées. Cependant certaines études ont montré que les traitements antiviraux, comme le ganciclovir ou le Foscarvir® pouvaient limiter les séquelles neurosensorielles à court terme et à long terme, mais ils présentent des effets secondaires sérieux. Il est donc important de poser les indications et les modalités d’un traitement précoce et d’un suivi prolongé de ces enfants [3]. Pour citer cet article : Elbez Rubinstein A, Millot E. Les nouveautés thérapeutiques de l’infection congénitale à cytomégalovirus. mt pédiatrie 2011 ; 14(4) : 297-306 doi:10.1684/mtp.2011.0398 297 Les nouveautés thérapeutiques de l’infection congénitale à cytomégalovirus Réinfection par une autre souche Primo-infection VIRÉMIE Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Infection des organes cibles Excrétion virus salive, urines, sperme, etc. LATENCE Réactivation Figure 1. Modes de transmission du cytomégalovirus (CMV) : une primo-infection maternelle ou une réactivation d’un virus latent, ou une infection maternelle avec une autre souche de CMV. L’objectif de cet article est de faire le point sur les nouveautés thérapeutiques de l’infection congénitale à CMV en 2011 en l’absence de recommandation. Rappel sur l’infection congénitale à cytomégalovirus La transmission materno-fœtale La transmission materno-fœtale du CMV se fait par voie hématogène ou transplacentaire. Lors d’une primoinfection maternelle, le taux de transmission au fœtus est de 30 à 40 % (rôle barrière du placenta) (figure 1). Mais il peut s’agir également d’une infection maternelle secondaire par réinfection par une autre souche, ou par réactivation endogène lors de l’immunodépression physiologique pendant la grossesse (figure 2). Le taux de transmission est alors faible de l’ordre de 0,2 à 2 % avec un risque faible de séquelles (1 %) [4]. La majorité des nouveau-nés infectés (environ 90 %) sont asymptomatiques, mais 10 à 15 % d’entre eux développent quand même des séquelles neurosensorielles à court ou moyen terme (principalement une surdité) qui peuvent être très graves. En France, en l’absence de dépistage systématique, les sérologies maternelles sont donc réalisées devant des signes d’appel clinique comme un syndrome grippal ou des signes d’appel échographiques fœtaux comme un retard de croissance intra-utérin, un grêle hyperéchogène, une hépato-splénomégalie, un oligoamnios ou un hydramnios, un anasarque, une microcéphalie, ou une ventriculomégalie. Enfants viruriques 10% Enfants symptomatiques 50% Maladie des inclusions cytomégaliques Formes incomplétées 50% 90% Séquelles tardives Primo-infection maternelle Enfants viruriques 90% Enfants asymptomatiques 10% Séquelles tardives 5% Enfants symptomatiques 80% Séquelles tardives 15% Séquelles tardives 95% Enfants asymptomatiques Réactivation maternelle 3% Séquelles tardives 17% Séquelles tardives Figure 2. Pourcentage (%) de séquelles cliniques en fonction du mode de transmission [5]. Les séquelles neurosensorielles sont différentes en fonction du mode de transmission materno-fœtale du virus et de la forme clinique ou asymptomatique à la naissance. 298 mt pédiatrie, vol. 14, n◦ 4, juillet-août 2011 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Généralités sur le cytomégalovirus Le CMV est un virus ADN du groupe Herpes virus. Son tropisme cellulaire et neurocellulaire explique qu’il peut entraîner des malformations ou des lésions cérébrales en fonction du terme de la grossesse. Une infection précoce peut se compliquer d’anomalies de la migration cellulaire de type lissencéphalie avant 16-18 SA, ou de type polymicrogyrie pour une infection vers 18-24 SA. Une atteinte plus tardive au cours du 3◦ trimestre donne plutôt des lésions diffuses hétérogènes de la substance blanche avec une gyration normale. Comme l’infection peut persister pendant plusieurs semaines, différentes anomalies peuvent coexister dans les cas les plus sévères. L’infection maternelle La femme enceinte s’infecte soit par contact sexuel, soit par contact avec des jeunes enfants, surtout s’ils fréquentent la collectivité. Elle peut transmettre le virus au fœtus, par voie hématogène ou transplacentaire. En France, 43 à 51 % des femmes enceintes sont séronégatives, et 0,6 à 1,4 % d’entre elles font une primo-infection à CMV pendant la grossesse. Le taux de transmission au fœtus est de 30 à 40 %, le placenta jouant le rôle de barrière. En cas de récurrence, la transmission fœtale est très inférieure, en moyenne 2,8 %. Plus de 90 % des primo-infections à CMV sont asymptomatiques chez la mère. Des recommandations doivent être données aux futures mères pendant la grossesse pour diminuer le risque de séroconversion (mesures d’hygiène). Le CMV est transmis à l’enfant de manière constante au cours des trois trimestres de la grossesse, mais l’infection maternelle du premier trimestre entraîne beaucoup plus de séquelles que les trimestres suivants. Le diagnostic d’infection maternelle à CMV Il repose sur la recherche directe du virus par amplification d’ADN du virus à partir de prélèvement de sang ou d’urines, c’est la PCR ADN (technique très rapide et la plus utilisée). La recherche indirecte par les sérologies : IgG anti-CMV dépiste une éventuelle séroconversion ; la découverte d’IgM fait suspecter une infection récente, mais peut se voir dans les infections anciennes ou lors des réactivations. La mesure de l’avidité de l’IgG pour l’antigène viral permet de préciser le caractère récent ou ancien de la primo-infection au virus. Ce test est très utile chez la femme enceinte, car la détection d’une faible avidité des IgG anti CMV indique que l’infection date de moins de 3 mois, alors que la détection d’une forte avidité indique une infection datant de plus de 3 mois. L’infection congénitale Le diagnostic d’infection congénitale à CMV se fait par l’isolement du virus dans les urines, et se confirme par la PCR CMV dans le sang du nouveau-né. Parmi les enfants atteints, 5 % présentent la maladie des inclusions cytomégaliques, forme grave pluriviscérale, avec un taux de mortalité élevé dans les premières semaines de vie, estimé de 5 à 30 %. Il s’y associe des signes biologiques (élévation des transaminases, anémie hémolytique, thrombocytopénie, hyperbilirubinémie), des signes cliniques (hépatosplénomégalie, pétéchies, purpura, ictère), et notamment des signes témoignant de l’atteinte neurosensorielle (calcifications périventriculaires, microcéphalie, atrophie cérébrale, choriorétinite, hypotonie, spasticité). La majorité des nouveau-nés symptomatiques (90 %) présentent des séquelles neurologiques avec un retard psychomoteur et un déficit neurosensoriel (surdité). Cinq pour cent ont une atteinte typique (hypotrophie, ictère, hépato-splénomégalie, purpura, microcéphalie, convulsions, hypotonie). Quatre-vingt-dix pour cent ont une forme latente asymptomatique, mais 10 % à 15 % d’entre eux présentent quand même des séquelles neurosensorielles tardives, principalement une surdité, un déficit visuel, un désordre intellectuel léger, qui se révèlent dans les deux premières années et jusqu’à l’âge scolaire. La gravité de l’infection ne dépend pas de la virulence de la souche mais du type d’infection maternelle. En cas de primo-infection maternelle, 50 % des enfants garderont des séquelles. Parmi les enfants asymptomatiques à la naissance, 10 % présenteront des séquelles plus ou moins tardives. Mais lors d’une réactivation, moins d’enfants sont atteints, et moins gravement. Les anomalies échographiques en particulier cérébrales sont associées à un mauvais pronostic. La microcéphalie est un facteur de risque reconnu de retard mental. Les anomalies de la gyration sont fortement associées à l’épilepsie. Le pronostic des lésions isolées des pôles temporaux est variable et peut s’accompagner d’une surdité. En revanche, l’hyperéchogénicité isolée des vaisseaux thalamostriés n’est pas de mauvais pronostic. Traitement médicamenteux Généralités sur les traitements antiviraux Tous les médicaments antiviraux pour le traitement du CMV inhibent l’ADN polymérase viral, cependant ils diffèrent par leur pharmacologie. Chez l’adulte, quatre molécules antivirales sont disponibles pour le traitement de l’infection à CMV : le ganciclovir, le valganciclovir, le Foscavir®, et le cidofovir (tableau 1). Les indications de traitement Si les indications de traitement curatif ou prophylactique sont bien définies chez l’adulte, il n’existe pas de recommandation en cas d’infection in utero, périnatales mt pédiatrie, vol. 14, n◦ 4, juillet-août 2011 299 Les nouveautés thérapeutiques de l’infection congénitale à cytomégalovirus Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Tableau 1. Traitement des infections à cytomégalovirus (CMV) de l’adulte [6]. Les quatre traitements antiviraux utilisés chez l’adulte sont résumés dans ce tableau. 300 Mécanismes d’action Doses Indications Effets secondaires Commentaires Ganciclovir Inhibition de la CMV ADN polymérase Nécessite une phosphorylation cellulaire 10-12 mg/kg/j IV en 2 prises Infection congénitale symptomatique Rétinite à CMV Maladie cytomégalique de l’immunocompétent Neutropénie thrombopénie Inhibition de la spermatogenèse chez l’animal Efficacité attendue sur séquelles neuro-sensorielles Valganciclovir Précurseur du ganciclovir 900 mg x2/j Per os Rétinite à CMV thérapie préventive des transplantés Neutropénie Thrombopénie Bonne biodisponibilité orale Foscavir® Inhibiteur CMV polymérase 180 mg/kg/jour en 2 à 3 prises IV Rétinite à CMV Maladie cytomégalique de l’immunocompétent Résistance au ganciclovir Rénaux Dentaires Osseux Aucune étude chez l’enfant Cidofovir Inhibiteur CMV polymérase 5 mg/kg IV 1 fois/semaine pendant 15 j, puis 2 fois/semaine Maladie cytomégalique de l’immunocompétent Résistance au ganciclovir Rénaux Aucune étude chez l’enfant ou postnatales. Aucune étude prospective n’a été menée jusqu’à ce jour concernant les infections congénitales à CMV. Plusieurs études montrent que le traitement donné chez les sujets symptomatiques ayant une atteinte centrale, entraîne une stabilisation, voir une amélioration de l’audition et du développement neurologique par rapport aux enfants non traités [7, 8]. DW. Kimberlin en 2003 [8], dans un essai contrôlé et randomisé, a comparé les effets du ganciclovir intraveineux sur le déficit auditif chez les sujets atteints d’une infection congénitale symptomatique à CMV. Parmi les 100 nouveau-nés qui étaient étudiés, 42 avaient les critères d’inclusion (< 1 mois, > 32 SA, poids de naissance > 1 200 g, infection congénitale à CMV avec une atteinte centrale) : 25 recevaient du ganciclovir à la dose de 6 mg/kg/dose administrée par voie veineuse toutes les 12 heures jour pendant 6 semaines, et 17 enfants n’étaient pas traités. À 6 mois, les enfants traités avaient une stabilisation voire une amélioration de leur audition par rapport aux enfants non traités (84 % versus 56 %, p = 0,06), et aucun enfant n’avait de détérioration auditive (0 versus 41 %, p < 0,01). À 1 an, 21 % des enfants traités avaient une détérioration auditive versus 68 % dans le groupe non traité (p < 0,01). De plus, les enfants traités avaient une augmentation significative du poids et du périmètre crânien par rapport aux enfants non traités. Près des deux tiers des enfants traités ont eu une neutropénie significative en cours de traitement. Cette étude, malgré le faible nombre de patients inclus, suggère que chez certains patients, le traitement dans la période périnatale pourrait modifier la morbidité à long terme de cette infection. En 2009, SE. Oliver [9] comparait dans un essai contrôlé et randomisé le devenir neurologique à 6 mois et à 12 mois de nouveaunés infectés par le CMV avec une atteinte neurologique centrale traitée par ganciclovir. Cent nouveau-nés étaient inclus dans cette étude (âge < 1 mois, > 32 SA, poids de naissance > 1 200 g) : 48 nouveaux nés recevaient du ganciclovir intraveineux à la posologie de 12 mg/kg/jour pendant 6 semaines, et 52 enfants n’étaient pas traités. Le devenir neurologique était évalué à partir du score de Denver II (4 composants principaux : motricité globale et fine, langage, personnalité et comportement social). Les enfants traités par le ganciclovir avaient moins de retard de développement à 6 mois et à 1 an par rapport aux enfants non traités, quels que soient les champs du score de Denver étudiés (figure 3). Facteurs prédictifs de séquelles Plusieurs études ont montré que les enfants asymptomatiques infectés par le CMV pouvaient développer à court ou à moyen terme des séquelles neurosensorielles [10-14] (figure 4). Selon les auteurs, 40,7 % à 60 % des mt pédiatrie, vol. 14, n◦ 4, juillet-août 2011 Average total delays Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. 20 15 10 No treatment Ganciclovir treatment P = 0.007 P = 0.02 5 0 6 weeks 6 months 12 months Figure 3. Résultats du test de Denver sous et sans traitement [9]. Les enfants symptomatiques à la naissance avec une atteinte centrale du cytomégalovirus (CMV) traités par du ganciclovir ont un score de Denver II dans les quatre champs significativement plus élevés à 6 mois et à 12 mois par rapport aux enfants non traités. enfants symptomatiques et 7,4 % à 20 % des enfants asymptomatiques développent un déficit auditif pouvant apparaître secondairement, imposant un suivi [10-12]. L. Royackers en 2011 [7] sur une petite série de 97 enfants montre une amélioration de la perte auditive chez des sujets traités. En 2009, A. Lackner [15] suit sur 10 ans le déficit auditif des nouveau-nés asymptomatiques. Il montre sur cette petite série que le ganciclovir améliore la surdité des enfants traités par rapport aux enfants non traités (figure 4). Des facteurs prédictifs du développement d’une surdité ont été recherchés. Pour certains, le taux de CMV urinaire et la charge virale plasmatique seraient prédictifs du développement de séquelles neurosensorielles [1, 16, 17] (figures 5-6). Pour d’autres, ce serait une infection symptomatique à la naissance, la race ou le petit poids de naissance [14]. Mais les études sont contradictoires, et il est actuellement difficile de prédire quels enfants développeront un déficit neurosensoriel et quel en sera le degré. En 2005, SB. Boppana [2] montre sur une cohorte de 76 nouveaux nés atteints par le CMV que les enfants symptomatiques à la naissance ont un taux de CMV urinaire et une charge virale plasmatique à la naissance supérieurs aux sujets asymptomatiques. De plus, les enfants avec un déficit auditif ont une charge virale sanguine et un taux de CMV urinaire supérieurs à ceux qui ont une audition normale. Mais SA. Ross en 2009 [18] trouve qu’il n’y avait pas de différence significative concernant la charge virale entre les enfants avec et sans déficit auditif. Facteurs prédictifs d’indication de traitement Les plus grandes quantités de virus sont excrétées au cours des 6 premiers mois de vie. Les nourrissons ayant une infection congénitale symptomatique à CMV excrètent de plus grande quantités de virus que les nourrissons asymptomatiques ou ceux ayant eu une infection acquise pendant la période périnatale (figure 7) [4]. Des résultats similaires ont été obtenus par l’analyse de la PCR dans le sang de ces nouveau-nés infectés. Une relation a été identifiée entre le nombre de copies d’ADN viral dans le sang périphérique et les séquelles à long terme. N = 580 infections congénitales à CMV N = 160 enfants symptomatiques Audition normale à la naissance n = 85 (53 %) Audition anormale à la naissance n = 52 (3 %) Déficit auditif progressif n = 23 (14 %) N = 420 enfants asymptomatiques Audition normale à la naissance n = 380 (90 %) Audition anormale à la naissance n = 25 (6 %) Déficit auditif progressif n = 15 (4 %) Figure 4. Pourcentage de séquelles auditives chez les enfants symptomatiques et asymptomatiques à la naissance [14]. Les enfants symptomatiques et asymptomatiques à la naissance peuvent présenter des séquelles neurosensorielles progressives. mt pédiatrie, vol. 14, n◦ 4, juillet-août 2011 301 Les nouveautés thérapeutiques de l’infection congénitale à cytomégalovirus 10000000 Urine CMV titers (pfu/mL) ∗ 100000 10000 1000 100 10 1 Asymptomatic Symptomatic Figure 5. Taux de cytomégalovirus (CMV) urinaire chez les enfants symptomatiques et asymptomatiques en fonction de l’existence d’une atteinte auditive ( ) ou de l’absence de surdité ( ) [2]. La charge virale urinaire pourrait être prédictive des séquelles auditives chez les sujets infectés par le CMV. Cela suggère la possibilité de sélectionner les enfants à risque de séquelles comme des candidats potentiels à un traitement antiviral et permet leur surveillance. Le mode d’administration Des groupes d’experts des médicaments antiviraux auspices ont mené une étude de phase II pharmacocinétique et pharmacodynamique pour établir la dose sûre de ganciclovir devant être utilisée chez le nourrisson. Le A ganciclovir à la posologie de 12 mg/kg/j en 2 injections intraveineuses pendant 6 semaines a montré son efficacité sur le déficit auditif chez les sujets symptomatiques avec une atteinte centrale [8]. Mais l’administration de ganciclovir pose 2 problèmes majeurs. D’une part, la durée du traitement et sa voie d’administration nécessitent la pose d’une voie d’abord centrale avec des risques d’infection. D’autre part, dans cette étude, environ 2/3 des sujets avaient des effets secondaires à type de neutropénie, majorant le risque d’infection secondaire du cathéter central. B 1.0×109 1.0×109 8 1.0×108 1.0×10 CMV DNA in blood (ge/mL) CMV DNA in blood (ge/mL) Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. 1000000 7 1.0×10 6 1.0×10 5 1.0×10 1.0×104 1.0×103 1.0×102 1 1.0×10 0 1.0×10 1.0×10-1 <2 mo 2-12 mo 1.0×107 1.0×106 1.0×105 1.0×104 1.0×103 1.0×102 1.0×101 1.0×100 1.0×10-1 12-36 mo <2 mo 2-12 mo 12-36 mo Figure 6. Charge virale du cytomégalovirus (CMV) chez sujets avec déficit auditif ( ) et sans ( ) A : enfants asymptomatiques à la naissance B : enfants symptomatiques à la naissance [18]). 302 mt pédiatrie, vol. 14, n◦ 4, juillet-août 2011 Asymptomatic congenital infection 5 Perinatal infection Standard error of the mean urine) Log CMV titer - (log10-TCID50/0.2mL Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Symptomatic congenital infection 4 3 2 Birth 42 3 6 9 12 15 18 24 30 36 Age (months) Figure 7. Evolution de la virurie en fonction du temps et de la forme clinique à la naissance [4]. Le ganciclovir oral ayant une faible biodisponibilité, une autre molécule a été développée. Le valganciclovir, un ester de valine du ganciclovir, a été évalué chez l’adulte dans les infections à CMV du sujet transplanté ou du sujet séropositif pour le virus du VIH, puis récemment étudié chez l’enfant. La biodisponibilté orale du valganciclovir est meilleure par rapport au ganciclovir oral. Mais les données disponibles sont limitées chez les enfants. En 2008, DW. Kimberlin [19] a montré que des doses de 16 mg/kg/dose 2 fois par jour équivalaient à des doses intraveineuses de 6 mg/kg x 2/jour. Le valganciclovir oral semble une thérapeutique intéressante et prometteuse, mais des études sur de plus grandes cohortes et de plus longue durée sont nécessaires afin de connaître les effets secondaires à long terme chez les enfants traités [1]. En pratique, que proposer ? Le ganciclovir est le traitement de choix d’une infection à CMV. Les indications certaines de traitement sont les formes symptomatiques telles que les choriorétinites, les hépatites surtout dans leur forme cholestatique, et les pneumopathies (tableau 2 ). Les indications possibles de traitement sont les thrombopénies et les formes asymptomatiques avec une charge virale plasmatique élevée (entre 1 000 et 10 000 copies/mL de sang total). Les durées de traitement par voie intraveineuse restent imprécises, mais une durée d’au moins 6 semaines semble nécessaire. Certaines équipes traitent 15 jours en intraveineux avec un relais possible par voie orale par la suite pour une durée totale de 6 semaines, en fonction du type d’atteinte. Le ganciclovir est à administrer par perfusion périphérique d’une heure, avec une concentration maximale de 10 mg/mL. En cas d’insuffisance rénale organique, les doses seront réduites et à adapter en fonction des dosages sériques. Le valganciclovir est en suspension buvable et doit être dilué au tiers avec du glucosé. Sa biodisponibilité est de 50 %. La surveillance du traitement La surveillance de la toxicité du traitement antiviral par ganciclovir et valganciclovir doit comporter un ionogramme sanguin et dosage de la créatinine une fois par semaine, une NFS une fois par semaine en arrêtant le traitement si PNN < 500/mm3 . L’efficacité du traitement se mesure à la décroissance de la charge virale sanguine. Les limites du traitement médical Les traitements antiviraux comme le ganciclovir ou le valganciclovir présentent des effets secondaires comme la neutropénie [8], l’anémie, l’insuffisance rénale et la cytolyse hépatique. Le traitement nécessite d’être arrêté si le taux de neutrophiles est inférieur à 500/mm3 , et la dose doit être diminuée. Chez l’animal, le ganciclovir aurait un effet carcinogène, tératogène et mutagène. Chez l’adulte, on voit apparaître depuis quelques années l’émergence de résistance aux thérapeutiques antivirales habituelles par mutation du gène de l’ADN polymérase (ganciclovir, valganciclovir, et cidofovir) ou par mutations sur le gène de la mt pédiatrie, vol. 14, n◦ 4, juillet-août 2011 303 Les nouveautés thérapeutiques de l’infection congénitale à cytomégalovirus Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Tableau 2. Traitements antiviraux utilisés chez l’enfant : doses, effets secondaires, surveillance. 304 Molécules Doses Effets secondaires Surveillance Gancyclovir Cymevan® 7,5 mg/kg x 2/ jour IV 1 heure C◦ max de 10 mg/mL Neutropénie Anémie Insuffisance rénale Cytolyse NFS x 1/sem Iono sang x 1/sem. Créatinine x 1/sem. Adaptation des doses aux dosages sériques et à la fonction rénale Arrêt traitement si PNN<500/mm3 Valgancyclovir Rovalcyte® 15 mg/kg x 2/jour Per os A diluer dans 1/3 de G5% Neutropénie Anémie Insuffisance rénale Cytolyse NFS x 1 /sem Iono sang x 1/sem. Créatinine x 1/sem Adaptation des doses aux dosages sériques et à la fonction rénale Arrêt traitement si PNN<500/mm3 protéine kinase (ganciclovir et valganciclovir). Une charge virale élevée, une exposition prolongée à l’antiviral, des interruptions fréquentes du traitement pour toxicité, un traitement à posologies réduites, une immunodépression favorisent cette émergence [20]. Enfin, malgré les traitements entrepris, il persiste longtemps une excrétion virale de CMV urinaire [21], et cochléaire dans l’oreille [22, 23]. Les vaccins et immunoglobulines Les vaccins Depuis les années 1970, plusieurs types de vaccins ont été étudiés (atténués vivants, recombinants, vaccins avec protéines adjuvantes, vaccins ADN, sous unités virales), mais aucun vaccin n’est disponible. Les principales barrières sont le manque de connaissances exactes sur la biologie moléculaire du CMV, les données manquantes sur l’immunisation complexe contre le CMV, les difficultés à définir une population cible pour ce vaccin, et l’échappement immunitaire au système inné et adaptatif [24]. L’immunité induite par les vaccins est durable mais n’est responsable que d’une immunité partielle car des réactivations, des réinfections peuvent survenir. Les éléments nécessaires à l’élaboration d’un vaccin optimal ne sont pas bien définis. Plusieurs stratégies vaccinales peuvent être envisagées (tableau 3 ). Une seule étude a été faite chez de jeunes enfants et a montré une sécurité d’utilisation et une bonne immunogénicité [25]. Une autre étude récente a montré que chez des femmes séronégatives, le vaccin sous unité gB empêchait l’infection maternelle, avec un taux de séroconversion chez environ 50 % des femmes vaccinées. Cette découverte est étonnante et doit être confirmée, mais laisse penser que l’immunité vaccinale contre le CMV est possible mais difficile à réaliser [26]. La prévention de l’infection congénitale à CMV par l’immunisation de la femme jeune avant la grossesse semble être une bonne indication, et il faudrait envisager d’évaluer les stratégies d’immunisation de cette classe d’âge. L’immunisation passive Une seule étude non contrôlée réalisée en Italie en 2005 [27] a utilisé une source commerciale d’immunoglobulines CMV pour traiter les femmes ayant une primo-infection à CMV pendant la grossesse, et a montré que le transfert passif d’anticorps réduit la fréquence de la transmission du virus à la descendance et réduit l’incidence de la maladie chez les nourrissons infectés. Ces résultats ont été très controversés, et les effets bénéfiques du traitement pourraient être davantage liés aux effets anti-inflammatoires des immunoglobulines sur le placenta, plutôt qu’un effet direct antiviral chez le fœtus infecté. L’allaitement Le virus CMV est souvent excrété dans le lait recueilli en post-partum de femmes séropositives [28]. Le taux d’excrétion varie de 13 % à 32 % par l’isolement du virus dans des cultures de tissus à plus de 70 % lors des tests par PCR. Le pic d’excrétion du CMV se situe entre 2 semaines et 2 mois après l’accouchement. Le risque de transmission de l’infection à CMV est de 39 % à 59 %. La plupart des nourrissons infectés après l’ingestion de lait maternel contenant le virus commencent à excréter le CMV entre 3 semaines et 3 mois d’âge. On estime que près de 40 % de tous les nourrissons allaités pendant au moins 1 mois par des mères séropositives sont infectés après la naissance.L’infection périnatale par le lait maternel est rarement une cause d’infection chez les nouveau-nés à terme recevant le lait de leur mère [29]. Les bébés prématurés qui n’ont pas d’anticorps spécifiques sont à risque plus élevé de morbidité [30]. Compte tenu de ces données et des risques de handicap propres à la grande prématurité, il est recommandé un dépistage chez ces mères qui souhaitent allaiter. Il est proposé un bilan sérologique maternel dès l’accouchement. Le lait de mère est donné cru, dans les services de réanimation néonatale chez les enfants dont le terme est de plus de 32 semaines ; en revanche, chez les enfants de moins de 32 semaines, si la mère est séropositive pour le CMV ou si la sérologie mt pédiatrie, vol. 14, n◦ 4, juillet-août 2011 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Tableau 3. Les différents types de vaccins contre le cytomégalovirus. Points positifs Points négatifs Virus vivant atténué -AD169 -Towne -Chimère Toledo-towne Immunité contre plusieurs protéines virales Immunité cellulaire et humorale (towne) Mauvaise connaissance du phénomène Atténuation Problème de sécurité (virus vivant) Contre-indications pendant la grossesse Immunité conférée moins efficace qu’immunité naturelle Vaccins ADN Réponse humorale et cellulaire Facilité d’expression et de purification Sécurité inconnue Peu immunogène chez l’homme Protéine recombinante purifiée -gB, IE1, Pp65pp65 Anticorps neutralisants Sécurité Sécurité d’utilisation ? Peu de réponse cellulaire Nécessite un adjuvant Exclusion des autres cibles glycoprotéiques Pas très immunogène Primeboost therapy Vaccins avec vecteurs Canarypox : gB-pp65 Réponse cellulaire T Pas de réplication chez l’homme Réponse cellulaire et humorale Peu immunogène Venezualan equine encephalitis : AlphavaxgB-pp65-IE est inconnue, le lait de mère est pasteurisé. Le traitement thermique du lait maternel à 72◦ pendant 10 secondes élimine tous les virus sans affecter le système immunitaire et les propriétés nutritionnelles du lait. Conclusion La majorité des infections congénitales à CMV surviennent sans que l’on puisse reconnaître les formes à haut risque de séquelle et sans que l’on puisse traiter la maladie. La plupart des études ont montré une diminution des séquelles neurosensorielles sous traitement, mais aucune n’a démontré de diminution de la mortalité des formes symptomatiques traitées. Compte tenu du risque de séquelles auditives ou neurosensorielles d’apparition progressive, il paraît justifié d’instaurer un traitement par le ganciclovir par voie veineuse en prévenant les parents des effets secondaires. Le valganciclovir donné par voie orale semble être une bonne alternative, tant au niveau de son efficacité qu’au niveau de sa biodisponibilité. Seul un suivi prospectif à plus grande échelle de ses enfants permettra de répondre à nos interrogations, et de définir au mieux les modalités de traitement. Conflits d’intérêts : aucun. 2. Boppana SB, Fowler KB, Pass RF, et al. Congenital cytomegalovirus infection : association between virus burden in infancy and hearing loss. J Pediatr 2005 ; 146 : 817-23. 3. ANAES. [Evaluation of cytomegalovirus infection screening in pregnant women in France : synopsis and perspectives (September 2004)]. J Gynecol Obstet Biol Reprod (Paris). 2005 ; 34 : 170-4. 4. Stagno S, Britt W. Cytomegalovirus infections. 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